Déclaration de M. Patrick Devedjian, délégué général et porte-parole du RPR, à RTL le 19 juillet 2001, sur la responsabilité pénale du président de la République, la publication du montant et de la répartition des fonds secrets et la cohabitation.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

Où en est-on au plan du droit à propos des voyages du Président, lorsqu'il était maire de Paris ? Trois juges se sont déclarés incompétents pour entendre J. Chirac comme témoin, le procureur Dintilhac a fait appel et la Cour de cassation va devoir se prononcer sur la question. N'est-ce pas une bonne chose qu'elle puisse se prononcer sur la question, ça peut clarifier le débat ?
- "Oui, mais on connaît déjà la réponse : elle va confirmer. D'ailleurs, les juges, quand ils avaient saisi monsieur Dintilhac par une ordonnance de soi-communiqué, avaient déjà dit pratiquement qu'ils étaient incompétents. Ils lui demandaient de dire quelle serait la juridiction compétente."
Donc, ça clarifie les choses ?
- "La Cour d'appel va confirmer sa jurisprudence, elle en a déjà une sur ce point. La Cour de cassation a déjà jugé par ailleurs que les décisions du Conseil constitutionnel s'imposaient. Donc, il n'y a aucune surprise à attendre. C'est évident qu'on ne peut pas entendre le président de la République."
Quand M. Lebranchu, hier, à cette antenne, dit qu'il n'y a pas de texte, qu'il y a un vide juridique sur le statut pénal du président de la République...
- "Je crois qu'elle se trompe, pour employer un euphémisme. Il y a une jurisprudence constante : la décision du Conseil constitutionnel, la jurisprudence de la Cour de cassation, celle de la Cour d'appel de Paris. Les choses sont assez claires."
Pourquoi c'est "un euphémisme" ?
- "Parce que j'ai l'impression que, au plan juridique, peut-être elle a quelques progrès à faire."
Ah oui, dans quel sens ?
- "Dans le sens d'une meilleure appréciation du droit. Parce qu'il n'y a pas de vide juridique."
Qu'un magistrat demande à la Chambre de l'instruction de la Cour d'appel, puis, sans doute, donc à la Cour de cassation de se prononcer sur un point de droit, c'est quand même normal ?
- "Oui, mais ça permettra à Monsieur Dintilhac d'être désavoué une deuxième fois - il vient de l'être par les juges, il va l'être une deuxième fois par la Cour d'appel, et il le sera une troisième fois par la Cour de cassation. Comme ça, ce sera clair pour les esprits les plus obtus."
Quel est votre avis, votre opinion au juste sur le procureur Dintilhac ?
- "Il était moins diligent quand il était directeur de cabinet d'H. Nallet, Garde des Sceaux, lors de l'affaire Urba ; il a était beaucoup moins vindicatif à ce moment-là sur les affaires."
Cela sous-entend que, pour vous, c'est un militant socialiste ?
- "En tout cas, c'est quelqu'un qui a été directeur de cabinet d'un ministre socialiste."
Mais à l'inverse, peut-on penser que c'est par sympathie chiraquienne que les trois juges d'instruction se sont déclarés "incompétents" pour entendre J. Chirac ?
- "Ils se sont déclarés "incompétents" parce tel est l'état du droit et qu'ils n'ont pu que le constater."
Ils se déclarent, certes, "incompétents" pour entendre J. Chirac comme témoin, mais ils ajoutent qu'il y a des indices rendant vraisemblable la participation de J. Chirac aux infractions sur lesquelles ils enquêtent...
- "Ce qu'ils avancent n'a pas de sens au plan juridique parce que le Code de procédure ne connaît que les indices graves et concordants pour les indices de culpabilité. Il faut qu'ils soient graves et concordants or les juges s'abstiennent soigneusement de porter la mention du Code "graves et concordants." "Indices", ça n'a pas de valeur juridique."
Mais ça n'empêche pas que l'enquête continue.
- "C'est ce qui est paradoxal d'ailleurs."
Pourquoi ?
- "Que ces magistrats se déclarent "incompétents" et continuent leurs investigations sur un sujet pour lequel ils déclarent eux-mêmes "incompétents.""
Ils se déclarent "incompétents" sur le fait d'entendre le Président comme témoin, mais...
- ."..Oui, mais ils continuent à enquêter sur le Président, autour du Président, et ils se déclarent "incompétents" pour pouvoir juger à son propos. C'est tout à fait paradoxal."
En même temps, on peut comprendre qu'ils poursuivent l'enquête. Quand on voit cette expertise demandée - par eux d'ailleurs - sur le montant des voyages payés en espèces et effectués par J. Chirac entre 1992 et 1995 qui est estimé, maintenant, par cette expertise, à 2,8 millions...

- "Non, pas du tout. Tout ça c'est de la propagande ! L'ordonnance du juge - d'ailleurs un de vos confrères la publie ..."
...Le Monde.
- "...l'ordonnance du juge dit : "2,2 millions." Ce qui est déjà un chiffre tout à fait exorbitant, qui ne correspond pas à la réalité. Les juges eux-mêmes disent que, sur ce point, l'état des investigation conduit à des interrogations sur l'origine, car ils ne savent pas. On a amalgamé toutes sortes de choses, c'est-à-dire, en pratique, la plupart des dépenses qui ont été payées en espèces, chez cet agent de voyages, ont été imputées à J. Chirac."
Alors les 2,8 millions n'existent pas à votre avis, c'est une fausse expertise ?
- "Ce n'est pas dans l'expertise, c'est dans Le Monde. Et pour arriver à 2,8 millions, Le Monde a amalgamé les propres dépenses de monsieur Ulrich - qui sont des dépenses personnelles -, des dépenses d'autres tiers qui devront d'ailleurs revendiquer eux-mêmes ces dépenses. Mais les juges, eux, ne retiennent pas ce chiffre de 2,8 millions, et le chiffre de 2,2 ne tient pas davantage la route. Et le juges, d'ailleurs, ont, sur ce point, l'expression d'un doute."
Vous continuez à dire que tout cela va se dégonfler, va faire "pschitt" - pour reprendre l'expression de J. Chirac ?
- "La seule vérification qu'il y a eue sur ces voyages, a déjà montré la légèreté avec laquelle on avait avancé des chiffres. On imputait à C. Chirac un voyage au Kenya en compagnie de monsieur T. Rey, ça s'est effondré. Et c'est la seule vérification qu'on a faite. Alors quand on aura vérifié tout le reste, je pense que ce sera du même ordre."
Autre chose : le Premier ministre a fait publier, hier, le détail des fonds secrets qui, chaque année sont votés. Vous approuvez le principe de cette publication ?
- "Aujourd'hui, ce que je crois, c'est qu'il faut geler l'usage des fonds secrets. Bien sûr, c'est bien de la part du Premier ministre de les avoir publiés, il y a été contraint par la demande de l'opposition car on ne peut faire des leçons de morale à la terre entière et continuer soi-même les pratiques actuelles qu'on reproche aux autres pour le passé."
Justement, il dit que pour l'avenir, lui, quand il quittera Matignon, il laissera le solde de fonds secrets. C'est nouveau comme façon de faire ?
- "Oui, mais il n'y a qu'un malheur, c'est que ce n'est pas crédible."
Pourquoi ?
- "Parce que le principe, c'est l'annualité budgétaire ; la règle, s'il y a un solde, il est à la fin de l'année ; le solde n'est pas à la fin de la mandature de monsieur Jospin. Ce qui nous intéresserait aujourd'hui, c'est de savoir ce que sont devenus les quatre soldes, les quatre années passées, sur l'emploi annuel des fonds secrets."
C'est la question que vous lui posez ?
- "Notamment. Qu'est-ce qu'est devenu le solde pour le passé ? Il nous dit qu'il y aura un solde à l'arrivé des cinq ans, cela ne nous intéresse pas, le budget ne connaît que des soldes annuels. Ils ont disparu ces soldes, où sont-ils ?"
Dans le climat actuel, on parle donc pas mal des relations entre J. Chirac et L. Jospin, mais il y a aussi F. Bayrou qui s'exprime dans Libération, ce matin. Il dit qu'on est tombé dans toutes les caricatures du combat camp contre camp ; il dit que le Président ne doit pas être l'homme d'un clan...
- "Il ne l'est pas d'ailleurs, il est le Président de tous les Français. Ce n'est pas très raisonnable de vouloir sa petite campagne électorale sur les difficultés du moment."
Il dit aussi que plus on exerce de responsabilités et plus il faut réfléchir à l'exemple que l'on donne. Il fait justement allusion aux voyages.
- "Il a raison d'ailleurs, parce qu'à propos des marchés d'Ile-de-France, sa propre formation politique est impliquée comme le Parti socialiste."
La cohabitation, elle est constructive comme ça se disait en 1997 ou elle a complètement changé ?
- "Il est vrai que, dès lors que la gauche entame une véritable campagne de diffamation contre le président de la République à l'occasion de ces voyages - qui, encore une fois, sont des choses ..."
Vous croyez que c'est la gauche ?
- "Cela a été largement relayé par la gauche ; j'ai entendu les porte-parole de la gauche. J'entendais monsieur Peillon parler de "240 millions de centimes" et du caractère tout à fait inacceptable du coût de ces voyages, etc. Donc, la gauche a évidemment surfé sur cet événement. Et le fait, qu'ensuite, on soit passé quasiment aux injures, en entendant monsieur Hollande, cela ne peut pas faciliter la cohabitation."
Une dissolution serait une bonne solution ?
- "Monsieur Jospin avait l'air de le craindre puisqu'il a voulu l'inversion du calendrier. Ce qui prouve d'ailleurs l'inanité de la chose."
(Source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 24 juillet 2001)