Déclaration de M. Pierre Moscovici, ministre de l'économie et des finances, sur les objectifs du projet de loi de finances rectificative pour 2012 en faveur de l'emploi, de la justice fiscale et du redressement des comptes publics, à l'Assemblée nationale le 16 juillet 2012.

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Circonstance : Débat sur le projet de loi de finances rectificative pour 2012, à l'Assemblée nationale le 16 juillet 2012

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Députés,
Nous nous retrouvons pour la troisième fois en dix jours pour débattre des inflexions nécessaires en matière économique et financière. Nous avons eu, Jérôme Cahuzac et moi-même, un premier échange avec la Commission des finances de cette Assemblée sur l’ensemble des textes soumis à votre examen pour cette session. Avec la loi de règlement, nous avons pris acte de la situation budgétaire dont le Gouvernement hérite. Enfin, nous avons présenté nos priorités et nos principes économiques et financiers lors du débat d’orientation la semaine dernière.
A chaque fois, un même objectif a guidé nos choix : déployer une politique cohérente, juste, et réformiste. Le projet de loi de finances rectificative pour 2012 s’inscrit également dans ce cadre. Il constitue aussi une première étape, et ce à double titre. Première étape d’un redressement budgétaire qui se déroulera sur l’ensemble du mandat, et évoluera progressivement – je pense ici en particulier aux équilibres entre recettes et dépenses dans la composition du budget. Première étape, aussi, d’une profonde réforme du système fiscal, que la loi de finances rectificative vient amorcer.
La loi de finances rectificative répond à un triple impératif : redresser les comptes publics pour respecter nos engagements, replacer la justice au coeur de notre système fiscal, et amorcer la réorientation de la fiscalité vers l’investissement et l’emploi.
J’ai eu l’occasion de le rappeler lors du débat d’orientation des finances publiques : redresser les comptes publics n’est pas une fin en soi, ce n’est pas un nouvel avatar de la « pensée unique ». C’est une voie indispensable pour préserver notre souveraineté, pour conserver la maîtrise de nos politiques publiques ; en un mot, c’est une condition de réussite du changement. Si nous affichons clairement notre objectif de retour à l’équilibre, avec ses étapes intermédiaires, si nous nous engageons avec détermination sur ce chemin, c’est parce que le désendettement permet de rétablir une capacité à travers les politiques publiques, de dégager des marges de manoeuvre pour l’action politique.
Pour 2012, notre objectif – vous le connaissez – est de ramener le déficit à un niveau plus soutenable : 4,5% du PIB. Il s’inscrit dans une trajectoire à présent bien identifiée : 3% en 2013, l’équilibre des comptes en fin de mandat.
Avec, cette année, une contrainte supplémentaire, qui est pour partie à l’origine de ce collectif : nous héritons d’une situation financière dégradée, qui trouve sa source dans des surévaluations de recettes à hauteur de 7,1 milliards d’euros, et des risques sur la dépense de l’Etat entre 1,2 et 2 milliards d’euros. Quelque part, c’est un peu comme emménager dans une maison dont la charpente est un peu plus vermoulue que prévu, parce que le propriétaire précédent a négligé de faire les travaux qui s’imposaient. Le sérieux budgétaire que nous revendiquons a un corollaire en matière de méthode : la sincérité des comptes et des prévisions financières. Je souhaite qu’il permette, à l’avenir, de limiter les écarts – toujours embarrassants et rarement justifiés – entre un schéma initial et son exécution effective. Les politiques publiques y gagneront en lisibilité et en crédibilité. Cette situation fragile résulte aussi, au-delà des approximations budgétaires pour l’année en cours, d’une accumulation de déficits structurels qui s’est accélérée sous le précédent quinquennat. Elle appelle en tout cas de notre part des corrections déterminées pour contrer la dérive naturelle du déficit vers les 5% du PIB en fin d’année.
Voilà l’objectif. Je veux vous dire comment nous l’atteindrons. Car c’est en réalité tout l’enjeu du débat. Autour d’une même cible de déficit, il existe de multiples variations possibles dans la composition d’un budget, et dans les arbitrages fiscaux sur lesquels il repose. Nous proposons, nous, un budget qui permette de répartir les efforts de manière équitable – ce que le Président de la République a appelé « l’effort juste. »
Replacer la justice au coeur de notre système fiscal nous engage en premier lieu à calculer au plus juste les besoins qui doivent être comblés. Nous ne prenons pas à la légère la contrainte que représentera, pour certains ménages, pour certaines entreprises, un effort fiscal supplémentaire. Nous avons pleinement conscience de nos responsabilités, nous ne sommes pas dans une démarche punitive, nous ne manions pas non plus avec nonchalance l’outil fiscal, comme certains feignent de le croire. Nous avons au contraire évalué l’effort nécessaire pour atteindre notre cible de déficit au plus près, sur la base de prévisions de croissance prudentes. Cet effort sera constitué d’une part, d’un gel des dépenses publiques à hauteur de 1,5 milliards d’euros, et d’autre part, de prélèvements, pour un montant de 7,2 milliards d’euros.
Laissez-moi un instant mettre ce chiffre en perspective, car je veux éviter toute ambiguïté sur notre projet fiscal. Sur l’ensemble de l’année 2012, l’augmentation des prélèvements obligatoires sera de 1,1 point de PIB. Mais sur ces 1,1 point, 0,8 ont en fait été décidés par l’ancienne majorité présidentielle. Le Gouvernement Ayrault prend la responsabilité des 0,3 point de PIB restants pour atteindre la cible de déficit de 2012, pour corriger une situation plus dégradée qu’annoncé. L’opposition devrait donc approuver ce projet de loi de finances rectificative au moins aux trois-quarts. Mais replacer la justice au coeur du système fiscal, c’est surtout faire contribuer en priorité à l’effort d’assainissement de nos comptes ceux que la crise a le plus épargnés, c’est-à-dire les ménages qui disposent d’une capacité d’épargne conséquente – qui supporteront près des trois-quarts du montant des prélèvements supplémentaires sur les ménages – et les grandes entreprises, soumises à des taux d’imposition effectifs plus faibles.
Quelques exemples de mesures du collectif pour illustrer ces principes. Certains secteurs aujourd’hui très prospères, et confortés dans une situation fiscale privilégiée par la précédente majorité, contribueront - exceptionnellement d’ailleurs - à l’effort de redressement des comptes en 2012. Je pense ici à la taxe sur la valeur des stocks des produits pétroliers, par exemple. Elle représente à la fois une charge proportionnée – un peu plus d’un demi milliard d’euros, soit 1/100 ème environ du chiffre d’affaire des pétroliers (selon des estimations non officielles). Elle se justifie aussi par les spécificités d’un secteur qui a vu ses profits s’accroître considérablement depuis 2004, et qui, souvent, échappe à toute imposition en France. Certains affirment que cette taxe pénalisera les populations les plus fragilisées. Mais c’est d’une taxe sur les stocks, pas d’une taxe à la pompe, dont nous parlons ici. Quand bien même elle serait intégralement répercutée dans les prix, cela représenterait, au bout de douze à dix-huit mois, un renchérissement momentané d’un centime le litre – une évolution imperceptible pour le consommateur par rapport aux fluctuations du prix du pétrole d’un mois sur l’autre.
La même logique d’équité s’applique aux ménages. Une contribution exceptionnelle permettra en 2012 de compenser le coût du bouclier fiscal. Elle touchera les personnes dont le patrimoine net imposable est supérieur à 1,3 millions d’euros. Cette suppression temporaire du plafonnement pour une seule année n’a pas pour vocation à punir ni même décourager l’épargne, mais à associer à l’effort de redressement des comptes ceux qui sont le plus en mesure de le faire.
D’autres mesures, qui seront détaillées plus amplement par Jérôme Cahuzac, vont dans le même sens. Mais je voudrais insister ici sur un point : il n’y a pas, dans le collectif budgétaire, un mouvement monolithique d’augmentation des prélèvements obligatoires. Je refuse cette caricature. L’équité impose aussi d’alléger ce qui, dans le système fiscal hérité du précédent Gouvernement, aurait particulièrement pesé sur le pouvoir d’achat des plus modestes et des classes moyennes. C’est pourquoi nous annulons l’augmentation du taux de TVA de 19,6% à 21,2% prévue par l’ancienne majorité présidentielle. Si nous ne l’avions abrogée dans ce projet de loi de finances rectificative, elle aurait constitué une ponction considérable sur un pouvoir d’achat des ménages, qui se trouve déjà en berne à cause des décisions de l’ancienne majorité et elle aurait stoppé le moteur de la consommation, qui soutient une croissance française déjà bien fragile.
Au-delà de ces mesures de rendement équitables, le collectif que nous soumettons à l’examen de cette Assemblée amorce la réorientation de notre système fiscal vers l’investissement et l’emploi.
Le projet de loi propose en effet de limiter des pratiques qui détournent les capacités financières de l’investissement et de l’économie réelle, ou la déstabilisent. On trouvera ainsi dans ce collectif budgétaire des mesures qui encouragent la dé-financiarisation, en réduisant l’incitation au risque ou aux mouvements spéculatifs. C’est notamment l’objet du doublement du taux de la taxe sur les transactions financières, pour la porter à un taux aligné avec celui de la proposition de directive européenne. Quant à la contribution additionnelle à l’impôt sur les sociétés applicable sur les montants distribués, elle permettra de rendre la distribution des bénéfices plus coûteuse que leur réinvestissement.
Ce projet de loi propose, aussi, la remise en cause de l’exonération de cotisations sociales sur les heures supplémentaires, instaurée par la majorité précédente, et dont je veux dire un mot plus longuement ici. Il me semble utile de clarifier la logique économique qui a présidé à ce choix, qui ne découle pas, comme certains feignent de le penser, d’un réflexe épidermique ou d’un conditionnement idéologique. Il y avait probablement, derrière cette mesure voulue par le Gouvernement précédent, une logique. Mais elle a un coût, et son efficacité économique doit être évaluée – ni plus, ni moins qu’une autre disposition fiscale. Le bilan, factuel, que nous tirons de cette évaluation, est le suivant : l’exonération de cotisations sociales sur les heures supplémentaires a en réalité découragé l’emploi. Que s’est-il passé, concrètement dans les entreprises ? Lorsqu’un dirigeant avait à choisir entre des heures supplémentaires défiscalisées ou la création d’un nouveau poste, il optait pour les premières. Je ne dis pas que c’était voulu, je dis que c’est ce qu’on constate.
Inciter les entreprises à mobiliser davantage les heures supplémentaires ne s’est pas avéré pertinent dans un contexte de ralentissement économique et de hausse du chômage. Dans le même temps – et parfois au sein d’une même entreprise – les finances publiques ont subventionné le recours aux heures supplémentaires, et le recours au chômage partiel pour les salariés qui n’avaient pas suffisamment de charge d’activité à assurer. Les exonérations ont donc eu principalement pour effet de réduire la sous-déclaration antérieure des heures supplémentaires, voire de favoriser les optimisations.
Certains s’émeuvent de l’impact potentiel de cette abrogation sur le pouvoir d’achat. Il faut être prudent avec ce type de raccourcis. Car le gain de cette mesure était en réalité très inégalement réparti - moins de 40% de l’ensemble des salariés - et les salariés eux-mêmes n’avaient aucune prise dessus : faire des heures supplémentaires, ou ne pas en faire, dépend d’une décision de l’employeur. Par ailleurs, dès lors que cette mesure se traduisait par une perte de recettes publiques, cela supposait d’en faire porter le coût au reste de la collectivité. Quant à ceux que cette mesure a privés d’emploi, les conclusions s’imposent d’elles-mêmes.
Ces facteurs expliquent peut-être pourquoi, au final, les exonérations n’ont pas eu l’effet escompté sur le pouvoir d’achat par unité de consommation : il n’a augmenté que de 0,1 % par an en moyenne entre 2007 et 2010 – ce n’est pas un bilan ébouriffant, pour celui qui s’était présenté comme « le Président du pouvoir d’achat ». Il a même reculé en 2011 et au premier trimestre 2012. Qu’on ne vienne pas alors nous dire que nous allons tout gâcher. Dernier point à noter : le collectif ne remet pas en cause la majoration des heures supplémentaires, donc les salariés qui y ont recours continueront bien à bénéficier de cet avantage.
Voici en quelques mots l’esprit de ce projet de loi de finances rectificative, et quelques unes des mesures phares qu’il propose. Je voudrais, aussi, rappeler le cadre dans lequel il s’inscrit. Il constitue, à plusieurs titres, une première étape. Première étape, tout d’abord, avant la réforme fiscale d’ampleur voulue par le Président de la République et le Premier ministre. Première étape, aussi, dans la juste recomposition de notre budget, qui s’échelonnera tout au long du quinquennat.
Le projet de loi de finances rectificative préfigure la profonde réforme fiscale que nous présenterons à l’automne dans le projet de loi de finances (PLF) pour 2013. La LFR amorce ce mouvement, en revenant notamment sur les arbitrages difficilement justifiables de la précédente majorité et qui pèsent sur nos recettes – comme l’allégement de l’impôt des redevables de l’ISF, la sous-taxation des secteurs financier et pétrolier, ou les optimisations trop aisées en matière d’impôt sur les sociétés. Nous avons choisi de nous concentrer essentiellement dans ce projet sur les mesures dont l’entrée en vigueur immédiate était nécessaire pour préserver le pouvoir d’achat, l’emploi et l’activité, et pour respecter nos engagements budgétaires. Mais le collectif organise, aussi, la transition vers les réformes pérennes que nous mèneront a bien cet automne avec le projet de loi de finances pour 2013, dans des conditions d’examen parlementaire optimales.
Enfin, ce projet de loi s’inscrit dans un mouvement d’assainissement des comptes et de juste recomposition du budget qui se déploiera sur l’ensemble de notre mandat. J’ai rappelé, à de nombreuses reprises, la trajectoire des finances publiques que nous visons. Il y a dans le collectif – je ne le nie pas – un effort qui porte essentiellement sur les recettes. Un effort équitable, un effort qui nous permettra de respecter nos engagements, un effort que nous devons faire, aussi, compte tenu des approximations dont nous héritons. Chacun sait compte tenu de la rigidité de la dépense publique, des économies substantielles ne sauraient être engagées en milieu d’année. Mais il s’agit de la première étape – la première seulement – de notre programme budgétaire. Je l’ai dit à de nombreuses reprises : nous sommes là pour cinq ans, pas pour deux, et nous concevons nos initiatives sur l’ensemble du quinquennat, avec un objectif central : le redressement du pays, le retour de la croissance et par dessus tout la création d’emploi.
J’ai présenté notre stratégie d’ensemble devant cette assemblée la semaine dernière, et j’ai explicitement précisé que si nous faisions porter davantage l’effort immédiat sur les recettes, le taux de prélèvements obligatoires serait globalement stable à partir de 2014. Et je vous confirme ici que le retour à l’équilibre ne passera pas par le seul levier de la fiscalité – Jérôme Cahuzac l’a dit avec des mots forts la semaine dernière, je le rejoins. La répartition de l’effort entre recettes et dépenses sera parfaitement équilibrée sur la période 2012-2017, car nous ne voulons ni dessécher l’administration, ni faire porter le poids du redressement sur la seule imposition des ménages et des entreprises. Les acteurs économiques disposeront ainsi de la visibilité nécessaire pour investir, consommer et exporter.
Oui, nous proposons, dans le collectif, une augmentation immédiate des recettes. J’ai dit pourquoi, j’ai dit comment, j’ai dit sur quelle période. Mais en parallèle, nous maitriserons nos dépenses, selon un calendrier qui couvrira la totalité du quinquennat. Ces arbitrages permettront de préserver la demande publique dans un contexte de croissance vacillante, tout en revenant à des niveaux de dépenses soutenables dans la durée. J’invite chacun – et surtout ceux qui se situent à ma droite – à éviter la caricature et les excès de langage, je vous invite tous, et d’abord à gauche, à soutenir la politique sérieuse et ambitieuse que nous vous proposons : notre démarche trouve son juste équilibre dans le temps.
Merci.
Source http://www.economie.gouv.fr, le 17 juillet 2012