Déclaration de Mme Marylise Lebranchu, ministre de la réforme de l'Etat, de la décentralisation et de la fonction publique, sur les grandes orientations de l'acte III de la décentralisation, à Paris le 23 octobre 2012.

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Circonstance : Colloque organisé par "Le Courrier des maires" et "La Gazette des communes" sur le thème "1982 - 2012 : 30 ans de décentralisation, et après ?", au Sénat le 23 octobre 2012

Texte intégral

Monsieur le Président du Sénat,
Monsieur le Premier Ministre RAFFARIN,
Mesdames, messieurs les Présidents d’associations des élus, des conseils généraux, des conseils régionaux, les maires.
Je veux remercier les initiateurs de ces rencontres ce matin au Sénat. Dans la phase actuelle de concertation et de préparation du texte gouvernemental avec les impatiences légitimes qu’elle suscite, se retourner sur les trente dernières années sur la décentralisation nous permet de regarder les évolutions en cours avec un peu de recul et surtout de hauteur.
Loin de toute commémoration ou d’une nostalgie collective, cette manifestation nous offre le privilège grâce à ses acteurs aujourd’hui présents de retourner quelques heures aux sources de la décentralisation pour mieux nous projeter… dans le formidable défi de la modernisation de l’action publique.
Je veux bien sûr rendre hommage aux acteurs disparus MITTERRAND, DEFERRE ou absents MAURIY, JOSPIN. La démarche décentralisatrice qui n’allait pas de soi en 1981 même à gauche doit beaucoup à leur volontarisme, qui rendu le mouvement irréversible. Je veux saluer les acteurs de la décentralisation depuis 30 ans présents ce matin, dont Eric GIUILY, directeur général des collectivités locales de novembre 1982 à juin 1986 ; c’est un honneur que de conclure cette matinée en leur présence.
Je ne referai pas le bilan exhaustif de trente ans de décentralisation. D’autres l’ont fait mieux que moi lors des tables rondes précédentes. Je veux néanmoins m’arrêter sur deux éléments.
Le premier c’est la vision politique qui a conduit à la décentralisation : elle a correspondu à une nouvelle et nécessaire étape de la construction institutionnelle de notre pays : rééquilibrer un pouvoir national jusqu’ici omnipotent, décider au plus vite et au plus près du terrain les questions pouvant l’être localement.
Le second élément c’est le caractère majeur du tout premier article de la toute première loi : l’article 1er de la loi du 2 mars 1982 : « Les communes, les départements et les régions s’administrent librement pas des conseils élus ». Le principe de libre administration des collectivités locales est posé.
Comme l’explique Eric GIUILY, cet article et ce principe constitue l’onde de choc qui va entraîner la création d’une gouvernance et d’une nouvelle relation entre l’Etat et les collectivités, la dévolution d’importantes compétences jusqu’en 2004, la création d’une fonction publique et l’affectation de ressources, notamment, fiscales dédiées.
30 ans plus tard, le démantèlement de la République, prédit par les plus pessimistes n’a pas eu lieu mais une administration et des services publics locaux se sont installés dans le quotidien des français tout en participant à la préparation de l’avenir. La fonction publique territoriale rassemble 1,8 millions d’agents, les collectivités locales assurent les ¾ de l’investissement public, assurent les prestations sociales personnalisées hors assurance maladie.
Nous pouvons nous réjouir que la décentralisation a cheminé, les transferts de succédant à un rythme régulier, la libre administration se poursuivant à travers les regroupements intercommunaux qui vont se généraliser au 1er janvier 2014, ou encore les mutualisations opérées au sein du bloc communal.
Depuis 1982, la décentralisation a d’abord été consacrée aux transferts et donc à la construction de nombreux équipements et des moyens de fonctionnement : collèges, lycées, assainissements, crèches, équipements culturels et sportifs, transports en communs, voirie qui sont aujourd’hui considérés comme de bon niveau et de bonne qualité.
La nouvelle étape de décentralisation ne s’appuiera pas seulement sur de nouveaux transferts de compétences comme le précédent acte de décentralisation. Notre ambition est bien de renouer avec l’esprit de la première réforme de 1982.
Car trente ans après, il est venu le temps d’aller au-delà, non pas tant de transférer de nouveaux équipements, de nouveaux personnels, toujours plus nombreux mais bel et bien de repenser, redéfinir et simplifier l’intervention publique dans le sens de la lisibilité, de l’efficacité et efficience.
C’est une des priorités du quinquennat ouvert le 6 mai 2012. C’est l’objet de la politique gouvernementale de modernisation de l’action publique lancée par le gouvernement le 1er octobre dernier.
L’action publique est décriée alors que selon moi elle n’a jamais été aussi utile. L’action publique est un facteur de compétitivité et d’attractivité pour notre pays autant qu’un facteur de la cohésion et de justice.
Aujourd’hui, un effort important doit être entrepris pour restaurer sa légitimité.
Cette restauration ne peut se faire qu’au prix de la restauration du dialogue entre les l’Etat et collectivités locales après trente ans d’exercice des compétences décentralisées.
Nous ne souhaitons plus opposer les collectivités locales à l’Etat comme cela a été trop souvent le cas ces dernières années. Au lieu d’accuser les collectivités d’être à l’origine de la dette publique, de tous les maux du pays, au contraire il faut s’appuyer sur elles.
Le sujet est bien plus profond que cela, bien plus grave : c’est celui de restauration de la puissance publique, à travers sa bonne organisation, de la bonne articulation, de l’efficacité et donc de la lisibilité de l’action publique. Le sujet n’est tant celui des doublons que de la répartition des rôles de chacun qui reste perfectible.
Nous devons conjuguer l’action publique locale et nationale.
Des collectivités locales responsabilisées dans leurs compétences, c’est un Etat mieux recentré sur ses missions fondamentales : l’éducation, la justice, la sécurité, la protection sociale. C’est tout le sens du Ministère dont j’ai la charge : réformer l’action publique, mettre en cohérence mission et outils de l’Etat avec les compétences et initiatives des collectivités locales.
Aujourd’hui, il nous faut tirer les conséquences de 30 ans de décentralisation qui a révélé les aptitudes des collectivités locales.
Le changement, c’est précisément de s’appuyer sur la libre administration des collectivités locales, faire confiance aux collectivités pour redéfinir nos politiques publiques, leur efficacité.
Aujourd’hui, nous devons aller plus loin que la libre administration : nous passer à la libre organisation des compétences dans le cadre légal comme en 1982.
L’erreur de la loi RCT c’est d’avoir pensé que la libre administration était en cause. Au contraire dans un principe de responsabilisation et de définition par l’Etat d’une vision davantage stratège, c’est le développement de la libre administration qui doit être assuré.
La responsabilité est un moteur pour cette nouvelle ambition. C’est par l’inventivité que nous progresserons, en mettant les collectivités en situation de faire émerger de nouvelles solutions, d’adapter le service rendu aux besoins des populations sur les différents territoires.
Le projet de texte du gouvernement pose les conditions d’un pacte de confiance entre l’Etat et l’ensemble des collectivités locales. Cette confiance repose sur trois orientations majeures.
D’abord, la confiance passe l’achèvement de la logique des blocs de compétence.
Economie aux Régions, Solidarité aux départements et transition écologique / énergétique au bloc communal.
Comme je l’ai dit aux Régions vendredi, ma responsabilité est d’être exigeante avec les collectivités locales.
Avec les régions pour le soutien du tissu économique et à la formation professionnelle.
Avec les départements, une fois la question des ressources pérennes réglées.
Aves les communes et leurs intercommunalités sur la mutualisation des moyens.
Chaque échelon territorial doit être conscient de la responsabilité qui est la sienne dans cette réforme. Sa réussite dépend clairement de notre capacité à construire et aboutir à des compromis positifs pour re prendre les termes du Président de l’ADF ou à des complémentarités nécessaires comme le dit le Président de l’ARF.
Ensuite, la confiance passe par le dialogue :
Avec les élus locaux et les responsables exécutifs locaux : ce sera au Haut conseil des territoires de mettre en place ce Pacte de confiance et de responsabilité pour les 5 prochaines années. Il organisera le dialogue permanent entre Etat et collectivités locales en amont des textes concernant les collectivités locales pour se dire les choses y compris lorsque les approches sont divergentes.
Dialogue également avec les organisations syndicales représentatives des personnels, dont j’entends les craintes, les arguments et que je consulte dans le cadre de l’agenda social de la fonction publique.
Enfin, la confiance passe par la responsabilisation des collectivités locales :
Nous devons faire confiance à la capacité des collectivités locales pour mieux appréhender la diversité des territoires et de leur population pour faire vivre l’égalité républicaine : les conférences territoriales pour l’action publique que je propose seront l’outil adéquat.
Elles concrétisent notre souhait de ne pas enfermer les collectivités locales dans un modèle unique, qu’il s’agisse des compétences transférées ou des formes de leur exercice. Etat et collectivités discuteront compétence par compétence des modalités concrètes d’exercice, dans le respect du principe de non tutelle d’une collectivité sur l’autre. Ces conférences doivent nous permettre de mieux prendre en compte la diversité des territoires, ruraux, urbains, péri urbains ou métropolitain tout cherchant à rendre au citoyen le service public le plus juste et le plus efficace. Mais je rassure le Président Rousset, ces conférences n’ont pas vocation à devenir un conseil régional bis.
Mais la responsabilité ne va pas sans moyens.
La confiance par l’autonomie des ressources des collectivités locales. On ne peut pas leur demander d’aller au bout de leurs blocs de compétence sans leur en donner les moyens : c’est la condition d’une confiance retrouvée entre l’Etat et les collectivités locales. Cela passe par la restauration de l’autonomie fiscale des régions, la garantie de ressources pérennes et suffisantes permettant aux départements de faire face au financement des trois allocations individuelles de solidarité dont la loi leur confie la charge.
Le Gouvernement a clairement mis le cap sur la péréquation horizontale. Dans le projet de loi de finances pour 2013, les ressources du Fonds national de péréquation des ressources intercommunales et communales (FPIC) augmentent de 150 à 360 M€.
La modernisation de l’action publique, et c’est un des enseignements de la décentralisation, passe par la confiance :
A commencer par la confiance en les fonctionnaires dont les capacités d’adaptation sont bien plus grandes qu’on ne le dit.
Les agents publics, attachés au service public, ont été, ces derniers temps, l’objet d’une défiance dont ils ont ressenti l’injustice. Les agents publics veulent retrouver le sens de leur action.
Par la confiance en la capacité en les élus locaux, renouvelés avec la parité, l’arrivée de jeunes générations, la diversité, l’arrivée d’élus d’autres horizons professionnels que la fonction publique grâce au statut de l’élu. La fin du cumul des mandats législatif et exécutif à partir des propositions de la commission Jospin.
Par la confiance en le citoyen, attaché à son territoire comme à la lisibilité et à l’efficacité des politiques publiques menées. Cela passe par l’évolution des modes de scrutin des élus communautaires au suffrage universel dans le cadre du fléchage au sein des communes et des élus départementaux en assurant l’ancrage territorial indispensable et la parité.
Je suis convaincue d’une chose : la confiance est le facteur essentiel à la réussite de la décentralisation, de la modernisation de l’action publique et du redressement de notre pays. J’entends les impatiences, les bruits de couloir mais, comme le gouvernement, je tiens bon le cap des engagements pris par le Président de la République. Malgré la pression médiatique notamment, nous devons rétablir le temps de l’action profonde, structurante, réformatrice.
Nous prendrons le temps nécessaire pour réussir ensemble le défi de la modernisation de notre action publique.
Source http://cpl.asso.fr, le 16 novembre 2012