Déclaration de M. Patrick Devedjian, délégué général et porte-parole du RPR, à Europe 1 le 26 juillet 2001, sur l'usage des fonds secrets et sur l'accueil favorable fait par l'Assemblée nationale à la demande des juges de communiquer les déclarations de patrimoine de Jacques Chirac entre 1988 et 1993.

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Média : Europe 1

Texte intégral

L'Assemblée nationale va donc transmettre aux juges les déclarations de patrimoine du député J. Chirac faites entre 1988 et 1993. Les élus de gauche ont voté en faveur de la demande des juges ; les élus de droite protestent et dénoncent la manoeuvre politique. Mais, franchement, est-ce que des députés pouvaient refuser, dire non à des magistrats ?
- "Sans doute pas, mais ils auraient pu appliquer la loi, tout simplement. La loi, c'est que normalement, ces déclarations de patrimoine soient transmises à la Commission de la transparence. C'est assez singulier que ces juges qui savent qu'il n'y a rien dans la déclaration de patrimoine - le président de la République l'a dit -, s'adressent à l'Assemblée nationale alors que l'instance compétente, c'est la Commission de transparence de la vie politique. Elle a été instituée après, mais elle aurait dû recevoir, par cohérence, naturellement, l'ensemble des déclarations de patrimoine. Cela aurait d'ailleurs évité un certain nombre de choses. Vous vous souvenez qu'en 1993, quand les socialistes ont perdu le pouvoir, comme par hasard, on a dit qu'on avait volé vingt-cinq déclarations de patrimoine de ministres socialistes, au moment où ils quittaient le pouvoir à l'Assemblée nationale. Cela aurait évité ce genre de problème."
Qu'est-ce que cela veut dire, selon vous, que les juges saisissent l'Assemblée nationale ? Qu'ils veulent mouiller les parlementaires ?
- "Cela signifie qu'ils veulent médiatiser cela et faire de la publicité. J'ai d'ailleurs été surpris qu'il n'y ait pas les trois juges demandeurs. Je me demande s'ils s'entendent toujours aussi bien..."
Il y a un qui est en vacances.
- "Oui, mais enfin cela n'empêche pas d'être aussi requérant à la demande et de marquer leur solidarité là-dedans ; cela m'a un peu surpris. Mais les juges savaient surtout qu'il n'y avait rien dedans ; l'Elysée l'a dit..."
...Ils font leur boulot quand même !
- "Ce n'est pas leur boulot."
Ce n'est pas aux politiques de dire aux magistrats ce qu'ils doivent décider de saisir comme documents ?
- "Je suis d'accord avec vous. Simplement, les politiques auraient pu leur dire : "Ce n'est pas notre travail de faire de la justice. La loi a prévu une Commission de la transparence financière et nous lui transmettons, comme cela est prévu, toutes les déclarations des parlementaires. Adressez-vous à elle et elle fera son travail." Seulement, cela aurait été évidemment moins médiatique, cela aurait permis moins d'exploitation politicienne, et c'est visiblement pas ce qu'on recherche."
"Exploitation politicienne", dites-vous, à propos des magistrats. Mais exploitation politicienne aussi de la part de la gauche, de la majorité, du président
de l'Assemblée ?
- "J'entendais les leçons de morale des uns et des autres : "Il faut être transparent ; il n'a pas déclaré ses primes...." Il n'y a pas un seul ministre ou ancien Premier ministre qui ait jamais déclaré les primes en provenance des fonds secrets. Personne ! et d'ailleurs, chez les politiques comme chez les fonctionnaires, y compris d'ailleurs le président de l'Assemblée nationale, qui reçoit lui-même une indemnité substantielle, chaque mois, de la questure et qui est non fiscalisée. Ce sont des pratiques discutables..."
Cela veut dire que tout le monde triche ?
- "Non, cela veut dire que comme on paye mal, et les fonctionnaires et les politiques - vous savez, payer un ministre 35 000 francs par mois, ce n'est pas non plus très raisonnable - eh bien, on se rattrape avec des petits procédés, avec des bouts de ficelle un peu clandestins, et ceci depuis toujours. Je suis d'accord pour la transparence, mais il faudrait qu'elle soit générale. Je ne vois pas pourquoi seul J. Chirac aurait dû déclarer quelque chose que tout le monde par ailleurs reçoit."
Mais il y a une faute quand même, ou pas, pour tout le monde d'ailleurs, J. Chirac comme les autres ? Le citoyen moyen se dit que s'il ne déclare pas quelque somme reçue, même en espèces, qu'il est poursuivi par le fisc...
- "D'abord, légalement, il n'y a pas de faute, puisque les fonds secrets, par définition et par leur statut même, n'ont pas à être déclarés : ils sont secrets. D'autre part, s'il fallait entrer dans ces considérations, [il y a] la déchéance quadriennale - la prescription est de quatre ans en matière fiscale. Donc, ils sont singuliers ces juges, parce qu'ils cherchent des choses qu'ils n'ont pas à chercher. Il se sont déclarés incompétents, ils n'ont plus à investiguer, en tous les cas sur la personne de J. Chirac."
Mais ils peuvent investiguer autour ?
- "Ce n'est pas autour, c'est directement sur lui qu'ils investiguent. D'ailleurs, leur lettre est claire : c'est sur la personne de J. Chirac qu'ils sont centré, en même temps avec énormément d'approximations : on est dans le flou le plus complet. Quand on lit l'ordonnance qu'un journal a publiée intégralement, on est frappé de l'approximation avec laquelle les accusations les plus graves sont prononcées. L'inégalité aussi. Par exemple, les ministres socialistes qui sont accusés directement dans cette ordonnance, n'ont pas été mis en examen, mais les dirigeants de droite, eux l'ont été. Donc, il y a vraiment deux poids deux mesures, beaucoup d'approximations... On dit qu'il y a de l'argent en espèces. Combien ? On ne sait pas ; les juges ne le savent pas eux-mêmes et ils disent qu'il y en a, qu'il a circulé entre les uns et les autres... Combien ? A quelle occasion ? On ne sait pas. On est quand même dans le domaine de la justice, on n'est pas dans le domaine du commentaire, et la justice, dans un pays démocratique, doit procéder avec précision : les accusations doivent être précises et non pas approximatives et floues, comme on le lit, de manière consternante, dans ce document."
Dans le document que vous citez et qui a été publié par Le Monde, on revient sur la somme du montant des voyages payés par J. Chirac en liquide, et on trouve toujours la somme de 2 205 000 francs. Le président de la République, le 14 Juillet, avait dit : "pschitt", cela va se dégonfler." Or, quand on lit cela, on a l'impression que cela ne se dégonfle pas ?
- "Parce que les juges n'ont même pas fait le travail de vérification précise de cette addition qui représente 2,2 millions. La seule vérification qu'on ait faite, a été celle de C. Chirac et de T. Rey pour un voyage au Kenya où il y en avait pour plus de 100 000 francs, et puis on s'est aperçu que ce n'est pas vrai. Si on passe au tamis toutes les autres dépenses imputées, je crois que le président de la République aura montré qu'il avait raison et qu'il ne restera pas grand chose."
A la rentrée, la campagne va-t-elle démarrer sur fond d'affaires ? "Le passé trotskiste de L. Jospin", vont dire les uns ; les "affaires concernant J. Chirac", vont dire les autres ?
- "Nous, nous ne faisons pas campagne sur le passé trotskiste de monsieur Jospin, des questions ont été posées à ce sujet, mais on ne fait pas campagne là-dessus. Nous contestons plutôt le fond de sa politique, qui est une politique archaïque et qui constitue un handicap pour la France. Eux, ils ont choisi de faire campagne contre la personne du président de la République, d'essayer de porter atteinte à son honneur et à sa dignité, parce qu'il ne peut pas se défendre, il ne peut plus se défendre, il ne peut plus poursuivre pour "offense au chef de l'Etat" ou pour "diffamation", et donc, on peut dire n'importe quoi sur lui, en toute impunité. C'est le thème socialiste. Ils ont trouvé des relais. Il faudra d'ailleurs un jour - ça arrivera - pouvoir démonter l'organisation, les réseaux qui ont monté cette campagne contre la personne du Président."
Cela veut dire qu'il y a un complot contre J. Chirac ?
- "Oui, mais bien sûr."
Complot de quoi ? des juges ? des socialistes ? du Premier ministre ?
- "Je ne sais pas qui cela comprend, mais je vois bien comment les choses sont relayées, comment elles sont montées en épingle, comment à partir de rien, on arrive à faire quelque chose, et puis cela se dégonfle, et puis on reprend autre chose... Je vois bien ce harcèlement continu sur des choses différentes. Là, on est sorti des voyages, maintenant, on est sur les déclarations de patrimoine où on nous explique qu'il n'a pas tout déclaré. Il serait le seul à avoir déclaré quelque chose, parce que - encore une fois, cela a été vérifié pour tout le monde - personne n'a jamais déclaré quoi que ce soit en provenance des fonds secrets, surtout pas les fonctionnaires, parce qu'il n'y pas que les politiques. Donc, tout ceci représente une véritable volonté de déstabiliser le président de la République et de l'empêcher d'être candidat. On a compris : cela vient au moment de la campagne électorale. Les Français ne sont pas fous ; ils savent bien que ces faits arrivent à un moment donné, et pas à un autre."
Deux petites questions : est-ce que L. Jospin est derrière ce complot, est-ce lui l'instigateur, il l'accompagne ?
- "Je ne sais pas, mais on dit souvent : regardez à qui cela profite. Et puis, je vois qui souffle sur le feu, qui souffle sur les braises ; je vois qui donne des leçons de morale."
Qui ?
- "J'entends monsieur Forni, par exemple, j'entends la gauche. J'entendais madame Roudy dire qu'il faut déclarer. Ils déclarent quelque chose, eux ?"
Deuxièmement, je parlais de la rentrée et de ce climat aussi créé par les déclarations du président de la République, le 14 Juillet. Après ce que vous dites - le complot -, la cohabitation va-t-elle continuer ?
- "La cohabitation est effectivement en difficulté. Mais dès lors que des ministres et la gauche se prêtent à des attaques graves, lourdes, contre le président de la République, évidemment, c'est eux-mêmes qui mettent en péril l'équilibre de la cohabitation. Il ne faut pas s'étonner que le Président réplique, parce qu'il ne peut quand même pas se laisser injurier toute la journée."
Le grand rendez-vous, au fond, ce sera la décision de la Cour de cassation qui tranchera définitivement le cas de J. Chirac. Est-ce que la Cour de cassation peut émettre un avis différent de la décision prise par le Conseil constitutionnel ?
- "Je respecte infiniment la Cour de cassation, parce que ce sont des gens qui font du droit et qui s'abstraient des considérations politiques. En plus, le président Canivet a pris la précaution de faire prendre la décision en assemblée plénière - ce qui est très rare - c'est-à-dire toutes chambres réunies. Il veut donner une forte portée juridique et symbolique à la décision qui sera prise. Je crois donc qu'elle échappera à toute considération politique. En tout cas, j'ai la plus grande confiance. Mais mon opinion modeste sur cette question, c'est que la Constitution prévoit que les décisions du Conseil constitutionnel s'imposent à toutes les institutions, et donc il me semble que la Cour de cassation - encore une fois, sans vouloir la forcer ni lui faire de procès d'intention - devrait, logiquement, me semble-t-il, dire que cette décision s'impose. J'ajouterais que, là aussi, on voit la campagne pernicieuse des socialistes : cette décision du Conseil constitutionnel avait été prise à l'unanimité. On nous a dit : c'est R. Dumas qui avait des problèmes avec la justice. D'abord, R. Dumas est socialiste, et ensuite, la décision a été prise à l'unanimité. Donc, on ne va pas nous reprocher cela, à nous."
La semaine dernière, l'hebdomadaire britannique, The Economist, publiait à sa Une, la photo de J. Chirac avec "Liberté, Egalité, Impunité." Est-ce que l'image du Président et l'image de la France ne sont pas touchées aujourd'hui ?
- "Oui, bien sûr, tout ceci est préjudiciable et c'est pour cela que le président de la République a raison de maintenir les principes fondateurs de notre Constitution. Dès lors que vous acceptez que le président de la République se rende chez n'importe quel juge d'instruction, - je rappelle qu'il y en a 650 qui peuvent le convoquer et si la fantaisie leur prend, ils convoquent le président de la République pour qu'il vienne s'expliquer -, évidemment, sur la scène internationale, un tel événement ne peut pas profiter à notre pays."
Dernière question d'actualité, certains demandent - y compris d'anciens Résistants - grâce pour M. Papon. Etes-vous d'accord avec eux ? Il y a G. Tillon, J. Mattéoli qui ne sont pas suspects de collaboration, c'est le moins qu'on puisse dire.
- "Je n'ai jamais vu arriver de demande de grâce en faveur des déportés d'Auschwitz."
Donc, c'est "non", selon vous. Le Président ne doit pas l'accorder ?
- "Je vous dis : il y a des gens de 90 ans qui ont été déportés à Auschwitz, personne n'a jamais signé une demande de grâce pour eux."
(Source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 26 juillet 2001)