Déclaration de Mme Cécile Duflot, ministre de l'égalité des territoires et du logement, sur les contours du Commissariat général à l'égalité des territoires destiné à succéder à la Délégation à l'aménénagement du territoire (DATAR), à Paris le 10 septembre 2012.

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Circonstance : Première réunion de la Commission pour la création d'un commissariat général à l'égalité des territoires, à Paris le 10 septembre 2012

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames, messieurs,
Merci d’être là ce matin. C’est un moment un peu solennel et assez décisif pour l’avenir.
C’est un moment décisif parce que, depuis une dizaine d'années, la France a largement abdiqué l’objectif d’un développement équilibré et durable de son territoire.
Au motif que la performance économique de quelques secteurs compétitifs allait tirer en avant tout le pays, on a largement rompu avec le volontarisme politique qui caractérisait, dans la tradition française, l’action territoriale de l’État... Je pense que beaucoup d’entre vous voient parfaitement de quoi je veux parler.
De fait, l’intervention publique s’est organisée sur deux tempos : fort sur les territoires puissants, de plus basse intensité sur les plus fragiles.
Certaines politiques marquantes, par exemple en matière de développement urbain, ont parfois en réalité masqué la faiblesse des moyens ordinaires mis en mouvement par l’État sur des territoires en grande difficulté.
D’une manière générale, une politique de réparation l’a emporté sur la prévention et sur l’anticipation.
Dans la plupart des situations, la politique d’aménagement s’est limitée à compenser à petites doses les effets négatifs d’évolutions considérées comme naturelles, voire inéluctables.
On a laissé trop souvent se déployer les opérateurs privés, sans stratégie publique d’accompagnement, d’évaluation, voire de contrôle.
On a multiplié les interventions au cas par cas au gré des aléas et des urgences.
Les résultats de cette vision sont bien connus et bien identifiés.
Parce que malgré tous les efforts déployés, les fractures territoriales anciennes se sont aggravées encore, et de nouvelles sont apparues ces dernières années.
Les banlieues les plus pauvres ont continué à décrocher. Dans le contexte d'une pénurie de logements adaptés à la diversité des besoins, les classes populaires ont continué à quitter les centres villes, le périurbain a poursuivi sa surconsommation d’espaces agricoles et naturels, le rural profond n’en finit pas de se vider, les mobilités contraintes ont explosé...
Chaque Français connait, sur son territoire, une entreprise qui a délocalisé pour réduire ses coûts, chaque Français voit dans le même temps dans sa commune, dans son département, dans sa région, s’enchainer les fermetures de classes.
L’exemple est connu, mais terriblement illustratif : à Joigny, dans l’Yonne, en seulement 12 ans, la ville a connu la fermeture de la maternité, du service de chirurgie, le départ du 28e régiment de cartographie militaire, la fermeture du tribunal d'instance et celle du tribunal de commerce, il ne restait, il y a quelques mois, que 24 agents de Pôle emploi pour 2 829 demandeurs d'emploi.
On a même parlé de territoires, voire de populations « invisibles ». Et ce sont sur ces territoires, où le sentiment d’abandon a crû de manière importante, que les votes extrémistes ont augmenté ces dernières années, et ces derniers mois.
Dans le même temps, un retard considérable a été pris sur l'adaptation de notre pays à certaines évolutions fortes de notre temps.
Je pense évidemment aux filières de la transition écologique et énergétique, aux services liés à l’évolution des modes de vie et à l'extension de sa durée, aux nouveaux usages du temps ou aux nouvelles technologies.
Voilà pourquoi, la politique voulue par le président de la République et le Premier ministre en matière d’égalité des territoires, et que je suis chargée de mettre en oeuvre, n'est pas une simple affaire de circonstances, n’est pas une politique conjoncturelle de court terme.
Au contraire, elle représente une volonté majeure de réguler, de maîtriser et d'anticiper des changements importants dans nos façons d'habiter de travailler, de consommer, de nous déplacer.
Elle s’inscrit dans une vision de l'avenir du pays, et dans la longue durée.
Le propos du gouvernement est au fond que nous sachions combiner dans le même mouvement trois processus :
- D’abord, la capacité des collectivités territoriales à prendre plus d'autonomie et de responsabilités : c’est ce à quoi travaille Marylise Le Branchu, c’est ce qui sera débattu prochainement à l’initiative du Sénat.
- Ensuite, l'implication forte des acteurs de la société civile et le développement de l'innovation territoriale, dans le cadre d’un nouveau modèle de développement.
- Enfin, une clarification des priorités de l’intervention de l'État, qui doit rassembler sur une vision partagée de l’avenir, assurer la solidarité, la cohésion des territoires et l'accès de tous aux droits et la même qualité de services.
Ce propos s’incarne dans une méthode : j’ai écrit dans la lettre de mission que je voulais parler et agir avec tous les territoires et non plus avec quelques-uns.
Il n'y a pas des espaces où l’on produirait de la richesse mondialisée et, de l'autre, des espaces où l’on distribuerait plus ou moins chichement de la subvention ou de la compensation à fonds perdus.
Nous devons, dans le cadre de l’Europe des régions, mettre en débat le rééquilibrage de l’armature territoriale de notre pays et notamment :
- la reconquête de la mixité sociale et fonctionnelle des centres urbains et le désenclavement des quartiers pauvres ;
- la relation entre Paris et les grandes métropoles régionales, afin que celles-ci atteignent le seuil européen auquel elles ne sont pas encore vraiment parvenues ;
- les apports réciproques entre ces métropoles et des réseaux des villes moyennes ;
- la relation entre la ville durable et les espaces ruraux ;
- l’articulation nouvelle dans les campagnes entre la fonction de production et de transformation agricole, et toutes les opportunités que nous offrent les mutations des modes de vie présentes ou à venir.
J'ai ainsi déjà eu l’occasion de parler devant les commissions de l’Assemblée nationale ou du Sénat de territoires productifs, robustes, résilients, connectés, gouvernés au plus près de leurs habitants. J’aurais pu parler aussi de territoires coopératifs, ou de territoires durables.
Pour entrer dans une époque nouvelle, il nous faut donc une pensée nouvelle et des outils mieux dimensionnés.
Tout en prenant en main les dossiers brûlants du ministère, (et vous l’avez vu, nous n’en manquons pas !), je veux appuyer son action sur une charpente intellectuelle et organisationnelle plus forte, pour anticiper et préparer l’avenir.
Ce premier ministère a vocation à être le premier de nombreux autres ministères, pour de nombreux autres ministres.
Je souhaite vraiment que ce sujet et cette volonté d’organiser différemment, après 30 ans de décentralisation, les rapports entre l’État et les collectivités locales, comme la pensée autour de l’aménagement du territoire soient décisifs pour les années qui viennent.
J'ai donc en premier lieu proposé à Eloi Laurent de réunir un groupe de chercheurs, d'universitaires, d'intellectuels et d’experts de toutes origines, pour rassembler les travaux existants et les réflexions pouvant alimenter un nouvel imaginaire de l’égalité des territoires.
Il s’agit de nous éclairer collectivement sur l’organisation de l’espace national, sur la place de l’économie verte et de l’économie de la fonctionnalité, dans cette période de transition écologique qui est le grand défi de notre temps.
Ces travaux complèteront utilement les réflexions prospectives de la Datar sur la France de 2040, celles engagées en matière d’urbanisme ou de territoires au CGDD ou dans différentes directions du ministère, travaux qui sont tous très intéressants.
Mais je veux, dès à présent et sans retard, réfléchir à l’organisation de la réponse publique pour tenir à chaque territoire la promesse républicaine de l’égalité.
Je vous réunis donc aujourd’hui dans cette commission dont la fonction est assez simple : examiner comment nous pouvons décloisonner, rendre plus efficace et plus adaptée, l'organisation des politiques publiques de l’État en direction des territoires.
Simple dans sa formulation, peut-être plus complexe dans sa réalisation.
Mais je crois vraiment que nous avons besoin d’une nouvelle ambition pour l’égalité des territoires, une ambition durable, et d’une capacité à installer ces politiques dans le temps.
Au printemps prochain, la Datar, qui est une grande et belle institution, fêtera ses 50 ans.
Je souhaite profiter de cet événement symbolique, important pour l’État, pour proposer la mue de cette institution et la mise en place d’un outil à la hauteur de l’ambition qui est celle du gouvernement : un Commissariat général à l’Égalité des territoires.
Vous me connaissez pour un certain nombre d’entre vous, je n’ai pas le fétichisme des mots, mais ceux-ci ont un sens.
Commissariat parce que nous avons besoin non plus seulement d’un lieu qui coordonne des politiques et réagit à la demande, mais d’une institution qui, en amont et de façon préventive, mette l’égalité des territoires au coeur de ces politique publiques.
Et qui à ce titre pèse sur leur définition autant que sur leur mise en oeuvre, qui incite aux bonnes pratiques, qui suscite l’innovation, qui dispose des moyens de sa politique.
Les moyens de sa politique, c’est d’abord sa capacité à intervenir en ressources budgétaires, en expertise et en ingénierie.
Or vous le savez, les moyens d’action et les dotations des délégations et services interministériels ont été, ces dernières années, dans la plupart des cas, très fortement réduits.
Pendant le même temps, les collectivités territoriales (régions, départements, agglomérations) se sont dotées de capacités administratives et d’ingénierie très conséquentes : l’Institut d’aménagement et d’urbanisme de la région Ile-de-France dispose presque à lui seul de capacités voisines de celles de l’État.
Nous devons donc nous interroger à la fois sur les métiers, sur les structures et sur les outils dans la main de l’État, et sur leur articulation avec l’action des collectivités territoriales.
Mais les moyens d’un tel commissariat, c’est aussi la légitimité qu’il tire de son caractère général, autrement dit de son caractère interministériel qui le place sous l’autorité du Premier ministre, dont il renforcera les moyens d’intervention et d’arbitrage.
J’y tiens beaucoup. Je pense que ce rôle interministériel, et aussi le rôle de ce ministère, qui n’a pas vocation à organiser sous lui une armée en ordre qui s’opposerait parfois aux objectifs des autres ministères, c’est bien d’assurer l’interface, d’être en situation de donner les moyens d’intervention et d’arbitrage sur l’ensemble des politiques publiques.
Je vous demande donc dans un premier temps de passer en revue, au regard de l’égalité des territoires, les outils qui sont mis à disposition de notre propre ministère.
Je ne prendrai que deux exemples.
Le premier : la Prime d’aménagement du territoire.
Elle est sans doute utile, mais elle a perdu en route son objectif premier d’une répartition équilibrée des activités, au profit d’un soutien quasi-exclusif à la création ou à la préservation de l’emploi, avec une dimension court-termiste assez évidente, qui a pour conséquence de faire l’objet de réductions budgétaires d’années en années, alors que cette logique d’avoir un outil de réparation possible est une nécessité..
Second exemple : la géographie prioritaire... Elle a vu s’additionner les zonages, sans effort de mise en cohérence et sans lien nécessaire avec les autres outils, par exemple les contrats de site de l’État.
Voilà deux situations où chacun travaille avec énergie et compétence, mais sur des bouts de territoires ou sur des segments d’activité, au coup par coup, sans pouvoir envisager suffisamment les coutures et les frontières, les réponses globales, les relations et les effets croisés des différentes politiques, la pertinence des instruments qu’elles mobilisent.
Je vous demande donc également d’examiner quels sont, toujours au regard de l’objectif d’égalité, les territoires et les modes d’intervention territorialisés des autres ministères.
Comment peuvent être améliorées leurs cohérences, leurs complémentarités, la capacité que nous avons à mutualiser la ressource, par exemple en termes d’observation, d’évaluation.
Et cela au regard des grands objectifs que se fixe par ailleurs le gouvernement, comme la régionalisation de la politique d’investissement, le renouveau des politiques éducatives et notamment de l’enseignement supérieur et de la recherche.
Enfin, je vous demande d’inscrire votre réflexion dans le contexte d’un exercice bien concret pour les années 2014/2020, à savoir la négociation en cours des fonds de cohésion européenne en articulation et en résonance fortes avec la nouvelle génération de contractualisation entre l’Etat et territoires.
Une combinaison réussie de ces deux exercices sera l’illustration parfaite des relations nouvelles qu’il convient d’établir entre politiques ministérielles, et entre l’État et les collectivités locales.
Au regard des objectifs ainsi énoncés pour votre commission, vous comprendrez pourquoi j’ai souhaité que sa composition soit extrêmement variée et qu’elle rassemble des hauts fonctionnaires travaillant en province comme en région parisienne, avec les quartiers comme en centre-ville, de tous les horizons professionnels au sein de la sphère publique, des membres des corps d’inspection interministériels, du corps préfectoral, des représentants de l’ingénierie publique, et naturellement des collectivités.
Votre diversité est le gage de la multiplicité des regards nécessaires sur les sujets qui sont mis en discussion.
Sachez que je ne préjuge en aucun cas des voies et moyens par lesquels pourrait être créé ce Commissariat général à l’Égalité des territoires. Différentes hypothèses aujourd’hui sont possibles et je vous demande, dans votre rapport final, de me soumettre les différents scénarios qui pourront amener à cet objectif.
Mesdames, Messieurs,
Les directions du ministère et les services qui sont à sa disposition, ainsi que mon cabinet vous apporteront l’appui concret, documentaire et logistique dont vous aurez besoin pour vos travaux.
Je resterai évidemment moi-même informée de leurs avancées.
Je serai extrêmement attentive à vos travaux dont j’espère beaucoup. Comme je l’ai dit, je souhaite que la question de l’égalité des territoires ne soit pas traitée au travers de quelques annonces qui feront long feu au bout de quelques mois. Mais bien que votre travail installe ces nouvelles relations au sein de l’État et entre l’organisation des ministères et les collectivités locales, 30 ans après la décentralisation, 10 ans après ce flottement sur l’aménagement du territoire, qui laissent certains des territoires de notre pays dans une situation de souffrance et de vulnérabilité à laquelle nous devons répondre.
Donc je vous remercie infiniment d’avoir accepté de participer à cette commission et je souhaite que nous ayons un premier échange après cette intervention. Et puis je vous laisserai évidemment travailler entre vous dans les formes que vous jugerez les meilleures.
Je compte vraiment sur vous pour que l’intitulé de ce ministère, dont je sais à quel point il répond à une réalité et à un besoin très important, devienne des politiques publiques concrètes dans les mois qui viennent.
Merci beaucoup.
Source http://www.territoires.gouv.fr, le 13 septembre 2012