Interview de M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre, à France Inter le 18 mai 2012, sur la charte de déontologie du gouvernement, la hiérarchie des salaires dans les entreprises publiques, la préparation de la future conférence sociale, les rythmes scolaires, le retour partiel à la retraite à 60 ans, l'état des finances publiques et la politique étrangère et européenne.

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Texte intégral

BRUNO DUVIC Exemplarité, ce mot est répété sans cesse depuis mardi à la formation du gouvernement. En quoi voulez-vous marquer un tournant, comment garantir que cet impératif restera à l’ordre du jour, pas seulement une semaine ?
 
JEAN-MARC AYRAULT D’abord c’est un engagement qui a été pris pendant la campagne électorale par le président de la République, l’exemplarité, et ça commence par ceux qui exercent les plus hautes fonctions. Et donc la première décision, le premier décret que j’ai proposé au Conseil des ministres, c’est la diminution du traitement du président de la République, du Premier ministre, de tous les ministres de 30 %. Et puis aussi la signature par chacun des ministres d’une charte de déontologie, donc ils s’engagent à se mettre au service de l’Etat et des Français exclusivement. Ça veut dire pas de conflit d’intérêt, pas d’activité autre, pas de cadeaux de ceci ou de cela…
 
BRUNO DUVIC Pas de séjours privés aux frais des gouvernements étrangers ?
 
JEAN-MARC AYRAULT Bien sûr et puis pas non plus de cumul entre un mandat exécutif local – maire adjoint, président, vice-président – et ministre. On se met au service des Français et nous y sommes déjà.
 
BRUNO DUVIC Maire de grandes agglomérations ou y compris des plus petites communes, pour préciser les choses ?
 
JEAN-MARC AYRAULT Toutes tailles, toutes tailles, toutes tailles, tout mandat exécutif. Le conflit d’intérêt, c'est-à-dire que quand on est au service des Français, de l’Etat, on doit être impartial. Alors on peut rester élu local, moi je veux rester conseiller municipal de Nantes, je ne quitte pas Nantes, j’habite à Nantes, enfin j’habite à Matignon parce que mes obligations gouvernementales m’y contraignent et je le fais bien sûr bien volontiers mais je reste nantais, je reste auprès des Nantais mais je suis d’abord au service de la France comme tous les ministres.
 
BRUNO DUVIC Pour être très clair à propos de cette charte, un ministre qui ne la respecterait pas devrait quitter immédiatement le gouvernement ?
 
JEAN-MARC AYRAULT Il ne sera plus ministre, il ne sera plus ministre.
 
BRUNO DUVIC Alors…
 
JEAN-MARC AYRAULT Comme un ministre, qui est candidat aux élections législatives et qui ne serait pas élu, ne pourrait pas non plus rester au gouvernement, parce que c’est la légitimité démocratique. Moi-même je suis candidat aux élections législatives, et je vais mener la campagne pour que le président dispose d’une majorité claire, solide, cohérente pour gouverner.
 
BRUNO DUVIC Vous parliez de votre cas, quand allez-vous quitter le fauteuil de maire de Nantes ? On a compris que vous resteriez conseiller municipal.
 
JEAN-MARC AYRAULT Nous avons évoqué cela hier au Conseil des ministres, en fonction des dates des assemblées locales, donc ça sera plutôt courant juin ou fin juin au plus tard. En tout état de cause à la fin du mois de juin, et ça c’est une décision qui sera totalement respectée. Il n’y aura pas un seul ministre ou une seule ministre qui sera chef dans l’exécutif local ou qui sera même adjoint ou président d’une société locale ou d’un Office d’HLM. Il pourra rester s’il le souhaite simple conseiller.
 
BRUNO DUVIC La baisse des salaires de 30 %, c’est la mesure qu’on retient le plus parmi celles qui ont été actées hier. On est d’accord qu’on est dans le symbole, il ne s’agit pas d’économie budgétaire massive ?
 
JEAN-MARC AYRAULT C’est vrai mais c’est l’exemplarité, c’est… tout le monde sait bien quel est le salaire moyen des Français, on est à moins de 1.600 €, donc les Français font beaucoup d’efforts et ceux qui sont au pouvoir, s’ils doivent demander des efforts à tous ils doivent les demander dans la justice, mais d’abord en donnant l’exemple. Comment voulez-vous exiger quoi que ce soit des autres si vous ne donnez pas l’exemple. Ça vaut pour les grands patrons, je le dis tout de suite.
 
BRUNO DUVIC Alors on a entendu Martin HIRSCH tout à l’heure qui disait : baisse des salaires des ministres, bravo, il faut que les serviteurs de l’Etat suivent tous, y compris les patrons des grandes entreprises publiques. Est-ce que vous relayez ce message ?
 
JEAN-MARC AYRAULT Absolument, absolu… ce n’est pas que je relaie ce message, c’est que c’est un engagement que la hiérarchie des salaires dans les entreprises publiques ne pourra pas aller au-delà de 1 à 20. Donc…
 
BRUNO DUVIC Et il disait « il faut le faire vite, pas en un quinquennat ».
 
JEAN-MARC AYRAULT C’est envisagé pour que ça se fasse vite et c’est décidé, ça se fera. Simplement le gouvernement vient de s’installer, les ministres prennent leurs fonctions, ils nomment leurs directeurs de cabinet, et donc ils se mettent au travail, mais très, très vite. Moi-même j’ai déjà commencé, mon équipe à Matignon est quasi-constituée, donc on ne peut pas faire plus vite. Mais objectif : efficacité au service des Français, donc voilà une mesure qui est en cours de préparation.
 
BRUNO DUVIC Cette baisse des salaires, est-ce que c’est aussi une façon de dire aux Français : les temps à venir seront durs ? Et est-ce que c’est un signal de modération salariale plus générale ?
 
JEAN-MARC AYRAULT Non, il ne faut pas le prendre comme ça, il faut le prendre sous l’angle de l’exemplarité. Vous savez, les Français ressentent aujourd’hui comme une forme de crise de confiance, une crise morale, une crise de confiance dans l’avenir du pays lui-même. Et donc pour redresser la France, c’est l’objectif, réorienter l’Europe, c’est aussi la priorité dans le sens de la croissance, de la protection, bien sûr qu’il y a des choses à changer. Et donc l’exemplarité, c’est d’abord ceux qui exercent les plus hautes responsabilités qui doivent l’appliquer, et donc donner l’exemple. Par contre en ce qui concerne les salaires, comme les autres sujets : le travail, la formation, l’emploi, le contrat de génération puisque la jeunesse est – vous le savez – la priorité du président de la République, vont donner lieu à des négociations avec les partenaires sociaux, que nous sommes en train de préparer pour la future conférence sociale.
 
BRUNO DUVIC Alors salaires, c’est notamment le coup de pouce au Smic annoncé pour le mois de juillet, vous avez une fourchette haute…
 
JEAN-MARC AYRAULT Non…
 
BRUNO DUVIC Une fourchette basse ?
 
JEAN-MARC AYRAULT Je ne vous donnerai pas de fourchette parce qu’il y a une règle qui s’applique, pour ce sujet comme pour les autres, que le président de la République a rappelé au Conseil des ministres, c’est la concertation, c’est le respect des partenaires. D’abord, je vous rappelle que nous avons vécu pendant 5 ans avec un président qui décidait de tout à l’Elysée, et en réalité tout se passait mal, l’Etat fonctionnait mal, les corps intermédiaires ne jouaient pas leur rôle. Donc démocratie parlementaire, respect du Parlement, respect de la démocratie sociale, respect de la démocratie territoriale, de la démocratie citoyenne et participative, notamment les grandes associations, les ONG. Vous avez… la France dispose de tant d’atouts qui sont les forces de la France, de la société, il faut les mettre en mouvement, il faut les respecter. Donc ça sera la règle, ça sera la méthode : discussion, négociation avec les partenaires sociaux.
 
BRUNO DUVIC A propos de concertation, est-ce que votre ministre de l’Education – ici même à votre place hier matin – est allé un peu vite en besogne en annonçant avant toute concertation avec les syndicats le passage à la semaine de 5 jours dans les écoles ?
 
JEAN-MARC AYRAULT Ecoutez, sur ce sujet je vais être très clair. La priorité, la jeunesse, la réussite des enfants, la réussite éducative, d’ailleurs il y a une ministre déléguée au…
 
BRUNO DUVIC Pour l’instant, vous ne répondez pas à ma question.
 
JEAN-MARC AYRAULT Je vais répondre, je vais répondre très précisément. L’enfant au coeur de notre système éducatif, la réussite de l’enfant, et donc la question des rythmes scolaires a été abordée maintes et maintes fois, j’ai même participé moi-même à un colloque organisé par le groupe socialiste à l’Assemblée nationale. Et on a vu que la question des rythmes scolaires pénalisait les enfants dans leur réussite. Donc la question elle est posée, semaine de 5 jours, pas 5 jours, ça fait partie du débat. Vincent PEILLON a rappelé la proposition, mais la méthode que je vais vous donner…
 
BRUNO DUVIC Ça prenait la forme un peu d’une annonce quand même, c’était « on passera à la semaine de 5 jours en 2013 ».
 
JEAN-MARC AYRAULT Une annonce…
 
BRUNO DUVIC Hier, c’était ça le message.
 
JEAN-MARC AYRAULT La méthode c’est la concertation, donc ce que Vincent PEILLON a annoncé, c’est : les rythmes scolaires c’est un chantier, c’est une priorité, on va s’y attaquer. Et puis on va engager la concertation avec les enseignants, avec les parents d’élèves, avec tous les professionnels, tous ceux qui ont leur mot à dire. Et puis à la fin de cette concertation, il y aura un arbitrage, je le prendrai pour que l’objectif principal soit respecté.
 
BRUNO DUVIC Donc c’est un petit peu moins sûr qu’hier…
 
JEAN-MARC AYRAULT Non.
 
BRUNO DUVIC Pour l’instant, on attend la concertation ?
 
JEAN-MARC AYRAULT C’est le chantier de la réussite éducative et le chantier de rythme scolaire, Vincent PEILLON a eu raison de le rappeler, c’est une priorité.
 
BRUNO DUVIC Le collectif « Jeudi noir » s’appuie sur votre volonté d’exemplarité pour demander à Delphine BATHO, ministre déléguée à la Justice, de quitter son logement parisien, le prix est 30 % en dessous du marché, la Régie immobilière de Paris lui a demandé dès 2009 de quitter ce logement, selon le collectif « Jeudi noir », doit-elle déménager ?
 
JEAN-MARC AYRAULT C’est fait.
 
BRUNO DUVIC Eh bien ! Voilà une réponse claire.
 
JEAN-MARC AYRAULT Enfin si c’est fait, c’est en cours mais c’est fait parce que ça doit être fait.
 
BRUNO DUVIC Autre question concernant une de vos ministres, la règle qui a été fixée c’est donc – vous l’avez rappelé – qu’un ministre candidat aux législatives qui perdrait devra quitter le gouvernement. Najat VALLAUD-BELKACEM, la porte-parole du gouvernement, avait un combat difficile à mener dans la région lyonnaise, elle préfère se retirer. Elle se défile devant le suffrage universel Monsieur le Premier ministre ?
 
JEAN-MARC AYRAULT Non mais écoutez franchement, personne n’est obligé d’être candidat aux élections législatives, tout le monde n’est pas candidat aux élections législatives. Et elle a pris une… a accepté une responsabilité importante, un ministère plein de Droit des femmes et qui plus est porte-parole. Donc nous aurons besoin d’un porte-parole…
 
BRUNO DUVIC Mais on se souvient…
 
JEAN-MARC AYRAULT En permanence, en permanence.
 
BRUNO DUVIC On se souvient d’Alain JUPPE qui, en 2007, était un des pivots du gouvernement, il avait perdu aux législatives, au moins il était allé devant le suffrage universel.
 
JEAN-MARC AYRAULT Mais de mémoire, il y a 25 ministres qui sont candidats aux élections législatives, donc il y aura peut-être des battus. Mais je souhaite…
 
BRUNO DUVIC Stéphane le FOLL par exemple qui aura un...
 
JEAN-MARC AYRAULT …Particulièrement. J’espère qu’ils seront tous élus, et je vais vous dire pourquoi c’est nécessaire qu’ils soient tous élus, c’est parce que le président de la République a été choisi par une majorité de Français pour qu’on engage le changement, changement de la manière de présider, la manière de gouverner, changement de politique, plus de justice et puis réorienter l’Europe. Nous avons besoin d’un pouvoir exécutif qui soit solide, donc moi… pour moi l’objectif principal aujourd’hui, c’est de convaincre les Français que nous avons besoin d’une large majorité, solide, cohérente, solidaire pour mettre en oeuvre ce que les Français ont choisi le 6 mai.
 
BRUNO DUVIC Parmi les dossiers très vite ouverts Monsieur AYRAULT, il y a celui des retraites, retraite à 60 ans pour ceux qui ont cotisé 41 ans et qui ont commencé à travailler à 18 ans. On parle bien de cotisations, c'est-à-dire qu’on ne tient pas compte des trimestres de chômage ou de congés maternité ?
 
JEAN-MARC AYRAULT Mais là encore c’est la même chose, c’est la même méthode. J’ai demandé hier à Marisol TOURAINE, nouvelle ministre, dès sa prise de fonction d’engager la concertation avec les partenaires sociaux avant de rédiger définitivement le projet de décret, parce que là c’est une décision qui correspond à un engagement du président de la République…
 
BRUNO DUVIC Voilà, qui était…
 
JEAN-MARC AYRAULT C'est-à-dire que 41…
 
BRUNO DUVIC Qui était très clair sur le fait qu’on ne tenait pas compte des trimestres de chômage ou congés de maternité ?
 
JEAN-MARC AYRAULT 41 années de cotisations, vous avez l’âge de 60 ans, vous pouvez partir à la retraite. Mais simplement avant de rédiger le décret – et les partenaires sociaux le souhaitent et nous aussi – il y a une concertation, elle va commencer tout de suite.
 
BRUNO DUVIC Vous leur dites donc ce matin qu’il y a une marge de manoeuvre très précisément sur cette question des trimestres…
 
JEAN-MARC AYRAULT S’il y a concertation…
 
BRUNO DUVIC Validés…
 
JEAN-MARC AYRAULT C’est pour pouvoir discuter, sinon ça ne sert à rien.
 
BRUNO DUVIC Donc marge de manoeuvre ?
 
JEAN-MARC AYRAULT C’est ça l’esprit du gouvernement et puis après, en fonction des contraintes financières aussi parce qu’il faut dire la vérité aux Français, on leur doit cette vérité, un arbitrage sera pris, je prendrai une décision, mais la concertation doit être le préalable à ce sujet. Je vous rappelle que j’ai demandé au premier président de la COUR DES COMPTES un rapport sur l’exécution de la loi de finance 2012 et l’état de nos finances publiques à ce jour. Et j’ai demandé que nous puissions disposer de ce rapport extrêmement précis avant le 1er juin pour que nous puissions prendre nos décisions. Toutes décisions qui sont déjà prises ou qui vont être prises, le prochain Conseil des ministres, seront financées, c'est-à-dire une dépense supplémentaire et une économie de l’autre côté.
 
BRUNO DUVIC Et en tout cas sur ce retour très partiel de la retraite à 60 ans, le décret sera signé et publié avant l’été ?
 
JEAN-MARC AYRAULT Ah oui ! On travaille pour ça. [08h45]
 
BRUNO DUVIC Autour de la table, Philippe LEFEBURE, Jean-François ACHILLI, Thomas LEGRAND, Caroline FOUREST et tous les auditeurs d’INTER. Nous allons tout de suite au standard, Pierre-Yves nous appelle du Loir-et-Cher, bonjour.
 
PIERRE-YVES Oui, merci, bonjour, bonjour Monsieur le Premier ministre.
 
JEAN-MARC AYRAULT Bonjour.
 
PIERRE-YVES Ma question est très simple, elle concerne les questions européennes. Laurent FABIUS est ministre des Affaires étrangères, Bernard CAZENEUVE ministre délégué aux… chargé des questions européennes, on sait que ce dernier est très proche de Laurent FABIUS. Quel signal envoyons-nous à nos partenaires européens, lorsque l’on sait que Laurent FABIUS avait été un chaud partisan du non au projet de Constitution européenne en 2005 ? C’est ma question, j’en ai une toute petite seconde à ajouter, je suis universitaire, je le précise, c’est Geneviève FIORASO qui est chargée de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, elle n’est pas universitaire, elle était chargée de marketing chez FRANCE TELECOM, je suis un petit peu anxieux.
 
BRUNO DUVIC Alors le Premier ministre va vous répondre, d’abord sur les partisans du non à la tête de la diplomatie.
 
JEAN-MARC AYRAULT Sur la première question. Vous savez moi, je me souviens de 2005, du référendum et du choix des Français de voter non et nettement non, et dans le non il n’y avait pas que des opposants à l’Europe. Moi j’ai fait une campagne pour le oui au sein du Parti socialiste et aussi devant les Français, comme François HOLLANDE, comme Pierre MOSCOVICI, comme la quasi-totalité des membres du gouvernement. Mais dès le soir du résultat de ce référendum, je me souviens très bien, à la télévision j’avais dit : il faut dépasser le oui et le non pour trouver la réponse aux questions qui sont posées. Et donc aujourd’hui nous en sommes où au fond ? Nous en sommes… il y a une crise de l’Europe, une crise grave, une crise où l’Europe n’a plus de perspectives fortes et entraînantes, au point que beaucoup de citoyens européens voient dans l’Europe la cause de nos maux, certains même la cause de nos maux dans l’euro lui-même. La crise grecque est là avec sa brutalité, sa violence, avec tous ses risques et ses dangers, donc il y a un devoir impérieux et c’est l’engagement qu’a pris le président de la République François HOLLANDE, de réorienter l’Europe dans le sens de la croissance, dans le sens de la protection. Donc c’est une Europe plus forte…
 
BRUNO DUVIC Et plus efficace.
 
JEAN-MARC AYRAULT Et plus juste que nous voulons…
 
BRUNO DUVIC Et ces deux ministres qui avaient voté non à la Constitution, c’est aussi un symbole, un signe envoyé à nos partenaires européens ?
 
JEAN-MARC AYRAULT Non, le signe… le principal signe c’est le président de la République, l’autre signe c’est le Premier ministre, moi-même, chacun sait que nous sommes des Européens convaincus. Mais je sais aussi que Laurent FABIUS – comme Bernard CAZENEUVE que je connais très bien puisque c’est un de mes collègues à l’Assemblée nationale, en qui j’ai beaucoup confiance, qui est quelqu’un de très sérieux et compétent – nous voulons obtenir un changement de la politique européenne en matière de croissance. Et c’est une priorité et nous allons y parvenir, le premier déplacement du président de la République c’est dès sa prise de fonction à Berlin pour discuter avec Madame MERKEL. Mais à Washington, je termine juste pour vous dire…
 
BRUNO DUVIC Allez-y.
 
JEAN-MARC AYRAULT Que nos partenaires américains avec lesquels nous avons déjà discutés avant les élections, nous disent : mais que fait l’Europe pour la croissance ? Donc je pense que cette question, c’est la question prioritaire.
 
BRUNO DUVIC A propos de Washington, question rapide, on va essayer d’avoir des questions et des réponses rapides parce qu’il y en a beaucoup. Que va dire à propos de l’Afghanistan François HOLLANDE à Barack OBAMA ? Est-ce que ce retrait avant fin 2012 n’est absolument pas négociable ou on n’est pas à quelques semaines ou quelques mois ?
 
JEAN-MARC AYRAULT C’est un engagement qui a été pris et il sera tenu, nos partenaires… BRUNO DUVIC Engagement qui pose des problèmes logistiques et qui…
 
JEAN-MARC AYRAULT Bien sûr qui pose des problèmes…
 
BRUNO DUVIC Embête nos alliés, disons-le comme cela.
 
JEAN-MARC AYRAULT Alors je vous ferai observer que le KARZAI, qui s’est entretenu au téléphone avec le président de la République, Françoise HOLLANDE dès sa prise de fonction, a approuvé ce départ et le comprend fort bien. Donc à nous de l’organiser en concertation avec nos alliés, ça sera des discussions non seulement avec le président OBAMA mais avec nos partenaires de l’Otan pour que ce départ se fasse conformément aux engagements pris devant les Français dans le bon ordre…
 
BRUNO DUVIC Donc avant 2012…
 
JEAN-MARC AYRAULT La sécurité de nos troupes, parce que je pense que c’est un engagement pris devant les Français qui doit être respecté.
 
BRUNO DUVIC Philippe LEFEBURE, Thomas LEGRAND, le standard ensuite.
 
PHILIPPE LEFEBURE Vous l’avez dit tout à l’heure, vous avez commandé un audit auprès de la COUR DES COMPTES, qu’est-ce que vous en attendez, est-ce que vous pensez qu’il y a des surprises que vous a laissé le gouvernement sortant, est-ce que vous vous attendez à un déficit plus grand prévu et est-ce que ça va nous conduire directement à un nouveau plan de rigueur ?
 
JEAN-MARC AYRAULT Non mais écoutez, les objectifs de maîtrise des comptes publics, nous les avons annoncés déjà et ils seront tenus à la fin du quinquennat. Simplement il faut avoir les données précises pour que les Français, dans la transparence, connaissent exactement la réalité. Mais l’objectif, c’est d’un côté maîtriser nos déficits, faire reculer la dette ; mais de l’autre côté c’est de créer les conditions du redémarrage de la croissance, à la fois en France et en Europe. Ce n’est pas d’ajouter un plan d’austérité à un autre, donc il y aura des choix à faire et notre objectif, c’est bien le redémarrage de la croissance. Certains ironisaient sur l’intitulé du ministère qu’occupe Arnaud MONTEBOURG…
 
BRUNO DUVIC Redressement productif, c’est vrai qu’il y a plus clair.
 
JEAN-MARC AYRAULT Oui, eh bien oui, le redressement économique de la France, c’est un engagement qui a été pris. Ça passe par la relance de notre production, d’une politique industrielle ambitieuse, d’une politique de formations efficace, une politique de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, et je réponds à une question précédente, comme une de nos priorités. Voilà, c’est ça que nous allons faire.
 
THOMAS LEGRAND Vous avez nommé un ministre délégué au Développement, c’est un intitulé inédit…
 
JEAN-MARC AYRAULT C’est un…
 
THOMAS LEGRAND Pascal CANFIN, est-ce que ça comprend la coopération, est-ce que c’est un signe que vous voulez lutter contre la Françafrique, est-ce qu’il aura les moyens, est-ce que c’est une vraie nouveauté, est-ce qu’il aura des marges de manoeuvre ?
 
JEAN-MARC AYRAULT C’est un changement d’état d’esprit, il est ministre délégué auprès du ministre des Affaires étrangères Laurent FABIUS, nous allons donc discuter ensemble y compris de l’intitulé. Le mot coopération a un côté désuet et rappelle d’autres époques, un peu paternaliste. En tout cas, il s’agit de respecter nos partenaires, les pays en développement, notamment d’Afrique. La plupart des dirigeants africains, notamment démocratiques, souhaitent de nouveaux rapports. Et donc c’est bien le signe qui est donné, celui du développement et je dirai du co-développement.
 
THOMAS LEGRAND Contre la Françafrique donc ?
 
JEAN-MARC AYRAULT Mais la Françafrique pour nous, c’est dépassé.
 
THOMAS LEGRAND Puisque les budgets de l’aide au développement ont baissé ces dernières années, est-ce qu’ils vont continuer à baisser ?
 
JEAN-MARC AYRAULT Il ne faut surtout pas qu’ils baissent, simplement nous voulons un vrai partenariat. Donc je dirai au-delà du développement, le co-développement, la codécision, la mise en oeuvre de projets…
 
INTERVENANT C’est un changement de culture alors ?
 
JEAN-MARC AYRAULT Absolument.
 
BRUNO DUVIC Dalila au standard de FRANCE INTER, soyez la bienvenue.
 
DALILA Bonjour, merci de prendre ma question. Bonjour Monsieur le Premier ministre.
 
JEAN-MARC AYRAULT Bonjour Madame.
 
DALILA Je vous appelle pour savoir si vous allez tenir la promesse de Monsieur HOLLANDE de supprimer les heures sup défiscalisées ? Je vous explique rapidement pourquoi, j’ai été en grande maladie, j’ai repris mon boulot à mi-temps thérapeutique et mes collègues n’ont pas voulu céder leurs heures sup défiscalisées. Du coup je suis tombée en dépression et j’ai perdu mon travail.
 
JEAN-MARC AYRAULT Alors dans la campagne électorale, François HOLLANDE s’est expliqué là-dessus. Il y a eu… été mis en place un système qui au fond empêche, dans une période surtout de montée du chômage, les embauches, c’est plus facile de recruter… de donner des heures supplémentaires que d’embaucher, ça c’est un premier point. Maintenant, nous connaissons la réalité aussi des très petites entreprises, c’est pour ça que nous voulions maintenir ce système pour les très petites entreprises où là, l’embauche se fait dans d’autres conditions. Donc sur l’ensemble de ces questions, je l’ai dit tout à l’heure, lors du sommet social le premier dossier qui sera à l’ordre du jour c’est celui de l’emploi, l’emploi et la formation, notamment l’emploi des jeunes et puis la question salariale. Donc nous mettons ça en concertation et en négociation.
 
BRUNO DUVIC Vous parliez des difficultés des petites entreprises, est-ce que dans la concertation autour du Smic, vous allez tenir compte du fait que les marges des entreprises sont très réduites en ce moment ?
 
JEAN-MARC AYRAULT Il y a des situations très contrastées, des entreprises qui sont en difficulté et bien évidemment, il faut à la fois trouver la réponse en termes d’efficacité économique et de justice. Tout à l’heure vous avez parlé d’exemplarité, nous avons parlé d’effort, je tiens à rassurer nos auditeurs, la justice sera associée à chaque décision. Et en même temps, notre objectif c’est bien le redressement du pays, dont le redressement économique, social et moral.
 
BRUNO DUVIC Jean-François ACHILLI.
 
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI Une question Jean-Marc AYRAULT concernant la bataille des législatives, tout d’abord une précision, que l’on comprenne bien, le chef de bataille au PS c’est bien vous, ce n’est pas Martine AUBRY ?
 
JEAN-MARC AYRAULT Eh bien ! Le chef de la majorité c’est le Premier ministre, donc c’est moi…
 
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI Par définition.
 
JEAN-MARC AYRAULT Et Martine AUBRY qui a souhaité – en plein accord avec le président de la République et moi-même – rester à la tête du Parti socialiste pour mener la bataille des législatives, entraîner les socialistes parce que c’est très important le Parti socialiste et nos alliés, le fera avec moi. D’ailleurs nous nous voyons ce midi à Matignon, je la reçois à déjeuner et nous allons entrer dans les détails pour faire en sorte que cette campagne soit la plus dynamique possible, la plus rassembleuse possible et avec un seul objectif, c’est de donner au président de la République la majorité présidentielle parlementaire la plus large.
 
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI Alors question sur le principe, rapide, Marine le PEN a totalisé près de 18 % des voix au premier tour de l’élection présidentielle, est-il selon vous souhaitable qu’il y ait des députés Front National au soir des législatives…
 
JEAN-MARC AYRAULT Ecoutez…
 
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI Est-ce qu’il est souhaitable…
 
JEAN-MARC AYRAULT Ce qui est souhaitable les 10 et 17 juin, c’est qu’il y ait une majorité pour gouverner la France, c’est ça la priorité. Alors ensuite, votre question renvoie à autre chose, nous avons prévu et nous allons y travailler pour que lors des prochaines élections législatives, donc à la fin du quinquennat lorsque le Parlement sera renouvelé, nous ayons un système électoral qui permette une part de proportionnelle, pour que tous les courants de pensée soient représentés à l’Assemblée nationale. Mais pour l’heure, j’insiste vraiment auprès des Français, nous avons besoin – parce que sinon l’élection présidentielle n’aura servi à rien – d’une majorité large, d’une majorité stable, d’une majorité cohérente et solidaire.
 
INTERVENANT Vous redoutez que le résultat soit ric-rac ?
 
JEAN-MARC AYRAULT Mais nous avons besoin de cette majorité forte parce que la situation du pays l’exige. Vous avez abordé plusieurs points, la situation économique, la situation financière, la situation sociale, la situation morale, le poids de la France, comment voulez-vous… je le dis aux Français, je le dis… quand j’entends les arguments de l’UMP qui voudrait installer une cohabitation et qui voulait une France forte, une France forte…
 
INTERVENANT C’est légitime qu’elle veuille remporter les législatives.
 
JEAN-MARC AYRAULT Non, ce n’est pas légitime, c’est légitime, ils ont…
 
INTERVENANT Ils ont le droit de vouloir gagner.
 
JEAN-MARC AYRAULT Bien entendu, bien entendu, mais du point de vue de l’intérêt de la France, on ne peut pas à la fois dire « on veut une France forte » et avoir un gouvernement faible. Que pèserait la voix du président de la République en Europe et dans le monde ?
 
BRUNO DUVIC Vous avez dit que Martine AUBRY restait à la tête du PS pour mener la campagne des législatives…
 
JEAN-MARC AYRAULT A mobiliser le Parti socialiste…
 
BRUNO DUVIC Ça veut dire qu’après... après elle pourrait être ministre alors ?
 
JEAN-MARC AYRAULT Ecoutez franchement, à chaque jour suffit sa peine. Aujourd’hui nous avons un ordre du jour, pour le gouvernement c’est de se mettre au travail tout de suite et tous les ministres y sont ; et puis en même temps pour toute la gauche et en particulier le Parti socialiste et pour le Premier ministre, c’est de faire que les Français nous fassent confiance pour une majorité parlementaire.
 
PHILIPPE LEFEBURE La situation en Grèce et la zone euro, comment vous qualifiez aujourd’hui la situation, vous avez dit « il faut plus de croissance » mais là, dans l’immédiat, on voit bien que l’Espagne, la Grèce plombent les marchés, plombent l’ambiance, pardon de le dire comme ça, et met à mal justement les perspectives de croissance ?
 
JEAN-MARC AYRAULT Il y a à la fois des causes internes dans chacun de ces pays, il y a les difficultés spécifiques mais il y a le problème général de la zone euro avec une croissance si faible, une spéculation des marchés. Et nous sommes tous d’accord pour dire… en tout cas point de vue français qu’on a trop traîné à agir pour aider la Grèce. Ça fait 2 ans quand même que cette situation existe, elle n’a fait que s’aggraver, s’aggraver, s’aggraver. Et donc…
 
PHILIPPE LEFEBURE Vous pensez qu’il y aura un plan nécessaire à faire très vite, un nouveau plan de sauvetage de la Grèce ?
 
JEAN-MARC AYRAULT Les premiers échanges qui ont eu lieu entre la Chancelière MERKEL et le président François HOLLANDE portent justement sur l’aide spécifique à apporter à la Grèce. La Grèce a besoin de redresser son économie, il existe des fonds structurels non utilisés. Donc il faut, à côté de la nécessité de remettre de l’ordre dans les comptes, aussi aider ce pays à se redresser. Et donc l’objectif, c’est bien que la Grèce reste dans la zone euro. Il faut aider les Grecs…
 
PHILIPPE LEFEBURE La première priorité…
 
JEAN-MARC AYRAULT Il faut leur donner un signe, que si le seul signe qui est donné c’est la brutalité du plan d’austérité sans qu’il y ait des perspectives de relance, de croissance, de justice aussi dans ce pays, alors les Grecs risquent de se décourager. Et le résultat aux élections législatives… catastrophique. Alors que l’intérêt des Grecs comme des Européens, c’est que l’euro… la situation dans la zone euro se redresse.
 
CAROLINE FOUREST Justement la négociation avec la Chancelière allemande, dont on croit comprendre qu’un compromis ne se dessinera pas avant les législatives, est-ce que… on parle souvent de croissance mais c’est un mot qui reste très général, est-ce que vous incluez sous ce mot de croissance et de relance aussi l’objectif des euro-bonds, c'est-à-dire mutualiser les dettes et l’évolution du rôle de la Banque centrale européenne ?
 
JEAN-MARC AYRAULT C’est toujours notre objectif, et François HOLLANDE a été très clair, il a même dit d’ailleurs dans la conférence de presse… il a évoqué le mot euro-bonds, on n’a pas vu la Chancelière sursauter. Ce qui est important dans la relation franco-allemande, c’est le respect mutuel, ce n’est pas qu’il y en ait un qui soit soumis à l’autre parce que nous sommes rentrés dans une situation de déséquilibre, c’est évident, mais c’est se dire les choses. Ce n’est pas parce que vous êtes ami avec l’Allemagne… moi je connais bien ce pays, je connais bien sa vie politique, je connais sa culture et ses traditions, il faut se parler en toute franchise, donc se dire les choses. Ou nous sommes en accord ou nous sommes en désaccord. Et ça sera fait également avec l’ensemble des pays européens au dîner informel auquel participera François HOLLANDE le 23 mai prochain. On dira : voilà les positions de la France, où nous en sommes, ce que nous voulons faire, où sont les vôtres ? Et puis on essaiera de converger parce qu’il faut sortir de la crise, c’est un devoir impérieux.
 
BRUNO DUVIC Et quel calendrier pour une décision européenne qui fasse vraiment progresser le débat ?
 
JEAN-MARC AYRAULT Vous savez, il faut quand même… ça ne peut pas se faire en 24 h 00 ou 48 h 00, il faut faire les choses sérieusement tant parfois les points de vue peuvent être éloignés. Donc…
 
BRUNO DUVIC C’est l’affaire de 6 mois, de 1 an, de 2 ans ?
 
JEAN-MARC AYRAULT Je vous rappelle que nous avons un autre sommet européen à la fin du mois de juin, et donc c’est d’ici là qu’il faut beaucoup travailler.
 
BRUNO DUVIC Monsieur le Premier ministre, toute une série d’entreprises sont dans une situation délicate en ce printemps 2012 : FRALIB, PETROPLUS, TECHNICOLORE, il y a des menaces de fermeture de sites, il n’y a pas forcément de projets de reprise. On arrive au terme de cet entretien, quelle est la consigne donnée au ministre du Redressement productif Arnaud MONTEBOURG, est-ce que l’Etat peut toujours jouer les pompiers ?
 
JEAN-MARC AYRAULT Mais il faut le faire… enfin il y aura beaucoup de règles du jeu à changer et puis beaucoup de moyens et d’outils à mettre en place. On n’a peut-être pas le temps d’évoquer la politique industrielle, la Banque publique d’investissement. Mais il y a aussi une méthode nouvelle à mettre en place, pas attendre que les situations se dégradent, agir de façon préventive quand on sent que dans un secteur industriel ou sur un territoire, la catastrophe peut arriver. Et donc mettre en place avec les pouvoirs locaux, c’est pour ça que la nouvelle étape de la décentralisation est nécessaire, les régions, les grandes villes, les intercommunalités, les entreprises, les institutions professionnelles, les salariés pour anticiper, préparer, réorganiser, plutôt que d’être là toujours avec des crises sociales brutales, où les gens ont le sentiment d’être abandonnés. Je pense par exemple à cette situation de FRALIB où je suis allé moi-même, François HOLLANDE aussi, on se dit : mais pourquoi est-ce qu’on n’a pas géré les choses en amont autrement ? Alors dans l’urgence, les préfets – et en particulier de régions – seront chargés d’organiser toutes ces concertations, nous demandons aussi un audit de chaque situation. Là, on a demandé à la COUR DES COMPTES une évaluation de la situation financière, il faut qu’on regarde tous les projets de plans sociaux, il faut qu’on regarde toutes les situations dramatiques, je pense évidemment à Florange. Et ça, c’est le travail du ministre de l’Industrie avec le ministre de l’Economie et des Finances, ils sont déjà sur ces dossiers.
 
Source :Premier ministre, Service d’Information du Gouvernement, le 24 mai 2012