Interview de M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, au site internet du ministère de l'agriculture, sur les nouveaux modèles de production à mettre en place et le rôle central des bourgs et villages, Marciac le 7 août 2012.

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Circonstance : Les 18èmes Controverses de Marciac, l'université d'été de l'innovation rurale, les 1er et 2 août 2012

Texte intégral

- Quelles sont les raisons pour lesquelles vous avez tenu à vous rendre à Marciac ?
C’est devenu rituel. Depuis six ou sept ans, je viens à Marciac. Ces Controverses me permettent de réfléchir sur la manière d’aborder les grandes questions agricoles et rurales, dans une ambiance conviviale.
Le festival Jazz in Marciac réussit à amener le jazz là où il n’aurait jamais été. Le pire pour les territoires, qu’ils soient ruraux ou urbains, c’est de considérer qu’ils sont déconnectés de la société.
Le cadre rural offre des valeurs et des conditions de vie et de liens qui peuvent être différentes des grands ensembles urbains et qu’il faut valoriser. C’est pour cela que je veux valoriser les bourgs et les villages, parce que je pense qu’il faut aussi les remettre au centre de nos réflexions sur le lien social.
- Vous vous intéressez de près aux nouvelles techniques innovantes de production, comme l’agroforesterie. De tels modèles vous paraissent-ils prometteurs pour ces territoires ?
Ces modèles présentent un gros potentiel. Par exemple, l’agroforesterie [1] produit de la biodiversité et de la fertilité pour les sols, ce qui est essentiel. Ce sont donc des principes qui sont extrêmement productifs, car ils permettent de faire cohabiter économie et écologie, en utilisant au maximum les potentiels de la nature.
L’une des idées intéressantes, c’est de couvrir les sols et de les faire travailler de manière continue. Si on s’en occupe bien, tout en les faisant travailler, on augmente leur fertilité et on limite l’érosion. Il en résulte un haut niveau de production et un haut niveau de protection des sols.
Ainsi, la conciliation de la performance économique et écologique passe par un retour à une approche basée sur l’agronomie.
- Certains agriculteurs sont convaincus par ces méthodes. Mais comment étendre le mouvement auprès des autres?
Je le dis de manière provocante : dans l’après-guerre, il y a eu une dynamique collective chez les agriculteurs pour la mise en place du modèle conventionnel avec les clubs de 100 quintaux [2]. Il y avait une forme d’émulation sur le niveau du rendement que chacun atteignait, qui était au cœur des conversations. Il faut arriver à renouveler cette volonté de réussir. Pour passer du modèle conventionnel à ces nouvelles méthodes de production, il faut retrouver cette dynamique collective. Sans nier les risques de pertes de rendement pendant les 4 ou 5 années de la phase de « conversion » aux nouveaux modèles, il faut encadrer et appuyer les agriculteurs pour engager les adaptations nécessaires.
Selon moi, la performance économique et écologique de l’agriculture ne peut pas se résumer à une succession de décisions et de normes appliquées exploitation par exploitation. Le moment est arrivé où il va falloir créer des cadres juridiques plus collectifs, en développant ce que j’appelle les groupements d’intérêt économiques et écologiques. Objectif : créer des dynamiques collectives dans lesquels les agriculteurs puissent s’inscrire. Aujourd’hui, nous nous contentons souvent de raisonner sur la correction des effets négatifs des modèles précédents. Nous avons besoin de créer des modèles nouveaux plutôt que de corriger ce que nous avons fait par le passé. Il vaut mieux travailler à construire l’avenir.
Notes
[1] L’agroforesterie consiste à planter des arbres au milieu des cultures. Elle peut également être l’association des arbres avec un élevage, on parlera alors de sylvopastoralisme. Ce mode d’exploitation tire parti de cette complémentarité pour réconcilier production et protection de l’environnement.
L’agroforesterie se pratique déjà traditionnellement en Normandie avec les prés-vergers, dans le sud de la France où oliviers et vigne cohabitent dans les parcelles agricoles, ou encore en Dordogne avec les noiseraies. L’idée de décloisonner la forêt, de mettre les arbres au milieu des champs n’est donc pas nouvelle, mais elle est remise au goût du jour.
[2] Le club des 100 quintaux regroupe les céréaliculteurs qui atteignent ce rendement de blé à l’hectare.
Source http://www.agriculture.gouv.fr, le 9 août 2012