Texte intégral
Discours de François Huwart,
secrétaire d'Etat au commerce extérieur
La vision française de la mondialisation - Bogota.
Mercredi 4 juillet 2001
Madame la ministre,
Mesdames, messieurs,
Je suis très heureux de vous rencontrer aujourd'hui à Bogota.
Heureux et fier de cette occasion qui m'est donnée aujourd'hui de débattre avec vous, responsables politiques et économiques, intellectuels colombiens, de la mondialisation, et de partager avec vous quelques pistes de réflexion sur cette mondialisation au double visage: celui du développement économique, de l'ouverture des cultures, et celui, noir, du crime, des trafics et de la corruption. Votre pays connaît ces deux visages. Je crois donc que cette réflexion sur la mondialisation est à juste titre aujourd'hui au cur de vos préoccupations.
La mondialisation constitue un tournant historique et, à certaines conditions, une opportunité nouvelle pour l'humanité toute entière.
Au 19ème siècle, la mondialisation a été celle de la colonisation et de la domination. Au 20ème siècle, la mondialisation a d'abord été celle de la guerre et de la crise. Puis le monde a longtemps été figé dans un affrontement idéologique stérile et coûteux, celui de la guerre froide.
A l'aube du 21ème siècle, une chance unique et inédite est donnée à l'humanité de fonder la paix sur de nouvelles relations internationales stables et civilisées. Une chance unique et inédite nous est donnée de faire reculer vraiment la pauvreté quand la moitié des habitants de la planète vit avec moins de 2 dollars par jour ; quand 800 millions d'entre eux souffrent de la faim et de la malnutrition, comme vient de le rappeler la FAO.
Aujourd'hui, le développement spectaculaire des échanges de biens et de services peut créer des richesses et favoriser la croissance.
Aujourd'hui, l'extraordinaire accélération du progrès technologique, en particulier dans le domaine de l'information et de la communication, rend moins utopique que jamais le sentiment d'un destin commun à tous les citoyens du monde. Les valeurs de la démocratie, des droits de l'homme se propagent sur tous les continents. Au cours des vingt dernières années, l'Amérique latine a été aux avants-postes de cette révolution pacifique et les dictatures militaires ont laissé la place à des gouvernements élus par leurs peuples. Je suis persuadé qu'ici aussi la pression mondiale en faveur de ces valeurs peut vous aider à construire une société plus juste, une société prospère et paisible. C'est bien l'un des objectifs de l'appui de l'Union européenne et de la France au processus de paix en Colombie.
Cette mondialisation du progrès et de la démocratie constitue une chance historique que nous ne devons pas laisser passer ; mais il y a une condition impérative : que ce progrès soit partagé, que le commerce soit plus équitable, que les richesses nouvelles ne soient pas confisquées par les plus riches, que les idées, les connaissances et les savoirs circulent librement, sans laisser le champ libre au niveau mondial aux activités délictueuses dans le cadre des Etats. En un mot, que la mondialisation soit maîtrisée et organisée et non livrée à elle-même, c'est à dire à la loi du plus fort.
Cette ambition, c'est celle de la France, que je voudrais partager avec vous ce matin.
* * *
A. Les risques d'une mondialisation au dépens des Etats.
1. Genèse de l'intégration économique planétaire
La mondialisation est un processus historique complexe, fruit de l'innovation et du progrès technologique, de la révolution des transports et des communications comme de différentes vagues de la libéralisation économique.
Pour être spectaculaire, le phénomène de la mondialisation n'est pas pour autant inédit. La fin du 19ème siècle a connu semblable expansion des échanges et du commerce entre les nations. En proportion de la richesse produite, les flux financiers entre l'Europe, l'Amérique du nord et le Japon étaient sensiblement supérieurs dans les années 1870 à 1914 à ce qu'ils ont été entre 1970 et 1996.
Nous avons, malgré tout, aujourd'hui le sentiment d'une rupture historique, d'une formidable accélération du progrès technologique et des échanges, d'un rétrécissement subit des durées comme des distances.
Les avancées de la technologie ont formidablement accru le potentiel d'échanges de biens, de services et d'informations: depuis 1950, les exportations de marchandises ont été multipliées par 18 et les investissements directs à l'étranger par 2500, quand le PIB mondial a été, si j'ose dire, seulement multiplié par 5. Les échanges internationaux ont encore augmenté de plus de 11 % en volume l'année dernière.
Selon les économistes, le commerce international est positif. La spécialisation permet une meilleure allocation des ressources et entraîne des gains d'efficacité et donc une augmentation du bien-être national: les consommateurs ont accès à des gammes de produits plus larges et à des prix inférieurs, en comparaison d'une situation d'autarcie. Serions-nous prêts à payer le prix de l'autarcie: moindre pouvoir d'achat, moindre choix pour les consommateurs que nous sommes, moindre bien-être collectif et moins de croissance?
La réponse est bien sûr négative. Nous, Européens, en avons eu l'expérience avec les pays de l'Europe de l'est avant la chute du mur de Berlin: une économie protectionniste offre des biens et des produits moins nombreux, de moins bonne qualité, tout en étant moins respectueuse de la nature. Faut-il pour autant passer de la pure théorie économique des Ricardo, Samuelson ou Krugman à des politiques brutales de déréglementation et de dérégulation internationales? Je ne le crois pas davantage.
Entre un bien théorique et la réalité, il y a tout l'espace propre à l'action politique qui doit définir le rythme et les moyens pour parvenir à une ouverture économique appropriée, ni trop rapide, ni toujours reportée à plus tard.
2. Les imperfections de la mondialisation capitaliste.
Pourtant, bien loin de susciter un enthousiasme unanime, et la confiance dans l'avenir, la mondialisation fait peur. L'efficacité économique du marché n'est plus guère contestée - croissance, émulation technologique, création de richesses - mais le prix à payer peut apparaître trop lourd sur le plan de l'équilibre des sociétés. J'étais présent il y a quelques mois au forum social mondial de Porto Alegre au Brésil qui se voulait le miroir critique de Davos, et je peux témoigner des inquiétudes très fortes, et même parfois des angoisses, souvent légitimes je dois dire, qui s'y sont exprimées.
La mondialisation est aujourd'hui perçue par beaucoup comme une menace pour les emplois, une menace pour la qualité de l'environnement et pour nos identités culturelles respectives.
Les réseaux de communication instantanée, la proximité médiatique posent parallèlement les prémices d'une intimité planétaire. Une société civile mondiale se dessine et prend vie à travers un grand nombre d'organisations non-gouvernementales. Le sentiment d'un destin commun à tous les peuples est en train d'émerger. La nature inégalitaire de la mondialisation n'en apparaît que plus insupportable.
Insupportable de savoir que la ville de New York compte plus d'internautes que tout le continent africain.
Insupportable de savoir qu'au rythme actuel de déforestation illégale, les forêts tropicales d'Indonésie auront complètement disparu dans moins de dix ans.
Insupportable de savoir que chaque semaine en Inde plus de femmes meurent en accouchant que chaque année en Europe.
Ces inquiétudes que la mondialisation suscite, ces inégalités qu'elle semble creuser, les défis sociaux, environnementaux qu'elle pose, tout ceci peut être ramené à la relation fondamentale entre l'Etat, la société et le marché, entre l'économique, le social et le politique. En permettant la mobilité des capitaux, c'est à dire des entreprises, de l'épargne, mais aussi des travailleurs qualifiés, la mondialisation a rompu un certain équilibre.
3. Le mécanisme du dumping social.
L'un des effets les plus pernicieux de la mondialisation est bien ce que l'on appelle le " dumping social ", expression qui recouvre les problématiques des normes du travail dans le monde et de la concurrence fiscale et sociale entre Etats.
Privées du cocon protecteur des barrières douanières et des politiques économiques et industrielles propres à chaque Etat, les entreprises sont soumises à la contrainte concurrentielle globale. Cette mise en concurrence universelle par le marché a pour conséquence d'amplifier les inégalités de revenus, d'accentuer les exclusions. Dans les anciens pays industriels, les travailleurs peu ou pas qualifiés sont entraînés dans une course à " l'abîme social ". De l'autre, des travailleurs au savoir-faire ou à la compétence raréfiée sont valorisés à l'échelle démultipliée du marché mondial. De façon pernicieuse, ce dumping social ne creuse pas les inégalités entre les pays mais bien au sein de chaque pays, entre les groupes sociaux qui ont accès aux savoirs valorisés et les autres.
Dans les pays en développement, la nouvelle division internationale du travail permet à ces pays de bénéficier de leurs avantages comparatifs naturels, mais dans des conditions souvent trop précaires et dans une logique de court terme. Certaines régions où sont regroupées les industries tournées vers l'exportation, finissent par connaître les effets négatifs d'une trop grande concentration en termes de transports, d'approvisionnement en eau et en électricité, en termes de pollution aussi.
Que ce soit au nord ou au sud, ces inégalités doivent être contrebalancées par une politique forte de redistribution des chances ; une politique de solidarité qui permette de limiter les inégalités inhérentes au capitalisme. La coexistence de l'économie de marché et de la solidarité a été une invention du XXème siècle. Ce modus vivendi doit être préservé au nord et mis en place au sud.
Le potentiel inégalitaire de la concurrence sociale et fiscale n'est pas le seul défi posé par la mondialisation. Les manifestants de Seattle ou de Québec insistent, non sans raison, sur les dangers pour l'environnement ou la diversité culturelle d'un marché étendu aux dimensions du monde, dont les acteurs en position de force seraient les firmes transnationales.
La croissance exponentielle des échanges a, par exemple, entraîné celle du transport maritime, qui constitue justement un exemple probant des imperfections et des impérities du marché. Les us et coutumes d'une marine marchande qui exploite les législations factices et les régimes fiscaux avantageux des pavillons de complaisance, comme elle exploite ses matelots sri-lankais ou philippins, apparaît comme une inquiétante métaphore d'une mondialisation purement capitaliste.
4.Diversité culturelle.
Autre défi, non moins crucial que celui de la biodiversité, posé par ce marché-monde en voie d'unification, est la menace, réelle ou supposée pour la diversité culturelle. Il existe aujourd'hui une crainte réelle que la domination économique et linguistique de l'occident en général, et des Etats-Unis en particulier, la puissance de ses médias, de ses entreprises multinationales, son contrôle des réseaux de l'information et de la communication, ne soient les vecteurs d'une hégémonie culturelle.
La conséquence la plus grave de cette hégémonie culturelle, de ce " soft power ", serait un appauvrissement de la diversité culturelle de la planète. Les cultures locales traditionnelles qui fondent souvent notre identité seraient donc gravement et directement menacées d'effacement. Pour reprendre le mot de Claude Lévi-Strauss, " une humanité unifiée serait une humanité ossifiée. "
Je reste toutefois persuadé que la défense de la diversité culturelle ne doit pas s'égarer et devenir le paravent vertueux des de toutes les dérives identitaires. Les efforts menés pour la diversité culturelle ne doivent pas l'être aux dépens du dialogue des cultures. Je vois moins dans la mondialisation une machine à étouffer la créativité propre à chaque peuple, à chaque région, à chaque pays, qu'un formidable outil de dialogue et pourquoi pas de métissage tant il est vrai que dialogue et métissage sont, à mes yeux, consubstantiels de l'idée même de culture.
A cet égard, nos deux pays partagent une forte conscience de leur identité culturelle, ainsi que de la nécessité de la préserver. Je crois qu'il y a là la condition nécessaire mais aussi suffisante pour savoir accueillir et s'enrichir d'expériences humaines et culturelles extérieures, pour atteindre ainsi à un message universel, comme l'illustrent vos créateurs contemporains, que ce soit Gabriel García Marquez, Álvaro Mutis, Fernando Botero ou David Mansour, pour n'en citer que quelques uns.
B. Retrouver la maîtrise de la mondialisation : une mondialisation politique qui reste à construire.
Les risques, les défis et les dangers que je viens d'évoquer ne doivent pas pour autant déboucher sur une condamnation sans appel de la mondialisation.. Soyons-en persuadés, " si nous savons la maîtriser, la mondialisation peut être une nouvelle étape dans le progrès de la civilisation. " C'est le message que le premier ministre français Lionel Jospin a fait passer au Brésil le mois dernier. C'est le message de confiance dans l'avenir et dans la capacité que nous avons d'agir sur les événements que je veux à mon tour vous adresser.
Les inégalités, les dérapages que je viens de rappeler constituent en effet à mes yeux un appel à agir.
Demandons-nous plutôt ce qui manque au progrès pour qu'il soit véritablement, selon le mot de Victor Hugo, " un pas collectif pour le genre humain ".
Ce qui manque, c'est bel et bien une mondialisation politique qui accompagne la mondialisation des marchés.
1.Le progrès juridique :
Cette mondialisation politique que la France appelle de ses vux passe par un rééquilibrage de la relation entre le marché et l'Etat, entre l'économique et le politique, non pas au nom d'un attachement nostalgique ou sentimental de la France à la souveraineté de l'Etat, à cet Etat-nation " inventé " par la Révolution de 1789. Bien au contraire, notre pays a montré dans son engagement européen sa volonté de s'inventer un nouveau destin avec ses voisins et ennemis d'hier. Si nous appelons à ce rééquilibrage en faveur du politique, c'est d'abord au nom du développement et, en dernière instance, de l'efficacité économique elle-même. La misère, l'exclusion et les inégalités se nichent trop souvent dans les absences de l'Etat.
Les crises financières récentes ont mis en lumière les déficiences structurelles propres aux Etats, à commencer par les béances ou les imperfections du droit. Ce sont bel et bien des défaillances juridiques qui ont contribué largement à déclencher la crise économique et financière. Ce sont ces même défaillances qui menacent la pérennité du progrès économique. Elles permettent en effet, le développement du " crony capitalism ", ce capitalisme de larrons, dans lequel l'allocation du capital n'obéit plus à des données objectives mais à des jeux d'influences. Ce sont elles également qui permettent le développement de la corruption et de systèmes mafieux à l'échelle mondiale.
L'urgence est donc de renforcer les droits bancaires ou boursiers, le droit de la concurrence et celui des faillites. Or qui dit règle de droit dit juge qui l'interprète et la fait respecter. Le progrès juridique est donc indissociable du progrès institutionnel qui dote l'Etat de tribunaux honnêtes et compétents, et d'une administration qui ne l'est pas moins. En un mot, il s'agit d'établir partout les bases réelles de l'état de droit économique.
Tous ces aspects juridiques et institutionnels concourent à fonder ce qu'on appelle désormais la bonne gouvernance. On comprend bien comment une action efficace de lutte contre la corruption peut rassurer les investisseurs étrangers. Dans le contexte de concurrence globalisée, cette bonne gouvernance, la qualité du droit et des institutions, devient un élément décisif dans l'allocation des capitaux à l'échelle mondiale. Le progrès juridique est une condition du progrès économique, mais son épanouissement harmonieux est aussi largement conditionné par le progrès de la démocratie.
La réponse au sous-développement ne réside donc pas uniquement, comme on l'a longtemps affirmé, dans les aides publiques massives, puis dans l'ouverture commerciale. Nous devons surtout, je crois, travailler ensemble à la constitution d'ordres juridiques tant internes qu'internationaux efficaces et modernes, fixant un cadre clair à l'activité économique, et permettant son épanouissement dans le respect des choix démocratiques des collectivités concernées, ce qui en conditionne la nécessaire stabilité.
Mais il n'y pas que le droit économique ; il y a aussi le droit social au sens large, le droit du travail, le droit de la sécurité sociale, le droit fiscal. Dans ces domaines, il ne peut être question seulement de compétitivité: il faut prendre en compte également les impératifs de solidarité et de cohésion sociale. Les formes traditionnelles de la solidarité construites autour de la famille ou du village font place, avec l'industrialisation et l'urbanisation, à des formes organisées par l'Etat ou les collectivités publiques. Il y a là des choix complexes, des arbitrages entre le court et le moyen terme, que chaque pays doit assurer lui-même, en fonction de ses besoins, de ses traditions et du souhait collectif de ses habitants. La leçon universelle en ce domaine, encore une fois, est que seul le jeu de la vie politique dans des institutions démocratiques peut permettre de définir le niveau et les moyens d'une juste redistribution.
Certains pensent qu'avec la mondialisation, les Etats sont périmés: je crois au contraire que sans l'Etat, les individus seraient réduits à leur seule valeur sur le marché.
Ce progrès juridique doit donc également progresser au niveau international, non pas au profit d'Etats-nation jaloux de leurs prérogatives mais dans l'élaboration de nouveaux cadres, supranationaux ou multilatéraux qui redonnent aux Etats le pouvoir d'influer sur le cours de la mondialisation, le pouvoir de la maîtriser, de lui donner des règles, d'en maximiser les profits pour le plus grand nombre, d'en redistribuer les richesses pour faire reculer la pauvreté et de construire un monde plus sûr et plus stable.
Pour y parvenir, les Etats doivent construire ensemble une architecture internationale de régulation.
Les crises financières que connaissent actuellement l'Argentine et la Turquie nous rappellent que l'intégration financière croissante est aussi facteur d'instabilité. Elles mettent en évidence un certain nombre de failles évidentes du système monétaire et financier international. Toutefois, depuis 3 ans, des progrès significatifs ont été accomplis.
Le Forum de stabilité financière a édicté des recommandations utiles pour la régulation des fonds spéculatifs et la supervision bancaire dans les centres offshore. Ces recommandations doivent maintenant déboucher sur un renforcement de la législation des Etats concernés et une meilleure coopération internationale. De même, le blanchiment d'argent, les pratiques fiscales dommageables des territoires et pays non-coopératifs mettent en danger la stabilité du système. Le Groupe d'action financière internationale a identifié 15 de ces paradis fiscaux, dont certains ont d'ores et déjà adopté des mesures efficaces. Autant d'efforts de régulation qui doivent se poursuivre avec énergie, et auxquels je sais que la Colombie participe vigoureusement.
La responsabilité des acteurs économiques, en particulier celle des entreprises transnationales est fondamentale. Ces entreprises ont certainement des droits mais elles ont aussi des devoirs, dont celui d'adopter un comportement social et environnemental responsable dans tous leurs pays d'implantation. Sachez que c'est une préoccupation qui m'est particulièrement chère dans ce pays ou les entreprises françaises sont très présentes et actives.
Mais trop de pays restent encore en margé des réseaux de l'économie mondialisée. Leur permettre de s'intégrer et de bénéficier pleinement du développement des échanges doit être une des priorités de la prochaine conférence de l'OMC qui va se tenir au Qatar à l'automne.
D'ores et déjà, et pour contredire ceux qui décrivent l'Europe comme une " citadelle assiégée ", l'Union a décidé d'ouvrir son marché à l'ensemble des produits en provenance des pays les moins avancés et appelle les autres pays industrialisés ainsi que les grands pays émergents à s'engager dans cette voie.
Pour importante qu'elle soit, cette décision n'épuise pas nos engagements envers les pays les plus pauvres. Ceux qui ne peuvent encore tirer du commerce des ressources suffisantes ont besoin de l'aide publique au développement. La France continuera d'y consacrer un effort majeur. Pour ces pays, le premier obstacle au développement reste le poids de la dette. La France était l'hôte du sommet de Lyon où a été proposée, en 1996, l'initiative d'allègement de la dette des pays pauvres très endettés (PPTE) et participe pleinement à cet effort. Nous devons maintenant veiller à ce que les sommes libérées par la réduction de la dette soient bien utilisées pour réduire la pauvreté, dans un cadre d'action concerté entre les grandes institutions internationales: FMI, Banque Mondiale, OMC et CNUCED.
Un exemple concret de ce dialogue qui peut se nouer entre le politique et l'économique vient d'être donné par les négociations entre l'Afrique du Sud et les entreprises pharmaceutiques autour de la question des médicaments génériques. Vous le savez, la pandémie de SIDA qui touche le continent africain est un désastre, sanitaire, mais aussi social et économique pour ces pays. Au Botswana par exemple, un jeune de 20 ans a deux " chances " sur trois de mourir du SIDA.
On ne peut pas attendre que les populations du sud soient solvables pour qu'elles aient le droit de se soigner et on ne peut s'en remettre au seul fonctionnement du marché, incapable de fixer spontanément un prix équitable pour ces traitements.
Sous la pression des ONG et de l'opinion publique, il faut bien le dire, plusieurs entreprises pharmaceutiques ont déjà pris l'engagement de fournir les médicaments à prix réduits.
La communauté internationale doit accompagner cet effort et mettre en place un système de prix différenciés, tout en évitant que les traitements fournis à prix réduits dans les pays en développement ne fassent l'objet d'un trafic pour retourner vers le nord. C'est l'esprit de la coopération entre l'OMS et l'OMC.
J'ai bien conscience d'avoir évoqué plus de problèmes que de solutions Mais vous devez en être convaincus, la régulation internationale cherche sa voie et progresse régulièrement. Les progrès réalisés ces dernières années ont souvent été suscités par les interrogations et les questionnements de la société civile. Mais c'est aux Etats, qui bénéficient de la légitimité démocratique, d'apporter des réponses à ces interpellations. C'est à eux de trouver les bons équilibres entre des intérêts, des besoins et des aspirations souvent contradictoires.
Pour l'ouverture du congrès de la paix en 1849, Victor Hugo a écrit : " Un jour viendra où il n'y aura plus d'autres champs de bataille que les marchés s'ouvrant au commerce et les esprits aux idées. ".
Ce jour est peut-être enfin arrivé, si nous parvenons à maîtriser la mondialisation ; si nous parvenons, ensemble, à lui donner ces règles qui garantissent que la pure tentation du profit ne l'emporte pas sur le respect de la justice sociale ou du développement durable, au service de tous et en particulier des plus pauvres.
(Source http://www.commerce-exterieur.gouv.fr, le 27 juillet 2001)