Déclaration de Mme Cécile Duflot, ministre de l'égalité des territoires et du logement, sur les objectifs de la réforme des politiques d'attribution des logements sociaux et les modalités de la concertation en vue de projet de loi cadre sur le logement, à Paris le 16 janvier 2013.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Lancement de la concertation sur les politiques d'attribution des logements sociaux devant le "comité des sages" présidé par Jean-François Débat, mairs PS de Bourg-en-Bresse, à Paris le 16 janvier 2013

Texte intégral

Mesdames, messieurs les parlementaires et élus,
Madame la ministre, chère Valérie Létard,
Cher Jean-François Debat, qui avez accepté de présider le « comité des sages » de cette concertation,
Mesdames, Messieurs,
Je vous remercie d’avoir accepté d’être présents aujourd’hui, pour participer au lancement de la concertation que j’ai souhaité conduire sur les politiques d’attribution des logements sociaux.
Cette question touche aux fondamentaux du lien social. Il s’agit en effet ni plus ni moins d’organiser les mécanismes concrets qui permettent de rendre effectif le droit au logement en définissant des règles communément acceptées. Chacun sait en effet que cette question des logements sociaux ne représente pas uniquement un processus administratif, mais demeure bel et bien un levier pour des millions de personnes qui entendent prendre leur destin en main, améliorer leurs conditions de vie en obtenant un logement décent. Attribuer un logement, c’est parfois changer l’existence de ceux qui vont l’occuper, c’est toujours leur permettre d’abriter non pas seulement leur famille, mais aussi leur espoir.
C’est cet espoir que met à mal la crise qui touche notre pays. Nous agissons avec une épée de Damoclès au-dessus de nos têtes. Qui peut ignorer les risques de sécession que feraient courir à notre pays l’absence de volonté politique de réorganiser les mécanismes de solidarité qui nous permettent de faire société ? Le domaine du logement social n’échappe pas à cet impératif.
Il nous faut donc faire en sorte de rénover, dépoussiérer, adapter les politiques d’attribution des logements sociaux pour que la République soit fidèle à sa mission émancipatrice. J’entends que cette réforme soit menée dans un esprit de sagesse, et de justice. C’est la raison pour laquelle il m’a semblé essentiel que le temps de concertation qui la fonde soit le plus fécond possible. Je souhaite que les échanges à venir soient constructifs. Que les points de vue s’opposent n’est pas un problème si chacun garde à l’esprit que débattre n’est pas uniquement se confronter, mais d’abord et surtout chercher à construire ensemble une vérité plus haute au service d’outils plus efficaces.
1. Présentation des objectifs d’une réforme des politiques d’attribution
La concertation qui est lancée aujourd’hui, vise à préparer une réforme des attributions qui s’inscrit dans le cadre d’une politique globale en faveur du logement. Cette politique poursuit plusieurs objectifs :
- Le premier, c’est développer l’offre de logements : une première loi a été votée en 2012 et sera très prochainement promulguée, rendant possible la cession gratuite des terrains publics pour construire des logements sociaux, et renforçant les obligations de la loi SRU. De nouvelles dispositions dans le futur projet de loi-cadre sont à l’étude, notamment au travers de réformes en matière d’urbanisme, pour libérer le foncier tout en assurant la transition écologique des territoires.
- Le deuxième objectif, c’est améliorer la qualité du parc existant, en renforçant les outils de lutte contre l’habitat indigne, et en déployant un véritable plan de rénovation thermique de l’habitat,
- Le troisième objectif, c’est renforcer l’accès et le maintien dans le logement – à la fois dans le parc privé, où il faut réguler les loyers excessifs, et sécuriser les rapports locatifs, et dans le parc social.
C’est dans ce contexte que s’inscrit la réforme du système d’attributions que je souhaite engager.
Je sais qu’elle ne résoudra pas le déficit d’offre et que la question des attributions est d’autant plus sensible que le manque de logements sociaux est criant. C’est la raison pour laquelle la priorité des priorités, est bien de construire et de développer l’offre accessible.
Pour autant, je suis convaincue que des mesures peuvent être prises pour améliorer à la fois la transparence et l’efficacité du processus d’attribution.
Ma volonté est de faire en sorte de trouver une méthode qui permette de garantir que le respect des priorités fixées et la lisibilité et la simplicité des processus.
C’est un enjeu citoyen. Chacun sent bien confusément que cette question cristallise attentes, frustrations, peurs et fantasmes parfois. Enjeu déterminant s’il en est, la question des délais d’attente, et de l’absence d’information sur l’état d’avancement du dossier. Quand on a demandé un logement social, on est souvent suspendu à la réponse qui vous sera faite. La transparence sur l’état d’avancée de votre dossier est alors plus qu’une aspiration : elle est une respiration, une information cruciale qui vous permet d’organiser votre stratégie de vie. Voilà pourquoi nos concitoyens désirent en savoir plus. Il monte du pays une demande de transparence. A nous d’être capable d’y répondre Il s’agit au fond d’une forme de service public et il doit être compréhensible par tous et toutes (ceux qui y accèdent et ceux qui n’y accèdent pas). Autant je suis convaincue que la réalité n’est pas forcément celle de pratiques discrétionnaires ou inéquitables autant je pense que la part d’aléatoire existe. À nous de la réduire. Il faut en finir avec la relégation ressentie par celles et ceux qui ne voient rien venir. En résumé : l’opacité est l’ennemi de la confiance, la transparence est la meilleure alliée de l’égalité.
C’est aussi un enjeu d’efficacité : l’acuité des besoins sur certains territoires nous oblige encore plus à faire en sorte que les logements soient occupés le plus rapidement possible. Des systèmes d’information sont en cours de développement et je suis convaincue de leur réelle valeur ajoutée.
Les acteurs impliqués dans ce processus sont nombreux et je souhaite mener la réflexion avec l’ensemble des acteurs, à partir de leurs points de vue et de leurs enjeux.
Plusieurs points devront être au coeur de vos réflexions. Je ne vais en citer que quelques uns :
* les enjeux de priorité
Le « Dalo » a rendu encore plus complexe le processus d’attribution, dans la mesure où il s’est ajouté au système existant, sans être réellement intégré. Cela crée des tensions, des débats, qui n’auraient pas lieu d’être si une véritable articulation des priorités avait été faite en même temps : ce sera l’un des enjeux de cette réforme.
La priorisation ne peut reposer que sur un véritable diagnostic de la situation des ménages demandeurs : c’est un point sur lequel je suis très attachée à ce que nous mettions en place une méthode précise, rigoureuse. C’est un gage de meilleure priorisation mais c’est aussi la reconnaissance que les ménages ne sont pas des dossiers mais bien des personnes ou des familles, avec des parcours et des problématiques propres. J’ai bien conscience que cela demandera de faire évoluer les pratiques professionnelles, que cela peut bousculer des habitudes, et nécessiter une véritable coordination entre les acteurs.
La question de la priorisation doit aussi faire une place à la réponse à l’urgence. Il s’agit de réfléchir à la manière dont le processus d’attribution peut permettre de prendre en compte les situations de rupture, dans une logique de prévention des situations de grande exclusion dans lequel peuvent tomber rapidement les personnes.
* Le contexte de financement de la construction
Les réservataires sont aujourd’hui étroitement liés au système de financement de la construction et de la réhabilitation des logements sociaux. C’est un fait dont il faut tenir compte. Cette logique, si elle engendre une certaine complexité et des freins sur lesquels il faut travailler, présente aussi des atouts (mixité sociale, prise en compte de la demande dans les choix d’investissements des bailleurs, proximité,…)
* Les enjeux d’équilibre des territoires
La mixité sociale ne doit pas être un alibi. Mais c’est une question dont il faut tenir compte. Il faut donc réfléchir sur le bon échelon géographique qui permet d’atteindre ou de rétablir un équilibre entre territoires, et également, réfléchir à la manière dont des formes de mutualisation pourraient permettre de prendre en compte cette question, sans exclure les plus prioritaires.
La question de l’échelle territoriale des attributions sera l’un des points centraux pour répondre à cet enjeu.
* Les enjeux d’information des demandeurs
Il y a aujourd’hui un véritable déficit d’information sur le processus, de la part de l’ensemble des réservataires, bailleurs et, plus généralement, organismes enregistreurs de demandes.
Des avancées ont été réalisées avec la généralisation du système national d’enregistrement des demandes, mais du chemin reste à parcourir.
Arriver à progresser sur ce point est essentiel, même si cela paraît secondaire, ça ne l’est pas. Les gens peuvent comprendre, et attendre, à condition d’être informés et de connaître les règles. Et aujourd’hui, c’est peu le cas.
* Les enjeux de mobilité
La question de la mobilité au sein du parc social ainsi que celle du parcours résidentiel devra aussi être au coeur de vos travaux. De nombreuses réflexions ont eu lieu sur le sujet. Des expérimentations existent et peuvent servir d’appui à ce travail.
Bien d’autres questions doivent être prises en compte, telle que la prévention des discriminations ou l’accès des jeunes au parc social.
2. Présentation de la concertation
Comme vous pouvez le constater, les enjeux sont importants, et les réponses à apporter ne sont pas simples.
C'est donc la raison pour laquelle j'ai souhaité une concertation très large, avec des objectifs très précis et un terme qui est celui du projet de loi-cadre sur le logement, dont le calendrier est, à ce stade, qu'il sera présenté au Conseil des ministres au début du mois de juin et devra être envoyé au Conseil d'Etat le 15 avril. Le travail devra donc être terminé à la fin du premier trimestre ; il y a une nécessité de travailler de manière efficace.
Le comité de pilotage de lancement, - qui est réuni cet après-midi ; rassemble toutes les parties prenantes au processus d’attribution, et tous les acteurs impliqués dans les politiques d’accès au logement.
Pour ouvrir les débats et la réflexion, j’ai souhaité qu’au cours de cette réunion soit présenté l’exemple de l’agglomération de Rennes, qui a mis en place une véritable politique d’attribution partagée sur son territoire ; ainsi que l’expérience londonienne pour ouvrir notre horizon à d’autres contextes institutionnels et politiques que le contexte français.
Quatre groupes de travail vont être chargés d’élaborer, pour la fin du mois de mars, des propositions, sur les thèmes suivants :
- le rapprochement offre/demande et la priorisation des demandes : la présidence en est confiée à Guy Potin, vice président de Rennes métropole et Stéphane Dambrine, directeur général de Paris Habitat ;
- l’amélioration du service rendu aux demandeurs : ce groupe sera présidé par Monique Vuaillat, adjointe au maire de Grenoble et à Claude Jeannerot, sénateur, président de l’ANIL ;
- les politiques d’attribution et les spécificités des territoires : confié à Estelle Grelier, députée, présidente de la communauté d’agglomération de Fécamp, et Jean-Martin Delorme, directeur de la DRIHL ;
- le 4e groupe travaillera sur l’adaptation de l’offre aux besoins, en termes de typologie des logements et d’accompagnement des locataires en difficulté, présidé par Sylvine Thomassin, maire de Bondy et vice présidente du Cg de Seine St Denis, et Arnaud Cursente, DG de la SA HLm le nouveau logis méridional.
Enfin, un comité des sages, présidé par Jean-François Debat, que je remercie, ainsi que tous les membres qui ont accepté d’en faire partie, sera le garant du bon déroulement de cette concertation, et du caractère opérationnel des propositions. Il donnera un avis sur les propositions des groupes de travail.
En conclusion de ce propos, je souhaite partager avec vous l’état d’esprit avec lequel j’envisage cette concertation.
Il s’agit de progresser vers plus de transparence et d’efficacité, et rechercher réellement une réforme, et ne pas faire semblant. La pantomime n’est pas ici permise. Ne faisons pas semblant de débattre. Cherchons ensemble réellement, les voies de l’amélioration de l’existant. Je n’ignore pas que la voie est étroite, mais c’est à nous qu’il revient d’y cheminer malgré tout. Car ce qui est en jeu nous dépasse, dépasse les querelles byzantines, les intérêts de paroisses ou les enjeux de pouvoir. Ce qui se joue, c’est une avancée démocratique et sociale pour les habitantes et les habitants de notre pays.
Je souhaite en effet que la réflexion soit toujours ramenée à l’enjeu pour les personnes. Sans les considérer comme des dossiers. Et en partant aussi du principe que le sujet dont nous parlons, c’est le lieu où elles vont vivre, leur logement. Le processus doit leur laisser une place, les personnes doivent en faire partie, la décision doit leur appartenir. Il ne suffit pas de penser ce qui est bien pour les gens à leur place, surtout sur une question si fondamentale et intime qu’est le logement. J’ai bien conscience des contraintes fortes qui pèsent, mais je ne veux pas qu’on oublie les personnes. Je suis convaincue que le dialogue, l’information et la pédagogie, sont à la source d’un fonctionnement sain et efficace. Mais que trop souvent aujourd’hui, des malentendus et un déficit d’information conduisent à des crispations de part et d’autre.
C’est un sujet sur lequel les points de vue des uns et des autres sont souvent assez arrêtés, voire très arrêtés. Je demande donc à chacun des participants de faire tomber ses propres préjugés pour que la réflexion collective permette d’aboutir à un système le plus pertinent possible. Pour conduire et animer ces échanges, je compte tout particulièrement sur les présidents des groupes de travail, afin qu’ils soient très attentifs à l’équilibre des prises de parole, à faciliter l’échange de points de vue, et à construire des propositions partagées, à la fois ambitieuses et pragmatiques. Je compte enfin sur le comité des sages pour que, comme l’y invite son nom, il soit le garant du bon déroulement de cette concertation et de la qualité des propositions.
Comme souvent en matière de politique du logement, mais plus encore s’agissant de cette réforme, il nous faut donc collectivement beaucoup d’ambition et individuellement beaucoup d’humilité. Je formule le voeu que les propositions que vous construirez puissent nourrir le projet de loi que je présenterai au Parlement.
Je vous remercie à l’avance pour votre implication.
Source http://www.territoires.gouv.fr, le 17 janvier 2013