Conférence de presse de M. Charles Josselin, ministre délégué à la coopération et à la francophonie, sur le combat de la France contre la prolifération et les trafics des armes légères et de petit calibre, la coopération avec les autres pays, dont la Suisse, pour mener cette action, le marquage des armes et les proposition de la France en matière de lutte contre le commerce illicite des armes légères, New York, le 13 juillet 2001.

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Circonstance : Conférence des Nations Unies sur le commerce illicite des armes légères sous tous ses aspects, à New York, le 13 juillet 2001

Texte intégral

Très brièvement, je voudrais rappeler que la France est très engagée dans ce combat contre la prolifération et les trafics des armes légères et de petits calibres. Elle trouve probablement une raison supplémentaire dans son engagement dans une relation assez étroite que nous entretenons notamment avec les pays du Sud qui en sont les premières victimes. Et, pour avoir personnellement comme ministre de la Coopération vu sur le terrain les conséquences terribles de ces millions d'armes laissées à la libre disposition de seigneurs de guerre ou simplement de soldats perdus, je souhaite que cette conférence produise les effets que nous en attendons. Elle a déjà je crois provoqué une prise de conscience qui va, je l'espère, se propager dans tous les pays et j'espère aussi dans le pays qui nous accueille. Je suis à votre disposition pour répondre aux questions que vous voudriez me poser sur ce dossier.
Q - (inaudible)
R - Ecoutez, d'abord la France dans ce domaine n'a pas attendu cette conférence pour engager une politique nationale de transparence en ce qui concerne le trafic des armes et nous avons fait au cours des dernières années des progrès considérables à cet égard. Par ailleurs il y a une action conduite dans un cadre européen autour de ce qu'on appelle le code de bonne conduite entre pays européens pour ce qui touche justement au trafic des armes, y compris les armes légères, c'est quand même bien cela la novation. Il y a par ailleurs l'appui que nous accordons déjà, notamment dans le cadre de la coopération avec les pays africains, aux initiatives qui ont été prises par les Africains eux-mêmes et je pense au moratoire de la CEDEAO qui concerne l'Afrique de l'Ouest. Notre ambition est évidemment que ce soit une convention internationale impliquant tous les Etats qui puisse apporter des réponses à un problème qui est évidemment global. Si par malheur cette conférence n'aboutissait pas au programme d'action pour lequel nous militons, il faudra continuer le combat et la France et ses partenaires européens continueront avec ceux qui le voudront bien à faire progresser la norme du droit. Des procédures d'informations réciproques, de contrôle, pour éviter - j'y insiste encore - que ce trafic d'armes serve des ambitions criminelles, mafieuses souvent, dont sont victimes d'abord les populations civiles.
Q - Monsieur le Ministre, dans votre discours, vous avez parlé d'une initiative franco-suisse. Est-ce que vous pouvez élaborer ?
R - L'initiative franco-suisse, c'est précisément ce que nous sommes en train de mettre en oeuvre dans le cadre de cette conférence. Le programme d'action sur lequel nous travaillons et que nous avons préparé en liaison étroite avec nos amis suisses, est la preuve que nous exprimons la même volonté de limiter les effets de ces trafics d'armes. En ce qui nous concerne, nous sommes prêts en effet à travailler sur les mécanismes destinés notamment à faire avancer la question de la traçabilité des armes, c'est un point important. J'ai déjà eu l'occasion de m'exprimer au Conseil de sécurité en 1999 sur cette question du marquage des armes qui était un point important. Je le répète la Suisse et la France sont, pour leur part, disposées à continuer à travailler sur cette question spécifique de la traçabilité, même s'il n'y a pas de convention dans l'immédiat. Le mécanisme d'échange d'information entre nous et avec ceux qui le voudront peut être d'ores et déjà être considéré comme un acquis.
Q - Monsieur le Ministre, est-ce que vous êtes prêts à faire la guerre contre M. Bolton des Etats-Unis qui dit qu'il ne veut pas que la France s'occupe du contrôle sur les armes ?
R - Je n'entends pas que M. Bolton soit contre le plan de marquage, je voudrais d'ailleurs dissimuler peut-être un malentendu. Il y en fait deux malentendus. Sur le marquage, nous serions satisfaits si tous les fabricants acceptaient le principe d'un marquage, j'allais dire de leur marquage dès lors que l'information permettrait d'identifier ces armes. Ce n'est pas un nouveau marquage que nous voudrions imposer à toutes les armes, nous prenons en compte je le répète les efforts déjà accomplis par les fabricants pour identifier leurs armes mais à condition que nous soyons informés de cette identification de façon à pouvoir utiliser ces informations pour établir la traçabilité des armes et remonter en quelque sorte la filière. Ceci nous parait important.
Et puis il y a un autre malentendu. Selon moi le discours très dur de M. Bolton, lundi dernier, ne peut s'expliquer qu'à cause de ce malentendu et je crois qu'il faut qu'on s'en explique. Cette convention n'a pas pour ambition d'interdire la possession des armes légères mais bien d'en contrôler le trafic et surtout les trafics illicites. Et tout se passe comme si on essayait de faire croire aux Américains que cette convention à pour objectif de leur interdire la possession de leurs armes. Cela n'a rien à voir. On peut avoir sur cette question de la possession des armes des positions personnelles - j'imagine que chaque Américain en a. La question de la possession des armes par les Américains regardent les Américains, c'est à eux qu'il revient d'apprécier si au bout du compte, la situation d'aujourd'hui est favorable ou défavorable à la sécurité des Américains eux-mêmes. C'est cela la question fondamentale, mais cette convention, je le répète, ne se place pas sur ce terrain de la possession mais sur celui du contrôle du trafic. J'aimerais bien qu'on puisse en mettant fin à ce malentendu, faire progresser, je l'espère en tout cas, la négociation.
Q - (inaudible)
R - Je crois qu'il faut s'entendre sur cette notion de programme d'action contraignant. Le programme d'action que nous préconisons consisterait, pour les Etats, à se donner pour objectif de contrôler et de maîtriser le trafic des armes pour en éviter les accumulations abusives et les mauvais usages. A partir de cet objectif partagé, les Etats s'obligent à coopérer entre eux pour atteindre cet objectif. Coopérer entre eux, cela veut dire échanger des informations, travailler ensemble sur l'identification et le marquage, la traçabilité des armes. Je vois bien la difficulté que certains pays pourraient rencontrer dans l'application de ce programme et je pense à des pays du Sud qui n'ont pas toujours des administrations suffisamment présentes et fortes pour faire ce travail. Et bien c'est un nouvel appui que la solidarité internationale doit être capable de déployer en direction de ces pays. La France, pour sa part, a commencé à le faire dans un certain nombre de pays qui sont aujourd'hui les premières victimes de cette accumulation d'armes légères.
Q - Monsieur le Ministre tout à l'heure quand je vous ai posé la question à savoir l'accord franco-suisse en vous demandant d'élaborer sur la question, je voulais me référer à ce document sur lequel vous avez parlé de créer un organe consultatif international. Quelle est la réponse ? Quel est l'écho que vous avez pu trouver concernant la création de cet organe consultatif international ?
R - Nous sommes à la fin d'une première semaine au cours de laquelle les différents pays ont affiché leurs priorités, évoquer pour certain les points de blocage - ce qui n'est pas une bonne manière pour engager une négociation internationale. Mais bon, il faut absolument mettre à profit les quatre, cinq jours qu'il nous reste pour faire progresser un dossier auquel l'opinion attache une importance considérable. Je crois que les Etats commettraient une erreur s'ils sous-estimaient l'importance des opinions nationales. C'est vrai bien sûr pour l'opinion des pays du Nord, industrialisés, c'est encore plus vrai pour les pays du Sud. La France a voulu, convaincue que l'implication des sociétés civiles du Sud notamment doivent participer de la transparence indispensable, inviter huit organisations non gouvernementales à participer directement aux travaux de cette conférence. Je suis sûr que c'est aussi le poids de cette société civile qui doit convaincre les Etats de bouger sur ce dossier.
Sur le point précis que vous avez évoqué d'une commission technique dans le cadre de l'initiative franco-suisse, nous souhaitons naturellement que dans le cadre d'un instrument juridiquement contraignant soit prévu un mécanisme ou des mécanismes - dont une commission technique permanente serait le support - qui permettraient aux Etats parties d'échanger des informations entre eux, sur les techniques de marquage, les techniques d'enregistrement ce qui permettrait de mettre en oeuvre les programmes d'assistance technique dans un certain nombre de pays. Cette commission technique permanente aurait un rôle technique différent de celui de l'échange d'informations opérationnelles sur les filières. Il faut être très clair que dans notre initiative, les modes d'échange d'information sur les filières de trafic doivent rester dans un cadre strictement confidentiel entre Etats qui veulent bien coopérer sur ce point. Mais la commission technique serait un organisme permanent qui permettrait aux Etats de mettre en oeuvre tous les mécanismes ultérieurs de traçabilité. Et nous sommes conscients que la mise en oeuvre d'un instrument juridiquement contraignant sera un processus long. Nous sommes tout à fait prêts à engager dès maintenant avec les pays qui le souhaitent, une réflexion sur les mécanismes à mettre en place.
Q - Ce n'est toujours pas très clair en tout cas dans mon esprit, la question de la convention pas contraignante, j'avais lu le discours des européens, annulant très nettement le souhait de deux instruments juridiques contraignants sur le marquage et sur les brokers. On a l'impression qu'aujourd'hui vous avez renoncé à cette demande. Est-ce que vous pouvez nous dire où est-ce que vous en êtes d'une part ? Et d'autre part vous dites qu'il faut progresser dans la négociation et la position des américains était très claire, c'était un non très affirmé sur plusieurs points. Est-ce que vous pouvez nous dire comment vous allez progresser dans cette négociation ?
R - Il n'y aura pas de résultat s'il n'y a pas des concessions de part et d'autre. Et je dois très tranquillement vous dire que venir à une négociation internationale avec la ferme intention de ne bouger aucune des lignes de sa propre position n'est pas convenable. S'agissant de l'objectif poursuivi, il est bien celui que nous avons appelé, mais nous sommes conscients des difficultés que nous rencontrons pour l'atteindre. L'ambassadeur Reyes que je viens de voir déploie des efforts tout à fait remarquables que je tiens à saluer. Je souhaite et je lance un appel de cette tribune pour que les représentants des Etats apportent leur appui aux efforts que l'ambassadeur Reyes déploie. Nous-mêmes sommes prêt à tenir compte des positions des autres, mais nous aimerions que cette attitude soit réciproque.
Q - Comment pensez vous amener les Etats dit terroristes aux yeux de la communauté internationale à collaborer pour l'application du programme là- dessus ?
R - Je ne suis pas sûr non plus qu'on pourra si facilement amener la mafia à collaborer. Je veux dire qu'il y a les Etats ou les personnes qui ont par obligation ou par inclinaison envie de respecter le droit et ceux qui vivent dans le non-droit, c'est toute la difficulté. Mais chacun voit bien que les Etats ou les groupes auxquels vous faîtes allusion n'arrivent en réalité à continuer leurs activités criminelles qu'à condition d'avoir l'appui ou la complicité ou le partenariat de pays qui eux pourtant ont bonne réputation. Je suis convaincu que si tous les Etats se mettent d'accord sur ce programme d'action et le mettent en oeuvre avec éventuellement notre appui, nous pourront isoler les groupes ou les Etats dont vous parliez tout à l'heure, et affaiblir leur capacité de nuisance avant, souhaitons le, que la démocratie puisse, même dans ces pays, prévaloir. C'est en tout cas l'ambition que nous poursuivons.
Q - Les cinq membres permanents du Conseil de sécurité sont souvent accusés d'être largement responsables de la vente importante d'armes dans les pays développés. En pensant à la France et à l'Afrique par exemple, quelle est votre réaction face à cette accusation selon laquelle ceux qui sont responsables de maintenir la paix et la sécurité sont essentiellement ceux qui sont responsables des guerres et de l'insécurité en produisant ces armes ?
R - Le paradoxe veut que s'agissant des armes légères, votre affirmation n'est pas forcément vérifiée. Sans vouloir répartir les rôles, je serais tenté de dire que ce sont les armes lourdes qui répondent d'avantage à la démonstration que vous faîtes. S'agissant des armes légères, plus de 100 pays en produisent. Et en réalité, c'est souvent en dehors du Conseil de sécurité qu'il faut rechercher ces Etats. Ce que vous dites valait pour les armes lourdes mais là on renvoie à d'autres procédures de désarmement, d'autres codes de conduite entre pays producteurs. Mais ici, il s'agit bien je le répète des armes dites légères qui provoquent malheureusement les dégâts les plus lourds et d'abord au niveau des populations civiles.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 18 juillet 2001)