Interview de M. Manuel Valls, ministre de l'intérieur, à Europe 1 le 11 avril 2013, sur la déclaration de patrimoine des ministres et la transparence de la vie publique, le "cap" de la politique économique du Gouvernement et l'annonce de la démission du grand rabbin de France.

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Texte intégral

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Vous faites partie des rares qui, ces derniers jours, ont beaucoup travaillé avec le président de la République et le Premier ministre. Bienvenu monsieur le Ministre de l'Intérieur, Manuel VALLS.
MANUEL VALLS
Bonjour Jean-Pierre ELKABBACH.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
François HOLLANDE a donc précisé hier que, je cite, « la défaillance d'un homme ne doit pas jeter le discrédit sur tous les élus ». Alors pourquoi une loi contre tous les élus par avance soupçonnés et traités comme d'éventuels délinquants ?
MANUEL VALLS
Parce que l'exemplarité de la République, c'est la condition de son autorité, et les mesures annoncées par le président de la République sont fortes et cohérentes.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais est-ce que vous ne donnez pas au pays l'impression qu'il y a un pourri derrière chaque élu ?
MANUEL VALLS
Oui, mais il y a une faute de confiance d'abord.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
La faute à qui ?
MANUEL VALLS
Elle dure depuis longtemps. Regardez les enquêtes d'opinion où les Français considèrent qu'une majorité d'élus sont corrompus, ce qui est de mon point de vue insupportable, moi qui me suis engagé comme tous ces élus dans la vie publique pour l'intérêt général.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais à partir du moment où on fait une loi contre tous les élus, on aggrave les soupçons. Est-ce que vous redoutez d'avoir au gouvernement et dans la majorité d'autres menteurs ?
MANUEL VALLS
Non, moi je ne redoute rien à partir du moment où il y a cette volonté de transparence. Et comme vous le savez, tous les ministres lundi prochain verront leur déclaration de patrimoine rendue publique. Nous avons besoin de cette transparence. Il y a besoin d'un choc précisément de confiance entre les responsables publics et les Français.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Et vous croyez que ça va y contribuer ?
MANUEL VALLS
Ça va mettre du temps, Jean-Pierre ELKABBACH, bien évidemment. Et c'est pour ça qu'il faut mettre en oeuvre les mesures qui ont été annoncées pour lutter contre les paradis fiscaux, pour lutter contre la corruption, pour lutter contre le blanchiment d'argent et avec les moyens nécessaires. Je vais y revenir sans doute dans un instant.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Dans les prochains jours sera créée en effet une haute autorité indépendante qui va recevoir, contrôler les déclarations de patrimoine et d'intérêt des ministres parlementaires, grands élus, et cætera. Qui va contrôler cette haute autorité ?
MANUEL VALLS
Elle pourra être saisie d'abord, à la fois par le Premier ministre, par le président des assemblées – le président de l'Assemblée nationale et le président du Sénat – mais aussi par des organisations non gouvernementales qui pourront être ainsi également la voix des citoyens.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais qui la contrôle, elle ?
MANUEL VALLS
Il y aura des hauts magistrats qui seront dans cette haute instance, dans cette haute autorité indépendante.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Et chacun de ces membres devra lui aussi rendre public son patrimoine ?
MANUEL VALLS
Bien évidemment puisqu'elle aura en charge le contrôle des déclarations de patrimoine et d'intérêt des membres du gouvernement, des parlementaires et des grand élus. Et puis surtout, elle aura les moyens puisqu'aujourd'hui elle reçoit déjà les déclarations de patrimoine.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Il y a une commission qui existe depuis vingt-cinq ans.
MANUEL VALLS
Bien sûr, mais là elle aura les moyens d'investigation pour saisir éventuellement la justice.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Vous avez évoqué, monsieur le Ministre Manuel VALLS, la publication des patrimoines qui divise la droite et la gauche. Il y a les pour, les contre. Et vous ?
MANUEL VALLS
Moi je suis favorable aux mesures qui ont été annoncées par le président de la République parce que je pense qu'il y a une exigence de transparence. Non pas une exigence de moralité : une exigence de transparence.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Oui. Vous remettrez votre déclaration lundi au Premier ministre. On peut penser qu'elle est prête.
MANUEL VALLS
Je lui adresserai aujourd'hui comme tous les membres du gouvernement. Il faut faire les choses dans les règles de l'art.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
C'est-à-dire ?
MANUEL VALLS
C'est-à-dire qu'il faut que tout le monde le publie lundi. Le secrétaire général du gouvernement aura cette tâche et donc tous les Français pourront regarder de près le patrimoine de chacun.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
La vôtre est ici ?
MANUEL VALLS
La mienne est sur mon bureau.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Oui. Vous ne la sortez pas avant lundi ?
MANUEL VALLS
Non, parce que le Premier ministre nous a demandé précisément que chacun l'adresse pour publication lundi. Parce que si on commence chacun, les uns et les autres, à déclarer notre patrimoine sur les antennes, ça donne le sentiment qu'il y en a qui sont vertueux et d'autres qui ne le sont pas.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Et vous, vous êtes ?
MANUEL VALLS
Moi je suis vertueux, mais collectif aussi. Il faut jouer collectif, Jean-Pierre ELKABBACH, d'une manière générale. C'est vrai pour notre pays, c'est vrai pour la majorité, c'est vrai pour ce gouvernement. Il est temps de jouer collectif autour du président de la République et du Premier ministre.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Permettez-moi de vous dire que ça m'est égal de savoir si vous allez la sortir aujourd'hui ou lundi.
MANUEL VALLS
Je vous en remercie.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Je fais partie des Français qui demandent au ministre de l'Intérieur de protéger leur sécurité et de ne pas mentir avec trois critères : la compétence, la vérité et l'honnêteté. Le reste, je le lirai peut-être dans quelques jours.
MANUEL VALLS
Jean-Pierre ELKABBACH, moi…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Même si vous avez un compte en Suisse. Vous avez un compte en Suisse ?
MANUEL VALLS
Non, je n'ai pas de compte en Suisse ! Mais vous vous rendez compte ? La seule question et la seule réponse peuvent induire un doute ! Et vous avez raison d'ailleurs ; moi, je ne me dévie pas de ma tâche et ma mission, celle que le président de la République m'a confiée, c'est de protéger les Français, c'est de lutter contre l'insécurité, contre la délinquance, contre les trafics de drogue. C'est de saluer les résultats de la police et de la gendarmerie. C'est de faire en sorte que les magistrats et les forces de l'ordre travaillent ensemble, c'est de lutter contre le terrorisme.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Et en même temps que vous sachiez tout, y compris de vos collègues dans le gouvernement.
MANUEL VALLS
Mon engagement politique, il y a déjà trente ans, s'est fait souvent au nom, au fond, d'une idée qu'on pouvait faire de la politique autrement. Qu'agir, c'était noble. Que la démocratie, c'était un bien précieux.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Eh bien voilà ! voilà ce que vous avez comme un boomerang.
MANUEL VALLS
Ça n'est pas nouveau dans notre vie démocratique mais aujourd'hui aussi, avec les moyens de communication qui sont les nôtres, avec l'intérêt des Français pour la chose publique, il est normal, il est logique…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Le président socialiste de l'Assemblée nationale, Claude BARTOLONE, dit au Figaro ce matin son hostilité à la publication du patrimoine des élus. Il dit : « La dérive d'un homme ne doit pas déboucher sur une culpabilité collective » et il dit : « Déclarer, contrôler, sanctionner c'est de la transparence. Rendre public, c'est du voyeurisme ». Est-ce qu'il a tort ?
MANUEL VALLS
Non, je comprends son inquiétude. Mais en même temps, il doit prendre comme tout le monde la mesure de cette attente, de cette demande de transparence. C'est inévitable, c'est incontournable. Vous savez l'argent, ceux qui gagnent de l'argent, les artistes, les sportifs, évidemment les chefs d'entreprise – on a besoin de talents et de ceux qui investissent pour notre pays – mais en même temps l'argent, que ce soit au niveau international ou au niveau national, a d'une certaine manière tout corrompu et la République, ce sont des règles. On parle beaucoup de laïcité mais la laïcité, au fond, c'est aussi la République c'est-à-dire des règles qui font que l'argent ne peut pas s'immiscer partout et tout corrompre, et tout pourrir.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Manuel VALLS, on va changer le monde ce matin.
MANUEL VALLS
Non, mais on peut le faire évoluer quand même Jean-Pierre ELKABBACH. C'est pour ça que je fais de la politique.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Absolument. Si la loi est votée, est-ce la haute autorité qui rendra publics les documents ou est-ce qu'elle les gardera pour elle ?
MANUEL VALLS
Non.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Est-ce qu'elle peut les garder mais ne pas les rendre publics ?
MANUEL VALLS
Mais une partie évidemment de ces documents seront rendus publics.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Vous avez dit tout à l'heure : « Il faut jouer collectif ». Le président de la République a réprimandé publiquement Arnaud MONTEBOURG, Benoît HAMON, Cécile DUFLOT. Aucun ministre ne peut remettre en cause la politique qui est conduite et qui n'est pas l'austérité. Est-ce qu'ils peuvent recommencer ?
MANUEL VALLS
Je pense que ce qu'a dit le président de la République à la fois publiquement hier et en conseil des ministres est très important. Il a rappelé que le sérieux budgétaire, c'est une nécessité. C'est la condition de la crédibilité pour notre pays qui permet d'emprunter sur des marchés financiers à des taux qui n'ont jamais été aussi bas. C'est la condition aussi de la souveraineté, de l'indépendance en évitant un endettement excessif. Et c'est la condition aussi de notre capacité à peser sur le cours de l'Europe et de retrouver le chemin de la croissance.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Comment se fait-il que les ministres ne le sachent pas alors qu'il le répète régulièrement. Nous, nous pourrions vous réciter par coeur ce que vous dites. Pourquoi un ministre qui siège en conseil des ministres, qui entend régulièrement le président de la République, ne s'en souvient-il pas ?
MANUEL VALLS
Mais moi, je ne commente pas ce que disent les autres ou ce que pensent les autres. Moi je dis tout simplement qu'il faut assumer ce que nous faisons depuis dix mois.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Contrairement à certains dans le gouvernement.
MANUEL VALLS
Il faut assumer le pacte de compétitivité, le fait que nous devons soutenir les entreprises et j'espère que nous créerons un climat de confiance avec le monde économique. Il faut assumer le fait que nous redressons les comptes publics et ça n'a rien à voir avec de l'austérité : c'est du sérieux. Il faut assumer la loi qui a été votée en première lecture à l'Assemblée nationale, qui permet le dialogue social et qui permet aussi de rendre là également le marché du travail plus compétitif. Il faut assumer la politique, Jean-Pierre ELKABBACH, que nous menons.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais ce n'est pas moi ! Il faut le dire à MONTEBOURG, à DUFLOT !
MANUEL VALLS
Il faut que la gauche, il faut que le Parti socialiste, que tous les membres du gouvernement assument ce cap qui est un cap qui doit permettre le redressement du pays et la priorité à l'emploi.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
S'ils ne le font pas, qu'est-ce qui leur arrive ?
MANUEL VALLS
C'est leur affaire. C'est leur affaire, ce n'est pas la mienne.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais que feriez-vous, vous, si des collaborateurs ou des préfets critiquaient votre politique en public ?
MANUEL VALLS
Vous connaissez mon sérieux et ma capacité à exercer pleinement l'autorité.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Ça veut dire ?
MANUEL VALLS
Nous avons besoin dans cette crise à la fois économique, dans cette crise de confiance, dans cette crise d'identité parce que les Français ont l'impression de subir à la fois une forme de déclassement collectif et personnel, nous avons besoin de confiance et nous avons besoin d'autorité. Les mots du président de la République précisément hier étaient importants pour créer ce climat de confiance et retrouver l'autorité nécessaire à l'État et à la République.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Vous avez besoin d'autorité ? Vous confirmez qu'il y a un manque d'autorité ?
MANUEL VALLS
Non, au contraire. Je pense que François HOLLANDE exerce pleinement cette autorité. Et pour qu'il l'exerce pleinement, chacun doit jouer collectif et chacun doit pleinement assumer le cap qui est celui du président de la République, qui est celui qui a reçu la confiance des Français il y a un an.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Et il n'aime pas l'argent. Est-ce qu'il est inquiet aujourd'hui ? est-ce qu'il souffre ?
MANUEL VALLS
Je crois qu'il a été meurtri comme nous tous, blessé par ce qui s'est passé mais il est le président de la République et comme nous tous, il sait que nous n'avons qu'une seule tâche : l'emploi, l'emploi, l'emploi. C'est ce qu'attendent d'abord nos compatriotes.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Très bien. Dernière question : vous êtes ministre des Cultes. Manuel VALLS garde-t-il sa confiance au grand rabbin de France ?
MANUEL VALLS
Nous avons tous été là aussi choqués et meurtris. Mais moi, je n'ai pas à prendre position sur les choix d'un homme ou des instances de la communauté juive, mais le grand rabbin de France…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Est-ce qu'il reste un interlocuteur fréquentable et crédible pour vous ?
MANUEL VALLS
Le grand rabbin de France qui est quelqu'un pour qui j'ai évidemment beaucoup d'admiration…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Toujours ? Toujours ?
MANUEL VALLS
Oui mais lui aussi doit réfléchir aussi à ce qui est en train de se passer. La confiance. Quand la confiance est ébréchée, il faut des gestes forts.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
C'est-à-dire s'en aller ?
MANUEL VALLS
C'est à lui d'y penser.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
L'État lui pardonne ses mensonges à lui ?
MANUEL VALLS
Ce n'est pas à l'État, c'est à lui d'y réfléchir.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Merci d'être venu.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 12 avril 2013