Texte intégral
Monsieur le ministre délégué à la Ville,
Monsieur le préfet,
Mesdames et messieurs les parlementaires,
Monsieur le maire de Roubaix,
Mesdames et messieurs les élues et les élus,
Monsieur le directeur de lécole,
Mesdames et messieurs,
Mes premiers mots seront pour la ville de Roubaix qui nous accueille. Haut lieu de la mémoire ouvrière, ville chargée dhistoire, riche de sa solidarité et de ses habitants, Roubaix sait ce que le combat contre les difficultés sociales représente. Quil me soit donc permis de rendre hommage à cette cité. À Roubaix, on trouve plus que Roubaix : un pan entier de notre histoire industrielle, une page de notre culture commune, et donc une part de notre héritage national. Cet héritage je lui rends hommage avec respect.
Je voudrais également remercier monsieur le directeur de lÉcole nationale de protection judiciaire de la jeunesse de nous accueillir et dire aux élèves à quels points ils ont fait un bon choix au service de lintérêt général. Je salue votre engagement et je vous souhaite bonne chance à tous.
Je voulais ensuite dire à chacune et chacun dentre vous ma gratitude pour votre présence aujourdhui. Les temps sont durs, la crise est rude, mais votre présence ici, en ce jour, me donne quelques raisons supplémentaires despérer. Jy vois le signe que laction publique est digne dintérêt et que la bataille pour lintérêt général est chevillée au corps de beaucoup dentre nous. Jy reviendrai.
Enfin, après avoir remercié lensemble des participants à cette journée, je tenais à saluer plus particulièrement mon ami et collègue monsieur le ministre délégué à la Ville François Lamy, pour lui dire le plaisir que jai à travailler avec lui et lui réaffirmer à la fois la vigueur de ma confiance et la hauteur de mes attentes, qui sont aussi celles de dizaines, de centaines de milliers dhabitants de ce pays.
Je suis là devant vous avec la certitude que le chantier auquel nous nous attelons est lun des plus importants de ceux que ce gouvernement ait à traiter. Je ne veux pas vous parler de statistiques : vous les connaissez. Je ne veux pas vous parler de chiffres : leur froideur dissimule parfois le renoncement à transformer la réalité du monde.
Je suis venue ici pour dire ce quil nest plus possible de passer sous silence. Dans un certains nombre de quartiers, lurgence a atteint son niveau le plus haut. Le stade critique est dépassé, la crise aggrave la situation. Il nest plus temps dattendre.
Tout concourt à nous dire que des millions dhommes et de femmes dans notre pays nen peuvent plus. Ici, une élue de la République perd pied et appelle larmée en renfort pour en finir avec linsécurité vécue par les habitants. Là, des travailleurs sociaux tirent la sonnette dalarme en disant quils ne sont plus en mesure dassurer leur mission. Ailleurs, les enseignants voient senfoncer leurs anciens élèves qui ne trouvent pas demploi. Ailleurs encore, on manque de médecins et ceux qui y exercent alertent sur le retour de pathologies liées à la pauvreté. Partout, les associations nous disent lâpreté de la vie, le bricolage avec deux-francs-six sous pour tenter de maintenir la paix sociale.
La réalité, cest quhabiter certains quartiers, cest devoir affronter des conditions de vie indignes, et devoir se demander tous les jours si demain ne sera pas pire.
François Fillon a déclaré un jour quil était le Premier ministre dun pays en faillite ? Je dis aujourdhui que je suis la ministre de lÉgalité des territoires dun pays menacé de déchirure sociale.
Notre devoir est de faire en sorte quil nen soit rien. Je me tiens devant vous avec la charge de ministre qui est la mienne, et en pesant mes mots.
Depuis que jai pris mes fonctions, je rencontre, je consulte, jécoute. Pas un de mes interlocuteurs qui ne mait alerté sur létat dépuisement de celles et ceux qui, au quotidien, font la réalité du maillage social de nos territoires. Les habitants sont harassés par la violence sociale quils subissent et les travailleurs sociaux sont parfois exsangues, vidés davoir trop donné, usés davoir trop averti dans le vide, lassés davoir trop enfoncé les portes quon leur fermait au nez.
Je veux leur dire ici, à eux ainsi quà tous les agents de lÉtat qui ont en charge la politique de la ville et les missions régaliennes de lÉtat, quil sagisse du maintien de lordre public, de la santé, de léducation, du transport, quils doivent tenir bon. La République a toujours eu besoin de hussards. Je le dis aussi ici, dans les murs de lÉcole nationale de la protection judiciaire de la jeunesse, dont les élèves seront les premiers de ces hussards au service des plus jeunes, des plus vulnérables. Notre pays a besoin de vous. Je nignore ni la difficulté de votre tâche, ni lingratitude de votre mission. Mais ne laissez pas les quartiers senfoncer. Lheure est au sursaut.
La promesse de changement portée par le président de la République pendant sa campagne présidentielle a été prise, avec raison, au pied de la lettre par des millions dhommes et de femmes qui vivent dans les quartiers dont nous parlons aujourdhui.
Ils demandent des comptes. Ceux qui parieraient sur leur amnésie feraient fausse route. Les quartiers ont la mémoire longue.
Leur voix nest pour linstant quun murmure pour des oreilles parfois indifférentes. Pour lheure, on ne les entend pas.
Parce quils nont pas lentregent des demi-habiles qui saturent lespace public de leurs stratégies de communication, leurs messages restent inaudibles.
Les habitants des quartiers nont pas les moyens dembaucher un lobbyiste. Ils nont pas davantage le numéro de téléphone portable des grands patrons de média.
Dès lors, personne ne rend compte de leurs revendications.
Lindifférence de certains à la situation de ces quartiers nest pas la moindre offense qui est faite à leurs habitants. Mais cette indifférence nest quune des faces du mépris dans lequel on les tient communément. Lautre aspect de ce mépris, cest le misérabilisme condescendant, qui consiste à regarder ces populations comme incapables de se prendre en main.
Entre la stigmatisation et langélisme, il y a la lucidité. Et cest à cette lucidité que je vous appelle aujourdhui.
Lucidité, car nous devons ensemble trouver des stratégies nouvelles pour assurer légalité des conditions. Je parle bien de légalité des conditions, car comme le disait Gambetta, « la République ce nest pas constater des égaux, cest les faire. »
Lucidité, car je crois à lintelligence collective des peuples : alors je le dis sereinement la réforme de la politique de la ville, et François Lamy la dit, ne viendra pas, quel que soit leur talent, dun petit noyau dexperts.
Elle doit, dans un mouvement de longue haleine épouser les besoins des habitants pour forger les nouveaux outils nécessaires à lamélioration de leur vie de tous les jours. Une seule chose est certaine : la concertation que nous lançons aujourdhui ne saurait être ni un moyen de différer des réponses trop longtemps attendues, ni une stratégie dévitement.
Lucidité, car nous navons pas peur ni du débat, ni de la confrontation. Surtout, nous navons pas peur du peuple des quartiers. Il doit, dune manière ou dune autre, sinviter dans le débat qui le concerne, lempoigner, le secouer, pour mieux le faire sien.
Cest cet esprit de mobilisation et de vérité qui doit irriguer la concertation sur la deuxième étape de la politique de la ville.
« Une énième concertation », seraient tentés de dire certains. Paroles, paroles, paroles. Et puis, comme dhabitude, les caméras éteintes, laction sera dune timidité confondante. Soyons francs : le risque existe. Depuis très longtemps, trop longtemps, des grands-messes ne succèdent elles pas aux grands-messes, sans que les habitants et les habitantes des quartiers ne voient réellement les choses changer ?
Je plaide pour une autre voie. Permettez-moi de madresser en particulier aux habitantes et aux habitants des quartiers. Je veux leur dire quà travers cette consultation, je ne les invite pas seulement à sasseoir autour de la table, à écouter, je les invite à renverser la table. Je leur dis : lavenir nest jamais écrit. Cette concertation sera ce que vous en ferez. Je vais pour ma part, comme François Lamy, aller à la rencontre de celles et ceux qui font la ville. Je veux encore davantage voir, écouter, comprendre.
Je veux aussi que viennent ici les acteurs des mouvements citoyens qui, depuis trente ans, se battent pour légalité des droits dans les quartiers. Ceux qui lancent des campagnes dinscriptions sur les listes électorales pour développer lesprit civique, ceux qui dirigent des médias alternatifs pour donner vie à une autre image des quartiers populaires, ceux qui luttent contre le contrôle au faciès, ceux qui réclament le désenclavement de leur quartier, ceux qui luttent contre les ravages du deal, ceux qui agissent contre les discriminations, ceux qui se battent contre léducation à deux vitesses. Quils sachent tous que les portes de mon ministère leur sont ouvertes car, par leurs combats citoyens inlassables, ils sont ceux qui font la République de demain.
Quils sachent également quils auront en la personne de Naïma Charaï, la nouvelle présidente de lAcsé, à laquelle je rends hommage, une partenaire précieuse.
Dans la concertation qui est lancée aujourdhui, je souhaite, vous laurez compris, que les habitants prennent toute leur place. Mais je désire également entendre la parole des élus. Parce que je sais quils connaissent leurs territoires sur le bout des doigts, par coeur, et avec coeur. Je connais leur motivation, leur dévouement, leurs difficultés, leur attachement au développement local. Ils sont le sel de la démocratie, le coeur battant de notre pays. Sans eux, rien ne sera possible.
Cette concertation, à son terme, regroupera les réflexions et propositions de l'ensemble des acteurs de la politique de la Ville. Sans préjuger, dès à présent du contenu de ces contributions, je sais que les conclusions de ces travaux puiseront leur force dans l'alliance d'idées neuves, riches de vos expériences et de vos engagements, que chacun portera à la concertation. Je n'ai pas peur du débat, vous le savez. Il nous rend plus fort. Et je crois que c'est de la confrontation des idées, des projets, des visions que naîtra une politique publique rénovée, plus en phase avec les défis qui sont les nôtres. Alors, confrontez.
Je vais vous le dire comme je le pense : il nexiste pas de dispositif de consultation démocratique idéal. La composition dune commission est toujours arbitraire. Le choix dun calendrier, toujours contestable. Mais j'appelle de mes voeux à la mobilisation la plus large et la plus vaste possible autour de cette concertation. C'est tous ensemble, associations, élus, institutions et habitants, qu'il s'agit de s'emparer de cette scène de débats : je veux que, dans tous les lieux où la délibération démocratique prendra place, les habitants viennent contribuer à ce qui ne doit pas constituer une simple chambre denregistrement.
Personne ne détient la solution unique pour déployer de nouvelles façons d'agir dans les territoires urbains. Je souhaite que vos différents apports donnent matière à débats, pour pouvoir donner corps et vie aux projets qui feront les villes de demain. Car c'est là la dynamique nécessaire pour que le gouvernement engage avec succès le changement pour tous les habitants des villes.
De quoi est-il question ? Notre pays est en crise, ce nest pas un secret. Le redressement des finances publiques est un impératif, chacun le sait. Nous devons prioriser laction de lÉtat. Nous devons réarticuler la politique de la ville, pour la rendre plus efficace.
Mais nul territoire ne doit être sacrifié. Je vois poindre ici et là, la tentation dopposer les territoires entre eux. Je ne peux my résoudre. De toutes parts, on attaque lidée même dégalité des territoires. « De quoi légalité des territoires est-elle le nom ? », feint-on de se demander. Les critiques portées sont symétriquement opposées. Pour les uns, le concept dégalité des territoires est le cache sexe du mauvais sort quon sapprêterait à faire à la politique de la ville, quon déshabillerait pour se concentrer sur les zones périurbaines, avec en tête lidée de faire pièce au Front National qui y réalise de bon scores. Pour les autres, au contraire légalité des territoires naurait dyeux que pour la ville et ne prendrait pas en compte la diversité des zones, et en particulier des zones rurales, qui ont besoin dune action résolue.
À tous je réponds ceci. Jentends que légalité des territoires soit la nouvelle frontière de notre République. Cest une ambition politique qui sinscrit à rebours des années de bourrage de crâne libéral, qui faisaient de la concurrence de tous contre chacun le principe organisationnel de notre vie commune. Légalité des territoires, cest la recherche continue et déterminée des voies de laccomplissement de lintérêt général.
Je sais quil a été jusquà récemment de bon ton de brocarder la politique de la ville, de gloser sur son inefficacité, voire son inutilité. Nous ne céderons pas à cette mode dangereuse.
Dabord, parce que je veux défendre ici laction résolue menée sur le terrain par des femmes et des hommes qui raccommodent les déchirures du lien social. Ce travail ne fait pas la une des 20 heures car il na rien de spectaculaire : il est pourtant essentiel.
Ensuite, parce que je vois bien quune part de la critique de la politique de la ville provient dun prisme idéologique qui plaide pour le désengagement de lÉtat. Je ne bois pas de cette eau-là, mon engagement sabreuve à dautres sources.
Si je défends aujourdhui une réforme en profondeur de la politique de la ville, que va conduire François Lamy, ce nest pas pour la démanteler ou la détruire davantage encore quelle ne le fut dans le quinquennat précédent. Les démolisseurs ont assez oeuvré en ce sens et nont pas besoin de notre secours. Il faut au contraire la réformer, pour lui rendre son efficacité : le devoir des politiques publiques est daméliorer les conditions de vie des citoyens.
Jajouterai ceci. Légalité ne se divise pas. Pour la ministre des villes et des campagnes que je suis, la création dun ministère de lÉgalité des territoires doit être loccasion pour notre nation de faire vivre sa belle devise héritée de la Révolution. En défendant légalité de tous, nous assurons la liberté de chacun de construire un avenir qui lui soit propre, et rendons possible une communauté nationale fraternelle. Voeu pieu ? Non. Volontarisme et foi dans la capacité de la France à surmonter ses difficultés.
Nous habitons tous le même pays. Nous aimons tous le même pays. Ce pays cest la France, cest-à-dire non pas seulement une entité géographique, mais une histoire de luttes pour établir la République, et une certaine idée de la manière dont les citoyennes et les citoyens doivent se comporter les uns envers les autres. Il ny a pas didée assez belle pour ne pas être soumise au défi de la matérialité de son régime de valeurs.
En dautres termes, la République ne peut pas nêtre quun ordre, elle ne peut pas nêtre quun mot sans prise sur la vie des gens, une fiction sans horizon concret. La force de notre pays, cest sa promesse dégalité. Prenons garde que sa principale promesse ne devienne pas le fait de ne pas tenir cette promesse. Car la France cesse dêtre elle même si elle ne peut pas se regarder en face en se disant « je traite toutes les personnes présentes sur mon territoire avec une égale humanité. »
« Pourquoi nous parler de la France ? », me direz-vous ? Cest que la France est le pays de légalité. Et que légalité est la boussole qui fixe le cap de la nouvelle étape de la politique de la ville que nous devons bâtir ensemble. Cest aussi que je préfère vous parler de la France que jaime, plutôt que dinventer des misérables histoires de pain au chocolat pour diviser davantage encore un pays qui est couturé de déceptions, de frustrations et de peurs.
Cest particulier à dire, mais on ne peut pas être détaché de ce que lon est. Je suis une enfant de la banlieue. Je viens de ces endroits où certains ne veulent pas mettre les pieds, pour mieux déverser des tombereaux dinsultes, qui à longueur dédito, qui à force de discours.
Quand jentends parler de racisme anti blanc, je veux dire que moi jai été une petite fille blanche grandissant avec autour de moi des gens de toutes couleurs, de toutes nationalités, de toutes confessions, dont les parents étaient venus du monde entier pour faire France. Ce que jai vécu ma amené là où je suis : à vous prononcer aujourdhui un discours de ministre. Cest parce que je le sais, parce que jai appris à lire avec Hassan, Souleimane, Leïla et Abdelah, que je naccepterai jamais les propos de politiques qui, en mal de popularité, courent comme des poulets sans tête après une extrême droite sans principes.
Jai connu une banlieue avide dégalité, jalouse de sa liberté et belle de sa fraternité. Une banlieue frondeuse parce quexigeante, bouillonnante parce que porteuse de tout lenthousiasme de la jeunesse. Hé bien, cest cette banlieue que je sais vivante et à qui je veux donner toute sa place dans la République. Nous le devons aussi aux enfants et adolescents qui y grandissent, quils veulent et quils doivent pouvoir sy épanouir.
Cest aussi pour la garder vivante que nous devons nous méfier de tout ce qui enterre lavenir. Nous appelons à la vigilance et à lintransigeance vis-à-vis de toutes les dérives sectaires qui, sur le terreau de la pauvreté, font naître les graines du terrorisme. La République ne reculera pas face à ces tentatives. Elle refusera tous les racismes. Elle nacceptera pas que renaisse de ses cendres le poison pernicieux et noir de lantisémitisme.
Alors, une fois ceci dit, il ne suffit pas de verser des larmes de crocodile sur la situation des banlieues tout en perpétuant une politique de discrimination territoriale qui ne dit pas son nom. Je réclame pour les habitants des quartiers le droit commun. Non pas lexception systématique, mais la règle. Non pas la dérogation, mais le plein exercice. Non pas le saupoudrage qui jette un voile pudique sur les difficultés, mais leffort concentré qui change les conditions dexistences.
Il est intolérable que la ville devienne inaccessible à ceux qui ne peuvent s'y loger ou s'y rendre, faute de transports adéquats. Il existe un droit à la ville. Je nignore pas que tous les habitants des villes ne peuvent faire le même usage de l'espace urbain. Jajouterai même que ces usages sont en fait toujours objets de luttes. Notre ambition et notre rôle, la modernité de notre action et le sens de l'engagement en faveur de la justice sociale et de l'égalité des territoires, c'est d'inscrire notre action aux cotés de ceux qui font de leurs luttes un combat pour l'égalité et pour le droit de tous à la ville.
Ce combat se mène à plusieurs niveaux.
J'ai ainsi décidé, comme vous le savez, dagir pour la mixité sociale, en durcissant la loi SRU. Les réticences de certains maires ne se trouveront pas abolies magiquement pour autant. Je compte donc aller plus loin : je crois qu'il faut envisager de planifier l'urbanisme à la bonne échelle, à l'échelle intercommunale, penser conjointement développement du bâti et des transports.
Pour de nombreux Français, la ville est désormais trop difficile à vivre : trop chère, trop polluée, trop dégradée, Je veux répondre à ces enjeux. C'est tout le sens, par exemple, de l'encadrement des loyers en zone tendue, et de laction du gouvernement, avec tous les acteurs qui participent à l'économie du logement, pour favoriser la construction de logements sociaux et lutter contre la rétention des logements vacants.
Je veux aussi répondre aux habitants, qui vivent dans les copropriétés dégradées, qui vivent, comme nous lavons vu cet après-midi, dans le quartier du Pile, un alourdissement continu de leurs factures énergétiques et agir pour la rénovation thermique des logements.
Je veux enfin offrir aux habitants la possibilité de lémancipation.
Le premier vecteur de cette émancipation des individus, le premier palier du développement humain, c'est l'éducation. Le Président de la République la dit lors de la remise du rapport « Refondons l'école ». Il a insisté sur le rôle clef de l'école maternelle et primaire pour réduire les inégalités sociales, et sur le besoin de voir plus de maitres que de classes. Il va plus loin et reconnaît enfin les inégalités territoriales en matière de réussite éducative et propose de sortir des zonages qui stigmatisent au profit d'une échelle de distribution des moyens à raison des difficultés des établissements. Voilà qui va dans le bon sens. Dans les zones en difficulté, il propose d'affecter plus d'enseignants qu'il n'y a de classes.
C'est un principe extrêmement intéressant, qui offre la promesse d'une réflexion pédagogique adaptée.
Lautre priorité, c'est le développement de l'activité économique. Pour y parvenir, nous avons proposé au Premier ministre de créer un fonds pour les quartiers au sein de la BPI. Par ailleurs, les emplois d'avenir seront affectés prioritairement aux ZUS et permettront d'offrir une réponse aux jeunes décrocheurs comme aux jeunes diplômés, qui peinent à s'insérer sur le marché du travail. Cest aussi le sens de la volonté de François Lamy dengager des emplois francs au service des territoires et des habitants.
Depuis trop longtemps, notre pays a différé la promesse dégalité républicaine. Combien de générations ont vu leur espoir étouffé dans loeuf ? Je me souviens des marcheurs de la « marche de légalité », quon a rebaptisé « marche des beurs » et qui fêtera lan prochain ses 30 ans. Il y a bientôt trente ans, quelques fortes têtes, esprits rebelles et frondeurs, choisissaient de se mettre en marche pour améliorer les conditions de leur vie.
Leur marche, leur marche pour légalité, constitue à mes yeux lun des plus beaux exemples de mobilisation civique de notre pays. Cest la meilleure part de nous même qui est en éveil quand quelques uns arrivent à mettre en mouvement le plus grand nombre, pour repousser les frontières du possible et conquérir des droits nouveaux. Ces marcheurs demandaient justice et dignité, pour eux et leurs parents. Ils demandaient à ce que ce pays prenne en compte la réalité de la vie dans les banlieues.
Leur message est toujours dactualité et me tient lieu de viatique : ils ont marché pour légalité, et bien nous, nous devons remettre légalité en marche.
Je veux aussi dire un mot de Zyed et Bouna, morts en 2005 parce que notre pays na pas encore réussi à pacifier totalement les relations entre jeunesse des quartiers populaires et police. Le gouvernement va sy employer, parce que cest le sens, aussi, de légalité républicaine. Zyed et Bouna, je ne les connaissais pas, mais je pense parfois à eux, à leurs vies perdues, aux commencements avortés, au futur qui leur fut interdit, dérobé par un coup du sort. Je pense à leurs familles, et je me dis que nous leur devons le changement.
Nous devons faire mentir la loi non écrite qui veut que cest seulement quand les voitures brûlent que les choses changent. Nattendons pas que des émeutes éclatent pour engager la politique dont ce pays a besoin. Ce que nous proposons ce jour, nest pas la solution universelle qui va tout régler. Ce nest pas le énième plan « blabla-banlieue ». Parce que je ne veux pas promettre de tout changer en un jour. Cest un chemin nouveau.
Penser la politique de la ville n'est pas possible sans ses acteurs. Lune des leçons de la politique de la ville menée depuis vingt ans, c'est que lÉtat ne peut parvenir à organiser seul une réponse adaptée. Je crois donc que tous les acteurs publics, les collectivités locales, les élus, les acteurs associatifs, tous doivent se coordonner pour apporter des solutions aux difficultés des territoires meurtris.
Il sagit de créer une synergie contractuelle en articulant différentes compétences. La région, qui dispose de leviers en matière de développement économique, de formation professionnelle et d'apprentissage ; le département, dont les compétences sociales sont essentielles ; l'État, qui dispose d'effectifs d'enseignants, de policiers, et qui demeure le garant de la solidarité nationale lorsqu'elle est en danger. Mais, bien sûr, d'abord, l'échelon local, celui de la proximité, et qui est à même de construire un projet partagé par les acteurs, cohérent et efficace.
Dessiner les contours de cette nouvelle contractualisation est l'un des enjeux de vos travaux. J'en attends beaucoup.
Je le répète. Je ne vous invite pas seulement à vous asseoir à la table pour disserter paisiblement du cours des choses. Je vous invite à renverser la table pour changer le cours des choses. Jen appelle à toutes les personnes non résignées de notre pays et je leur lance un appel, lappel de Roubaix pour légalité urbaine.
Je leur dis avec simplicité : ne nous laissez pas tranquilles.
Que nos nuits courtes soient le gage de notre volonté daction, que cent pétitions fleurissent, que des collectifs se créent, que mille projets voient le jour, que le drapeau du changement soit porté haut par celles et ceux qui en ont besoin. Nous avons besoin de vous, de votre engagement, de votre persévérance, de votre action citoyenne.
Vous laurez compris, cette concertation nest quun début. Mais je souhaite que ce début soit à la fois calme et tonitruant, pour réveiller les consciences endormies, pour déranger les égoïsmes repus et bousculer les conservatismes asphyxiants.
Aidez-nous à faire de légalité des territoires une réalité en faisant de cette concertation un modèle de participation.
Remettons ensemble légalité en marche.
Je vous remercie.
Source http://www.territoires.gouv.fr, le 12 octobre 2012
Monsieur le préfet,
Mesdames et messieurs les parlementaires,
Monsieur le maire de Roubaix,
Mesdames et messieurs les élues et les élus,
Monsieur le directeur de lécole,
Mesdames et messieurs,
Mes premiers mots seront pour la ville de Roubaix qui nous accueille. Haut lieu de la mémoire ouvrière, ville chargée dhistoire, riche de sa solidarité et de ses habitants, Roubaix sait ce que le combat contre les difficultés sociales représente. Quil me soit donc permis de rendre hommage à cette cité. À Roubaix, on trouve plus que Roubaix : un pan entier de notre histoire industrielle, une page de notre culture commune, et donc une part de notre héritage national. Cet héritage je lui rends hommage avec respect.
Je voudrais également remercier monsieur le directeur de lÉcole nationale de protection judiciaire de la jeunesse de nous accueillir et dire aux élèves à quels points ils ont fait un bon choix au service de lintérêt général. Je salue votre engagement et je vous souhaite bonne chance à tous.
Je voulais ensuite dire à chacune et chacun dentre vous ma gratitude pour votre présence aujourdhui. Les temps sont durs, la crise est rude, mais votre présence ici, en ce jour, me donne quelques raisons supplémentaires despérer. Jy vois le signe que laction publique est digne dintérêt et que la bataille pour lintérêt général est chevillée au corps de beaucoup dentre nous. Jy reviendrai.
Enfin, après avoir remercié lensemble des participants à cette journée, je tenais à saluer plus particulièrement mon ami et collègue monsieur le ministre délégué à la Ville François Lamy, pour lui dire le plaisir que jai à travailler avec lui et lui réaffirmer à la fois la vigueur de ma confiance et la hauteur de mes attentes, qui sont aussi celles de dizaines, de centaines de milliers dhabitants de ce pays.
Je suis là devant vous avec la certitude que le chantier auquel nous nous attelons est lun des plus importants de ceux que ce gouvernement ait à traiter. Je ne veux pas vous parler de statistiques : vous les connaissez. Je ne veux pas vous parler de chiffres : leur froideur dissimule parfois le renoncement à transformer la réalité du monde.
Je suis venue ici pour dire ce quil nest plus possible de passer sous silence. Dans un certains nombre de quartiers, lurgence a atteint son niveau le plus haut. Le stade critique est dépassé, la crise aggrave la situation. Il nest plus temps dattendre.
Tout concourt à nous dire que des millions dhommes et de femmes dans notre pays nen peuvent plus. Ici, une élue de la République perd pied et appelle larmée en renfort pour en finir avec linsécurité vécue par les habitants. Là, des travailleurs sociaux tirent la sonnette dalarme en disant quils ne sont plus en mesure dassurer leur mission. Ailleurs, les enseignants voient senfoncer leurs anciens élèves qui ne trouvent pas demploi. Ailleurs encore, on manque de médecins et ceux qui y exercent alertent sur le retour de pathologies liées à la pauvreté. Partout, les associations nous disent lâpreté de la vie, le bricolage avec deux-francs-six sous pour tenter de maintenir la paix sociale.
La réalité, cest quhabiter certains quartiers, cest devoir affronter des conditions de vie indignes, et devoir se demander tous les jours si demain ne sera pas pire.
François Fillon a déclaré un jour quil était le Premier ministre dun pays en faillite ? Je dis aujourdhui que je suis la ministre de lÉgalité des territoires dun pays menacé de déchirure sociale.
Notre devoir est de faire en sorte quil nen soit rien. Je me tiens devant vous avec la charge de ministre qui est la mienne, et en pesant mes mots.
Depuis que jai pris mes fonctions, je rencontre, je consulte, jécoute. Pas un de mes interlocuteurs qui ne mait alerté sur létat dépuisement de celles et ceux qui, au quotidien, font la réalité du maillage social de nos territoires. Les habitants sont harassés par la violence sociale quils subissent et les travailleurs sociaux sont parfois exsangues, vidés davoir trop donné, usés davoir trop averti dans le vide, lassés davoir trop enfoncé les portes quon leur fermait au nez.
Je veux leur dire ici, à eux ainsi quà tous les agents de lÉtat qui ont en charge la politique de la ville et les missions régaliennes de lÉtat, quil sagisse du maintien de lordre public, de la santé, de léducation, du transport, quils doivent tenir bon. La République a toujours eu besoin de hussards. Je le dis aussi ici, dans les murs de lÉcole nationale de la protection judiciaire de la jeunesse, dont les élèves seront les premiers de ces hussards au service des plus jeunes, des plus vulnérables. Notre pays a besoin de vous. Je nignore ni la difficulté de votre tâche, ni lingratitude de votre mission. Mais ne laissez pas les quartiers senfoncer. Lheure est au sursaut.
La promesse de changement portée par le président de la République pendant sa campagne présidentielle a été prise, avec raison, au pied de la lettre par des millions dhommes et de femmes qui vivent dans les quartiers dont nous parlons aujourdhui.
Ils demandent des comptes. Ceux qui parieraient sur leur amnésie feraient fausse route. Les quartiers ont la mémoire longue.
Leur voix nest pour linstant quun murmure pour des oreilles parfois indifférentes. Pour lheure, on ne les entend pas.
Parce quils nont pas lentregent des demi-habiles qui saturent lespace public de leurs stratégies de communication, leurs messages restent inaudibles.
Les habitants des quartiers nont pas les moyens dembaucher un lobbyiste. Ils nont pas davantage le numéro de téléphone portable des grands patrons de média.
Dès lors, personne ne rend compte de leurs revendications.
Lindifférence de certains à la situation de ces quartiers nest pas la moindre offense qui est faite à leurs habitants. Mais cette indifférence nest quune des faces du mépris dans lequel on les tient communément. Lautre aspect de ce mépris, cest le misérabilisme condescendant, qui consiste à regarder ces populations comme incapables de se prendre en main.
Entre la stigmatisation et langélisme, il y a la lucidité. Et cest à cette lucidité que je vous appelle aujourdhui.
Lucidité, car nous devons ensemble trouver des stratégies nouvelles pour assurer légalité des conditions. Je parle bien de légalité des conditions, car comme le disait Gambetta, « la République ce nest pas constater des égaux, cest les faire. »
Lucidité, car je crois à lintelligence collective des peuples : alors je le dis sereinement la réforme de la politique de la ville, et François Lamy la dit, ne viendra pas, quel que soit leur talent, dun petit noyau dexperts.
Elle doit, dans un mouvement de longue haleine épouser les besoins des habitants pour forger les nouveaux outils nécessaires à lamélioration de leur vie de tous les jours. Une seule chose est certaine : la concertation que nous lançons aujourdhui ne saurait être ni un moyen de différer des réponses trop longtemps attendues, ni une stratégie dévitement.
Lucidité, car nous navons pas peur ni du débat, ni de la confrontation. Surtout, nous navons pas peur du peuple des quartiers. Il doit, dune manière ou dune autre, sinviter dans le débat qui le concerne, lempoigner, le secouer, pour mieux le faire sien.
Cest cet esprit de mobilisation et de vérité qui doit irriguer la concertation sur la deuxième étape de la politique de la ville.
« Une énième concertation », seraient tentés de dire certains. Paroles, paroles, paroles. Et puis, comme dhabitude, les caméras éteintes, laction sera dune timidité confondante. Soyons francs : le risque existe. Depuis très longtemps, trop longtemps, des grands-messes ne succèdent elles pas aux grands-messes, sans que les habitants et les habitantes des quartiers ne voient réellement les choses changer ?
Je plaide pour une autre voie. Permettez-moi de madresser en particulier aux habitantes et aux habitants des quartiers. Je veux leur dire quà travers cette consultation, je ne les invite pas seulement à sasseoir autour de la table, à écouter, je les invite à renverser la table. Je leur dis : lavenir nest jamais écrit. Cette concertation sera ce que vous en ferez. Je vais pour ma part, comme François Lamy, aller à la rencontre de celles et ceux qui font la ville. Je veux encore davantage voir, écouter, comprendre.
Je veux aussi que viennent ici les acteurs des mouvements citoyens qui, depuis trente ans, se battent pour légalité des droits dans les quartiers. Ceux qui lancent des campagnes dinscriptions sur les listes électorales pour développer lesprit civique, ceux qui dirigent des médias alternatifs pour donner vie à une autre image des quartiers populaires, ceux qui luttent contre le contrôle au faciès, ceux qui réclament le désenclavement de leur quartier, ceux qui luttent contre les ravages du deal, ceux qui agissent contre les discriminations, ceux qui se battent contre léducation à deux vitesses. Quils sachent tous que les portes de mon ministère leur sont ouvertes car, par leurs combats citoyens inlassables, ils sont ceux qui font la République de demain.
Quils sachent également quils auront en la personne de Naïma Charaï, la nouvelle présidente de lAcsé, à laquelle je rends hommage, une partenaire précieuse.
Dans la concertation qui est lancée aujourdhui, je souhaite, vous laurez compris, que les habitants prennent toute leur place. Mais je désire également entendre la parole des élus. Parce que je sais quils connaissent leurs territoires sur le bout des doigts, par coeur, et avec coeur. Je connais leur motivation, leur dévouement, leurs difficultés, leur attachement au développement local. Ils sont le sel de la démocratie, le coeur battant de notre pays. Sans eux, rien ne sera possible.
Cette concertation, à son terme, regroupera les réflexions et propositions de l'ensemble des acteurs de la politique de la Ville. Sans préjuger, dès à présent du contenu de ces contributions, je sais que les conclusions de ces travaux puiseront leur force dans l'alliance d'idées neuves, riches de vos expériences et de vos engagements, que chacun portera à la concertation. Je n'ai pas peur du débat, vous le savez. Il nous rend plus fort. Et je crois que c'est de la confrontation des idées, des projets, des visions que naîtra une politique publique rénovée, plus en phase avec les défis qui sont les nôtres. Alors, confrontez.
Je vais vous le dire comme je le pense : il nexiste pas de dispositif de consultation démocratique idéal. La composition dune commission est toujours arbitraire. Le choix dun calendrier, toujours contestable. Mais j'appelle de mes voeux à la mobilisation la plus large et la plus vaste possible autour de cette concertation. C'est tous ensemble, associations, élus, institutions et habitants, qu'il s'agit de s'emparer de cette scène de débats : je veux que, dans tous les lieux où la délibération démocratique prendra place, les habitants viennent contribuer à ce qui ne doit pas constituer une simple chambre denregistrement.
Personne ne détient la solution unique pour déployer de nouvelles façons d'agir dans les territoires urbains. Je souhaite que vos différents apports donnent matière à débats, pour pouvoir donner corps et vie aux projets qui feront les villes de demain. Car c'est là la dynamique nécessaire pour que le gouvernement engage avec succès le changement pour tous les habitants des villes.
De quoi est-il question ? Notre pays est en crise, ce nest pas un secret. Le redressement des finances publiques est un impératif, chacun le sait. Nous devons prioriser laction de lÉtat. Nous devons réarticuler la politique de la ville, pour la rendre plus efficace.
Mais nul territoire ne doit être sacrifié. Je vois poindre ici et là, la tentation dopposer les territoires entre eux. Je ne peux my résoudre. De toutes parts, on attaque lidée même dégalité des territoires. « De quoi légalité des territoires est-elle le nom ? », feint-on de se demander. Les critiques portées sont symétriquement opposées. Pour les uns, le concept dégalité des territoires est le cache sexe du mauvais sort quon sapprêterait à faire à la politique de la ville, quon déshabillerait pour se concentrer sur les zones périurbaines, avec en tête lidée de faire pièce au Front National qui y réalise de bon scores. Pour les autres, au contraire légalité des territoires naurait dyeux que pour la ville et ne prendrait pas en compte la diversité des zones, et en particulier des zones rurales, qui ont besoin dune action résolue.
À tous je réponds ceci. Jentends que légalité des territoires soit la nouvelle frontière de notre République. Cest une ambition politique qui sinscrit à rebours des années de bourrage de crâne libéral, qui faisaient de la concurrence de tous contre chacun le principe organisationnel de notre vie commune. Légalité des territoires, cest la recherche continue et déterminée des voies de laccomplissement de lintérêt général.
Je sais quil a été jusquà récemment de bon ton de brocarder la politique de la ville, de gloser sur son inefficacité, voire son inutilité. Nous ne céderons pas à cette mode dangereuse.
Dabord, parce que je veux défendre ici laction résolue menée sur le terrain par des femmes et des hommes qui raccommodent les déchirures du lien social. Ce travail ne fait pas la une des 20 heures car il na rien de spectaculaire : il est pourtant essentiel.
Ensuite, parce que je vois bien quune part de la critique de la politique de la ville provient dun prisme idéologique qui plaide pour le désengagement de lÉtat. Je ne bois pas de cette eau-là, mon engagement sabreuve à dautres sources.
Si je défends aujourdhui une réforme en profondeur de la politique de la ville, que va conduire François Lamy, ce nest pas pour la démanteler ou la détruire davantage encore quelle ne le fut dans le quinquennat précédent. Les démolisseurs ont assez oeuvré en ce sens et nont pas besoin de notre secours. Il faut au contraire la réformer, pour lui rendre son efficacité : le devoir des politiques publiques est daméliorer les conditions de vie des citoyens.
Jajouterai ceci. Légalité ne se divise pas. Pour la ministre des villes et des campagnes que je suis, la création dun ministère de lÉgalité des territoires doit être loccasion pour notre nation de faire vivre sa belle devise héritée de la Révolution. En défendant légalité de tous, nous assurons la liberté de chacun de construire un avenir qui lui soit propre, et rendons possible une communauté nationale fraternelle. Voeu pieu ? Non. Volontarisme et foi dans la capacité de la France à surmonter ses difficultés.
Nous habitons tous le même pays. Nous aimons tous le même pays. Ce pays cest la France, cest-à-dire non pas seulement une entité géographique, mais une histoire de luttes pour établir la République, et une certaine idée de la manière dont les citoyennes et les citoyens doivent se comporter les uns envers les autres. Il ny a pas didée assez belle pour ne pas être soumise au défi de la matérialité de son régime de valeurs.
En dautres termes, la République ne peut pas nêtre quun ordre, elle ne peut pas nêtre quun mot sans prise sur la vie des gens, une fiction sans horizon concret. La force de notre pays, cest sa promesse dégalité. Prenons garde que sa principale promesse ne devienne pas le fait de ne pas tenir cette promesse. Car la France cesse dêtre elle même si elle ne peut pas se regarder en face en se disant « je traite toutes les personnes présentes sur mon territoire avec une égale humanité. »
« Pourquoi nous parler de la France ? », me direz-vous ? Cest que la France est le pays de légalité. Et que légalité est la boussole qui fixe le cap de la nouvelle étape de la politique de la ville que nous devons bâtir ensemble. Cest aussi que je préfère vous parler de la France que jaime, plutôt que dinventer des misérables histoires de pain au chocolat pour diviser davantage encore un pays qui est couturé de déceptions, de frustrations et de peurs.
Cest particulier à dire, mais on ne peut pas être détaché de ce que lon est. Je suis une enfant de la banlieue. Je viens de ces endroits où certains ne veulent pas mettre les pieds, pour mieux déverser des tombereaux dinsultes, qui à longueur dédito, qui à force de discours.
Quand jentends parler de racisme anti blanc, je veux dire que moi jai été une petite fille blanche grandissant avec autour de moi des gens de toutes couleurs, de toutes nationalités, de toutes confessions, dont les parents étaient venus du monde entier pour faire France. Ce que jai vécu ma amené là où je suis : à vous prononcer aujourdhui un discours de ministre. Cest parce que je le sais, parce que jai appris à lire avec Hassan, Souleimane, Leïla et Abdelah, que je naccepterai jamais les propos de politiques qui, en mal de popularité, courent comme des poulets sans tête après une extrême droite sans principes.
Jai connu une banlieue avide dégalité, jalouse de sa liberté et belle de sa fraternité. Une banlieue frondeuse parce quexigeante, bouillonnante parce que porteuse de tout lenthousiasme de la jeunesse. Hé bien, cest cette banlieue que je sais vivante et à qui je veux donner toute sa place dans la République. Nous le devons aussi aux enfants et adolescents qui y grandissent, quils veulent et quils doivent pouvoir sy épanouir.
Cest aussi pour la garder vivante que nous devons nous méfier de tout ce qui enterre lavenir. Nous appelons à la vigilance et à lintransigeance vis-à-vis de toutes les dérives sectaires qui, sur le terreau de la pauvreté, font naître les graines du terrorisme. La République ne reculera pas face à ces tentatives. Elle refusera tous les racismes. Elle nacceptera pas que renaisse de ses cendres le poison pernicieux et noir de lantisémitisme.
Alors, une fois ceci dit, il ne suffit pas de verser des larmes de crocodile sur la situation des banlieues tout en perpétuant une politique de discrimination territoriale qui ne dit pas son nom. Je réclame pour les habitants des quartiers le droit commun. Non pas lexception systématique, mais la règle. Non pas la dérogation, mais le plein exercice. Non pas le saupoudrage qui jette un voile pudique sur les difficultés, mais leffort concentré qui change les conditions dexistences.
Il est intolérable que la ville devienne inaccessible à ceux qui ne peuvent s'y loger ou s'y rendre, faute de transports adéquats. Il existe un droit à la ville. Je nignore pas que tous les habitants des villes ne peuvent faire le même usage de l'espace urbain. Jajouterai même que ces usages sont en fait toujours objets de luttes. Notre ambition et notre rôle, la modernité de notre action et le sens de l'engagement en faveur de la justice sociale et de l'égalité des territoires, c'est d'inscrire notre action aux cotés de ceux qui font de leurs luttes un combat pour l'égalité et pour le droit de tous à la ville.
Ce combat se mène à plusieurs niveaux.
J'ai ainsi décidé, comme vous le savez, dagir pour la mixité sociale, en durcissant la loi SRU. Les réticences de certains maires ne se trouveront pas abolies magiquement pour autant. Je compte donc aller plus loin : je crois qu'il faut envisager de planifier l'urbanisme à la bonne échelle, à l'échelle intercommunale, penser conjointement développement du bâti et des transports.
Pour de nombreux Français, la ville est désormais trop difficile à vivre : trop chère, trop polluée, trop dégradée, Je veux répondre à ces enjeux. C'est tout le sens, par exemple, de l'encadrement des loyers en zone tendue, et de laction du gouvernement, avec tous les acteurs qui participent à l'économie du logement, pour favoriser la construction de logements sociaux et lutter contre la rétention des logements vacants.
Je veux aussi répondre aux habitants, qui vivent dans les copropriétés dégradées, qui vivent, comme nous lavons vu cet après-midi, dans le quartier du Pile, un alourdissement continu de leurs factures énergétiques et agir pour la rénovation thermique des logements.
Je veux enfin offrir aux habitants la possibilité de lémancipation.
Le premier vecteur de cette émancipation des individus, le premier palier du développement humain, c'est l'éducation. Le Président de la République la dit lors de la remise du rapport « Refondons l'école ». Il a insisté sur le rôle clef de l'école maternelle et primaire pour réduire les inégalités sociales, et sur le besoin de voir plus de maitres que de classes. Il va plus loin et reconnaît enfin les inégalités territoriales en matière de réussite éducative et propose de sortir des zonages qui stigmatisent au profit d'une échelle de distribution des moyens à raison des difficultés des établissements. Voilà qui va dans le bon sens. Dans les zones en difficulté, il propose d'affecter plus d'enseignants qu'il n'y a de classes.
C'est un principe extrêmement intéressant, qui offre la promesse d'une réflexion pédagogique adaptée.
Lautre priorité, c'est le développement de l'activité économique. Pour y parvenir, nous avons proposé au Premier ministre de créer un fonds pour les quartiers au sein de la BPI. Par ailleurs, les emplois d'avenir seront affectés prioritairement aux ZUS et permettront d'offrir une réponse aux jeunes décrocheurs comme aux jeunes diplômés, qui peinent à s'insérer sur le marché du travail. Cest aussi le sens de la volonté de François Lamy dengager des emplois francs au service des territoires et des habitants.
Depuis trop longtemps, notre pays a différé la promesse dégalité républicaine. Combien de générations ont vu leur espoir étouffé dans loeuf ? Je me souviens des marcheurs de la « marche de légalité », quon a rebaptisé « marche des beurs » et qui fêtera lan prochain ses 30 ans. Il y a bientôt trente ans, quelques fortes têtes, esprits rebelles et frondeurs, choisissaient de se mettre en marche pour améliorer les conditions de leur vie.
Leur marche, leur marche pour légalité, constitue à mes yeux lun des plus beaux exemples de mobilisation civique de notre pays. Cest la meilleure part de nous même qui est en éveil quand quelques uns arrivent à mettre en mouvement le plus grand nombre, pour repousser les frontières du possible et conquérir des droits nouveaux. Ces marcheurs demandaient justice et dignité, pour eux et leurs parents. Ils demandaient à ce que ce pays prenne en compte la réalité de la vie dans les banlieues.
Leur message est toujours dactualité et me tient lieu de viatique : ils ont marché pour légalité, et bien nous, nous devons remettre légalité en marche.
Je veux aussi dire un mot de Zyed et Bouna, morts en 2005 parce que notre pays na pas encore réussi à pacifier totalement les relations entre jeunesse des quartiers populaires et police. Le gouvernement va sy employer, parce que cest le sens, aussi, de légalité républicaine. Zyed et Bouna, je ne les connaissais pas, mais je pense parfois à eux, à leurs vies perdues, aux commencements avortés, au futur qui leur fut interdit, dérobé par un coup du sort. Je pense à leurs familles, et je me dis que nous leur devons le changement.
Nous devons faire mentir la loi non écrite qui veut que cest seulement quand les voitures brûlent que les choses changent. Nattendons pas que des émeutes éclatent pour engager la politique dont ce pays a besoin. Ce que nous proposons ce jour, nest pas la solution universelle qui va tout régler. Ce nest pas le énième plan « blabla-banlieue ». Parce que je ne veux pas promettre de tout changer en un jour. Cest un chemin nouveau.
Penser la politique de la ville n'est pas possible sans ses acteurs. Lune des leçons de la politique de la ville menée depuis vingt ans, c'est que lÉtat ne peut parvenir à organiser seul une réponse adaptée. Je crois donc que tous les acteurs publics, les collectivités locales, les élus, les acteurs associatifs, tous doivent se coordonner pour apporter des solutions aux difficultés des territoires meurtris.
Il sagit de créer une synergie contractuelle en articulant différentes compétences. La région, qui dispose de leviers en matière de développement économique, de formation professionnelle et d'apprentissage ; le département, dont les compétences sociales sont essentielles ; l'État, qui dispose d'effectifs d'enseignants, de policiers, et qui demeure le garant de la solidarité nationale lorsqu'elle est en danger. Mais, bien sûr, d'abord, l'échelon local, celui de la proximité, et qui est à même de construire un projet partagé par les acteurs, cohérent et efficace.
Dessiner les contours de cette nouvelle contractualisation est l'un des enjeux de vos travaux. J'en attends beaucoup.
Je le répète. Je ne vous invite pas seulement à vous asseoir à la table pour disserter paisiblement du cours des choses. Je vous invite à renverser la table pour changer le cours des choses. Jen appelle à toutes les personnes non résignées de notre pays et je leur lance un appel, lappel de Roubaix pour légalité urbaine.
Je leur dis avec simplicité : ne nous laissez pas tranquilles.
Que nos nuits courtes soient le gage de notre volonté daction, que cent pétitions fleurissent, que des collectifs se créent, que mille projets voient le jour, que le drapeau du changement soit porté haut par celles et ceux qui en ont besoin. Nous avons besoin de vous, de votre engagement, de votre persévérance, de votre action citoyenne.
Vous laurez compris, cette concertation nest quun début. Mais je souhaite que ce début soit à la fois calme et tonitruant, pour réveiller les consciences endormies, pour déranger les égoïsmes repus et bousculer les conservatismes asphyxiants.
Aidez-nous à faire de légalité des territoires une réalité en faisant de cette concertation un modèle de participation.
Remettons ensemble légalité en marche.
Je vous remercie.
Source http://www.territoires.gouv.fr, le 12 octobre 2012