Déclaration de Mme Fleur Pellerin, ministre des petites et moyennes entreprises, de l'innovation et de l'économie numérique, sur le développement du numérique, à la fois sa couverture, son financement et la place de l'Etat au sein du dispositif, Paris le 18 octobre 2012.

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Circonstance : Colloque "Territoires et réseaux d'initiative publique" organisé par l'Association des villes et collectivités pour les communications électroniques et l'audiovisuel (AVICCA), à Paris les 18 et 19 octobre 2012

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les élus,
Mesdames et Messieurs,
Je vais devoir accélérer un peu mon propos parce que précisément j’ai une réunion interministérielle très importante dans exactement un quart d’heure à Bercy, le numérique ne me donne pas encore le don d’ubiquité, mais il est très important pour moi de vous délivrer un message et de répondre bien entendu aux inquiétudes que j’entends bien du Président de l’AVICCA. Ne vous étonnez donc pas si je pars un peu en courant tout à l’heure, ce n’est pas de la mauvaise éducation, c’est juste pour pouvoir assurer cette réunion importante sur le Très haut débit !
Tout d’abord je voulais vous rappeler que le gouvernement est pleinement mobilisé bien entendu pour accompagner les collectivités dans la diffusion du numérique dans les territoires, tant par le déploiement des infrastructures à très haut débit que le développement des usages, vous l’avez rappelé Monsieur le Président, au service de nos concitoyens, et même pour la mamie du Cantal !
Je me suis déjà exprimée plusieurs fois sur ce sujet, le Très haut débit est aujourd’hui une impérieuse nécessité, tout d’abord parce qu’il constitue un formidable socle pour le renouveau de notre industrie, notamment numérique, pour la compétitivité de l’ensemble de nos entreprises, et surtout nos PME bien entendu. Je crois que l’accès au numérique partout sur notre territoire, mais surtout dans les écoles, les collèges, les lycées, l’ensemble des sites publics pour l’éducation et la santé, les zones d’activité économique, doit constituer un axe prioritaire de l’action gouvernementale. Deuxième point, sur un plan technologique, le développement des objets connectés va rapidement devenir un enjeu majeur de notre industrie, et les possibilités capacitaires des réseaux d’accès vont constituer un élément central du soutien de l’innovation de nos entreprises et de la transformation de notre société. Je crois qu’aujourd’hui, faire un choix trop prudent en matière de déploiement du très haut débit serait partir avec un retard structurel et durable en matière de compétitivité par rapport aux États-Unis et aux pays émergents, d’Asie notamment, et surtout renoncer à l’énergie créatrice qui a permis aux États-Unis de produire les leaders mondiaux de l’économie numérique que sont aujourd’hui Google, Apple, Facebook, et autres entreprises. Il y a une semaine, je présentais lors du Conseil des ministres une communication relative à la nouvelle ambition du gouvernement pour le numérique. Ma conviction c’est que le numérique n’est pas une révolution technologique mais bien une transformation globale de la société, et qu’il est au cœur de tous les grands enjeux du quinquennat et même du siècle qui s’ouvre. Cette nouvelle ambition que j’entends porter dans les mois à venir avec tous mes collègues du gouvernement, trouvera dès début 2013 une traduction très concrète avec l’ouverture de nombreux chantiers. J’ai entendu Monsieur le Président, vos interrogations et vos inquiétudes. Il nous faut en effet avancer rapidement sur la couverture, sur le financement et la question centrale de la place de l’État au sein de ce dispositif, comme garant de l’intérêt industriel et de l’aménagement des territoires. Je me répète, mais la fibre constitue un enjeu industriel de taille et il convient donc d’assurer une certains homogénéité à l’échelle nationale des différents réseaux d’initiative publique. Je crois que la France ne peut pas se permettre un échec industriel et stratégique en matière de télécommunications alors qu’elle doit s’engager encore plus volontairement sur la voie du numérique et de la compétitivité.
Ainsi il me paraît absolument nécessaire de renforcer la gouvernance du déploiement du Très haut débit à travers un accompagnement accru de la puissance publique. Certains d’entre vous se rappellent peut-être du Plan Delta LP de la DGPT, ancêtre de France Télécom, la Direction Générale des Postes et Télécommunications, dans les années 70, lorsque la France a mobilisé ses ressources pour combler son retard et devenir un, voire LE leader dans l’industrie des télécoms. C’était le résultat d’un pilotage fort et ambitieux. Et bien, c’est ce que nous allons faire, et je suis heureuse de pouvoir vous l’annoncer ici, aujourd’hui nous allons lancer un Plan Delta Fibre. Le gouvernement se dote des capacités nécessaires pour assumer ce pilotage, une structure légère dans un premier temps va être créée, dans les tout prochains jours, au sein du gouvernement, pour travailler à ce chantier. Cette équipe, nous la concevons comme un commando, avec un cahier des charges clair : préciser les paramètres techniques et financiers du déploiement du Très haut débit.
Tout d’abord la précision des objectifs de couverture. J’entends les critiques qui concernent le mix technologique. Ma vision est claire sur ce point : le déploiement du Très haut débit doit s’appuyer prioritairement sur la fibre. Pourquoi ? Parce qu’à long terme la fibre optique est la seule technologie pérenne pouvant apporter les services sans limite de capacité connue, et c’est également la seule technologie capable de traiter de manière équitable l’ensemble des foyers. Avec la fibre, contrairement au cuivre ou à l’hertzien, il n’y a pas de diminution de débit pour les foyers les plus éloignés. Par ailleurs, compte tenu des capacités d’investissement limitées, la priorité doit être donnée à des technologies durables. Les investissements pour le déploiement des technologies sur cuivre représentent des coûts de déploiement plus faibles, mais en revanche ils n’apportent qu’une réponse partielle et temporaire aux problèmes de débit. Et dans le cadre d’un déploiement futur en fibre, ils ne sont qu’en partie réutilisables, il faudra donc les minimiser dans le cadre du déploiement du Très haut débit. Ma vision est simple, la fibre pour tous doit être la règle et le mix technologique l’exception. Parmi les objectifs de couverture, la structure de pilotage dont j’ai parlé tout à l’heure devra rapidement affiner un objectif intermédiaire. J’ai en tête deux objectifs simples mais qui répondent à une demande prioritaire de nos concitoyens : un, un réseau structurant en fibre optique qui couvrira les principaux sites publics, écoles, hôpitaux mairies et zones d’activité économique ; et deux, l’ensemble des foyers français ayant enfin accès à un véritable haut débit. Deuxièmement, la structure de pilotage s’attaquera également rapidement aux questions de financement. Cela passe tout d’abord par l’affinage du chiffrage du coût du déploiement. Je vous rassure, nous disposons dorénavant de quasiment tous les éléments, et je regrette qu’à quelques jours près nous n’ayons pas eu le temps de vous présenter les résultats de l’étude DATAR/DGCIS sur ce sujet. Ce qui est sûr, c’est que le besoin de financement public sera important et l’effort difficile dans le contexte budgétaire actuel. Mais nous ne pouvons pas différer l’effort sur un chantier aussi urgent et décisif pour la France et, je vous le confirme, notre objectif n’est pas de laisser seules les collectivités assumer le déploiement du Très haut débit dans les zones non rentables. Nous prendrons notre part de responsabilité. Il nous faudra donc trouver, au-delà des 900 millions d’euros de subventions prévues en appui aux collectivités locales dans le cadre des investissements d’avenir, les moyens financiers à mobiliser pour assurer la poursuite de l’accompagnement des projets de déploiement dans les zones non rentables ainsi que la péréquation. Je voulais aussi vous dire que nous travaillons très étroitement avec la Caisse des Dépôts et avec la Banque Européenne d’Investissement, pour qu’ils soutiennent vos projets de déploiement du Très haut débit. J’ai bien sûr en tête le projet de l’Auvergne qui a aujourd’hui toutes les caractéristiques pour devenir un des premiers projets financés par les Project Bonds.
Reprendre en main le pilotage du Très haut débit et en assurer le financement ne sera malheureusement pas suffisant. Là où le constat est préoccupant à l’échelle nationale, vous l’avez dit Monsieur le Président, c’est bien en termes d’adoption du Très haut débit par les ménages. Les réseaux en fibre optique ont été déployés à proximité de presque 6 millions de foyers, presque 2 millions peuvent être raccordés immédiatement et seuls moins de 250 000 foyers ont aujourd’hui décidé de franchir le pas du FTTH. Vous l’indiquiez tout à l’heure Monsieur le Président, le déploiement du Très haut débit sera moins cher à financer si les consommateurs ont un intérêt à basculer vers la fibre. Le risque que supporteront les collectivités sera moins important. Pour accélérer la souscription des consommateurs au Très haut débit, à mon sens trois voies doivent faire l’objet d’une instruction plus poussée. Premièrement la question de l’accès au logement, deuxièmement la question de l’incitation économique au déploiement et à la bascule pour les consommateurs et pour les opérateurs, et troisièmement la question de l’extinction progressive du cuivre.
L’expérimentation de Palaiseau marque de ce point de vue notre engagement et illustre parfaitement l’envie d’avancer et de bouleverser les habitudes. Les grands équipements et réseaux structurants de notre pays ne sont pas nés de la volonté spontanée des acteurs économiques eux-mêmes. Hier comme aujourd’hui, rien ne remplace une vision claire, un choix stratégique fort, assumé et pérenne de la part de la puissance publique. Nous ne voulons pas démentir l’histoire industrielle de notre pays avec la révolution du Très haut débit et de la fibre, nous voulons au contraire la poursuivre sans que cette révolution ne prenne 15, 20, 25 ans et ne conduise la France à accuser un retard durable par rapport à ses voisins européens. La comparaison avec le basculement qui s’est produit au moment du passage de la télévision analogique à la télévision numérique me semble de ce point de vue éclairante. En décidant de tester la fermeture du réseau cuivre à Palaiseau, à partir de 2013, France Telecom Orange a décidé de passer un cap et j’en suis heureuse même si je suis consciente que ce mouvement ne pourra être que progressif. Cette expérimentation va à coup sûr donner un élan au chantier du Très haut débit en France en permettant à tous d’envisager une réalité au Très haut débit, un monde dans lequel le cuivre aura disparu.
Mais je crois également que nous devons continuer à travailler sur la régulation et ses capacités à créer une dynamique vertueuse d’investissement. C’est ce que l’ARCEP a réussi à créer sur le cuivre dans le respect du cadre européen. Avant l’été, la Commissaire Neelie KROES a formulé un certain nombre de propositions pour accélérer l’agenda numérique européen. Ces propositions vont dans le bon sens en renforçant le cadre réglementaire en place. On voit que les lignes bougent, que sur les sujets d’incitation au déploiement, il ne faut pas avoir peur d’être innovant. Peut-être faut-il pousser le modèle encore plus loin et donner des incitations économiques aux opérateurs pour la bascule des clients du cuivre vers la fibre. Qui doit le faire ? La régulation, l’État ? C’est un vaste chantier, mais je suis convaincue qu’il ne faut pas le négliger car il peut nous permettre de retrouver la rentabilité des investissements qui nous manque si cruellement aujourd’hui.
Pour finir, plusieurs éléments de calendrier. Nous présentons les contours de notre feuille de route d’ici fin novembre, cette feuille de route sera soumise pour avis à l’ensemble des parties prenantes. La mise en œuvre globale de cette nouvelle stratégie sera actée et effective dès le séminaire gouvernemental numérique du mois de février 2013. Vous voyez, nous avançons sur le chemin du Très haut débit, toutes les briques se mettent enfin en place, et c’est avec vous que le gouvernement souhaite avancer sur ce chemin. Merci beaucoup
source http://www.avicca.org, le 22 novembre 2012