Déclarations de M. Lionel Jospin, Premier ministre, à l'ouverture et à la conclusion de la Conférence nationale sur l'emploi les salaires et le temps de travail, sur les objectifs et les conclusions du gouvernement en ce qui concerne l'emploi des jeunes, la réduction du temps de travail, les salaires et le développement de l'emploi, Paris le 10 octobre 1997.

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Circonstance : Conférence nationale sur l'emploi, les salaires et le temps de travail, Paris le 10 octobre 1997

Texte intégral

Conclusion
Au terme de cette longue journée de travail, je voudrais vous dire combien je me félicite de la qualité du débat qu'ensemble nous avons mené.
Ce débat fut franc, parfois animé, mais toujours cordial et constructif. Nous avons ainsi pu, chacun à notre place, chacun de vous porteur des intérêts de ses mandants, mais toujours avec le souci de l'intérêt général, dégager des voies nouvelles pour l'avenir de l'emploi.
Soyez-en remerciés.
Il nous faudra prolonger cette réflexion commune en construisant les solutions ensemble esquissées.
Il me faut conclure cette conférence.
Je le ferai en reprenant les différents thèmes qu'ensemble nous avons évoqués, dans l'ordre même où nous l'avons fait, en restituant votre apport collectif, mais aussi en précisant les décisions qui relèvent de ma propre responsabilité, qui est celle du Gouvernement.
1. L'emploi des jeunes.
J'ai pu mesurer combien les préoccupations dans ce domaine étaient communes. Tous nous avons conscience que la situation est particulièrement grave et que nous avons le devoir d'y apporter une réponse le plus rapidement possible. Le Gouvernement a pris ses propres responsabilités, avec le programme d'activités nouvelles pour les jeunes dans le secteur non-marchand. Je me réjouis des propositions qui ont été faites aujourd'hui pour y apporter une contribution dans le secteur des entreprises.
Nous avons pu constater la très grande différence qui pouvait exister dans ce domaine entre les branches. Cette situation appelle des réponses adaptées. C'est pourquoi je suggère que, sous l'impulsion des organisations syndicales et patronales au niveau interprofessionnel, chaque branche réalise un diagnostic de la situation de l'emploi des jeunes et de ses perspectives. Naturellement, si vous le souhaitez, nos administrations pourraient vous aider à l'élaborer. Sur cette base, vous pourriez alors négocier branche par branche des accords assortis d'objectifs quantifiés pour augmenter la part des jeunes dans l'emploi, diminuer la précarité, développer la formation et rajeunir la pyramide des âges.
Nous devons par ailleurs réfléchir ensemble à la fois aux diverses formules de formation en alternance et aux règles qui s'appliquent à l'accueil des stagiaires.
Un premier bilan de ces rencontres sera établi au premier trimestre 1998. Dans les branches où aucune rencontre n'aura eu lieu, l'Etat prendra ses responsabilités en réunissant des commissions mixtes. Un bilan général sera fait avant l'été pour mesurer les avancées réalisées.
Faisons aussi de 1998 l'année du développement de l'emploi.
J'aimerais, en particulier, que chaque grande entreprise se sente directement concernée par cette invitation, qu'elle réfléchisse aux gisements d'emplois et aux besoins des clients autour de son activité, pour qu'apparaissent de nouveaux débouchés en faveur de l'emploi. J'ai entendu des propos favorables sur ce point et je compte sur les organisations patronales, et syndicales, pour relayer cette ambition. Comptez sur moi pour insister au niveau européen, pour que la TVA puisse être minorée pour certaines activités nouvelles de service.
En outre, j'ai bien noté le souhait manifesté fortement par certains d'entre vous de favoriser le départ des salariés qui, ayant commencé à travailler très jeunes, aspirent légitimement à bénéficier d'une retraite anticipée. C'est pourquoi, si les partenaires sociaux réunis au sein de l'UNEDIC en étaient d'accord, l'Etat serait prêt, pour une première étape, à abonder, à hauteur de 40 000 F par an et par salarié, un dispositif complémentaire de l'ARPE visant à permettre aux salariés ayant commencé leur activité à 14 ans et ayant cotisé 40 ans, de partir à l'âge de 56 ans, en contrepartie d'embauches nouvelles. Bien évidemment, le Gouvernement est ouvert à un dispositif de même nature qui serait négocié au niveau des branches.
2. Le développement de l'emploi, en particulier dans les PME.
Nous savons tous que les entreprises de moins de 10 salariés constituent l'une des principales sources de créations d'emplois. Beaucoup d'entre elles pourraient contribuer davantage à ces créations d'emplois, si certaines complexités administratives étaient réduites et si certaines formalités étaient plus facilement prises en charge à l'extérieur. Je demande à Martine Aubry et à Dominique Strauss-Kahn de me faire des propositions après concertation avec tous sur des simplifications à adopter, en s'appuyant notamment sur le rapport que doit prochainement remettre le député Dominique BAERT. Des décisions seront prises dès le début 1998.
J'ai bien noté la proposition, suggérée en particulier par l'UNAPL, concernant le statut du collaborateur libéral. Elle mérite une étude commune approfondie.
Enfin, j'ai été très intéressé par l'idée de mettre en place un statut unique du premier salarié, qui ouvrirait droit à une forme de chèque emploi-services. Je suis prêt à prendre les dispositions nécessaires pour favoriser sa mise en oeuvre, si vous décidiez, par un accord, d'avancer dans cette direction. Dans ce domaine, c'est à la négociation de faire le premier pas.
3. Les salaires conventionnel et les minima de branche.
J'ai rappelé, dans mon exposé introductif, que la décision de transférer les cotisations d'assurance-maladie des salariés sur la CSG, allait leur apporter un gain de pouvoir d'achat de 1,1% en 1998.
En outre, je tiens à redire ici, comme beaucoup d'entre vous l'ont souhaité, que nous nous engageons à étudier une réforme élargissant l'assiette des cotisations patronales de Sécurité sociale dans un sens plus favorable à l'emploi.
En ce qui concerne les salaires conventionnels, notre discussion a montré que la situation actuelle n'était pas satisfaisante. Les grilles continuent d'être écrasées vers le bas, et les perspectives d'évolution salariales et professionnelles des salariés sont souvent très faibles, ce qui n'est bon, ni sur le plan social, ni sur le plan économique.
4 - Le temps de travail
Sur le temps de travail, j'ai entendu les uns et les autres. Je crois qu'il y a des points sur lesquels nous sommes d'accord. Aucun de nous n'attend tout de la réduction du temps de travail pour réduire le chômage et, en même temps, chacun est prêt à considérer, à sa manière, que, convenablement menée, la réduction du temps de travail peut être un axe d'action efficace dans ce domaine.
Nous sommes tous d'accord pour reconnaître la diversité des situations. Pour produire des effets favorables, la mise en oeuvre de la réduction du temps de travail doit être adaptée à la situation de chaque entreprise, comme aux attentes de ses salariés. C'est à la négociation sociale de déterminer, au niveau pertinent, le plus souvent au niveau le plus décentralisé, les modalités adaptées et de fixer l'équilibre des intérêts.
La négociation sociale est l'outil privilégié de la fixation des salaires, l'État n'entend pas s'y substituer. Mais la réduction du temps de travail serait inappropriée :
- si elle se traduisait seulement par des gains de productivité et non par des embauches ;
- si elle altérait la compétitivité des entreprises.
Bien sûr, il n'est pas concevable de vouloir baisser les rémunérations des salariés, compte tenu notamment de ce qu'a été, dans les années récentes, l'évolution du pouvoir d'achat net. Mais pour autant, la réussite de la réduction du temps de travail reposera sur une progression maîtrisée des salaires.
Il appartient à l'ensemble des fonds publics de faciliter ces négociations. C'est pourquoi je propose qu'il soit apporté une aide à toutes les entreprises qui négocieraient avec leurs organisations syndicales une baisse d'au moins 10 % du temps de travail, en accroissant leurs effectifs d'au moins 6 %. Cette aide sera d'un montant de 9 000 F par salarié en 1998 ; elle sera dégressive, pour prendre en compte la capacité des entreprises et des salariés à trouver, par la négociation, les moyens d'absorber progressivement une partie des coûts. Elle sera majorée jusqu'à 4 000 F pour les entreprises qui font un effort plus grand, par exemple vers les 32 heures. Ces aides seront de même majorées dans le cas des entreprises qui, compte-tenu de leur situation, seront particulièrement exemplaires dans leur effort en faveur de l'emploi. En outre, un dispositif particulier sera mis en place pour les entreprises qui, en réduisant le temps de travail, évitent des licenciements.
La négociation sociale réclame du temps. C'est pourquoi une mesure générale, centralisée, et immédiate, n'aurait pas de sens. Mais, aujourd'hui, nous constatons que le mouvement spontané est trop lent. Si nous ne faisons rien de plus , le risque de l'immobilisme est grand. Et nos concitoyens veulent que le chômage baisse.
C'est pourquoi il revient au Gouvernement de fixer une échéance, afin de donner l'impulsion nécessaire. Nous avons pour perspective que la durée légale soit à 35 heures pour tous avant la fin de l'actuelle législature. Aussi, déposerons nous au Parlement d'ici la fin de l'année, un projet de loi d'orientation et d'incitation qui sera discuté au début de l'année 1998. Il définira les modalités de l'aide que je viens d'exposer, adaptera les règles relatives au temps partiel pour éviter les abus parfois constatés aujourd'hui, et les moyens de freiner l'excès des heures supplémentaires.
Ce projet de loi fixera l'objectif de la durée légale à 35 heures au 1er janvier 2000 pour les entreprises de plus de 10 salariés, ou pour un seuil voisin que nous discuterons dans les semaines qui viennent. Je propose qu'au cours du second semestre 1999, nous fassions un nouvel examen, avec chacun d'entre vous, pour évaluer la situation économique et les résultats des négociations menées. J'en tirerai toutes les conséquences afin de proposer au Parlement les modalités concrètes de mise en oeuvre et d'accompagnement de cet abaissement de la durée légale. Y seront précisées les règles qui seront applicables aux heures supplémentaires au-delà du nouveau seuil, et qui seront adaptées à la situation économique des entreprises, celles relatives à l'organisation et à la modulation du temps de travail, ainsi que les modalités particulières applicables aux très petites entreprises et aux cadres. Enfin, sera défini le système d'aide structurelle qui, après le passage à la nouvelle durée légale, prolongera le dispositif incitatif.
Nous croyons à la réduction du temps de travail. C'est pourquoi nous fixons cet objectif. Mais nous souhaitons que le passage à 35 heures se fasse dans les meilleures conditions possibles. C'est pourquoi, nous laissons le temps nécessaire à la négociation.
Ne nous y trompons pas. La négociation sociale, c'est d'abord le résultat de l'engagement sur le terrain des salariés et de leurs organisations, combiné à la volonté d'aboutir des responsables d'entreprises. C'est ce processus qui doit être engagé.
En conclusion, je voudrais vous dire, et c'est très important dans mon esprit, que rien de ce que je viens de vous annoncer ne se fera contre aucun de ceux que vous représentez.
Aujourd'hui est le point de départ d'un mouvement, je dirai presque d'une espérance. A nous tous, à tous les Français, de lui donner corps.
(Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 22 juin 2001)