Déclaration de Mme Cécile Duflot, ministre de l'égalité des territoires et du logement, sur le sens de la concertation menée avec les acteurs de la ville dans la perspective de la deuxième étape de la politique de la ville, Roubaix le 11 octobre 2012.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Lancement de la concertation nationale "Quartiers : engageons le changement !", réunissant l'ensemble des acteurs associés à la politique de la ville, à Roubaix (Nord) le 11 octobre 2012

Texte intégral

Monsieur le ministre délégué à la Ville,
Monsieur le préfet,
Mesdames et messieurs les parlementaires,
Monsieur le maire de Roubaix,
Mesdames et messieurs les élues et les élus,
Monsieur le directeur de l’école,
Mesdames et messieurs,
Mes premiers mots seront pour la ville de Roubaix qui nous accueille. Haut lieu de la mémoire ouvrière, ville chargée d’histoire, riche de sa solidarité et de ses habitants, Roubaix sait ce que le combat contre les difficultés sociales représente. Qu’il me soit donc permis de rendre hommage à cette cité. À Roubaix, on trouve plus que Roubaix : un pan entier de notre histoire industrielle, une page de notre culture commune, et donc une part de notre héritage national. Cet héritage je lui rends hommage avec respect.
Je voudrais également remercier monsieur le directeur de l’École nationale de protection judiciaire de la jeunesse de nous accueillir et dire aux élèves à quels points ils ont fait un bon choix au service de l’intérêt général. Je salue votre engagement et je vous souhaite bonne chance à tous.
Je voulais ensuite dire à chacune et chacun d’entre vous ma gratitude pour votre présence aujourd’hui. Les temps sont durs, la crise est rude, mais votre présence ici, en ce jour, me donne quelques raisons supplémentaires d’espérer. J’y vois le signe que l’action publique est digne d’intérêt et que la bataille pour l’intérêt général est chevillée au corps de beaucoup d’entre nous. J’y reviendrai.
Enfin, après avoir remercié l’ensemble des participants à cette journée, je tenais à saluer plus particulièrement mon ami et collègue monsieur le ministre délégué à la Ville François Lamy, pour lui dire le plaisir que j’ai à travailler avec lui et lui réaffirmer à la fois la vigueur de ma confiance et la hauteur de mes attentes, qui sont aussi celles de dizaines, de centaines de milliers d’habitants de ce pays.
Je suis là devant vous avec la certitude que le chantier auquel nous nous attelons est l’un des plus importants de ceux que ce gouvernement ait à traiter. Je ne veux pas vous parler de statistiques : vous les connaissez. Je ne veux pas vous parler de chiffres : leur froideur dissimule parfois le renoncement à transformer la réalité du monde.
Je suis venue ici pour dire ce qu’il n’est plus possible de passer sous silence. Dans un certains nombre de quartiers, l’urgence a atteint son niveau le plus haut. Le stade critique est dépassé, la crise aggrave la situation. Il n’est plus temps d’attendre.
Tout concourt à nous dire que des millions d’hommes et de femmes dans notre pays n’en peuvent plus. Ici, une élue de la République perd pied et appelle l’armée en renfort pour en finir avec l’insécurité vécue par les habitants. Là, des travailleurs sociaux tirent la sonnette d’alarme en disant qu’ils ne sont plus en mesure d’assurer leur mission. Ailleurs, les enseignants voient s’enfoncer leurs anciens élèves qui ne trouvent pas d’emploi. Ailleurs encore, on manque de médecins et ceux qui y exercent alertent sur le retour de pathologies liées à la pauvreté. Partout, les associations nous disent l’âpreté de la vie, le bricolage avec deux-francs-six sous pour tenter de maintenir la paix sociale.
La réalité, c’est qu’habiter certains quartiers, c’est devoir affronter des conditions de vie indignes, et devoir se demander tous les jours si demain ne sera pas pire.
François Fillon a déclaré un jour qu’il était le Premier ministre d’un pays en faillite ? Je dis aujourd’hui que je suis la ministre de l’Égalité des territoires d’un pays menacé de déchirure sociale.
Notre devoir est de faire en sorte qu’il n’en soit rien. Je me tiens devant vous avec la charge de ministre qui est la mienne, et en pesant mes mots.
Depuis que j’ai pris mes fonctions, je rencontre, je consulte, j’écoute. Pas un de mes interlocuteurs qui ne m’ait alerté sur l’état d’épuisement de celles et ceux qui, au quotidien, font la réalité du maillage social de nos territoires. Les habitants sont harassés par la violence sociale qu’ils subissent et les travailleurs sociaux sont parfois exsangues, vidés d’avoir trop donné, usés d’avoir trop averti dans le vide, lassés d’avoir trop enfoncé les portes qu’on leur fermait au nez.
Je veux leur dire ici, à eux ainsi qu’à tous les agents de l’État qui ont en charge la politique de la ville et les missions régaliennes de l’État, qu’il s’agisse du maintien de l’ordre public, de la santé, de l’éducation, du transport, qu’ils doivent tenir bon. La République a toujours eu besoin de hussards. Je le dis aussi ici, dans les murs de l’École nationale de la protection judiciaire de la jeunesse, dont les élèves seront les premiers de ces hussards au service des plus jeunes, des plus vulnérables. Notre pays a besoin de vous. Je n’ignore ni la difficulté de votre tâche, ni l’ingratitude de votre mission. Mais ne laissez pas les quartiers s’enfoncer. L’heure est au sursaut.
La promesse de changement portée par le président de la République pendant sa campagne présidentielle a été prise, avec raison, au pied de la lettre par des millions d’hommes et de femmes qui vivent dans les quartiers dont nous parlons aujourd’hui.
Ils demandent des comptes. Ceux qui parieraient sur leur amnésie feraient fausse route. Les quartiers ont la mémoire longue.
Leur voix n’est pour l’instant qu’un murmure pour des oreilles parfois indifférentes. Pour l’heure, on ne les entend pas.
Parce qu’ils n’ont pas l’entregent des demi-habiles qui saturent l’espace public de leurs stratégies de communication, leurs messages restent inaudibles.
Les habitants des quartiers n’ont pas les moyens d’embaucher un lobbyiste. Ils n’ont pas davantage le numéro de téléphone portable des grands patrons de média.
Dès lors, personne ne rend compte de leurs revendications.
L’indifférence de certains à la situation de ces quartiers n’est pas la moindre offense qui est faite à leurs habitants. Mais cette indifférence n’est qu’une des faces du mépris dans lequel on les tient communément. L’autre aspect de ce mépris, c’est le misérabilisme condescendant, qui consiste à regarder ces populations comme incapables de se prendre en main.
Entre la stigmatisation et l’angélisme, il y a la lucidité. Et c’est à cette lucidité que je vous appelle aujourd’hui.
Lucidité, car nous devons ensemble trouver des stratégies nouvelles pour assurer l’égalité des conditions. Je parle bien de l’égalité des conditions, car comme le disait Gambetta, « la République ce n’est pas constater des égaux, c’est les faire. »
Lucidité, car je crois à l’intelligence collective des peuples : alors je le dis sereinement la réforme de la politique de la ville, et François Lamy l’a dit, ne viendra pas, quel que soit leur talent, d’un petit noyau d’experts.
Elle doit, dans un mouvement de longue haleine épouser les besoins des habitants pour forger les nouveaux outils nécessaires à l’amélioration de leur vie de tous les jours. Une seule chose est certaine : la concertation que nous lançons aujourd’hui ne saurait être ni un moyen de différer des réponses trop longtemps attendues, ni une stratégie d’évitement.
Lucidité, car nous n’avons pas peur ni du débat, ni de la confrontation. Surtout, nous n’avons pas peur du peuple des quartiers. Il doit, d’une manière ou d’une autre, s’inviter dans le débat qui le concerne, l’empoigner, le secouer, pour mieux le faire sien.
C’est cet esprit de mobilisation et de vérité qui doit irriguer la concertation sur la deuxième étape de la politique de la ville.
« Une énième concertation », seraient tentés de dire certains. Paroles, paroles, paroles. Et puis, comme d’habitude, les caméras éteintes, l’action sera d’une timidité confondante. Soyons francs : le risque existe. Depuis très longtemps, trop longtemps, des grands-messes ne succèdent elles pas aux grands-messes, sans que les habitants et les habitantes des quartiers ne voient réellement les choses changer ?
Je plaide pour une autre voie. Permettez-moi de m’adresser en particulier aux habitantes et aux habitants des quartiers. Je veux leur dire qu’à travers cette consultation, je ne les invite pas seulement à s’asseoir autour de la table, à écouter, je les invite à renverser la table. Je leur dis : l’avenir n’est jamais écrit. Cette concertation sera ce que vous en ferez. Je vais pour ma part, comme François Lamy, aller à la rencontre de celles et ceux qui font la ville. Je veux encore davantage voir, écouter, comprendre.
Je veux aussi que viennent ici les acteurs des mouvements citoyens qui, depuis trente ans, se battent pour l’égalité des droits dans les quartiers. Ceux qui lancent des campagnes d’inscriptions sur les listes électorales pour développer l’esprit civique, ceux qui dirigent des médias alternatifs pour donner vie à une autre image des quartiers populaires, ceux qui luttent contre le contrôle au faciès, ceux qui réclament le désenclavement de leur quartier, ceux qui luttent contre les ravages du deal, ceux qui agissent contre les discriminations, ceux qui se battent contre l’éducation à deux vitesses. Qu’ils sachent tous que les portes de mon ministère leur sont ouvertes car, par leurs combats citoyens inlassables, ils sont ceux qui font la République de demain.
Qu’ils sachent également qu’ils auront en la personne de Naïma Charaï, la nouvelle présidente de l’Acsé, à laquelle je rends hommage, une partenaire précieuse.
Dans la concertation qui est lancée aujourd’hui, je souhaite, vous l’aurez compris, que les habitants prennent toute leur place. Mais je désire également entendre la parole des élus. Parce que je sais qu’ils connaissent leurs territoires sur le bout des doigts, par coeur, et avec coeur. Je connais leur motivation, leur dévouement, leurs difficultés, leur attachement au développement local. Ils sont le sel de la démocratie, le coeur battant de notre pays. Sans eux, rien ne sera possible.
Cette concertation, à son terme, regroupera les réflexions et propositions de l'ensemble des acteurs de la politique de la Ville. Sans préjuger, dès à présent du contenu de ces contributions, je sais que les conclusions de ces travaux puiseront leur force dans l'alliance d'idées neuves, riches de vos expériences et de vos engagements, que chacun portera à la concertation. Je n'ai pas peur du débat, vous le savez. Il nous rend plus fort. Et je crois que c'est de la confrontation des idées, des projets, des visions que naîtra une politique publique rénovée, plus en phase avec les défis qui sont les nôtres. Alors, confrontez.
Je vais vous le dire comme je le pense : il n’existe pas de dispositif de consultation démocratique idéal. La composition d’une commission est toujours arbitraire. Le choix d’un calendrier, toujours contestable. Mais j'appelle de mes voeux à la mobilisation la plus large et la plus vaste possible autour de cette concertation. C'est tous ensemble, associations, élus, institutions et habitants, qu'il s'agit de s'emparer de cette scène de débats : je veux que, dans tous les lieux où la délibération démocratique prendra place, les habitants viennent contribuer à ce qui ne doit pas constituer une simple chambre d’enregistrement.
Personne ne détient la solution unique pour déployer de nouvelles façons d'agir dans les territoires urbains. Je souhaite que vos différents apports donnent matière à débats, pour pouvoir donner corps et vie aux projets qui feront les villes de demain. Car c'est là la dynamique nécessaire pour que le gouvernement engage avec succès le changement pour tous les habitants des villes.
De quoi est-il question ? Notre pays est en crise, ce n’est pas un secret. Le redressement des finances publiques est un impératif, chacun le sait. Nous devons prioriser l’action de l’État. Nous devons réarticuler la politique de la ville, pour la rendre plus efficace.
Mais nul territoire ne doit être sacrifié. Je vois poindre ici et là, la tentation d’opposer les territoires entre eux. Je ne peux m’y résoudre. De toutes parts, on attaque l’idée même d’égalité des territoires. « De quoi l’égalité des territoires est-elle le nom ? », feint-on de se demander. Les critiques portées sont symétriquement opposées. Pour les uns, le concept d’égalité des territoires est le cache sexe du mauvais sort qu’on s’apprêterait à faire à la politique de la ville, qu’on déshabillerait pour se concentrer sur les zones périurbaines, avec en tête l’idée de faire pièce au Front National qui y réalise de bon scores. Pour les autres, au contraire l’égalité des territoires n’aurait d’yeux que pour la ville et ne prendrait pas en compte la diversité des zones, et en particulier des zones rurales, qui ont besoin d’une action résolue.
À tous je réponds ceci. J’entends que l’égalité des territoires soit la nouvelle frontière de notre République. C’est une ambition politique qui s’inscrit à rebours des années de bourrage de crâne libéral, qui faisaient de la concurrence de tous contre chacun le principe organisationnel de notre vie commune. L’égalité des territoires, c’est la recherche continue et déterminée des voies de l’accomplissement de l’intérêt général.
Je sais qu’il a été jusqu’à récemment de bon ton de brocarder la politique de la ville, de gloser sur son inefficacité, voire son inutilité. Nous ne céderons pas à cette mode dangereuse.
D’abord, parce que je veux défendre ici l’action résolue menée sur le terrain par des femmes et des hommes qui raccommodent les déchirures du lien social. Ce travail ne fait pas la une des 20 heures car il n’a rien de spectaculaire : il est pourtant essentiel.
Ensuite, parce que je vois bien qu’une part de la critique de la politique de la ville provient d’un prisme idéologique qui plaide pour le désengagement de l’État. Je ne bois pas de cette eau-là, mon engagement s’abreuve à d’autres sources.
Si je défends aujourd’hui une réforme en profondeur de la politique de la ville, que va conduire François Lamy, ce n’est pas pour la démanteler ou la détruire davantage encore qu’elle ne le fut dans le quinquennat précédent. Les démolisseurs ont assez oeuvré en ce sens et n’ont pas besoin de notre secours. Il faut au contraire la réformer, pour lui rendre son efficacité : le devoir des politiques publiques est d’améliorer les conditions de vie des citoyens.
J’ajouterai ceci. L’égalité ne se divise pas. Pour la ministre des villes et des campagnes que je suis, la création d’un ministère de l’Égalité des territoires doit être l’occasion pour notre nation de faire vivre sa belle devise héritée de la Révolution. En défendant l’égalité de tous, nous assurons la liberté de chacun de construire un avenir qui lui soit propre, et rendons possible une communauté nationale fraternelle. Voeu pieu ? Non. Volontarisme et foi dans la capacité de la France à surmonter ses difficultés.
Nous habitons tous le même pays. Nous aimons tous le même pays. Ce pays c’est la France, c’est-à-dire non pas seulement une entité géographique, mais une histoire de luttes pour établir la République, et une certaine idée de la manière dont les citoyennes et les citoyens doivent se comporter les uns envers les autres. Il n’y a pas d’idée assez belle pour ne pas être soumise au défi de la matérialité de son régime de valeurs.
En d’autres termes, la République ne peut pas n’être qu’un ordre, elle ne peut pas n’être qu’un mot sans prise sur la vie des gens, une fiction sans horizon concret. La force de notre pays, c’est sa promesse d’égalité. Prenons garde que sa principale promesse ne devienne pas le fait de ne pas tenir cette promesse. Car la France cesse d’être elle même si elle ne peut pas se regarder en face en se disant « je traite toutes les personnes présentes sur mon territoire avec une égale humanité. »
« Pourquoi nous parler de la France ? », me direz-vous ? C’est que la France est le pays de l’égalité. Et que l’égalité est la boussole qui fixe le cap de la nouvelle étape de la politique de la ville que nous devons bâtir ensemble. C’est aussi que je préfère vous parler de la France que j’aime, plutôt que d’inventer des misérables histoires de pain au chocolat pour diviser d’avantage encore un pays qui est couturé de déceptions, de frustrations et de peurs.
C’est particulier à dire, mais on ne peut pas être détaché de ce que l’on est. Je suis une enfant de la banlieue. Je viens de ces endroits où certains ne veulent pas mettre les pieds, pour mieux déverser des tombereaux d’insultes, qui à longueur d’édito, qui à force de discours.
Quand j’entends parler de racisme anti blanc, je veux dire que moi j’ai été une petite fille blanche grandissant avec autour de moi des gens de toutes couleurs, de toutes nationalités, de toutes confessions, dont les parents étaient venus du monde entier pour faire France. Ce que j’ai vécu m’a amené là où je suis : à vous prononcer aujourd’hui un discours de ministre. C’est parce que je le sais, parce que j’ai appris à lire avec Hassan, Souleimane, Leïla et Abdelah, que je n’accepterai jamais les propos de politiques qui, en mal de popularité, courent comme des poulets sans tête après une extrême droite sans principes.
J’ai connu une banlieue avide d’égalité, jalouse de sa liberté et belle de sa fraternité. Une banlieue frondeuse parce qu’exigeante, bouillonnante parce que porteuse de tout l’enthousiasme de la jeunesse. Hé bien, c’est cette banlieue que je sais vivante et à qui je veux donner toute sa place dans la République. Nous le devons aussi aux enfants et adolescents qui y grandissent, qu’ils veulent et qu’ils doivent pouvoir s’y épanouir.
C’est aussi pour la garder vivante que nous devons nous méfier de tout ce qui enterre l’avenir. Nous appelons à la vigilance et à l’intransigeance vis-à-vis de toutes les dérives sectaires qui, sur le terreau de la pauvreté, font naître les graines du terrorisme. La République ne reculera pas face à ces tentatives. Elle refusera tous les racismes. Elle n’acceptera pas que renaisse de ses cendres le poison pernicieux et noir de l’antisémitisme.
Alors, une fois ceci dit, il ne suffit pas de verser des larmes de crocodile sur la situation des banlieues tout en perpétuant une politique de discrimination territoriale qui ne dit pas son nom. Je réclame pour les habitants des quartiers le droit commun. Non pas l’exception systématique, mais la règle. Non pas la dérogation, mais le plein exercice. Non pas le saupoudrage qui jette un voile pudique sur les difficultés, mais l’effort concentré qui change les conditions d’existences.
Il est intolérable que la ville devienne inaccessible à ceux qui ne peuvent s'y loger ou s'y rendre, faute de transports adéquats. Il existe un droit à la ville. Je n’ignore pas que tous les habitants des villes ne peuvent faire le même usage de l'espace urbain. J’ajouterai même que ces usages sont en fait toujours objets de luttes. Notre ambition et notre rôle, la modernité de notre action et le sens de l'engagement en faveur de la justice sociale et de l'égalité des territoires, c'est d'inscrire notre action aux cotés de ceux qui font de leurs luttes un combat pour l'égalité et pour le droit de tous à la ville.
Ce combat se mène à plusieurs niveaux.
J'ai ainsi décidé, comme vous le savez, d’agir pour la mixité sociale, en durcissant la loi SRU. Les réticences de certains maires ne se trouveront pas abolies magiquement pour autant. Je compte donc aller plus loin : je crois qu'il faut envisager de planifier l'urbanisme à la bonne échelle, à l'échelle intercommunale, penser conjointement développement du bâti et des transports.
Pour de nombreux Français, la ville est désormais trop difficile à vivre : trop chère, trop polluée, trop dégradée, Je veux répondre à ces enjeux. C'est tout le sens, par exemple, de l'encadrement des loyers en zone tendue, et de l’action du gouvernement, avec tous les acteurs qui participent à l'économie du logement, pour favoriser la construction de logements sociaux et lutter contre la rétention des logements vacants.
Je veux aussi répondre aux habitants, qui vivent dans les copropriétés dégradées, qui vivent, comme nous l’avons vu cet après-midi, dans le quartier du Pile, un alourdissement continu de leurs factures énergétiques et agir pour la rénovation thermique des logements.
Je veux enfin offrir aux habitants la possibilité de l’émancipation.
Le premier vecteur de cette émancipation des individus, le premier palier du développement humain, c'est l'éducation. Le Président de la République l’a dit lors de la remise du rapport « Refondons l'école ». Il a insisté sur le rôle clef de l'école maternelle et primaire pour réduire les inégalités sociales, et sur le besoin de voir plus de maitres que de classes. Il va plus loin et reconnaît enfin les inégalités territoriales en matière de réussite éducative et propose de sortir des zonages qui stigmatisent au profit d'une échelle de distribution des moyens à raison des difficultés des établissements. Voilà qui va dans le bon sens. Dans les zones en difficulté, il propose d'affecter plus d'enseignants qu'il n'y a de classes.
C'est un principe extrêmement intéressant, qui offre la promesse d'une réflexion pédagogique adaptée.
L’autre priorité, c'est le développement de l'activité économique. Pour y parvenir, nous avons proposé au Premier ministre de créer un fonds pour les quartiers au sein de la BPI. Par ailleurs, les emplois d'avenir seront affectés prioritairement aux ZUS et permettront d'offrir une réponse aux jeunes décrocheurs comme aux jeunes diplômés, qui peinent à s'insérer sur le marché du travail. C’est aussi le sens de la volonté de François Lamy d’engager des emplois francs au service des territoires et des habitants.
Depuis trop longtemps, notre pays a différé la promesse d’égalité républicaine. Combien de générations ont vu leur espoir étouffé dans l’oeuf ? Je me souviens des marcheurs de la « marche de l’égalité », qu’on a rebaptisé « marche des beurs » et qui fêtera l’an prochain ses 30 ans. Il y a bientôt trente ans, quelques fortes têtes, esprits rebelles et frondeurs, choisissaient de se mettre en marche pour améliorer les conditions de leur vie.
Leur marche, leur marche pour l’égalité, constitue à mes yeux l’un des plus beaux exemples de mobilisation civique de notre pays. C’est la meilleure part de nous même qui est en éveil quand quelques uns arrivent à mettre en mouvement le plus grand nombre, pour repousser les frontières du possible et conquérir des droits nouveaux. Ces marcheurs demandaient justice et dignité, pour eux et leurs parents. Ils demandaient à ce que ce pays prenne en compte la réalité de la vie dans les banlieues.
Leur message est toujours d’actualité et me tient lieu de viatique : ils ont marché pour l’égalité, et bien nous, nous devons remettre l’égalité en marche.
Je veux aussi dire un mot de Zyed et Bouna, morts en 2005 parce que notre pays n’a pas encore réussi à pacifier totalement les relations entre jeunesse des quartiers populaires et police. Le gouvernement va s’y employer, parce que c’est le sens, aussi, de l’égalité républicaine. Zyed et Bouna, je ne les connaissais pas, mais je pense parfois à eux, à leurs vies perdues, aux commencements avortés, au futur qui leur fut interdit, dérobé par un coup du sort. Je pense à leurs familles, et je me dis que nous leur devons le changement.
Nous devons faire mentir la loi non écrite qui veut que c’est seulement quand les voitures brûlent que les choses changent. N’attendons pas que des émeutes éclatent pour engager la politique dont ce pays a besoin. Ce que nous proposons ce jour, n’est pas la solution universelle qui va tout régler. Ce n’est pas le énième plan « blabla-banlieue ». Parce que je ne veux pas promettre de tout changer en un jour. C’est un chemin nouveau.
Penser la politique de la ville n'est pas possible sans ses acteurs. L’une des leçons de la politique de la ville menée depuis vingt ans, c'est que l’État ne peut parvenir à organiser seul une réponse adaptée. Je crois donc que tous les acteurs publics, les collectivités locales, les élus, les acteurs associatifs, tous doivent se coordonner pour apporter des solutions aux difficultés des territoires meurtris.
Il s’agit de créer une synergie contractuelle en articulant différentes compétences. La région, qui dispose de leviers en matière de développement économique, de formation professionnelle et d'apprentissage ; le département, dont les compétences sociales sont essentielles ; l'État, qui dispose d'effectifs d'enseignants, de policiers, et qui demeure le garant de la solidarité nationale lorsqu'elle est en danger. Mais, bien sûr, d'abord, l'échelon local, celui de la proximité, et qui est à même de construire un projet partagé par les acteurs, cohérent et efficace.
Dessiner les contours de cette nouvelle contractualisation est l'un des enjeux de vos travaux. J'en attends beaucoup.
Je le répète. Je ne vous invite pas seulement à vous asseoir à la table pour disserter paisiblement du cours des choses. Je vous invite à renverser la table pour changer le cours des choses. J’en appelle à toutes les personnes non résignées de notre pays et je leur lance un appel, l’appel de Roubaix pour l’égalité urbaine.
Je leur dis avec simplicité : ne nous laissez pas tranquilles.
Que nos nuits courtes soient le gage de notre volonté d’action, que cent pétitions fleurissent, que des collectifs se créent, que mille projets voient le jour, que le drapeau du changement soit porté haut par celles et ceux qui en ont besoin. Nous avons besoin de vous, de votre engagement, de votre persévérance, de votre action citoyenne.
Vous l’aurez compris, cette concertation n’est qu’un début. Mais je souhaite que ce début soit à la fois calme et tonitruant, pour réveiller les consciences endormies, pour déranger les égoïsmes repus et bousculer les conservatismes asphyxiants.
Aidez-nous à faire de l’égalité des territoires une réalité en faisant de cette concertation un modèle de participation.
Remettons ensemble l’égalité en marche.
Je vous remercie.
Source http://www.territoires.gouv.fr, le 12 octobre 2012