Texte intégral
Ces deux journées nous ont démontré avec force que léducation était au cur du projet de société porté par la politique de la ville. Mais nous lavons tous compris et la présence de cinq membres du Gouvernement en atteste cest dune éducation au sens large dont nous parlons.
Comment supporter en effet que plus de 50 000 enfants passent, entre 3 et 16 ans, un nombre considérable dheures à lécole et en sortent sans diplôme, vaincus en quelque sorte. Comment faire pour quils reconquièrent leur dignité ? Comment faire pour renforcer le rôle de lécole, mais aussi ouvrir des brèches despoir et de réussite dans dautres lieux ? Comment trouver les moyens de reconnaître les compétences de ces jeunes ? Comment consolider les stratégies éducatives qui ont parfois fait reculer la fatalité de léchec scolaire ?
Lobjectif phare de la politique de la ville en matière déducation est la lutte acharnée contre tous les processus dexclusion des enfants et des jeunes dans les territoires en difficulté. Son ambition est la réussite obligatoire, scolaire mais aussi sociale, de tous les jeunes.
" Lhomme nest pas dun seul coup ", disait Emmanuel Lévinas. Il se construit en effet, et dans le siècle nouveau où nous allons vivre, peut-être pourrait-on reconsidérer les temps dapprentissages, leurs modalités, leur durée, pour que chacun les vive dans la réussite et le sentiment de progresser tout au long de sa vie.
Léducation est une question qui concerne tout le monde. Cest une responsabilité partagée. Cest une société éducative, une ville éducative que je revendique, car lacte éducatif est lacte premier sur lequel repose la cohésion sociale. Eduquer pour ne pas avoir à réparer, tel devrait être notre mot dordre.
Parents, enseignants, adultes, jeunes eux-mêmes, ont chacun une part de responsabilité dans lacte éducatif : Ils en constituent les quatre socles fondamentaux.
Je voudrais commencer par le rôle des parents sur lequel vous avez insisté au cours de vos travaux.
1. Cest une évidence, la famille est le premier lieu déducation.
Des transformations économiques et sociales très profondes ont bouleversé les repères parentaux, plus particulièrement dans les quartiers en difficulté, qui cumulent souvent les inégalités.
NON, les parents au chômage ne sont pas inévitablement de mauvais parents ; ils ne sont pas non plus de ce seul fait démissionnaires ou irresponsables. Leur difficulté à assumer au quotidien le souci de faire vivre et déduquer leurs enfants doit être prise en compte et justifie un soutien particulier.
NON, les aides aux familles ne sont pas facultatives. Elles ne sont pas une remise de " bons points " pour de bons parents, elles sont la juste réponse de la République qui inscrit au fronton de ses mairies et de ses écoles le mot EGALITE.
La politique de la ville doit également faciliter la participation des parents à la vie de la communauté éducative. En effet, de très nombreux parents en particulier des familles issues de limmigration - restent aux portes des écoles qui leur paraissent infranchissables. Ils ignorent les programmes scolaires, les règles du jeu éducatif, alors quune meilleure coopération entre lécole et la famille est une des conditions de la réussite des enfants.
Lors du Comité Interministériel des Villes du 30 juin dernier, présidé par le Premier ministre, le gouvernement a décidé de soutenir, en 1999, la réhabilitation des écoles dans les communes les plus en difficulté et pour lesquelles un vrai projet dintégration des parents sera mis en uvre. Il sagira en particulier dadapter les locaux pour permettre, par exemple, de disposer dune salle des parents, qui pourrait de plus, faciliter les rencontres avec les associations de parents délèves.
Plus largement, la politique de la ville contribuera à la création et au développement de réseaux découte, dappui et daccompagnement des parents, tels quils sont actuellement mis en uvre par une convention passée entre la délégation à la famille et le ministère de la ville.
2. Les parents dabord, lécole républicaine ensuite.
LEducation nationale est un point dancrage crucial de la société et porte le poids, lourd, très lourd, dune part importante de léducation de nos enfants. Les réformes engagées dans lEducation nationale par Claude Allègre et Ségolène Royal sont déterminantes pour la politique de la ville : que ce soit la relance des ZEP, les contrats éducatifs locaux, dont le ministère de la ville est le promoteur avec Catherine Trautmann et Marie-George Buffet, ou encore le développement des classes relais.
Les autres projets de réforme, notamment la charte pour bâtir lécole du XXIème siècle, sinscrivent dans la même dynamique.
MAIS, je tiens à parler net avec les mots les plus simples possibles, car mon objectif est de dissiper tous les malentendus.
Il ne faut pas se décharger sur la seule Education nationale de toute la responsabilité de lacte éducatif. Cette tentation entraîne, lorsquelle a lieu, des conséquences graves tant pour linstitution, qui se trouve alors désarmée et isolée, que pour les enfants qui ne sentent pas autour deux la cohésion du monde adulte dont ils ont absolument besoin.
Lacte éducatif concerne lensemble des habitants de la cité.
Jusqualors, les politiques éducatives du ministère de léducation nationale et celles de la politique de la ville ont été construites et mises en uvre sans réelle coordination, vos ateliers lont bien montré.
Le moment est venu de marquer une étape décisive dans la coopération. Lheure du changement a sonné pour que lécole travaille avec la ville et réciproquement.
La contractualisation entre lEtat et les villes, que nous allons renouveler pour 7 ans, constitue une façon moderne dorganiser le projet éducatif local qui favorise la concertation. Ne ratons pas cette occasion. Les débats passionnés dans lécole, sur lécole, devraient déborder largement sur la ville tout entière.
Parlons dans ce cadre des questions difficiles, par exemple de cette crainte de la municipalisation de lécole. Elle nest pas dactualité ; elle ne le sera pas. Le gouvernement est très attaché au service public denseignement et compte le renforcer. Ce qui est en revanche posé, cest labsolue nécessité que tous les acteurs aillent dans le même sens pour lutter contre lexclusion des jeunes.
Je nignore pas que les enseignants sont parfois confrontés à des conditions de travail difficiles. Je sais aussi lénergie que beaucoup dentre eux mettent en faveur de la réussite des jeunes. Cest précisément en coordonnant leur travail sur des objectifs communs que nous connaîtrons nos plus belles réussites.
Louverture que réclame la politique de la ville doit se faire évidemment dans le respect des compétences des uns et des autres. Le contrat éducatif local - sur lequel je reviendrai - marque en ce sens une étape importante et permet de mobiliser la volonté des élus, et les savoirs faires associatifs. Ce projet global commun à léchelle dun territoire, dans lécole et en dehors de lécole, garantit la cohérence éducative nécessaire à la réussite des enfants.
Il faut aussi une ouverture des établissements hors temps scolaire : cest déjà le cas avec le dispositif " école ouverte " que la politique de la ville soutient depuis lorigine, et qui permet aux enfants des quartiers de continuer des apprentissages pendant les vacances. [Les enfants narrêtent jamais dapprendre ; ils ont tous droit à des loisirs intelligents, qui favorisent leur capacité de réflexion et la construction de leur autonomie.]
Lécole nest pas menacée par louverture sur la ville. Cest au contraire la condition de sa transformation. Je sais que la tâche est extrêmement difficile parce que nul ne peut se targuer davoir raison absolument, que le doute en matière éducative est la posture la plus pertinente. POURTANT, limmobilisme serait une redoutable erreur, léducation est toujours en mouvement, comme les enfants, qui nattendront pas que nous nous soyons mis daccord ... pour grandir. Nous sommes dans la nécessité du changement.
Pour accélérer ces changements, la formation des acteurs est incontournable. Que ce soit la formation lors de la prise de poste des fonctionnaires, dans tous les sites politique de la ville, que ce soit celle des futurs enseignants, comme cela se fait dans certains IUFM, ou que ce soit encore la formation conjointe des aides éducateurs avec les emplois jeunes des quartiers. Nous contribuerons à la développer.
Je demande de plus aux préfets, aux élus, aux responsables de léducation nationale, aux chefs de projets de veiller partout à ce que les enseignants, tous les enseignants, et pas seulement les coordonnateurs de ZEP, qui travaillent dans les quartiers de la géographie prioritaire soient pleinement associés à lélaboration des volets éducation des contrats de ville.
Enfin, les lieux ressources, les centres ressources ZEP ou les centres ressources politique de la ville, doivent se mettre en réseau, mêler les publics qui devraient être les mêmes, qui sont les mêmes.
Nous travaillons, Ségolène Royal et moi-même, à lélaboration dun texte de cadrage relatif à la coopération entre léducation nationale et la politique de la ville. Si ce texte devient le vôtre, comme vous lavez souhaité, il permettra de rendre légitime ce qui souvent passait pour facultatif ; il créera les conditions dune relation " ordinaire ", installée au quotidien, dans les habitudes de travail de chacun.
3. Lacte éducatif repose également sur la socialisation. Cest le troisième socle de la politique de la ville sur lequel sancre lacte éducatif.
Cette tâche est accomplie par les adultes qui sengagent dans une relation de confiance et de construction commune avec les enfants et leur donnent à voir ce quêtre adulte veut dire. Cest ce quentreprennent de nombreuses municipalités, cest le travail immense des associations qui interviennent après lécole, parfois dans lécole hors temps scolaire, et qui conjuguent inventivité et générosité.
La politique de la ville reconnaît le travail considérable des associations. Elles sont les passerelles qui favorisent et organisent les interactions école-famille-ville, essentielles à la vie démocratique de notre pays.
Nous avons dailleurs, lors du CIV du 2 décembre 1998, arrêté des mesures de simplification des procédures de financement pour faciliter la vie de ces associations trop souvent confrontées à des difficultés pour organiser leur action. Elles sont mises en place dès cette année.
Les associations sont les principales actrices du contrat éducatif local qui fédère les acteurs de léducation, les réunit autour dobjectifs communs pour accompagner le parcours des enfants après lécole. Il constitue un pôle majeur du volet éducation du contrat de ville.
Il doit sorganiser dans le respect des métiers, des compétences de chacun, et, surtout, avec le souci de bien comprendre le besoin des enfants. Cest le cadre pour laccès à la culture pour tous, la culture scientifique et technique par exemple. [Je citerais bien volontiers linitiative du professeur Charpak " La main à la pâte " qui se fait dans le temps scolaire et dont chacun connaît ici la très grande audience. Je soulignerai également le travail de lassociation des Petits débrouillards, au nom bien mérité, et qui dans les quartiers de la politique de la ville, en dehors du temps scolaire, au pied des immeubles, chez les habitants, fait découvrir le plaisir de comprendre les mystères du monde.]
Un autre facteur incontournable de lintégration des enfants dans lespace social est la mobilisation de tous les habitants. Il sagit de développer une " veille citoyenne ", cest-à-dire un état dalerte tranquille mais constant, pour quautour deux, les jeunes soient protégés des dangers, y compris de ceux quils génèrent. [Jen profite pour souligner la place considérable que les femmes, notamment les femmes relais, médiatrices de savoirs et de cultures, ont prise dans cette mission pour la politique de la ville. Elles sont représentées ici et je les salue].
4. La dernière dimension de lacte éducatif, cest la parole des jeunes eux-mêmes, entre eux, et avec les adultes. Cest LA condition de leur participation à la vie de la cité.
Vous le savez, le CIV du 30 juin 1998 a fait de la participation des habitants un des enjeux majeurs de la préparation des nouveaux contrats de ville. Les jeunes ne peuvent en être exclus.
Le dialogue avec les jeunes et la prise en compte de leurs points de vue sur la ville ne sont pas encore entrés dans les habitudes des adultes. Cest pourtant dans linstauration régulière de ce dialogue quun nombre important de conflits et de peurs mutuelles peuvent être évités.
La représentation quils ont de lespace urbain est à prendre en considération avec le plus grand sérieux : Ils ne cessent de réclamer quon les écoute. Il est indispensable quils participent à lélaboration des contrats de ville. Ces contrats contribueront à leur préparer un meilleur avenir.
Cest pourquoi aider les jeunes à maîtriser lusage de la langue dans toute sa variété est une des actions la plus noble de la politique de la ville. Cest celle à laquelle je vous engage le plus. Cest le fondement du lien social et de la citoyenneté. Il sagit de donner le pouvoir des mots.
Et sil faut passer par limage... et sil faut passer par leurs mots à eux pour quils acceptent les nôtres... Faisons-le !
Cest pour cette raison que jai souhaité le développement national des classes de ville. Elles peuvent être organisées pendant le temps scolaire par des équipes denseignants, mais également hors temps scolaire, par des associations, notamment pendant les vacances. Les enseignants qui les ont expérimentées mont tous affirmé quil sagit dune méthode favorisant une nouvelle relation des jeunes avec leur ville. Ils la regardent dun il neuf, ils la découvrent dans toutes ses dimensions, ils lapprennent et en deviennent plus facilement acteurs.
Les enfants et les jeunes apprennent aussi la vie entre eux, souvent pour le meilleur et parfois pour le pire. Ces apprentissages sont loccasion de rêves, de projets communs et de réussite possible qui peuvent leur donner force et confiance en eux.
Cest pourquoi nous avons prévu de mettre en place dès septembre, une offre plus diversifiée et plus souple en direction des jeunes. Ainsi, nous expérimenterons les chèques associatifs permettant aux enfants de payer eux-mêmes les activités quils ont choisies dans leur quartier.
Dautre part, la mise en place progressive des Fonds de participation des habitants dans chaque quartier facilitera également les initiatives des jeunes.
Partout dans les villes, de très nombreuses actions contribuent à une meilleure participation des enfants et des jeunes à la vie de la cité : soutien scolaire, action lecture, écriture, théâtre. Ces actions doivent être coordonnées entre elles, avec celles de lécole, elles doivent faire bloc, montrer quelles constituent un axe fort du projet éducatif local. Elles doivent également sinscrire dans la durée.
Il faut pour cela une volonté politique forte. Il convient aussi de dégager des moyens financiers et humains.
Cest pourquoi, je souhaite fédérer et encourager les initiatives au sein dun ambitieux programme de jeunesse citoyenne, capable de créer les conditions nécessaires pour que les objectifs que je viens de définir soient atteints. Il sagira de mettre en place, dans chaque contrat de ville, les outils, les acteurs et les dynamiques susceptibles de porter, dans la durée, la parole et les projets des jeunes dans les quartiers.
Ce programme de jeunesse citoyenne a vocation, dès cette année, à permettre des formes de consultation des enfants et des jeunes pour la construction des contrats de ville. Il permettra dassurer le suivi des actions et de favoriser lécoute et léchange permanents entre les jeunes et les adultes par des activités adaptées ; il contribuera à aider les jeunes à réaliser leurs projets. Il facilitera enfin lorganisation et le suivi des classes de ville.
La politique de la ville appuiera lélaboration et la structuration de ce programme de jeunesse citoyenne. Sur la base dun cahier des charges concerté, des équipes daide aux projets seront constituées. Elles auront mission didentifier les besoins, daider au diagnostic et dapporter toute la technicité propre à ce type daction.
Des moyens humains, ensuite. Si besoin est, des emplois jeunes viendront appuyer les équipes locales, équipes de maîtrise duvre urbaine ou associations qui en auront reçu la délégation.
Lon pourra mobiliser à cet usage les crédits dingénierie du dispositif " nouveaux emplois nouveaux services " et des crédits de formation pourront être mis en uvre.
La délégation interministérielle à la ville apportera le soutien technique nécessaire à ce programme prioritaire des contrats de ville.
5. Parlons maintenant de la ville et de LESPACE EDUCATIF quelle constitue.
On ne peut plus penser léducation comme on la fait au temps de la France rurale et quand internet nexistait pas. Les solutions ne consistent plus à délimiter des espaces. Ce sont les lieux qui comptent : maisons de quartier, de la justice et du droit, centres culturels,... mais ce sont aussi les liens, les réseaux de solidarité, les réseaux de sociabilité urbaine, les espaces symboliques.
On définit souvent lunivers urbain comme un univers guerrier dont il sagit de se défendre. Pierre Alechinsky a intitulé une uvre célèbre réalisée avec l'empreinte de plaques dégouts et de couvercles de poubelles "Le bouclier urbain". Cest bien pour corriger les insupportables inégalités de relégation que la politique de la ville a mobilisé ces vingt dernières années des ressources considérables.
Cependant, ravaler les murs ne ravale pas les esprits, et limaginaire urbain se construit lentement. La ville est désormais notre culture, avec ses maux et ses richesses. La politique de la ville ne consiste pas à RESISTER à la ville mais plutôt à organiser la vie des habitants dans le souci de développer le meilleur et de corriger le pire.
Cest pourquoi il nous faut penser lespace urbain pour les jeunes aussi. Ils ont en effet trop souvent le sentiment dêtre rejetés ou confinés dans des lieux peu accueillants.
Nous devons leur proposer dans la ville des espaces dexpression, déchanges à la hauteur des ambitions que nous avons pour eux. Leur reconnaître lexercice plein et entier de leurs droits dans cet espace, le penser avec eux, est un chantier encore largement ouvert. Les mairies, les conseils régionaux, mais aussi les conseils généraux - désormais acteurs de la politique de la ville à part entière - ont un rôle déterminant à jouer à cet égard, chacun dans son domaine de compétence.
Une des directions forte de votre travail a porté ces deux jours sur la mixité sociale et scolaire.
Tout doit être entrepris pour que les enfants de la République soient éduqués ensemble. Nous ne voulons pas décoles pauvres, avec des programmes minimum, pour des quartiers pauvres. En ce sens la relance des ZEP et lélargissement au REP sont conçus comme une ouverture au reste de la ville, une façon de sortir du ghetto et non de sy enfermer.
La ségrégation sociale et scolaire est comme une sorte de consensus sécrété par les citoyens eux-mêmes. Dès quils accèdent à un mieux être, ils fuient les quartiers. Comment leur en vouloir ? La solution consiste donc à reconsidérer ces quartiers, en leur rendant une habitabilité réelle, en leur donnant une qualité de vie suffisante, pour que les gens, qui y sont souvent attachés, aient envie dy rester. La ségrégation scolaire est liée inexorablement à cette condition. La stratégie dévitement de certains parents, quon peut tout à fait comprendre, a des effets désastreux en tirant vers le bas les établissements scolaires. Pour rompre cette tendance, là encore, il faut penser les politiques de façon globale. Nul ne parviendra à améliorer la situation des villes dégradées par la pauvreté sil travaille seul.
La démocratie dans nos cités aujourdhui et demain est à ce prix : des gens qui se parlent et qui organisent ensemble une société plus juste.
Avant de conclure mon propos, je voudrais rappeler limportance capitale de linvestissement des élus, dans la problématique éducation de la politique de la ville.
Ce sont eux qui portent les initiatives locales, fédèrent les acteurs et créent la dynamique locale associant lensemble de la ville à lacte éducatif. Ils ont un rôle clé à jouer dans la définition et la conduite des projets éducatifs locaux.
Mesdames et messieurs, laissez-moi clore ces deux journées par lévocation dun des plus beaux livres de Marguerite Duras " Pluie dété ". Cest une fable sur lécole et lapprentissage, un des rares livres qui dise justement lécart entre des mondes qui coexistent, se frôlent mais ne se rencontrent pas assez.
Cest lhistoire dune famille dimmigrés qui vit sous le périphérique à Vitry. Ernesto, le fils surdoué de la famille, apprend en tournant autour de lécole, en écoutant la rumeur qui perce les murs, mais... il ne veut pas aller à lécole... parce quà lécole... on lui apprend des choses... quil ne sait pas...
Les parents, eux, ont peur de linstituteur et croient que toute autorité contrôlée par lEtat, est ... judiciaire...
Ces enfants, ces familles, qui vivent dans une sorte dapartheid et de crainte constante, en dessous du seuil de la pauvreté et de la dignité, vivent près de nous. Cest pour eux que nous devons redoubler defforts et inventer des modes de reconnaissance et de valorisation qui leur donnent toutes leurs chances.
Nouvelles chances, secondes chances ? CHANCES TOUT COURT, et le plus tôt possible.
Pendant ces vingt dernières années, même si ce nétait évidemment pas lobjectif, les politiques sociales territorialisées ont contribué à séparer les territoires ZEP, ZUS, toutes zones isolées du reste de la ville, périmètres superposés qui déréalisent lespace. Cétait sans doute incontournable pour appréhender la situation et commencer à la traiter. Mais ce marquage territorial dépréciatif, alors même quil avait vocation à améliorer la situation, a parfois engendré des effets pervers. Qui aime vivre et apprendre dans une zone ?
On a également laissé les institutions développer leurs actions dans des logiques parallèles. Au-delà des déclarations de partenariat, des blocages pour de bonnes ou de mauvaises raisons, les acteurs sont souvent demeurés éloignés : Car partager des projets de papier na rien à voir avec leffort constant nécessaire au dialogue et à laction commune, au jour le jour, afin davancer dans le même sens.
Nous devons renverser la logique déchec !
Apprendre est souvent à limage de la dictée : dès quon commence, on a déjà des fautes et des points en moins. On pourrait au contraire sappuyer dabord sur les compétences des enfants pour les aider à acquérir les connaissances et les savoirs-faire nécessaires à leur réussite. Ce nest quau prix dune valorisation des acquis quon leur permettra dêtre fiers deux, davoir envie dapprendre, et quils pourront sinsérer dans la société. Nous avons des progrès à faire en ce sens dans notre système éducatif, dans lécole, dans la ville et dans la société tout entière.
En somme, il ne sagit plus seulement de combler les manques, mais de promouvoir une logique de projet et daction commune : Cest ce que jappelle de mes vux pour les volets éducation des contrats de ville.
Jai voulu lorganisation de ces journées pour réaffirmer fortement que lacte éducatif est le premier fondement de notre pacte républicain et quil mérite un débat. Une société a léducation quelle mérite. Une société qui a peur de ses enfants tourne le dos à son avenir. Si nous voulons une société plus juste et plus démocratique, alors il faut repenser lacte éducatif et ensemble transformer nos pratiques.
Cet acte éducatif refondé, cest justement cette promesse enfin tenue à laquelle faisait référence Philippe Meirieu, dun avenir pour ces jeunes. Cest la promesse que lon parviendra à enrayer les mécanismes dexclusion, cest la promesse que la ville devienne le champ des possibles, de toutes les réussites et de toutes les solidarités.
Cest notre projet politique. Et cest tous ensemble que nous donnerons corps à ce projet.
(Source http://www.ville.gouv.fr, le 04 mai 1999)
Comment supporter en effet que plus de 50 000 enfants passent, entre 3 et 16 ans, un nombre considérable dheures à lécole et en sortent sans diplôme, vaincus en quelque sorte. Comment faire pour quils reconquièrent leur dignité ? Comment faire pour renforcer le rôle de lécole, mais aussi ouvrir des brèches despoir et de réussite dans dautres lieux ? Comment trouver les moyens de reconnaître les compétences de ces jeunes ? Comment consolider les stratégies éducatives qui ont parfois fait reculer la fatalité de léchec scolaire ?
Lobjectif phare de la politique de la ville en matière déducation est la lutte acharnée contre tous les processus dexclusion des enfants et des jeunes dans les territoires en difficulté. Son ambition est la réussite obligatoire, scolaire mais aussi sociale, de tous les jeunes.
" Lhomme nest pas dun seul coup ", disait Emmanuel Lévinas. Il se construit en effet, et dans le siècle nouveau où nous allons vivre, peut-être pourrait-on reconsidérer les temps dapprentissages, leurs modalités, leur durée, pour que chacun les vive dans la réussite et le sentiment de progresser tout au long de sa vie.
Léducation est une question qui concerne tout le monde. Cest une responsabilité partagée. Cest une société éducative, une ville éducative que je revendique, car lacte éducatif est lacte premier sur lequel repose la cohésion sociale. Eduquer pour ne pas avoir à réparer, tel devrait être notre mot dordre.
Parents, enseignants, adultes, jeunes eux-mêmes, ont chacun une part de responsabilité dans lacte éducatif : Ils en constituent les quatre socles fondamentaux.
Je voudrais commencer par le rôle des parents sur lequel vous avez insisté au cours de vos travaux.
1. Cest une évidence, la famille est le premier lieu déducation.
Des transformations économiques et sociales très profondes ont bouleversé les repères parentaux, plus particulièrement dans les quartiers en difficulté, qui cumulent souvent les inégalités.
NON, les parents au chômage ne sont pas inévitablement de mauvais parents ; ils ne sont pas non plus de ce seul fait démissionnaires ou irresponsables. Leur difficulté à assumer au quotidien le souci de faire vivre et déduquer leurs enfants doit être prise en compte et justifie un soutien particulier.
NON, les aides aux familles ne sont pas facultatives. Elles ne sont pas une remise de " bons points " pour de bons parents, elles sont la juste réponse de la République qui inscrit au fronton de ses mairies et de ses écoles le mot EGALITE.
La politique de la ville doit également faciliter la participation des parents à la vie de la communauté éducative. En effet, de très nombreux parents en particulier des familles issues de limmigration - restent aux portes des écoles qui leur paraissent infranchissables. Ils ignorent les programmes scolaires, les règles du jeu éducatif, alors quune meilleure coopération entre lécole et la famille est une des conditions de la réussite des enfants.
Lors du Comité Interministériel des Villes du 30 juin dernier, présidé par le Premier ministre, le gouvernement a décidé de soutenir, en 1999, la réhabilitation des écoles dans les communes les plus en difficulté et pour lesquelles un vrai projet dintégration des parents sera mis en uvre. Il sagira en particulier dadapter les locaux pour permettre, par exemple, de disposer dune salle des parents, qui pourrait de plus, faciliter les rencontres avec les associations de parents délèves.
Plus largement, la politique de la ville contribuera à la création et au développement de réseaux découte, dappui et daccompagnement des parents, tels quils sont actuellement mis en uvre par une convention passée entre la délégation à la famille et le ministère de la ville.
2. Les parents dabord, lécole républicaine ensuite.
LEducation nationale est un point dancrage crucial de la société et porte le poids, lourd, très lourd, dune part importante de léducation de nos enfants. Les réformes engagées dans lEducation nationale par Claude Allègre et Ségolène Royal sont déterminantes pour la politique de la ville : que ce soit la relance des ZEP, les contrats éducatifs locaux, dont le ministère de la ville est le promoteur avec Catherine Trautmann et Marie-George Buffet, ou encore le développement des classes relais.
Les autres projets de réforme, notamment la charte pour bâtir lécole du XXIème siècle, sinscrivent dans la même dynamique.
MAIS, je tiens à parler net avec les mots les plus simples possibles, car mon objectif est de dissiper tous les malentendus.
Il ne faut pas se décharger sur la seule Education nationale de toute la responsabilité de lacte éducatif. Cette tentation entraîne, lorsquelle a lieu, des conséquences graves tant pour linstitution, qui se trouve alors désarmée et isolée, que pour les enfants qui ne sentent pas autour deux la cohésion du monde adulte dont ils ont absolument besoin.
Lacte éducatif concerne lensemble des habitants de la cité.
Jusqualors, les politiques éducatives du ministère de léducation nationale et celles de la politique de la ville ont été construites et mises en uvre sans réelle coordination, vos ateliers lont bien montré.
Le moment est venu de marquer une étape décisive dans la coopération. Lheure du changement a sonné pour que lécole travaille avec la ville et réciproquement.
La contractualisation entre lEtat et les villes, que nous allons renouveler pour 7 ans, constitue une façon moderne dorganiser le projet éducatif local qui favorise la concertation. Ne ratons pas cette occasion. Les débats passionnés dans lécole, sur lécole, devraient déborder largement sur la ville tout entière.
Parlons dans ce cadre des questions difficiles, par exemple de cette crainte de la municipalisation de lécole. Elle nest pas dactualité ; elle ne le sera pas. Le gouvernement est très attaché au service public denseignement et compte le renforcer. Ce qui est en revanche posé, cest labsolue nécessité que tous les acteurs aillent dans le même sens pour lutter contre lexclusion des jeunes.
Je nignore pas que les enseignants sont parfois confrontés à des conditions de travail difficiles. Je sais aussi lénergie que beaucoup dentre eux mettent en faveur de la réussite des jeunes. Cest précisément en coordonnant leur travail sur des objectifs communs que nous connaîtrons nos plus belles réussites.
Louverture que réclame la politique de la ville doit se faire évidemment dans le respect des compétences des uns et des autres. Le contrat éducatif local - sur lequel je reviendrai - marque en ce sens une étape importante et permet de mobiliser la volonté des élus, et les savoirs faires associatifs. Ce projet global commun à léchelle dun territoire, dans lécole et en dehors de lécole, garantit la cohérence éducative nécessaire à la réussite des enfants.
Il faut aussi une ouverture des établissements hors temps scolaire : cest déjà le cas avec le dispositif " école ouverte " que la politique de la ville soutient depuis lorigine, et qui permet aux enfants des quartiers de continuer des apprentissages pendant les vacances. [Les enfants narrêtent jamais dapprendre ; ils ont tous droit à des loisirs intelligents, qui favorisent leur capacité de réflexion et la construction de leur autonomie.]
Lécole nest pas menacée par louverture sur la ville. Cest au contraire la condition de sa transformation. Je sais que la tâche est extrêmement difficile parce que nul ne peut se targuer davoir raison absolument, que le doute en matière éducative est la posture la plus pertinente. POURTANT, limmobilisme serait une redoutable erreur, léducation est toujours en mouvement, comme les enfants, qui nattendront pas que nous nous soyons mis daccord ... pour grandir. Nous sommes dans la nécessité du changement.
Pour accélérer ces changements, la formation des acteurs est incontournable. Que ce soit la formation lors de la prise de poste des fonctionnaires, dans tous les sites politique de la ville, que ce soit celle des futurs enseignants, comme cela se fait dans certains IUFM, ou que ce soit encore la formation conjointe des aides éducateurs avec les emplois jeunes des quartiers. Nous contribuerons à la développer.
Je demande de plus aux préfets, aux élus, aux responsables de léducation nationale, aux chefs de projets de veiller partout à ce que les enseignants, tous les enseignants, et pas seulement les coordonnateurs de ZEP, qui travaillent dans les quartiers de la géographie prioritaire soient pleinement associés à lélaboration des volets éducation des contrats de ville.
Enfin, les lieux ressources, les centres ressources ZEP ou les centres ressources politique de la ville, doivent se mettre en réseau, mêler les publics qui devraient être les mêmes, qui sont les mêmes.
Nous travaillons, Ségolène Royal et moi-même, à lélaboration dun texte de cadrage relatif à la coopération entre léducation nationale et la politique de la ville. Si ce texte devient le vôtre, comme vous lavez souhaité, il permettra de rendre légitime ce qui souvent passait pour facultatif ; il créera les conditions dune relation " ordinaire ", installée au quotidien, dans les habitudes de travail de chacun.
3. Lacte éducatif repose également sur la socialisation. Cest le troisième socle de la politique de la ville sur lequel sancre lacte éducatif.
Cette tâche est accomplie par les adultes qui sengagent dans une relation de confiance et de construction commune avec les enfants et leur donnent à voir ce quêtre adulte veut dire. Cest ce quentreprennent de nombreuses municipalités, cest le travail immense des associations qui interviennent après lécole, parfois dans lécole hors temps scolaire, et qui conjuguent inventivité et générosité.
La politique de la ville reconnaît le travail considérable des associations. Elles sont les passerelles qui favorisent et organisent les interactions école-famille-ville, essentielles à la vie démocratique de notre pays.
Nous avons dailleurs, lors du CIV du 2 décembre 1998, arrêté des mesures de simplification des procédures de financement pour faciliter la vie de ces associations trop souvent confrontées à des difficultés pour organiser leur action. Elles sont mises en place dès cette année.
Les associations sont les principales actrices du contrat éducatif local qui fédère les acteurs de léducation, les réunit autour dobjectifs communs pour accompagner le parcours des enfants après lécole. Il constitue un pôle majeur du volet éducation du contrat de ville.
Il doit sorganiser dans le respect des métiers, des compétences de chacun, et, surtout, avec le souci de bien comprendre le besoin des enfants. Cest le cadre pour laccès à la culture pour tous, la culture scientifique et technique par exemple. [Je citerais bien volontiers linitiative du professeur Charpak " La main à la pâte " qui se fait dans le temps scolaire et dont chacun connaît ici la très grande audience. Je soulignerai également le travail de lassociation des Petits débrouillards, au nom bien mérité, et qui dans les quartiers de la politique de la ville, en dehors du temps scolaire, au pied des immeubles, chez les habitants, fait découvrir le plaisir de comprendre les mystères du monde.]
Un autre facteur incontournable de lintégration des enfants dans lespace social est la mobilisation de tous les habitants. Il sagit de développer une " veille citoyenne ", cest-à-dire un état dalerte tranquille mais constant, pour quautour deux, les jeunes soient protégés des dangers, y compris de ceux quils génèrent. [Jen profite pour souligner la place considérable que les femmes, notamment les femmes relais, médiatrices de savoirs et de cultures, ont prise dans cette mission pour la politique de la ville. Elles sont représentées ici et je les salue].
4. La dernière dimension de lacte éducatif, cest la parole des jeunes eux-mêmes, entre eux, et avec les adultes. Cest LA condition de leur participation à la vie de la cité.
Vous le savez, le CIV du 30 juin 1998 a fait de la participation des habitants un des enjeux majeurs de la préparation des nouveaux contrats de ville. Les jeunes ne peuvent en être exclus.
Le dialogue avec les jeunes et la prise en compte de leurs points de vue sur la ville ne sont pas encore entrés dans les habitudes des adultes. Cest pourtant dans linstauration régulière de ce dialogue quun nombre important de conflits et de peurs mutuelles peuvent être évités.
La représentation quils ont de lespace urbain est à prendre en considération avec le plus grand sérieux : Ils ne cessent de réclamer quon les écoute. Il est indispensable quils participent à lélaboration des contrats de ville. Ces contrats contribueront à leur préparer un meilleur avenir.
Cest pourquoi aider les jeunes à maîtriser lusage de la langue dans toute sa variété est une des actions la plus noble de la politique de la ville. Cest celle à laquelle je vous engage le plus. Cest le fondement du lien social et de la citoyenneté. Il sagit de donner le pouvoir des mots.
Et sil faut passer par limage... et sil faut passer par leurs mots à eux pour quils acceptent les nôtres... Faisons-le !
Cest pour cette raison que jai souhaité le développement national des classes de ville. Elles peuvent être organisées pendant le temps scolaire par des équipes denseignants, mais également hors temps scolaire, par des associations, notamment pendant les vacances. Les enseignants qui les ont expérimentées mont tous affirmé quil sagit dune méthode favorisant une nouvelle relation des jeunes avec leur ville. Ils la regardent dun il neuf, ils la découvrent dans toutes ses dimensions, ils lapprennent et en deviennent plus facilement acteurs.
Les enfants et les jeunes apprennent aussi la vie entre eux, souvent pour le meilleur et parfois pour le pire. Ces apprentissages sont loccasion de rêves, de projets communs et de réussite possible qui peuvent leur donner force et confiance en eux.
Cest pourquoi nous avons prévu de mettre en place dès septembre, une offre plus diversifiée et plus souple en direction des jeunes. Ainsi, nous expérimenterons les chèques associatifs permettant aux enfants de payer eux-mêmes les activités quils ont choisies dans leur quartier.
Dautre part, la mise en place progressive des Fonds de participation des habitants dans chaque quartier facilitera également les initiatives des jeunes.
Partout dans les villes, de très nombreuses actions contribuent à une meilleure participation des enfants et des jeunes à la vie de la cité : soutien scolaire, action lecture, écriture, théâtre. Ces actions doivent être coordonnées entre elles, avec celles de lécole, elles doivent faire bloc, montrer quelles constituent un axe fort du projet éducatif local. Elles doivent également sinscrire dans la durée.
Il faut pour cela une volonté politique forte. Il convient aussi de dégager des moyens financiers et humains.
Cest pourquoi, je souhaite fédérer et encourager les initiatives au sein dun ambitieux programme de jeunesse citoyenne, capable de créer les conditions nécessaires pour que les objectifs que je viens de définir soient atteints. Il sagira de mettre en place, dans chaque contrat de ville, les outils, les acteurs et les dynamiques susceptibles de porter, dans la durée, la parole et les projets des jeunes dans les quartiers.
Ce programme de jeunesse citoyenne a vocation, dès cette année, à permettre des formes de consultation des enfants et des jeunes pour la construction des contrats de ville. Il permettra dassurer le suivi des actions et de favoriser lécoute et léchange permanents entre les jeunes et les adultes par des activités adaptées ; il contribuera à aider les jeunes à réaliser leurs projets. Il facilitera enfin lorganisation et le suivi des classes de ville.
La politique de la ville appuiera lélaboration et la structuration de ce programme de jeunesse citoyenne. Sur la base dun cahier des charges concerté, des équipes daide aux projets seront constituées. Elles auront mission didentifier les besoins, daider au diagnostic et dapporter toute la technicité propre à ce type daction.
Des moyens humains, ensuite. Si besoin est, des emplois jeunes viendront appuyer les équipes locales, équipes de maîtrise duvre urbaine ou associations qui en auront reçu la délégation.
Lon pourra mobiliser à cet usage les crédits dingénierie du dispositif " nouveaux emplois nouveaux services " et des crédits de formation pourront être mis en uvre.
La délégation interministérielle à la ville apportera le soutien technique nécessaire à ce programme prioritaire des contrats de ville.
5. Parlons maintenant de la ville et de LESPACE EDUCATIF quelle constitue.
On ne peut plus penser léducation comme on la fait au temps de la France rurale et quand internet nexistait pas. Les solutions ne consistent plus à délimiter des espaces. Ce sont les lieux qui comptent : maisons de quartier, de la justice et du droit, centres culturels,... mais ce sont aussi les liens, les réseaux de solidarité, les réseaux de sociabilité urbaine, les espaces symboliques.
On définit souvent lunivers urbain comme un univers guerrier dont il sagit de se défendre. Pierre Alechinsky a intitulé une uvre célèbre réalisée avec l'empreinte de plaques dégouts et de couvercles de poubelles "Le bouclier urbain". Cest bien pour corriger les insupportables inégalités de relégation que la politique de la ville a mobilisé ces vingt dernières années des ressources considérables.
Cependant, ravaler les murs ne ravale pas les esprits, et limaginaire urbain se construit lentement. La ville est désormais notre culture, avec ses maux et ses richesses. La politique de la ville ne consiste pas à RESISTER à la ville mais plutôt à organiser la vie des habitants dans le souci de développer le meilleur et de corriger le pire.
Cest pourquoi il nous faut penser lespace urbain pour les jeunes aussi. Ils ont en effet trop souvent le sentiment dêtre rejetés ou confinés dans des lieux peu accueillants.
Nous devons leur proposer dans la ville des espaces dexpression, déchanges à la hauteur des ambitions que nous avons pour eux. Leur reconnaître lexercice plein et entier de leurs droits dans cet espace, le penser avec eux, est un chantier encore largement ouvert. Les mairies, les conseils régionaux, mais aussi les conseils généraux - désormais acteurs de la politique de la ville à part entière - ont un rôle déterminant à jouer à cet égard, chacun dans son domaine de compétence.
Une des directions forte de votre travail a porté ces deux jours sur la mixité sociale et scolaire.
Tout doit être entrepris pour que les enfants de la République soient éduqués ensemble. Nous ne voulons pas décoles pauvres, avec des programmes minimum, pour des quartiers pauvres. En ce sens la relance des ZEP et lélargissement au REP sont conçus comme une ouverture au reste de la ville, une façon de sortir du ghetto et non de sy enfermer.
La ségrégation sociale et scolaire est comme une sorte de consensus sécrété par les citoyens eux-mêmes. Dès quils accèdent à un mieux être, ils fuient les quartiers. Comment leur en vouloir ? La solution consiste donc à reconsidérer ces quartiers, en leur rendant une habitabilité réelle, en leur donnant une qualité de vie suffisante, pour que les gens, qui y sont souvent attachés, aient envie dy rester. La ségrégation scolaire est liée inexorablement à cette condition. La stratégie dévitement de certains parents, quon peut tout à fait comprendre, a des effets désastreux en tirant vers le bas les établissements scolaires. Pour rompre cette tendance, là encore, il faut penser les politiques de façon globale. Nul ne parviendra à améliorer la situation des villes dégradées par la pauvreté sil travaille seul.
La démocratie dans nos cités aujourdhui et demain est à ce prix : des gens qui se parlent et qui organisent ensemble une société plus juste.
Avant de conclure mon propos, je voudrais rappeler limportance capitale de linvestissement des élus, dans la problématique éducation de la politique de la ville.
Ce sont eux qui portent les initiatives locales, fédèrent les acteurs et créent la dynamique locale associant lensemble de la ville à lacte éducatif. Ils ont un rôle clé à jouer dans la définition et la conduite des projets éducatifs locaux.
Mesdames et messieurs, laissez-moi clore ces deux journées par lévocation dun des plus beaux livres de Marguerite Duras " Pluie dété ". Cest une fable sur lécole et lapprentissage, un des rares livres qui dise justement lécart entre des mondes qui coexistent, se frôlent mais ne se rencontrent pas assez.
Cest lhistoire dune famille dimmigrés qui vit sous le périphérique à Vitry. Ernesto, le fils surdoué de la famille, apprend en tournant autour de lécole, en écoutant la rumeur qui perce les murs, mais... il ne veut pas aller à lécole... parce quà lécole... on lui apprend des choses... quil ne sait pas...
Les parents, eux, ont peur de linstituteur et croient que toute autorité contrôlée par lEtat, est ... judiciaire...
Ces enfants, ces familles, qui vivent dans une sorte dapartheid et de crainte constante, en dessous du seuil de la pauvreté et de la dignité, vivent près de nous. Cest pour eux que nous devons redoubler defforts et inventer des modes de reconnaissance et de valorisation qui leur donnent toutes leurs chances.
Nouvelles chances, secondes chances ? CHANCES TOUT COURT, et le plus tôt possible.
Pendant ces vingt dernières années, même si ce nétait évidemment pas lobjectif, les politiques sociales territorialisées ont contribué à séparer les territoires ZEP, ZUS, toutes zones isolées du reste de la ville, périmètres superposés qui déréalisent lespace. Cétait sans doute incontournable pour appréhender la situation et commencer à la traiter. Mais ce marquage territorial dépréciatif, alors même quil avait vocation à améliorer la situation, a parfois engendré des effets pervers. Qui aime vivre et apprendre dans une zone ?
On a également laissé les institutions développer leurs actions dans des logiques parallèles. Au-delà des déclarations de partenariat, des blocages pour de bonnes ou de mauvaises raisons, les acteurs sont souvent demeurés éloignés : Car partager des projets de papier na rien à voir avec leffort constant nécessaire au dialogue et à laction commune, au jour le jour, afin davancer dans le même sens.
Nous devons renverser la logique déchec !
Apprendre est souvent à limage de la dictée : dès quon commence, on a déjà des fautes et des points en moins. On pourrait au contraire sappuyer dabord sur les compétences des enfants pour les aider à acquérir les connaissances et les savoirs-faire nécessaires à leur réussite. Ce nest quau prix dune valorisation des acquis quon leur permettra dêtre fiers deux, davoir envie dapprendre, et quils pourront sinsérer dans la société. Nous avons des progrès à faire en ce sens dans notre système éducatif, dans lécole, dans la ville et dans la société tout entière.
En somme, il ne sagit plus seulement de combler les manques, mais de promouvoir une logique de projet et daction commune : Cest ce que jappelle de mes vux pour les volets éducation des contrats de ville.
Jai voulu lorganisation de ces journées pour réaffirmer fortement que lacte éducatif est le premier fondement de notre pacte républicain et quil mérite un débat. Une société a léducation quelle mérite. Une société qui a peur de ses enfants tourne le dos à son avenir. Si nous voulons une société plus juste et plus démocratique, alors il faut repenser lacte éducatif et ensemble transformer nos pratiques.
Cet acte éducatif refondé, cest justement cette promesse enfin tenue à laquelle faisait référence Philippe Meirieu, dun avenir pour ces jeunes. Cest la promesse que lon parviendra à enrayer les mécanismes dexclusion, cest la promesse que la ville devienne le champ des possibles, de toutes les réussites et de toutes les solidarités.
Cest notre projet politique. Et cest tous ensemble que nous donnerons corps à ce projet.
(Source http://www.ville.gouv.fr, le 04 mai 1999)