Déclaration de M. François Lamy, ministre de la ville, sur les grandes orientations de la politique de la ville, notamment la mise en oeuvre d'une géographie prioritaire en faveur des quartiers populaires et des nouveaux contrats de ville, à l'Assemblée nationale le 21 mars 2013.

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Circonstance : Débat sur la politique de la ville, à l'Assemblée nationale le 21 mars 2013

Texte intégral

Madame la Présidente,
Mesdames, Messieurs les députés,
Je veux d'abord vous remercier pour la qualité des échanges et des points de vue dans le débat que nous venons d'avoir. J'ai encore eu la preuve aujourd'hui qu'en matière de politique de la ville, ce sont toujours des élus de terrain passionnés et connaisseurs des réalités de nos quartiers qui sont présents dans cet hémicycle. Je veux remercier chaleureusement l'ensemble des orateurs et les députés qui participent au débat de ce soir. Merci donc au groupe UDI qui a proposé la tenue de ce débat. Je le sais toujours impliqué sur ce sujet.
Le débat sur la politique de la ville est un débat fondamental pour notre société, qui dépasse largement l'unique sort des quartiers en difficulté. D'abord parce qu'il interroge sur l'idée que nous devons nous faire de la ville de demain, de sa construction, de son organisation fonctionnelle et sociale, et des liens qu'elle doit organiser avec son territoire. Ce débat met également en lumière le défi auquel nous devons collectivement faire face, celui de notre cohésion sociale et territoriale. Il doit permettre également de réfléchir sur l'architecture, l'urbanisme et bien entendu sur les outils nécessaires pour la transformation écologique de nos villes. Mais la politique de la ville est aussi une méthodologie de l'action publique. C'est en fait la seule politique partenariale et contractuelle, qui démontre au quotidien que le décloisonnement des pratiques, l'échange d'expériences, sont des facteurs d'efficacité au service des habitants. C'est également certainement la seule politique publique qui pense le citoyen dans sa globalité, dans tous les aspects de sa vie quotidienne, qu'il s'agisse de santé, de sécurité, de logement, d'éducation, de formation, de culture ou d'emploi.
Dès le 22 août dernier, je présentais au Conseil des Ministres les moyens de mise en oeuvre du changement dans les quartiers. Celui-ci s'est appuyé sur une concertation opérationnelle qui a réunis l'ensemble des acteurs de la politique de la ville durant 4 mois autour de 3 groupes de travail. Mais il y a eu aussi 700 cahiers d'acteurs et 1600 participants lors des Rencontres Avis Citoyens. Cela a aboutit à un Comité interministériel des Villes le 19 février qui a présenté, non pas un énième plan d'urgence, mais 27 décisions concrètes. 27 décisions pour respecter l'engagement 27 du Président de la République, qui a été rappelé. Le 19 février, c'est l'ensemble du Gouvernement qui s'est engagé sous la direction du Premier Ministre, Jean-Marc Ayrault. Cette réforme de la politique de la Ville vise un objectif primordial: reconnaître enfin la réalité de nos quartiers et des conditions de vie de leurs habitants dans les politiques nationales et territoriales. Et quand je dis « reconnaissance », je ne parle pas de gratitude à leur égard, je parle d'admettre leur existence et leur légitimité. Toutes les études le montrent : les politiques conduites depuis 10 ans n'ont pas réduit les inégalités sociales et territoriales. La meilleure illustration a été faite par la dernière étude de l'ONZUS. Je ne citerai qu'un seul chiffre : l'écart se creuse en matière de taux de chômage des jeunes : plus 6 points depuis 2008, quand il a augmenté de 2,3 points en moyenne nationale. Cette étude comme d'autres démontrent également un phénomène : il est difficile de suivre les populations de ces quartiers parce qu'il existe un fort turn-over. Les familles en difficultés qui arrivent à s'en sortir quittent les quartiers populaires mais sont remplacés par d'autres familles en difficultés. J'y reviendrai plus tard dans mon intervention.
Ce Ministère de la Ville a été créé par François Mitterrand et Michel Rocard pour am??liorer les conditions de vie des habitants des quartiers populaires. Ministre de la ville, je suis en fait le ministre des quartiers où se concentre la pauvreté. Ce sont parfois des morceaux entiers de ville qui en sont finalement exclus, et cumulent les problèmes : chômage, échec scolaire, habitat dégradé, insécurité… Le Ministère de la Ville ne réglera pas seul tous les problèmes de notre société. L'objectif c'est de casser les ghettos qui se construisent en ville, et aussi parfois dans les têtes. Car ces ghettos génèrent, vous le savez, des phénomènes dangereux pour la cohésion nationale, trafics de stupéfiants et économies souterraines, replis communautaristes, extrémismes religieux. Si la République est dans l'article 1er de sa Constitution « une et indivisible », ce principe est aujourd'hui dans ces quartiers fortement mis à mal. Pourquoi ? Parce que notre République n'a pas voulu pendant des décennies prendre la mesure de l'existence sur le territoire national de fractures territoriales profondes, qui engendrent aujourd'hui des fractures sociales inacceptables. Ces fractures sont accentuées par la crise, à l'intérieur des villes, entre les villes, entre les villes et les territoires périurbains, entre le périurbain et les territoires ruraux, entre la métropole et les outre-mer. La réponse que le Gouvernement entend apporter est la cohésion urbaine et le rétablissement de l'égalité républicaine sur l'ensemble du territoire. Le Président de la République a marqué sa volonté de rétablir l'égalité entre les territoires, par la création d'un ministère dédié dont la charge est confiée à Cécile DUFLOT. Cette volonté est un signal fort à l'égard des territoires stigmatisés ou délaissés : elle traduit cette reconnaissance en affirmant que l'égalité, ce n'est pas donner la même chose à tout le monde et partout. Mais bien au contraire, que l'égalité, c'est donner à chacun en fonction de ses besoins, de ses manques, en fonction de ses ressources, et ceci de manière équitable.
Cette reconnaissance des quartiers populaires doit se traduire par une rénovation de notre pratique collective de l'action publique. Car vous le savez bien : si nous n'avons pas réussi à régler le problème des quartiers depuis 30 ans, ce n'est pas parce que la politique de la ville a été un échec; mais bien parce cette politique a été marginalisée par les politiques de droit commun, enfermée comme les quartiers qu'elle entendait ouvrir. Et qu'à chaque fois que la politique de la ville s'est impliquée dans un quartier, les autres administrations s'en sont souvent retirées. C'est d'ailleurs le constat précis qui a été fait le rapport de la Cour des Comptes rendu en juillet dernier. Or la politique de la ville est par nature interministérielle, et elle a été pensée pour venir renforcer les crédits de droit commun, et non pour les remplacer.
Ma priorité est donc de changer la méthode, de revenir aux sources de ce qu'était appelée à être la politique de la ville, et avec mes collègues du gouvernement, de territorialiser les politiques publiques, en différenciant les forces d'intervention de l'État en fonction des difficultés rencontrées par un territoire et ses habitants. J'ai conscience que c'est une révolution culturelle de l'action publique qu'il nous faut accomplir. Mais j'ai aussi la conviction profonde que la politique de la ville a cette capacité d'innover, d'être à l'avant-garde des politiques publiques, comme elle le fait depuis près de trente ans déjà, en matière de contractualisation, de dispositifs partenariaux, d'ingénierie de projet… Et qu'elle est donc, cette politique de la ville, un outil particulièrement pertinent et performant pour amorcer cette révolution. C'est bien parce qu'elle est avant tout une méthodologie de l'intervention publique, comme je le disais dans mon introduction, plus qu'une manne financière essentielle pour les collectivités.
Je sais que cette levée du droit commun fut le mur sur lequel mes prédécesseurs se sont souvent heurtés. J'ai néanmoins la ferme volonté de briser ou au moins de contourner ce mur, car ne pas y croire, ce serait de nouveau condamner la politique de la ville à être une politique de substitution, une sorte d'ersatz de politique publique, une politique « bas de gamme » pour les quartiers populaires. Or il ne peut pas y avoir dans notre pays d'un côté une politique de la ville pour les quartiers populaires et de l'autre, des politiques de droit commun pour le reste du pays. Ce n'est pas ma conception de la République. Ce n'est pas la conception de la République du Gouvernement.
Je veux m'appuyer pour cela sur deux leviers, l'un national, l'autre local. D'ici à la fin du semestre, je signerai des conventions d'objectifs et de moyens avec tous les ministères concernés afin que chacun s'engage sur des politiques de droit commun renforcés pour les quartiers populaires. Les premières le seront dans les 2 semaines qui viennent avec les ministères de l'emploi, de la jeunesse et des sports. Puis viendront les affaires sociales et l'Intérieur. Des premières mesures tracent le chemin : 30% des emplois d'avenir pour les jeunes des ZUS, 25% des créations de postes dans l'éducation nationale, création des zones de sécurité prioritaires qui, lorsque qu'elles sont en milieu urbain se situent toutes, à l'exception de l'une d'entre elle, dans des quartiers prioritaires relevant de la politique de la ville. Et c'est une nouveauté que je veux souligner, la carte des ZSP a été établi entre les Ministères de l'Intérieur et de la Ville, qui n'avaient pas l'habitude de travailler ensemble les années précédentes. Le deuxième levier pour lever le droit commun est local. Les nouveaux contrats de ville réuniront autour d'une même table l'ensemble des acteurs habituels mais également des nouveaux qui seront signataires obligatoires : le Recteur ou les DASEN, au Pôle emploi, les ARS, les CAF, qui avec les bailleurs et les collectivités, coordonnés par le Préfet, le Président de l'Intercommunalité et le maire devront déployer dans tous les quartiers populaires le droit commun renforcé. Et une fois ce droit commun renforcé défini, alors les crédits de la politique de la Ville seront déployés dans les quartiers prioritaires pour faire effet levier ou amplifier. A cette occasion, je souhaite répondre sur le rôle du Maire. Il sera l'opérateur principal de proximité. Le rôle des intercommunalités sera de resituer la ville dans son environnement et de développer les solidarités. En Ile de France, les périmètres ne sont pas adaptés. Je proposerai que le Préfet de Région, en lien avec les élus locaux, définissent des périmètres plus larges que ceux des intercommunalités existantes car ceux-ci se sont bien souvent construits par le rejet des communes d'à côté.
Je sais que cela ne sera pas facile, car derrière les ministres, il y a aussi des administrations centrales et déconcentrées, il y a des habitudes et des méthodes de travail, il y a tout un logiciel d'organisation qu'il est impératif de changer. Mais face à l'urgence, qui était, je le rappelle, déjà là lors de la réforme avortée de 2009, nous avons le devoir collectif de ne plus reculer…il faut sauter le pas.
Je veux parler de la géographie prioritaire qui peut susciter des questionnements et des inquiétudes. Mais cette nouvelle géographie prioritaire sera objective et lisible, comme l'ont souhaité les membres de la concertation nationale que j'ai clôturée en janvier dernier. C'est un souci de justice auquel le choix d'une nouvelle méthode statistique -le carroyage- et un critère social central -la part de population à bas revenus (en dessous de 60 % du revenu médian) - permettra de répondre. Des critères plus adaptés aux spécificités locales seront adjoints pour les outre-mer. Avec cette nouvelle carte prioritaire, partout où sur le territoire national il y aura des concentrations spatiales de pauvreté, et donc des difficultés sociales, économiques et urbaines, partout l'Etat répondra présent par les crédits de la politique de la ville et la levée du droit commun. Cette nouvelle méthode ne laissera pas de place au doute, et permettra aussi de rappeler à certains que l'objectif d'un quartier n'est pas d'être en politique de la ville, mais bien d'en sortir. Je veux à cette occasion souligner le courrier du maire de Montigny-Le-Bretonneux que je viens de recevoir qui me demande de sortir de la géographie prioritaire estimant que la politique de la ville a été efficace.
Je l'affirme : reconcentrer, ce n'est pas renoncer. Le saupoudrage permis par l'extension contractuelle des Cucs de 2006 a perverti l'effet levier justement recherché par la politique de la ville. De 1500 quartiers avant cette date, nous sommes passés à près de 2500 aujourd'hui, avec un budget moindre. Il ne s'agit donc pas d'une réforme commandée par la restriction budgétaire, mais bien par le souci de redonner toute son ambition à la politique de la ville. Cette réforme, déjà envisagée en 2009 par le rapport Hamel, n'a pas été conduite jusqu'au bout par manque de volonté et de courage. Reconcentrer, c'est reconnaître et faire jouer la solidarité nationale dans les territoires où les difficultés et les besoins sociaux sont les plus importants. C'est reconnaître que Clichy-sous-Bois et Roubaix ont plus de difficultés dans leurs quartiers et moins de moyens pour les assumer que Biarritz ou Boulogne-Billancourt. Que Guéret ou Auch, même si ce sont des villes en milieu rural, rencontrent des difficultés urbaines similaires qui nécessitent le soutien de l'Etat, mais aussi des autres collectivités publiques… Vous verrez, nous sommes en train de faire des simulations, des villes qui n'étaient pas politique de la ville et qui sont en milieu rural entreront demain dans la géographie prioritaire.
Si je souhaite identifier dans un premier temps les poches de pauvreté sur l'ensemble du territoire national, je veux également que dans un deuxième temps soit prise en compte la richesse du territoire, sa « capacité d'intervention », par son potentiel ou son effort fiscal. Car on peut rencontrer des difficultés dans un quartier de sa commune, mais avoir en même temps une richesse budgétaire structurelle qui permette de porter des politiques de cohésion sans avoir pour autant l'aide de l'Etat. Un exemple : je m'interroge sur la légitimité d'accorder encore aujourd'hui des crédits de la politique de la ville à une ville du Sud de la France, dans les Alpes-Maritimes, dont les recettes de fonctionnement sont de 80% supérieures à la moyenne de sa strate démographique, les dépenses d'investissement de 65%, le potentiel fiscal de 65% également. Je ne crois pas que la politique de la ville doivent financer tous les festivals de France fussent-ils les plus prestigieux ! Je m'interroge tout autant sur la légitimité de maintenir les crédits de la politique de la ville dans une autre ville proche de la précédente quand son budget de fonctionnement est de près de 15% supérieur à la moyenne des autres grandes villes françaises, tout comme ses charges de personnel qui lui permettent de compter la première force de police municipale de France en termes d'effectifs, avec 380 policiers et 150 agents de la voie publique et 624 caméras de vidéosurveillance. Cette politique de sécurité fait la fierté de son maire, j'espère qu'il en aura tout autant à reconnaître que sa ville peut être solidaire avec tous ses citoyens et notamment les plus fragiles, avant même de bénéficier de la solidarité nationale.
Cette révolution culturelle de l'action publique que j'évoque pour l'Etat, elle doit également être amorcée par les collectivités territoriales, qui sont en première ligne face à l'urgence sociale et qui sont un garde-fou territorial essentiel face à la crise qui frappe plus durement encore qu'ailleurs les habitants de ces quartiers. C'est le sens du nouveau contrat de ville qui se substituera dès 2014 aux CUCS actuels et qui doit être signé par les principaux acteurs de la politique de la ville et notamment les intercommunalités, les départements et les régions. Et je me félicite à cet égard d'avoir signé le 13 février dernier avec l'Association des Régions de France et son président Alain Rousset une convention qui acte l'engagement des régions dans les futurs contrats, et les engagent à consacrer a minima 10% des fonds européens qu'il s'agisse du FSE et du FEDER dans les quartiers de la politique de la ville, quand ils ne représentent aujourd'hui respectivement que 2 et 7%. Des conventions similaires sont en cours avec l'ADF, l'ADCF, et je l'espère avec l'AMF et bien d'autres encore. L'Etat et les collectivités, parce qu'elles ont un objectif commun, doivent conjuguer leurs forces sur ces territoires.
Un mot sur la rénovation urbaine. Le Plan national de renouvellement urbain a donné un visage plus digne à 300 000 logements en métropole et dans les Outre-mer, c'est une avancée qu'il ne faut pas amoindrir. Cela a amélioré le cadre et les conditions de vie des habitants. La rénovation urbaine en est un des outils, qu'il s'agit de poursuivre. Il y a des opérations qui ont commencé mais qui nécessitent une seconde phase pour transformer vraiment la vie des habitants. Rénover, construire, réorganiser les espaces privés et publics, ne sont que les outils pour recréer des villes mixtes. Pour réduire les fractures géographiques, pour rénover les logements et limiter leur consommation énergétique, pour lutter contre l'étalement urbain, il faut reconstruire la ville sur la ville, et pas à côté d'elle, comme cela a trop souvent été le cas.
Le PNRU1 représentait 12 milliards d'engagement financier de l'Etat sur les 45 milliards d'enveloppe globale. Nous sommes à présent à près de 6 Mds de paiements, soit presque la moitié des montants dus par l'ANRU. Il ne nous reste plus que six milliards d'euros à trouver pour mener à bien et à terme le PNRU ... Je remercie mes prédécesseurs de m'avoir laissé ainsi l'essentiel à trouver en matière de financement. Non, sans mal, les discussions budgétaires de fin d'année ont permis de sécuriser le financement du Programme, tout en restaurant des relations de confiance avec les principaux acteurs. Avec la contribution d'Action Logement et les nouvelles recettes fiscales mises en place dans la loi de finances pour 2013, nous mobilisons les ressources nécessaires pour prendre en charge des dépenses supérieures à 1 milliard d'euros chaque année et garantir la poursuite du PNRU sur le triennal 2013-2015. Le Premier Ministre lors du CIV a souhaité, sur ma demande, que l'on attende pas la fin du PNRU 1 pour engager une nouvelle phase. Les nouvelles opérations de rénovation urbaine seront donc engagées dès la signature des contrats de ville en 2014 sur 200 quartiers en métropole et 30 en outre-mer. Ces opérations devront s'inscrire dans une politique de l'habitat plus globale, qui permette de rééquilibrer l'offre de logements locatifs sociaux, notamment l'offre à bas loyer, sur le territoire des agglomérations. La nouvelle géographie ANRU se déploiera sur la base de la nouvelle géographie prioritaire de la politique de la ville, définie à partir de critères urbains : diversification de l'habitat, état du parc de logements, enclavement des quartiers... La liste de quartiers sera donc resserrée et arrêtée au niveau national au mois de septembre prochain afin d'éviter la dilution des crédits dans un contexte budgétaire contraint et pour assurer, à la différence du PNRU1, la concentration des moyens nécessaires au traitement complet des quartiers concernés. Une priorité sera donnée en conséquence à la finalisation du traitement des sites en PRU, et à l'intervention sur les secteurs limitrophes n'ayant pas bénéficié du premier programme. La rénovation urbaine a entraîné des apports indéniables en termes de méthode et de rigueur ; de logique de projet, d'échéances précises, de clauses de revoyure, a permis de structurer les schémas d'aménagement des collectivités et de faire progresser l'ingénierie. Tout ceci doit être conforté pour la continuité des PRU de nouvelle génération. Mais il faut aller plus en avant : une réflexion est en cours sur l'évolution du modèle financier, notamment sur les conditions de financement des opérations, la modulation des aides selon les capacités financières des maîtres d'ouvrage, l'analyse préalable de la soutenabilité financière des projets, l'introduction de formes de financement autres que la subvention ou le développement et la facilitation de l'investissement privé. Mais une réflexion est également en cours sur les nouveaux champs d'intervention de la rénovation urbaine. Je pense aux équipements publics de santé et de culture notamment et surtout la recherche d'une plus grande cohérence avec la politique du logement, dans la définition des stratégies de rééquilibrage du parc social et de relogement. Quant à l'intervention de l'ANRU dans les territoires d'outre-mer, elle doit s'adapter aux spécificités de chaque département d'outre-mer, et s'affranchir notamment de la logique des grands ensembles. Il y a une urgence sociale et sanitaire à intervenir sur les secteurs d'habitat informel et insalubre. Je l'ai vu notamment encore le week-end dernier lors de mon déplacement en Martinique et Guyane. Les dispositifs de résorption de l'habitat insalubre doivent bénéficier de ces acquis en matière de gouvernance. Les moyens de la rénovation urbaine et de la RHI devront donc être combinés. L'ANRU fera ainsi levier sur la RHI, en se concentrant sur les volets aménagement et équipements publics et d'infrastructures, tandis que la RHI se recentrera sur le volet habitat.
Bien entendu cette reconnaissance des fractures territoriales passe également par la solidarité financière, afin de soutenir les territoires qui connaissent des déficits structurels de ressources quand ils doivent pourtant assumer des besoins sociaux extra-ordinaires. Sur ce point, dès 2013, le gouvernement a proposé un renforcement historique de la péréquation, par une augmentation de 120 millions d'euros de la DSU, de 25 millions d'euros de la DDU, de 210 millions d'euros du FPIC et de 20 millions d'euros du FSRIF. Et ce cap, nous devrons le maintenir en 2014. Cette solidarité financière doit s'exercer à toutes les échelles. Sur ce point, je crois dans les préconisations formulées par François Pupponi, dans sa mission sur la solidarité financière et intercommunale. Elles seront proposées au parlement : il s'agit notamment de rendre obligatoire la mise en place d'une dotation de solidarité communautaire efficace partout où l'Etat s'engage avec ses crédits de la politique de la ville. Cette solidarité locale devra, elle devra être traçable dans des annexes aux budgets communaux et intercommunaux. Nous r??fléchirons également à la mutation de la dotation de développement urbain en une dotation politique de la ville qui soit un véritable bras armé financier pour les futurs contrats de ville et qui permette, en étant dans une certaine mesure libre d'emploi, de consacrer le droit à l'expérimentation, source d'innovation et d'intelligence territoriale.
Reconnaître les fractures territoriales, c'est aussi reconnaître les quartiers et leurs habitants, c'est aussi en finir avec la stigmatisation dont ces derniers sont victimes depuis trop longtemps. C'est une réalité dans les faits, c'est une réalité dans les têtes. Parmi les objectifs de la Politique de la Ville, il y a des batailles que personne n'a le droit d'abandonner. La lutte contre les discriminations et contre les stigmatisations des habitants des quartiers est de celles-ci. C'est aussi le sens de cette réforme, dans le souci que nous devons avoir de justice et d'égalité. Ne nous retranchons pas sur ce sujet aussi sensible dans des postures simplistes et rassurantes, ne réduisons pas le débat à l'unique question de l'intégration : il est trop facile de renvoyer la faute par ce biais quand la majorité des habitants de nos quartiers est en réalité totalement intégrée à notre pays. Il est trop facile de désigner et d'ostraciser par ce biais les héritiers de ceux qui en d'autres temps et en d'autres lieux ont pourtant fait la fierté de notre nation. Je pense aussi à nos compatriotes français d'outre-mer résidant en métropole, également victimes de ces stigmatisations, à qui l'on ajoute l'humiliation à l'injustice. L'enjeu et la bataille sont majeures, parce qu'à force de ne pas reconnaitre leurs droits à ces habitants, nous construisons à l'intérieur du ghetto territorial un ghetto mental. Et l'esprit de communauté qui jusqu'à aujourd'hui maintient, en lieu et place de la République, les valeurs de solidarité et de fraternité dans ces quartiers, peut en effet devenir un facteur d'auto-exclusion et de repli vers l'extrémisme. Cette bataille pour casser les ghettos et reconstruire une ville et une vie mixtes, c'est une bataille majeure pour la République, pour le gouvernement de Jean-Marc Ayrault qui l'a pleinement exprimé lors du comité interministériel des villes du 19 février dernier. Je sais que cette bataille sera longue, compliquée, car je connais les inerties coupables et les idéologies trompeuses qu'il va falloir combattre.
Lutter contre les stigmatisations, c'est bien entendu aussi combattre les discriminations à l'emploi. Si aujourd'hui, un grand nombre de jeunes de ces quartiers, sans formation, sont éloignés du marché de l'emploi, jeunes auxquels les emplois d'avenir doivent s'adressent prioritairement, nous devons également être particulièrement attentifs à ceux diplômés qui, démarche après démarche, entretien après entretien, se voit refuser l'accès à un premier emploi. Nous expérimenterons donc dès cette année sur une dizaine de sites quelques 2 000 emplois francs, que j'envisage surtout comme un outil anti-discrimination, dès lors qu'ils doivent faciliter l'embauche de ces jeunes par les entreprises situées non plus dans le quartier, mais dans le bassin d'emploi. Ces emplois-francs, nous en aurons 10 000 si l'expérimentation est positive dans les 3 ans.
Cette bataille contre les stigmatisations est évidemment aussi celle contre les discriminations qui frappent les habitants en raison de leur origine réelle ou supposée, ou de leur lieu de résidence. Afin de rétablir l'égalité pour les habitants des quartiers populaires, le CIV a pris plusieurs décisions visant à renforcer le pilotage interministériel et les leviers d'action du Gouvernement dans ces domaines, pour en finir avec les discriminations à l'adresse dont sont victimes les habitants des quartiers populaires. Je ferai des propositions concrètes d'ici la fin du semestre.
Lutter contre les stigmatisations, cela passe enfin par reconnaître l'existence d'une force citoyenne extraordinaire déjà mobilisée et qui doit être soutenue et encouragée. Je le vois dans chacun de mes déplacements : l'attente est forte. Il faut pour cela accorder une place centrale aux habitants, en leur reconnaissant le droit d'opinion, la capacité d'agir, le pouvoir de co-construire l'avenir de leur quartier. C'est pourquoi j'ai proposé à MH. Bacqué et M. Mechmache, Président d'AC-Le Feu une mission sur cette question pour qu'ils interrogent les bons outils à mettre en oeuvre. La France connaît un retard important dans ce domaine, et il y a même quelque chose d'anachronique à ce que je me tienne en 2013 devant vous, représentants du peuple, à l'Assemblée nationale, à justifier de l'intérêt d'une démocratie locale renforcée. Le temps où l'on imposait d'en haut les politiques publiques sans l'accord de celles et de ceux pour lesquels elles sont conduites, est dépassé.
C'est d'ailleurs l'une des lacunes majeures qu'il nous faudra corriger également dans les prochaines opérations de rénovation urbaine. Qui accepterait parmi vous, Mesdames et Messieurs les parlementaires, accepterait qu'on vienne le voir en disant « monsieur, madame, dans trois ans votre immeuble va être démoli et vous allez parti » sans qu'on vous dise encore où ni quand. Aucun de vous, Mesdames et Messieurs les parlementaires ne l'accepterait. Ce qui n'est pas acceptable pour les parlementaires ne l'est pas également pour les habitants des quartiers. C'est ce qui s'est pourtant malheureusement passé dans un certain nombre de quartiers populaires.
Il est paradoxal de s'inquiéter d'un côté du désintérêt croissant pour la chose publique, de se préoccuper de l'hémorragie électorale dans ces quartiers ou de la montée des extrémismes et en même temps, de ne pas donner à ces habitants les moyens d'être acteurs de leur propre quartier. Je veux que la réforme de la politique de la ville marque sur cette question de la participation des habitants un tournant décisif. Je veux que les habitants deviennent des acteurs à part entière dans les territoires, aux côtés de l'Etat et des collectivités.
Enfin, j'ai l'intime conviction que cette lutte contre les discriminations passe par celle contre les processus de ségrégation et de relégation et donc notre capacité à repenser la mixité sociale à l'aune des politiques de peuplement. C'est un sujet il me semble essentiel, peut-être d'ailleurs celui à partir duquel s'explique un grand nombre des difficultés de nos quartiers. Il est assez cynique de parler de problème d'intégration quand on a délibérément concentré pendant des décennies dans ces quartiers les populations immigrées. Il est totalement malhonnête de dénoncer un repli communautaire qui serait délibérément recherché par ces habitants, quand des communes « hors la loi » préfèrent payer l'entre-soi plutôt que de participer à l'effort de solidarité qu'impose la loi SRU. Je ne souhaite pas, contrairement à certains aujourd'hui, abandonner cet objectif de mixité sociale à l'intérieur de ces quartiers. Cette mixité, elle ne se décrète pas, elle se construit, notamment par les mécanismes d'attributions de logement, sur lesquels Cécile DUFLOT a justement lancé une grande concertation. La future loi « logement et urbanisme » devra mettre en oeuvre des réformes structurelles en faveur de la construction de logements, notamment en matière de planification locale, en privilégiant l'intercommunalité comme niveau de planification opérationnelle. Le Président de la République a tracé la voie aujourd'hui même en annonçant un plan d'efforts conséquents pour le logement de notre pays.
C'est pourquoi la réforme de la politique de la ville commande elle aussi de changer d'échelle et d'appréhender le quartier non plus de manière refermée sur lui-même, mais inscrit dans la dynamique d'un territoire et d'une agglomération. L'intercommunalité est bien l'échelon stratégique pour repenser cette mixité sociale, urbaine et fonctionnelle, l'échelon pertinent pour interroger ces trajectoires résidentielles et combattre la spécialisation des quartiers populaires. Elle permet de conduire des politiques d'attributions concertées à une échelle plus grande et déclinées plus finement sur les quartiers prioritaires de la politique de la ville ; de questionner les attributions DALO ainsi que le relogement des personnes après démolition ou le suivi des ménages dans leur parcours résidentiel.
Il faut aussi travailler, j'en suis convaincu, à des mécanismes plus souples entre contingents préfectoraux et municipaux et réfléchir à des dispositifs de mutualisation inter-bailleurs ; peut être également expérimenter la déconnexion entre financeurs et attributaires ; renforcer bien entendu la qualité de gestion du patrimoine HLM. Cette réflexion nous permettra également d'apporter des solutions à cette surreprésentation de populations issues de l'immigration et principalement des primo-arrivants dans ces quartiers. Je n'accepterai jamais l'effet sas et la spécialisation de ces quartiers. On ne peut continuer dans cette logique qui veut qu'une famille en difficulté quittant un quartier est automatiquement remplacée par une autre famille encore plus en difficulté.
Un mot sur les Zones Franches Urbaines avant de conclure. J'attends le rapport parlementaire de Messieurs Sordi et Jibrayel. Le dispositif a été prévu de s'éteindre fin 2014 par le précédent gouvernement. Le CIV a saisi le CESE pour faire un rapport sur le sujet qui sera remis dans quelques mois. Le Gouvernement prendra ses décisions à ce moment là.
Mesdames et Messieurs les députés,
Mon objectif, vous l'aurez compris, et celui de cette réforme, est bien de résorber les ghettos, de combattre les concentrations de pauvreté qui minent la cohésion sociale et territoriale de notre pays, et d'abattre les barrières mentales qui relèguent encore bon nombre de nos compatriotes français et étrangers à des citoyens de seconde zone, dans des territoires de seconde zone.
Cette réforme de la politique de la ville ne résoudra évidemment pas tout ; mais elle traduit la volonté de ce gouvernement. Il y a urgence à rétablir l'égalité républicaine dans ces quartiers. C'est un acte fort de reconnaissance. Car je crois que nous avons besoin de redonner espoir à ces millions de français qui désespèrent d'être enfin considérés comme des citoyens à part entière de notre République.
Je vous remercie.
Source http://www.territoires.gouv.fr, le 25 mars 2013