Interview de M. François Hollande, Premier secrétaire du PS, à "RTL", le 3 octobre 2001, sur l'offensive que les Etats-Unis préparent contre les taliban, l'engagement possible de la France à leurs côtés, les débats à l'Assemblée nationale sur la politique étrangère et sur la sécurité intérieure, la fouille des voitures, la croissance économique et la politique budgétaire.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

R. Elkrief T. Blair et G. Bush laissent entendre qu'une offensive pourrait s'accélérer contre les taliban. Est-ce que la France est informée de l'approche d'une grande bataille, vous qui êtes en contact permanent avec le Gouvernement et avec L. Jospin ?
- "Je ne suis pas dans le secret des décisions et, s'il y a des décisions, je ne suis pas sûr qu'il faille les communiquer, ni même d'ailleurs les annoncer. Mais il est clair qu'il y a une pression qui se fait sur le régime taliban. Il y a une volonté de mettre la main sur ceux qui ont commis des actes horribles, et il y a une détermination de la communauté internationale, pas simplement des Etats-Unis ou de la Grande-Bretagne. C'est une affaire collective, une affaire mondiale, ce n'est pas simplement le plus puissant ou celui qui a été agressé qui peut régler cette affaire-là."
Cet après-midi, s'ouvre à l'Assemblée nationale un débat de politique étrangère sur la situation internationale, au cours duquel le Premier ministre s'exprimera. Est-ce que cela va servir à tester l'opinion des députés sur un engagement possible de la France aux côtés des Etats-Unis ?
- "Il y a une grande convergence de vues à l'Assemblée nationale, comme dans le pays, sur la nécessité d'une réponse, mais d'une réponse qui soit justement délibérée, qui soit collective, qui ne soit pas simplement la réponse d'un pays - les Etats-Unis - à une agression inacceptable. Donc, il y a une grande cohésion de la communauté française à vouloir qu'il y ait une suite, mais en même temps, que la France soit associée à cette riposte et qu'il y ait une liberté dans la décision française quant aux mesures qui pourraient être prises. Sur cette base-là, je pense que nous nous retrouverons nombreux. Maintenant, il doit y avoir un débat ; c'est quand même la moindre des choses que le Parlement puisse être saisi."
Il n'arrive pas trop tard, par hasard ?
- "Il y a déjà eu des explications devant les commissions, par la volonté du Premier ministre. C'est lui qui a souhaité qu'il y ait ce débat ; c'est le premier de la session qui va avoir lieu, pour que nous puissions discuter des mesures contre le terrorisme. Il en faudra d'autres, y compris sur notre sol. Vous avez vu qu'il y a une information selon laquelle des menaces - et plus que des menaces, des actions - étaient préparées, contre un certain nombre de bâtiments. Il est normal que l'on se protège encore davantage contre le terrorisme. Il est normal que les Français soient informés de notre position par rapport à la riposte qui doit avoir lieu. Il est normal que l'on puisse aussi savoir ce qu'accepterait la France, dans le cadre d'une action menée par exemple en Afghanistan. Donc, il faut qu'il y ait ce débat, qui est à la fois une forme d'intervention publique du Premier ministre, mais aussi une information donnée et un débat qui doit aussi permettre à tous les groupes de s'exprimer."
Sur la sécurité intérieure, justement, une question un petit peu pointue : la fouille des coffres de voiture. Le ministre de l'Intérieur y est favorable, il pense que c'est une manière d'éviter des actes terroristes. C'est une mesure qui avait été invalidée par le Conseil constitutionnel dans le passé. Quelle est votre position ?
- "Ma position est très simple : quand il y a une menace terroriste, comme nous la connaissons, capable d'avoir des effets aussi désastreux que ceux qu'on a constatés aux Etats-Unis - ce qui aurait pu se passer sous d'autres formes en France -, il faut renforcer notre dispositif, mais il faut le faire en fonction des principes : ceux qui ont été posés par le Conseil constitutionnel."
Donc, oui ou non, est-ce qu'on peut fouiller les coffres des voitures, si on fait un contrôle policier ?
- "Aujourd'hui, nous n'avons pas tous les moyens de le faire. Donc, il faut absolument que la France dispose, pour lutter contre le terrorisme, de ces mécanismes, mais il faut le faire en fonction de nos règles de droit, des principes qui ont été posés par le Conseil constitutionnel et de manière limitée dans le temps. Sur ces bases-là, je crois qu'il serait plus efficace pour les services de police d'intervenir et, en même temps, ce serait respectueux du droit."
On parle de la situation économique, qui est inquiétante aux Etats-Unis. Le mot "récession" a été prononcé par G. Bush. En France aussi, on a des inquiétudes. Les prévisions de croissance ont été révisées légèrement à la baisse par L. Fabius : au lieu de 2,5 c'est 2,25. E. Guigou fait un plan antichômage. Faut-il s'inquiéter et prévoir le pire ?
- "Il ne faut pas prévoir le pire : il faut l'empêcher, c'est tout à fait différent."
Donc, il est prévisible, il est possible ?
- "Le pire est toujours possible, il n'est jamais sûr, selon la formule consacrée. Donc, il y a l'amorce d'une récession aux Etats-Unis, et les événements du 11 septembre ont amplifié le risque. A partir de là, que faire ? Annoncer des chiffres inférieurs à ceux qui étaient affichés il y a plusieurs mois ? Pourquoi pas, si cela doit être un signe de réalisme."
Pour prendre au sérieux les Français, quand même !
- "Mais si c'est aussi pour renforcer le pessimisme, mieux vaut l'éviter. Il faut essayer, dans des périodes difficiles, comme nous l'avons fait dans des périodes plus simples, plus faciles, d'être à la fois volontaire dans l'action et sérieux dans la gestion. Volontaire dans l'action, cela veut dire qu'il est possible de soutenir la croissance. Il est même indispensable de le faire. Soutenir la croissance, c'est soutenir d'abord la consommation. C'est ce qui a été souhaité par le Gouvernement dans ce projet de budget à travers la Prime à l'emploi et les baisses d'impôts. C'est aussi soutenir la demande des entreprises, c'est-à-dire l'investissement public. C'est vrai qu'il serait bon qu'il puisse y avoir des actions européennes qui puissent être engagées, parce que sans l'investissement privé, il ne peut y avoir d'économie dynamique."
Concrètement, sur l'aide aux entreprises, qu'est-ce qui peut être prévu, qu'est-ce que vous pourriez annoncer, ou en tout cas, à quoi seriez-vous favorable ?
- "Déjà, dans le projet de budget, il y a la baisse de la taxe professionnelle."
Est-ce qu'il faut l'accentuer ?
- "Elle va de toute façon disparaître sur la base salaires. Cela veut dire que les entreprises qui ont des salariés ne doivent plus payer leur taxe professionnelle, compte tenu des emplois qu'ils ont pu créer dans le passé ou qu'ils voudraient créer dans l'avenir. C'est déjà un premier point. Deuxièmement, il y a la baisse de l'impôt sur les sociétés qui a été prévue."
Est-ce que ce qui est prévu dans le budget suffira, puisque les choses bougent ?
- "Nous verrons bien. Pour l'instant, des premières décisions ont été prises pour l'emploi. Il est très important que sur le chômage de longue durée, sur l'emploi des jeunes, sur la requalification des salariés, il puisse y avoir une action. Et d'ailleurs, ceux qui nous avaient critiqués - cela peut arriver - en 1997 déjà, pour avoir créé les emplois-jeunes, pour avoir favorisé la lutte contre le chômage de longue durée, en nous disant qu'ils n'ont pas besoin de ces dispositifs, doivent constater aujourd'hui, quand la croissance peut se ralentir, qu'il est indispensable d'avoir ces mesures volontaristes. Deuxièmement, s'il apparaissait - et c'est possible - que dans les semaines qui viennent ou dans les mois qui viennent, il y ait encore, compte tenu de ce qui se passe aux Etats-Unis, un risque de ralentissement, alors, il faudrait remettre du carburant dans la machine, sans doute au niveau européen."
Par exemple, concrètement ?
- "Sans doute au niveau européen, à travers une coordination des politiques budgétaires, sans doute aussi au niveau national, par rapport à la consommation et à la demande des entreprises. Mais n'allons pas trop vite. Essayons de graduer nos décisions en fonction de la situation. Ne brûlons pas toutes nos cartouches sinon, nous nous retrouverions dans une situation comparable à celle des années 90. Je veux néanmoins préciser cela pour nos auditeurs : nous sommes avec des taux d'intérêt qui n'ont jamais été aussi bas, nous sommes avec un prix du pétrole qui est faible, nous sommes avec des décisions budgétaires, notamment aux Etats-Unis et en Europe, qui sont plutôt accommodantes par rapport à la nécessité de la relance. Alors, dans ces conditions-là, il ne faut surtout pas perdre confiance. Il faut affirmer - et c'est ce que fait le gouvernement de L. Jospin - une volonté d'agir et un sérieux dans la gestion."
(Source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 4 octobre 2001)