Texte intégral
« La France et les perspectives de lélargissement : vers lEurope politique de demain »
Mesdames et Messieurs,
Chers amis,
Cest un grand plaisir de me trouver parmi vous, à loccasion de la visite que jeffectue en Slovaquie. Japprécie particulièrement cette opportunité qui mest donnée de rencontrer les jeunes Européens que vous êtes - futurs citoyens de lUnion européenne- et de vous exposer, à ce tournant du siècle, la vision française de notre Europe commune.
Je voudrais dabord, me trouvant à Bratislava, évoquer le défi de lélargissement, de lunification de lEurope, qui souvre à nous, avant desquisser les grands traits de lEurope renforcée et élargie, telle que nous la voyons pour les prochaines décennies.
I. Nous devons dabord réussir lélargissement : cest notre devoir commun et le défi que nous devons relever ensemble.
Je voudrais souligner en premier lieu lenjeu que représente lélargissement de lUnion européenne, en marquant bien que la France sy sent totalement impliquée.
Cest une chance historique que nous offre la disparition du Rideau de fer. Nous devons la saisir, pour aboutir, plus quà un nouvel élargissement, à une véritable unification de lEurope.
Cette unification est une chance pour la Slovaquie comme pour lensemble des pays dEurope centrale et orientale. Elle leur permettra de tourner définitivement la page de la Guerre froide. Lélargissement sera aussi une formidable chance de développement économique et social, lopportunité de rattraper plus rapidement les retards dus aux impasses des politiques menées par les régimes de ces pays dans laprès-guerre.
Mais lélargissement est également une chance pour les membres actuels de lUnion. Une Union plus large, se rapprochant des frontières naturelles de lEurope, accueillant des peuples avec leurs atouts, leur génie propre, cest une Europe plus forte.
La France est totalement engagée dans cette tâche historique de lunification européenne. Je sais que certains ont voulu répandre limage dune France réticente à lélargissement, soucieuse de se retrancher dans le confort dune Europe à Quinze. Cest faux : la France veut réussir lélargissement à lEst et, pour cela, elle souhaite que tous les atouts en soient réunis.
Nous souhaitons aider les pays candidats à satisfaire, le plus rapidement et dans les meilleures conditions possibles, aux exigences requises par ladhésion. Je veux bien faire comprendre la position de la France. Nous voulons être réalistes et sérieux dans la conduite des négociations. Nous ne serons donc pas démagogues.
2. En effet, et je voudrais y venir maintenant, lélargissement, sil est une chance historique, représente également un réel défi, pour les pays candidats comme pour lUnion actuelle.
Pour les pays candidats, leffort demandé pour reprendre, selon le jargon européen, « lacquis communautaire », cest-à-dire lensemble des règles et disciplines qui conditionnent le fonctionnement de lUnion, est tout à fait considérable : nous en avons conscience.
Les pays candidats ont un niveau de développement économique encore inférieur à la moyenne communautaire, ils possèdent des structures économiques et sociales différentes. Or il est bien clair que leur adhésion précipitée à un environnement totalement concurrentiel, en même temps quà un marché régi par des disciplines contraignantes et des contrôles rigoureux, pourrait représenter une menace pour leur équilibre économique, social, voire politique.
Les négociations seront exigeantes. Les pays candidats doivent réformer des pans entiers de leur économie, de leur structures sociales pour les adapter à ce nouveau contexte. Beaucoup de ces réformes ont été engagées. Nombre dentre elles auraient été, de toute façon, nécessaires.
Je veux insister également, au-delà des aspects sociaux, économiques, commerciaux, sur le fait quil est essentiel que les pays candidats adhèrent totalement et sans ambiguïté à ce qui constitue lessence de la construction européenne, cest-à-dire aux valeurs de démocratie et de liberté qui fondent nos sociétés. Vous savez que ce sont ces questions qui avaient, jusquici contribué à ce que la Slovaquie ne figure pas dans le premier groupe de candidats, avec lesquels les négociations ont été engagées en 1998.
La situation a aujourdhui évolué favorablement, ce dont nous nous réjouissons. Jespère vivement que les Autorités slovaques - et tel a été mon message, au nom de la France, tout au long de cette visite - prendront rapidement toutes les décisions qui simposent pour confirmer de façon durable le fonctionnement stable et démocratique des institutions de votre pays.
Dune façon générale, je voudrais rappeler que ce qui importe le plus, à nos yeux, cest la conduite sérieuse du processus, sans être obnubilé par la date de sa conclusion. Autant il est important et positif que les pays candidats se fixent des objectifs et un calendrier pour leurs réformes internes, autant il ne serait pas utile, à ce stade, que lUnion se fixe une échéance pré-déterminée. Encore une fois, limportant nest pas de figer le processus, au risque de déstabiliser certains candidats, mais de réussir lélargissement, dabord dans votre propre intérêt.
Dautant que leffort de préparation à lélargissement sera dune nature différente, mais tout aussi considérable, pour les pays actuels de lUnion.
Il est vital, en effet, pour nous, que lélargissement ne se traduise pas par une perte de substance pour lUnion européenne, pour la force intégratrice de ses politiques communes et pour ses ambitions politiques. Lélargissement ne doit pas entraîner la dilution de lidée européenne dans une zone de libre-échange.
Deux défis doivent donc être relevés.
Le premier est celui de la réforme du cadre financier et des politiques communes de lUnion afin de les adapter à la perspective de lentrée de pays qui auront, au départ, et en dépit de leurs efforts, des capacités contributives modestes au budget européen et, en revanche, des besoins considérables en matière de solidarité, quil sagisse de la politique agricole ou des politiques structurelles.
Cétait lobjet des négociations dites de « lAgenda 2000 », qui viennent daboutir à Berlin, la semaine dernière, ce qui était loin dêtre acquis et ce qui représente donc une grande réussite. Il était indispensable de réformer les politiques communes dans le sens de la rigueur budgétaire, dune meilleure efficacité et dun meilleur ciblage vers les régions ou les activités qui ont réellement besoin dun effort de solidarité. Je crois donc que nous pouvons nous satisfaire pleinement de laccord conclu.
Le deuxième impératif, cest celui de la réforme institutionnelle. La démission collective de la Commission, à la suite du Rapport des experts indépendants, a montré à la fois la nécessité de réformer les institutions et la dynamique qui sest dores et déjà mise en marche pour atteindre cet objectif.
Il est clair que lUnion européenne ne pourrait pas fonctionner avec 20 ou 25 Etats membres, si rien nétait modifié dans lagencement actuel. Depuis plusieurs années, la France indique donc de la manière la plus claire quil est impératif quune réforme profonde des institutions ait lieu avant tout nouvel élargissement. Cette réforme est nécessaire pour lEurope des Quinze ; cest dabord pour cela que nous la souhaitons. Elle est vitale dans la perspective de lEurope réunifiée : elle est donc vitale pour la Slovaquie comme pour les autres pays candidats. Il ny aura pas dEurope forte avec des institutions faibles.
Il ny a pas de temps à perdre. Nous souhaitons pouvoir aboutir dici la fin de lan 2000. Ainsi, aucun retard ne sera pris pour lélargissement lui-même, et nous pourrons alors faire de cette Europe élargie un ensemble plus fort et plus stable, en un mot, lUnion politique que nous souhaitons.
II. Cest pourquoi, après avoir rappelé devant vous les principaux enjeux de lélargissement, je voudrais maintenant vous exposer nos vues de ce que pourrait être lEurope élargie et renforcée du siècle prochain
LEurope de demain devrait, selon moi, se donner trois grandes ambitions :
· être un modèle politique, fondé sur les valeurs de démocratie et de paix, à lintérieur de ses frontières et sur la scène internationale ;
· être un modèle économique et social, articulant au mieux la prospérité économique et le progrès social.
· être un modèle culturel, fondé sur notre identité commune.
1.Première ambition, donc, lEurope de demain devra être un modèle politique, cest-à-dire une forme inédite dorganisation démocratique regroupant, dans un but commun, des Etats indépendants et jouant tout son rôle sur la scène internationale.
Je lai dit à propos des négociations dadhésion, lEurope est avant tout une communauté de valeurs. Sa première ambition est de consacrer la paix et la démocratie sur notre continent. Les citoyens dEurope occidentale peuvent aujourdhui exprimer des doutes face à la construction européenne car ils considèrent, depuis longtemps - à lexception de la péninsule ibérique et de la Grèce, qui ont connu la dictature jusquaux années 70 - que ces valeurs sont acquises.
En revanche, je sais toute la signification que cette ambition a pour vous, alors que votre pays a connu pendant cinquante ans lagression nazie puis un régime communiste.
Le modèle politique européen recouvre, selon moi, trois dimensions : des institutions européennes démocratiques et efficaces, un espace européen de liberté et de sécurité, une politique étrangère et de sécurité à la mesure de ses ambitions.
Sagissant du premier volet, les institutions, je voudrais dire, de façon préliminaire, que je ne crois pas, personnellement, aux débats quelque peu théologiques sur le caractère fédéral que devra avoir, ou pas, lEurope de demain. LEurope développe dores et déjà des politiques fédérales, leuro en est évidemment un exemple. En même temps, il serait vain de nier lattachement légitime des citoyens à leurs propres nations, qui restent le cadre naturel dans lequel se développe le génie propre de chaque peuple.
Cest donc à une construction inédite, pragmatique et ambitieuse quil faut sattacher, en faisant la part, du mieux possible, entre les compétences qui demeureront en tout état de cause du ressort des Etats et celles qui gagneront à être conservées ou transférées au niveau européen.
Ceci posé, lEurope devra tout dabord être dotée dinstitutions démocratiques et efficaces afin de pouvoir fonctionner avec 20, 25, voire 30 Etats membres. Je lai dit, cest une question que les 15 membres actuels doivent impérativement traiter - en tout cas commencer à traiter - avant lélargissement.
Sans entrer dans les détails, une telle architecture institutionnelle suppose, selon moi, une Commission européenne à leffectif limité, au profil politique rehaussé, au fonctionnement plus collégial, et plus soucieuse de rendre compte de son action aux citoyens européens - la nomination de Romano Prodi est, à cet égard, un premier élément très positif -, un Conseil des ministres pratiquant le plus souvent possible le vote à la majorité qualifiée avec, en corollaire, une repondération des voix entre Etats et, enfin, un Parlement européen fort et légitime, qui soit le creuset de la démocratie européenne.
Le deuxième volet du modèle politique doit être celui des libertés et de la sécurité intérieure. La construction européenne doit avoir pour ambition doffrir à ses citoyens plus de libertés et plus de sécurité.
Avec le traité dAmsterdam, qui va bientôt entrer en vigueur, lUnion se fixe lobjectif de mettre en place un « espace de liberté, de sécurité et de justice ». La convention de Schengen, puis le traité de Maastricht, ont largement contribué au développement de la coopération policière et judiciaire entre les Etats membres. Mais cela ne suffit plus.
Nous devons nous rendre à lévidence : plus aucun pays ne peut apporter seul une réponse à laction transnationale des mafias ou à lextension de la criminalité organisée, pas davantage quà la question de la nécessaire maîtrise des flux migratoires.
Il convient dès lors que lEurope soit en mesure de conduire une action efficace et équilibrée, entre les mesures destinées à assurer la sécurité des citoyens et celles permettant la mise en place dun espace de liberté.
Troisième volet, une Europe politique, ce doit être également une Europe qui trouve dans le monde un rôle à sa mesure et, surtout, qui soit capable dassurer sa propre sécurité.
Les crises actuelles, en Iraq comme sur notre continent - je pense bien sûr à la situation dramatique au Kossovo, comme hier à la Bosnie - montrent à la fois les lacunes de la Politique étrangère et de sécurité commune telle quelle sexerce aujourdhui et lexigence qui existe en la matière.
Ces lacunes doivent nous inciter, nous obliger à plus dEurope : cela signifie des moyens plus efficaces pour la PESC, cela signifie surtout une volonté politique forte. Je veux être optimiste et penser que les Européens, daujourdhui et de demain, sauront montrer autant de détermination dans ce domaine quil en a fallu pour que naisse la monnaie unique.
De fait, comme leuro, une politique étrangère et de sécurité européenne est un aspect essentiel de laffirmation de lEurope dans le monde et de la préservation de nos valeurs.
Cette politique ne devra pas, selon moi, se concevoir sans lien avec une politique de défense commune. Lintégration européenne demeurerait, en effet, incomplète si elle noffrait pas à ses citoyens lassurance quelle peut contribuer à leur sécurité extérieure. Il est sûr que beaucoup de chemin reste à faire, notamment en raison des différences de traditions et de perception qui existent chez les Etats membres actuels comme chez nos futurs partenaires.
Mais les esprits évoluent, comme la montré la Déclaration franco-britannique adoptée lors du sommet de Saint-Malo, en décembre dernier, et qui affirme lobjectif dune capacité autonome daction des Européens, appuyée sur des forces crédibles, tout cela devant contribuer également à la vitalité dune Alliance atlantique elle aussi élargie et rénovée. Elle a suscité, depuis, un vif intérêt de la part dautres partenaires. On peut penser que la crise qui a éclaté au Kosovo conduira à laccélération des travaux à 15 dans ce domaine.
2.La deuxième grande ambition de lEurope de demain doit être de devenir un modèle économique et social, garant de la meilleure articulation possible entre performance économique et progrès social.
LEurope doit sefforcer de demeurer, ou plutôt devenir, avec leuro, après leuro, un espace de croissance économique.
A linitiative de la France, un Conseil de leuro a été créé. Il doit être la préfiguration dun véritable gouvernement économique, qui aurait pour ambition, face à la Banque centrale européenne indépendante, de définir une politique économique européenne tournée vers la croissance, grâce à une coordination et une harmonisation plus poussées entre les Etats membres, notamment en matière fiscale.
La performance économique doit être mise au service dune Europe des solidarités. Lemploi doit être la priorité, alors que le chômage frappe encore lourdement nos pays. Là aussi, la France a contribué grandement, depuis 1997, avec dautres, à faire de la lutte contre le chômage une priorité de laction de lEurope, notamment avec le « Pacte européen pour lemploi » qui va se mettre en place cette année.
LEurope sociale devra également signifier, plus quaujourdhui, des avancées en matière de droits sociaux - je pense à la durée du travail, au revenu minimum, aux conditions de travail -, mais aussi linstauration dun dialogue social à léchelle européenne et la préservation du rôle des services publics, auxquels la France tient beaucoup.
Nous réfléchissons ainsi à létablissement dune Charte des droits politiques et sociaux du citoyen, qui pourrait, au-delà de principes généraux, de caractère politique, rappelant lattachement de lUnion aux libertés, à la démocratie et aux droits de lhomme, consacrer un certain nombre de droits économiques et sociaux nouveaux : droit à léducation, à la santé, au logement, au revenu minimum... Une telle Charte pourrait permettre de retremper, en quelque sorte, le pacte fondateur de lEurope des peuples.
La solidarité européenne devra également continuer à se mesurer entre régions riches et régions pauvres, entre zones prospères et zones en déclin : cest lun des principaux acquis de la construction européenne que dêtre parvenue, depuis plusieurs décennies, à instaurer ces politiques qui ont largement contribué à réduire les écarts de richesse entre pays membres.
3.Enfin, lEurope doit avoir pour ambition de devenir un véritable modèle culturel, fondé sur notre identité européenne commune, riche de ses diversités.
La culture est une dimension essentielle de lEurope. Pourtant, trop peu de choses existent encore dans ce domaine. Nous devons avancer vers une Europe de la création et des industries culturelles, faute de quoi notre « exception » aura de plus en plus de mal à résister à luniformisation du modèle américain.
Cela passe aussi, bien sur, par léducation. Il faut aller vers une université européenne. Jai moi-même proposé lidée dun « Acte unique de lEurope de la connaissance » pour rendre effective lEurope du savoir, en supprimant toutes les entraves à la liberté de circulation des étudiants, des enseignants et des chercheurs, à un horizon donné. Car cest bien la question de ladhésion de la jeunesse à lidéal européen qui est finalement posée et qui déterminera tout le reste. LEurope doit apparaître à ses yeux, à vos yeux, comme lidée neuve du siècle prochain et se traduire de manière concrète par la circulation des savoirs et la reconnaissance des diplômes et des qualifications.
Je voudrais, en conclusion, vous dire - même si lexpression est trop souvent galvaudée - que lEurope, cinquante ans après la déclaration Schuman, se trouve à un tournant de son histoire. Alors quelle vient de franchir létape décisive de leuro, elle se trouve face au triple défi de la réforme de ses structures et de ses politiques, de son élargissement et, avant tout, je crois lavoir montré, de son enracinement comme projet collectif des peuples.
Je souhaite profondément que Français et Slovaques puissent franchir ensemble ces étapes. Je suis convaincu que notre amitié ancienne et profonde nous donnera lénergie et lenthousiasme de bâtir, de Paris à Bratislava, lEurope, la grande et belle Europe de demain.
Je vous remercie de votre attention.
(Source http ://www.diplomatie.gouv.fr, le 7 avril 1999)
Mesdames et Messieurs,
Chers amis,
Cest un grand plaisir de me trouver parmi vous, à loccasion de la visite que jeffectue en Slovaquie. Japprécie particulièrement cette opportunité qui mest donnée de rencontrer les jeunes Européens que vous êtes - futurs citoyens de lUnion européenne- et de vous exposer, à ce tournant du siècle, la vision française de notre Europe commune.
Je voudrais dabord, me trouvant à Bratislava, évoquer le défi de lélargissement, de lunification de lEurope, qui souvre à nous, avant desquisser les grands traits de lEurope renforcée et élargie, telle que nous la voyons pour les prochaines décennies.
I. Nous devons dabord réussir lélargissement : cest notre devoir commun et le défi que nous devons relever ensemble.
Je voudrais souligner en premier lieu lenjeu que représente lélargissement de lUnion européenne, en marquant bien que la France sy sent totalement impliquée.
Cest une chance historique que nous offre la disparition du Rideau de fer. Nous devons la saisir, pour aboutir, plus quà un nouvel élargissement, à une véritable unification de lEurope.
Cette unification est une chance pour la Slovaquie comme pour lensemble des pays dEurope centrale et orientale. Elle leur permettra de tourner définitivement la page de la Guerre froide. Lélargissement sera aussi une formidable chance de développement économique et social, lopportunité de rattraper plus rapidement les retards dus aux impasses des politiques menées par les régimes de ces pays dans laprès-guerre.
Mais lélargissement est également une chance pour les membres actuels de lUnion. Une Union plus large, se rapprochant des frontières naturelles de lEurope, accueillant des peuples avec leurs atouts, leur génie propre, cest une Europe plus forte.
La France est totalement engagée dans cette tâche historique de lunification européenne. Je sais que certains ont voulu répandre limage dune France réticente à lélargissement, soucieuse de se retrancher dans le confort dune Europe à Quinze. Cest faux : la France veut réussir lélargissement à lEst et, pour cela, elle souhaite que tous les atouts en soient réunis.
Nous souhaitons aider les pays candidats à satisfaire, le plus rapidement et dans les meilleures conditions possibles, aux exigences requises par ladhésion. Je veux bien faire comprendre la position de la France. Nous voulons être réalistes et sérieux dans la conduite des négociations. Nous ne serons donc pas démagogues.
2. En effet, et je voudrais y venir maintenant, lélargissement, sil est une chance historique, représente également un réel défi, pour les pays candidats comme pour lUnion actuelle.
Pour les pays candidats, leffort demandé pour reprendre, selon le jargon européen, « lacquis communautaire », cest-à-dire lensemble des règles et disciplines qui conditionnent le fonctionnement de lUnion, est tout à fait considérable : nous en avons conscience.
Les pays candidats ont un niveau de développement économique encore inférieur à la moyenne communautaire, ils possèdent des structures économiques et sociales différentes. Or il est bien clair que leur adhésion précipitée à un environnement totalement concurrentiel, en même temps quà un marché régi par des disciplines contraignantes et des contrôles rigoureux, pourrait représenter une menace pour leur équilibre économique, social, voire politique.
Les négociations seront exigeantes. Les pays candidats doivent réformer des pans entiers de leur économie, de leur structures sociales pour les adapter à ce nouveau contexte. Beaucoup de ces réformes ont été engagées. Nombre dentre elles auraient été, de toute façon, nécessaires.
Je veux insister également, au-delà des aspects sociaux, économiques, commerciaux, sur le fait quil est essentiel que les pays candidats adhèrent totalement et sans ambiguïté à ce qui constitue lessence de la construction européenne, cest-à-dire aux valeurs de démocratie et de liberté qui fondent nos sociétés. Vous savez que ce sont ces questions qui avaient, jusquici contribué à ce que la Slovaquie ne figure pas dans le premier groupe de candidats, avec lesquels les négociations ont été engagées en 1998.
La situation a aujourdhui évolué favorablement, ce dont nous nous réjouissons. Jespère vivement que les Autorités slovaques - et tel a été mon message, au nom de la France, tout au long de cette visite - prendront rapidement toutes les décisions qui simposent pour confirmer de façon durable le fonctionnement stable et démocratique des institutions de votre pays.
Dune façon générale, je voudrais rappeler que ce qui importe le plus, à nos yeux, cest la conduite sérieuse du processus, sans être obnubilé par la date de sa conclusion. Autant il est important et positif que les pays candidats se fixent des objectifs et un calendrier pour leurs réformes internes, autant il ne serait pas utile, à ce stade, que lUnion se fixe une échéance pré-déterminée. Encore une fois, limportant nest pas de figer le processus, au risque de déstabiliser certains candidats, mais de réussir lélargissement, dabord dans votre propre intérêt.
Dautant que leffort de préparation à lélargissement sera dune nature différente, mais tout aussi considérable, pour les pays actuels de lUnion.
Il est vital, en effet, pour nous, que lélargissement ne se traduise pas par une perte de substance pour lUnion européenne, pour la force intégratrice de ses politiques communes et pour ses ambitions politiques. Lélargissement ne doit pas entraîner la dilution de lidée européenne dans une zone de libre-échange.
Deux défis doivent donc être relevés.
Le premier est celui de la réforme du cadre financier et des politiques communes de lUnion afin de les adapter à la perspective de lentrée de pays qui auront, au départ, et en dépit de leurs efforts, des capacités contributives modestes au budget européen et, en revanche, des besoins considérables en matière de solidarité, quil sagisse de la politique agricole ou des politiques structurelles.
Cétait lobjet des négociations dites de « lAgenda 2000 », qui viennent daboutir à Berlin, la semaine dernière, ce qui était loin dêtre acquis et ce qui représente donc une grande réussite. Il était indispensable de réformer les politiques communes dans le sens de la rigueur budgétaire, dune meilleure efficacité et dun meilleur ciblage vers les régions ou les activités qui ont réellement besoin dun effort de solidarité. Je crois donc que nous pouvons nous satisfaire pleinement de laccord conclu.
Le deuxième impératif, cest celui de la réforme institutionnelle. La démission collective de la Commission, à la suite du Rapport des experts indépendants, a montré à la fois la nécessité de réformer les institutions et la dynamique qui sest dores et déjà mise en marche pour atteindre cet objectif.
Il est clair que lUnion européenne ne pourrait pas fonctionner avec 20 ou 25 Etats membres, si rien nétait modifié dans lagencement actuel. Depuis plusieurs années, la France indique donc de la manière la plus claire quil est impératif quune réforme profonde des institutions ait lieu avant tout nouvel élargissement. Cette réforme est nécessaire pour lEurope des Quinze ; cest dabord pour cela que nous la souhaitons. Elle est vitale dans la perspective de lEurope réunifiée : elle est donc vitale pour la Slovaquie comme pour les autres pays candidats. Il ny aura pas dEurope forte avec des institutions faibles.
Il ny a pas de temps à perdre. Nous souhaitons pouvoir aboutir dici la fin de lan 2000. Ainsi, aucun retard ne sera pris pour lélargissement lui-même, et nous pourrons alors faire de cette Europe élargie un ensemble plus fort et plus stable, en un mot, lUnion politique que nous souhaitons.
II. Cest pourquoi, après avoir rappelé devant vous les principaux enjeux de lélargissement, je voudrais maintenant vous exposer nos vues de ce que pourrait être lEurope élargie et renforcée du siècle prochain
LEurope de demain devrait, selon moi, se donner trois grandes ambitions :
· être un modèle politique, fondé sur les valeurs de démocratie et de paix, à lintérieur de ses frontières et sur la scène internationale ;
· être un modèle économique et social, articulant au mieux la prospérité économique et le progrès social.
· être un modèle culturel, fondé sur notre identité commune.
1.Première ambition, donc, lEurope de demain devra être un modèle politique, cest-à-dire une forme inédite dorganisation démocratique regroupant, dans un but commun, des Etats indépendants et jouant tout son rôle sur la scène internationale.
Je lai dit à propos des négociations dadhésion, lEurope est avant tout une communauté de valeurs. Sa première ambition est de consacrer la paix et la démocratie sur notre continent. Les citoyens dEurope occidentale peuvent aujourdhui exprimer des doutes face à la construction européenne car ils considèrent, depuis longtemps - à lexception de la péninsule ibérique et de la Grèce, qui ont connu la dictature jusquaux années 70 - que ces valeurs sont acquises.
En revanche, je sais toute la signification que cette ambition a pour vous, alors que votre pays a connu pendant cinquante ans lagression nazie puis un régime communiste.
Le modèle politique européen recouvre, selon moi, trois dimensions : des institutions européennes démocratiques et efficaces, un espace européen de liberté et de sécurité, une politique étrangère et de sécurité à la mesure de ses ambitions.
Sagissant du premier volet, les institutions, je voudrais dire, de façon préliminaire, que je ne crois pas, personnellement, aux débats quelque peu théologiques sur le caractère fédéral que devra avoir, ou pas, lEurope de demain. LEurope développe dores et déjà des politiques fédérales, leuro en est évidemment un exemple. En même temps, il serait vain de nier lattachement légitime des citoyens à leurs propres nations, qui restent le cadre naturel dans lequel se développe le génie propre de chaque peuple.
Cest donc à une construction inédite, pragmatique et ambitieuse quil faut sattacher, en faisant la part, du mieux possible, entre les compétences qui demeureront en tout état de cause du ressort des Etats et celles qui gagneront à être conservées ou transférées au niveau européen.
Ceci posé, lEurope devra tout dabord être dotée dinstitutions démocratiques et efficaces afin de pouvoir fonctionner avec 20, 25, voire 30 Etats membres. Je lai dit, cest une question que les 15 membres actuels doivent impérativement traiter - en tout cas commencer à traiter - avant lélargissement.
Sans entrer dans les détails, une telle architecture institutionnelle suppose, selon moi, une Commission européenne à leffectif limité, au profil politique rehaussé, au fonctionnement plus collégial, et plus soucieuse de rendre compte de son action aux citoyens européens - la nomination de Romano Prodi est, à cet égard, un premier élément très positif -, un Conseil des ministres pratiquant le plus souvent possible le vote à la majorité qualifiée avec, en corollaire, une repondération des voix entre Etats et, enfin, un Parlement européen fort et légitime, qui soit le creuset de la démocratie européenne.
Le deuxième volet du modèle politique doit être celui des libertés et de la sécurité intérieure. La construction européenne doit avoir pour ambition doffrir à ses citoyens plus de libertés et plus de sécurité.
Avec le traité dAmsterdam, qui va bientôt entrer en vigueur, lUnion se fixe lobjectif de mettre en place un « espace de liberté, de sécurité et de justice ». La convention de Schengen, puis le traité de Maastricht, ont largement contribué au développement de la coopération policière et judiciaire entre les Etats membres. Mais cela ne suffit plus.
Nous devons nous rendre à lévidence : plus aucun pays ne peut apporter seul une réponse à laction transnationale des mafias ou à lextension de la criminalité organisée, pas davantage quà la question de la nécessaire maîtrise des flux migratoires.
Il convient dès lors que lEurope soit en mesure de conduire une action efficace et équilibrée, entre les mesures destinées à assurer la sécurité des citoyens et celles permettant la mise en place dun espace de liberté.
Troisième volet, une Europe politique, ce doit être également une Europe qui trouve dans le monde un rôle à sa mesure et, surtout, qui soit capable dassurer sa propre sécurité.
Les crises actuelles, en Iraq comme sur notre continent - je pense bien sûr à la situation dramatique au Kossovo, comme hier à la Bosnie - montrent à la fois les lacunes de la Politique étrangère et de sécurité commune telle quelle sexerce aujourdhui et lexigence qui existe en la matière.
Ces lacunes doivent nous inciter, nous obliger à plus dEurope : cela signifie des moyens plus efficaces pour la PESC, cela signifie surtout une volonté politique forte. Je veux être optimiste et penser que les Européens, daujourdhui et de demain, sauront montrer autant de détermination dans ce domaine quil en a fallu pour que naisse la monnaie unique.
De fait, comme leuro, une politique étrangère et de sécurité européenne est un aspect essentiel de laffirmation de lEurope dans le monde et de la préservation de nos valeurs.
Cette politique ne devra pas, selon moi, se concevoir sans lien avec une politique de défense commune. Lintégration européenne demeurerait, en effet, incomplète si elle noffrait pas à ses citoyens lassurance quelle peut contribuer à leur sécurité extérieure. Il est sûr que beaucoup de chemin reste à faire, notamment en raison des différences de traditions et de perception qui existent chez les Etats membres actuels comme chez nos futurs partenaires.
Mais les esprits évoluent, comme la montré la Déclaration franco-britannique adoptée lors du sommet de Saint-Malo, en décembre dernier, et qui affirme lobjectif dune capacité autonome daction des Européens, appuyée sur des forces crédibles, tout cela devant contribuer également à la vitalité dune Alliance atlantique elle aussi élargie et rénovée. Elle a suscité, depuis, un vif intérêt de la part dautres partenaires. On peut penser que la crise qui a éclaté au Kosovo conduira à laccélération des travaux à 15 dans ce domaine.
2.La deuxième grande ambition de lEurope de demain doit être de devenir un modèle économique et social, garant de la meilleure articulation possible entre performance économique et progrès social.
LEurope doit sefforcer de demeurer, ou plutôt devenir, avec leuro, après leuro, un espace de croissance économique.
A linitiative de la France, un Conseil de leuro a été créé. Il doit être la préfiguration dun véritable gouvernement économique, qui aurait pour ambition, face à la Banque centrale européenne indépendante, de définir une politique économique européenne tournée vers la croissance, grâce à une coordination et une harmonisation plus poussées entre les Etats membres, notamment en matière fiscale.
La performance économique doit être mise au service dune Europe des solidarités. Lemploi doit être la priorité, alors que le chômage frappe encore lourdement nos pays. Là aussi, la France a contribué grandement, depuis 1997, avec dautres, à faire de la lutte contre le chômage une priorité de laction de lEurope, notamment avec le « Pacte européen pour lemploi » qui va se mettre en place cette année.
LEurope sociale devra également signifier, plus quaujourdhui, des avancées en matière de droits sociaux - je pense à la durée du travail, au revenu minimum, aux conditions de travail -, mais aussi linstauration dun dialogue social à léchelle européenne et la préservation du rôle des services publics, auxquels la France tient beaucoup.
Nous réfléchissons ainsi à létablissement dune Charte des droits politiques et sociaux du citoyen, qui pourrait, au-delà de principes généraux, de caractère politique, rappelant lattachement de lUnion aux libertés, à la démocratie et aux droits de lhomme, consacrer un certain nombre de droits économiques et sociaux nouveaux : droit à léducation, à la santé, au logement, au revenu minimum... Une telle Charte pourrait permettre de retremper, en quelque sorte, le pacte fondateur de lEurope des peuples.
La solidarité européenne devra également continuer à se mesurer entre régions riches et régions pauvres, entre zones prospères et zones en déclin : cest lun des principaux acquis de la construction européenne que dêtre parvenue, depuis plusieurs décennies, à instaurer ces politiques qui ont largement contribué à réduire les écarts de richesse entre pays membres.
3.Enfin, lEurope doit avoir pour ambition de devenir un véritable modèle culturel, fondé sur notre identité européenne commune, riche de ses diversités.
La culture est une dimension essentielle de lEurope. Pourtant, trop peu de choses existent encore dans ce domaine. Nous devons avancer vers une Europe de la création et des industries culturelles, faute de quoi notre « exception » aura de plus en plus de mal à résister à luniformisation du modèle américain.
Cela passe aussi, bien sur, par léducation. Il faut aller vers une université européenne. Jai moi-même proposé lidée dun « Acte unique de lEurope de la connaissance » pour rendre effective lEurope du savoir, en supprimant toutes les entraves à la liberté de circulation des étudiants, des enseignants et des chercheurs, à un horizon donné. Car cest bien la question de ladhésion de la jeunesse à lidéal européen qui est finalement posée et qui déterminera tout le reste. LEurope doit apparaître à ses yeux, à vos yeux, comme lidée neuve du siècle prochain et se traduire de manière concrète par la circulation des savoirs et la reconnaissance des diplômes et des qualifications.
Je voudrais, en conclusion, vous dire - même si lexpression est trop souvent galvaudée - que lEurope, cinquante ans après la déclaration Schuman, se trouve à un tournant de son histoire. Alors quelle vient de franchir létape décisive de leuro, elle se trouve face au triple défi de la réforme de ses structures et de ses politiques, de son élargissement et, avant tout, je crois lavoir montré, de son enracinement comme projet collectif des peuples.
Je souhaite profondément que Français et Slovaques puissent franchir ensemble ces étapes. Je suis convaincu que notre amitié ancienne et profonde nous donnera lénergie et lenthousiasme de bâtir, de Paris à Bratislava, lEurope, la grande et belle Europe de demain.
Je vous remercie de votre attention.
(Source http ://www.diplomatie.gouv.fr, le 7 avril 1999)