Déclaration de M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, sur les évolutions de la politique agricole commune (PAC).

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Audition du ministre de l'agriculutre, de l'agroalimentaire et de la forêt, devant la commission des affaires économiques du Sénat, le 9 avril 2013

Texte intégral

À chaque fois que vous m'invitez, j'essaye de répondre présent, car j'estime de mon devoir de ministre d'informer la représentation nationale.
Un mot sur l'affaire de la viande de cheval : j'ai rencontré il y a trois semaines avec la ministre de l'environnement le commissaire européen, qui a accepté de présenter le rapport de la Commission européenne dès septembre, ce qui me convient. Un chapitre devrait être consacré à la traçabilité des viandes dans les plats préparés. Le premier courrier de ce commissaire va plutôt dans le bon sens.
La PAC a connu un tournant important puisque, pour la première fois, le trilogue - Commission européenne, Conseil des ministres et Parlement européen - se prononcera sur une réforme définitive. Deux instances ont déjà donné leur position : le Parlement européen le 13 mars et le Conseil des ministres le 19 mars.
Le premier débat que j'ai porté concerne le nouvel équilibre à trouver entre production végétale et animale afin d'assurer la viabilité économique de cette dernière. À l'heure actuelle, des éleveurs de vaches laitières ou de vaches à viande arrêtent leur activité pour des raisons structurelles et pas seulement conjoncturelles. Nous devons parvenir, au moyen de divers outils, à stopper cette tendance pour maintenir la diversité de notre agriculture.
Bruxelles a voulu imposer la convergence des aides, en mettant fin aux droits à paiement unique (DPU) basés sur des références historiques encore en vigueur dans sept pays, pour instaurer partout les droits à paiement de base (DPB) d'ici à 2020. En clair, nous serions passés dans certaines zones de 400 euros à l'hectare à 290 ou 295 euros sur tout le territoire. Pour les départements qui sont en-dessous de ce seuil, comme la Lozère, l'effet de la convergence aurait été bénéfique ; pour les autres, il aurait été extrêmement déstabilisant, notamment dans le Grand Ouest et pour la polyculture élevage.
Avec la convergence totale, les agriculteurs auraient adapté leurs productions aux évolutions du marché - c'est d'ailleurs ce que les nôtres ont commencé à faire en délaissant l'élevage pour se consacrer aux céréales, au prix plus élevé. Si nous n'avions pas réagi, les productions en Europe se seraient spécialisées en fonction des avantages comparatifs, la France devenant un grand producteur céréalier, mais abandonnant la production animale à d'autres pays, notamment ceux qui ont choisi une production animale de type industriel, comme l'Europe du nord et l'Allemagne. Voilà pourquoi nous avons refusé la convergence totale, pour conserver nos spécificités régionales.
Depuis les décisions de 2003 sur le découplage, et le bilan de santé qui prévoyait encore 100 % de découplage, le revirement est impressionnant, puisque nous en revenons à plus de couplage des aides autorisé pour les productions animales, contre l'avis de pays qui ont industrialisé leur élevage - «I hate coupling» a affirmé mon homologue danoise lors du dernier Conseil des ministres. La Commission européenne a proposé de coupler 10 % des aides versées dans le cadre du premier pilier. Le Parlement européen a proposé 15 %, et j'ai obtenu qu'on remonte ce taux à 12 % au Conseil. La bataille au sein du trilogue consistera à trouver un point moyen entre 12 et 15 %. Revenir à la logique de couplage est historique : l'élevage restera une production agricole et non pas industrielle. Et nous venons de signer avec 14 pays une déclaration pour réaffirmer notre attachement à ce principe.
Autre outil à notre disposition : la surprime pour les 50 premiers hectares, sur lesquels le plus d'actifs agricoles sont concentrés dans les exploitations et qui pratiquent le plus souvent la polyculture-élevage ou l'élevage. Cela constitue donc un moyen de redistribution.
Notre axe stratégique est d'assurer la pérennité de l'élevage en termes économiques. Nous devons compenser la faible rentabilité capitalistique et la moindre productivité du travail dans l'élevage pour éviter qu'il ne disparaisse de notre pays. Aussi avons-nous été plutôt satisfaits des accords qui ont mis en minorité les pays qui avaient découplé leurs aides, comme l'Allemagne. Avec l'Irlande, l'Espagne, l'Italie, l'Europe centrale et, surtout, la Pologne, nous avons pour faire entendre la voix de la France une majorité que je ne cesse de renforcer.
Le verdissement des aides du premier pilier, qui représente 30 % de celles-ci, prend en compte trois critères : la rotation des cultures, le maintien de prairies permanentes et les surfaces d'intérêt écologique. Nous avons défendu le maintien des 30 %, parce que nous avons besoin d'une politique environnementale européenne cohérente, pour éviter des distorsions de concurrence entre pays de l'Union. Du fait de réelles réticences de certains pays, nous avons accepté de passer les surfaces d'intérêt écologique de 7 à 5 % de la surface de l'exploitation. La proposition du Parlement européen d'instaurer des seuils progressifs n'a pas été retenue par le Conseil. Les 30 % seront-ils forfaitaires, en sus de la convergence des aides, ou s'appliqueront-ils à chaque exploitation de manière proportionnelle ? La question reste ouverte, d'autant que les pays qui nous soutiennent préfèrent la proportionnelle, tandis que le Parlement européen et la Commission souhaitent le forfait. Pour nous, les deux systèmes ont à peu près les mêmes conséquences.
La France souhaite également défendre les capacités de régulation de la PAC, notamment en cas de crise. Le rapport de Michel Dantin sur l'organisation commune des marchés (OCM) unique est extrêmement intéressant, notamment sur la régulation. Désormais, la France, qui a souvent été seule, dispose de l'appui du Parlement européen, ce qui renforcera sa position lorsque la négociation s'engagera dans le cadre du trilogue. L'OCM unique concerne aussi les quotas laitiers : la France n'en acceptera pas la suppression au 1er avril 2015 sans que soient instaurés des mécanismes évitant des crises à répétition. La Commission a accepté l'idée d'une réunion spécifique en septembre pour traiter de cette question à ma demande. Les Pays-Bas ont décidé d'augmenter de 20 % leur production laitière pour leurs exportations : en cas de crise, tout ce lait reviendrait sur le marché européen, provoquant un effondrement généralisé. Je m'exprimerai régulièrement sur ce sujet.
Sur les droits de plantation de la vigne, nous avons réussi à faire revenir l'Europe sur une décision prise en 2008. Le nouveau système s'appliquera en 2019 pour six ans : des droits à planter seront accordés, à raison d'une augmentation de surface de 1 % par an au maximum. Avec notre système d'autorisations, nous pourrons mieux gérer, rester en-deçà.
Notre viticulture dispose donc d'un cadre clair pour les onze années à venir. Si elle représente le premier poste d'exportation de l'agro-alimentaire - 6 à 7 milliards d'euros -, son excédent s'accroît en valeur mais diminue en volume. Que la part de la France baisse alors que la consommation mondiale de vin augmente devrait nous inciter à nous poser des questions.
La question des quotas de sucre est technique. Plus vous les maintenez dans le temps plus il faut en ouvrir de nouveaux. Certains pays estiment qu'ils achètent leur sucre trop cher. Quoique sous présidence irlandaise, favorable aux quotas, le Conseil des ministres a décidé de continuer le système de quotas sucriers jusqu'en 2017 et de ne pas en ouvrir de nouveaux. Nous en saurons plus lors des discussions du trilogue car le Parlement européen défend une extension du système jusqu'en 2020.
S'agissant de l'enveloppe financière, en euros constants, nous avions 56,9 milliards sur la période précédente et nous serons, pour les années 2014 à 2020, à 56,3 milliards, soit un niveau quasi équivalent. Nous aurons moins sur le premier pilier, mais un milliard supplémentaire sur le deuxième ; l'enveloppe française est donc stabilisée.
(Interventions des parlementaires)
Je connais bien la position d'Alain Lamassoure, je préfère pour ma part garder le budget et avoir à garder le chèque britannique.
Dans la période précédente, le premier pilier français était doté de 48,9 milliards ; la Commission avait initialement proposé 47,8 milliards, nous avons obtenu 47,6 milliards. Pour le deuxième pilier, la Commission maintenait la dotation à 7,95 milliards. Comme nous avions choisi depuis des années de privilégier le premier pilier, les aides du deuxième pilier ramenées à l'hectare étaient en France de 40 à 42 euros quand elles se montaient à 300 euros en Italie. Face à la pression de la France, Herman Van Rompuy a préféré bloquer l'augmentation du premier pilier et favoriser le deuxième pilier en accordant, État par État, des augmentations d'enveloppe. C'est pourquoi nous sommes passés de 7,95 à 8,8 milliards sur ce deuxième, mais le budget global sera respecté.
En tant que ministre, je ne veux pas pénaliser la polyculture-élevage ; partant, je suis obligé de jouer sur la production végétale pour donner à la production animale. La production laitière, qui a les DPU les plus élevés aujourd'hui, serait la plus pénalisée en cas de convergence à 100 %. Les vaches allaitantes continueront à bénéficier d'un soutien spécifique, puisque les aides aux bassins allaitants seront sanctuarisées dans le premier pilier. Pour éviter de trop dépenser, je suis obligé de privilégier les 50 premiers hectares. Ces transferts, qui ne sont pas encore arbitrés, seront de l'ordre de 500 à 600 millions, ce qui est loin d'être négligeable.
Nous avons eu hier une discussion houleuse avec la grande distribution, les producteurs de lait et les transformateurs. La France a un vrai problème : au Danemark, en Allemagne, aux Pays-Bas, le prix payé au producteur est plus élevé qu'en France. Malheureusement, chacun se renvoie la balle. Le droit de la concurrence ne m'autorisant pas à imposer un prix, je ne peux que pousser à la négociation. Deux propositions sont sur la table : la grande distribution, hors Leclerc et Système U, propose 2 centimes d'augmentation immédiate sur le lait de consommation, tandis que Leclerc et système U proposent une augmentation de 3 centimes sur le lait de transformation comme sur celui de consommation. La première se targue d'avoir consenti des efforts que n'ont pas réalisé les seconds, tandis que Leclerc et Système U veulent faire mieux que les autres... En outre, tout cela ne vaut que si les industriels répercutent la hausse sur les producteurs, d'où l'importance du médiateur et du rôle du gouvernement pour impulser une dynamique positive.
Ensuite, au plan structurel je vais tout faire pour mettre en place un cadre contractuel : que tout le monde arrête de se bagarrer, et se mette autour de la table : voilà à quoi je travaille pour obtenir une vision partagée des différents acteurs des filières. Il faut modifier la loi de modernisation de l'économie (LME), puis la loi de modernisation agricole (LMA), pour intégrer les coûts de production et l'obligation de renégocier. Ces mesures majeures nous sortiront d'un système dont les producteurs sont les premières victimes
(sur l'Observatoire des prix et des marges)
La grande distribution en est satisfaite à ceci près qu'il ne donne pas la marge nette des industriels. Il doit contribuer à la transparence, jusqu'au bout. Les producteurs sont les derniers à être rémunérés lorsque les coûts de production augmentent, alors qu'ils subissent sans délai la hausse des prix des matières premières. La régulation s'impose, nous aurons ce débat, mais ce n'est pas le rôle de l'Observatoire.
Un accord entre le ministère de l'agriculture et les régions fixe clairement le cadre de la régionalisation des aides. La négociation du deuxième pilier est nationale, mais en coordination avec les régions, dont les présidents sont autorité de gestion. Au sein du cadre national, figurent l'ICHN (indemnité compensatoire de handicaps naturels) et la politique d'installation notamment. Si nous avons de la marge, on pourrait envisager du top up, c'est-à-dire de mettre un peu plus sur les premiers hectares au profit des jeunes qui s'installent.
L'agro-écologie, qui a fait l'objet hier d'un colloque organisé par Joël Labbé, doit être prise en compte de façon systémique : plutôt que d'une addition de mesures agro-environnementales (MAE) spécifiques, je suis partisan de MAE-systèmes. Nous devons répondre à l'enjeu environnemental par un système d'objectifs, au lieu d'être obsédé par les moyens. Faire comprendre aux agriculteurs que l'objectif est de réduire les pollutions, non de respecter des contraintes, voilà la dynamique que j'entends créer pour l'agro-écologie.
(Interventions des parlementaires)
Si on modifie la LME, c'est pour intégrer l'évolution des coûts de production dans l'obligation de négociation. Il faudra ensuite modifier aussi la LMA pour toucher les producteurs.
Nous sommes plutôt bien partis sur l'étiquetage, l'Europe a pris conscience de l'enjeu. Nous travaillons avec les filières bovine, porcine, et des volailles ; nous nous réunirons la semaine prochaine pour élaborer une stratégie. La filière bovine est venue me voir : j'ai réussi à débloquer 20 millions pour le lait et autant pour les bovins allaitants, dont 8 millions pour les jeunes bovins. Une contractualisation dans la filière bovine avait été évoquée, sous la responsabilité de l'interprofession. L'initiative a achoppé, en partie du fait de gros opérateurs de l'abattage, qui refusent toute contractualisation. Nous repartons à zéro, alors que nous devons structurer cette filière, avec un objectif viande bovine française (VBF), et un cahier des charges plus strict. Nous ferons de même pour la filière porcine (VPF), la volaille, la filière ovine... Malheureusement, nos filières sont inorganisées, refusent de se parler, et le ministre doit s'engager.
Il est nécessaire de construire avec les fonds européens un système mutualiste d'assurance récolte prenant en compte la solidarité et les systèmes fiscaux, notamment les déductions pour investissement (DPI) et pour aléas (DPA).
Nous voulons redistribuer sans pénaliser les zones intermédiaires. Les premières victimes de la convergence ne sont pas les zones céréalières, mais bien la polyculture-élevage. Tous les calculs le montrent, l'impact de la redistribution intervient jusqu'aux cent premiers hectares. Dans les zones intermédiaires céréalières, comme dans les autres, la redistribution se fait des plus grandes exploitations vers celles de taille moyenne. C'est là qu'intervient cet élément de critique : faire 50 quintaux dans les zones intermédiaires céréalières n'est pas la même chose que faire 80 et 100 à chaque fois. Cela fait partie des enjeux à traiter.
Le prix des céréales nécessite une gouvernance à l'échelle mondiale : c'est notre objectif, avec la mise en oeuvre des accords passés dans le cadre du G20 négociés par le précédent gouvernement. Nous travaillons en outre avec la FAO, avec l'ensemble des ministres de l'agriculture. La première réunion, à l'initiative de la France, a réuni 32 ministres, la prochaine en réunira davantage, car ce sont les conditions mondiales de la production qui déterminent les prix. L'année dernière, c'est la sécheresse aux États-Unis qui a fait flamber les prix. Cette année, le prix du lait répercutera la sécheresse en Nouvelle-Zélande. La tension sur le marché des protéines végétales est encore très forte. Nous avons en outre l'avantage d'avoir une plage de capacité de production beaucoup plus longue que d'autres. L'Europe centrale, avec l'Ukraine, ne pourra jamais faire qu'une récolte. Notre climat nous offre plus de possibilités.
Les Cipan ont été conçues dans l'idée qu'il fallait couvrir les sols l'hiver, pour que l'azote minéralisé ne finisse pas dans la rivière. Or, en travaillant un sol après récolte, surtout dans le sud-ouest où il fait chaud, on n'obtient que de la poussière. Je propose donc de semer des plantes qui vont se livrer concurrence : la céréale poussera la première, puis la seconde, qui aura été semée en même temps. Le sol n'aura plus à être travaillé et il sera couvert. Voilà comment j'entends faire évoluer les Cipan.
(...)
Si vous étiez venus avec moi au SIMA (Salon mondial des fournisseurs de l'agriculture et de l'élevage), vous auriez constaté que la grande évolution à venir, ce sont ces semis sans labour, conservant les sols, et avec la faculté de semer six à sept plantes en même temps, avec des mélanges. Voilà la révolution de demain.
Évoquant la Bretagne, Gérard Le Cam m'interroge sur le redressement productif. Tout l'enjeu de la méthanisation est l'investissement qu'elle implique : nous allons promouvoir un objectif d'azote total. Fertiliser avec l'azote organique en excédent évitera à la Bretagne d'en importer deux fois - mieux vaut acheter du soja et fertiliser avec le lisier.
Le plafonnement, refusé par certains pays européens, est un vrai serpent de mer. La dégressivité des aides constitue un outil de redistribution qui a l'avantage d'être de notre ressort. Nous n'aurions un impact équivalent que grâce à un plafonnement à 50 000 euros, avec les effets de seuil que cela implique.
La déclaration annuelle et la transparence des GAEC facilitent la gestion.
Il faut mettre en oeuvre une régulation à l'échelle mondiale. Limiter la volatilité des prix implique que la spéculation n'amplifie pas les mouvements, d'où les limites de prise de position dans la loi sur les réformes bancaires. On a certes besoin de couverture sur le marché à terme, encore faut-il que la spéculation ne représente pas dix à vingt fois le marché physique.
Marcel Deneux a raison, une fois qu'on a arrêté l'élevage, on n'y revient pas : il faut du temps pour recréer le savoir-faire et les équipements. Il y a un risque concernant le retournement des prairies permanentes ; ceux qui pensent échapper ainsi aux critères de verdissement ne doivent pas se leurrer : la base de référence est l'année 2012. Dites-leur surtout d'arrêter !
La Commission proposait 2,5 % pour l'augmentation des droits de plantation des vignes. Nous avons arraché un accord à 1 %. Si j'avais demandé 0,5 %, j'aurais été isolé. Avec 1 %, l'Italie a été à mes côtés et l'Espagne, qui nous a rejoints, ne voulait pas de 0,5 %. À nous de voir comment paramétrer les autorisations - Gérard César a souhaité une subsidiarité par bassin.
Nous mettons en place la stratégie d'exportation que souhaite Alain Bertrand. L'interprofession bovine se rend en Algérie. La Turquie avait bloqué ses importations après avoir abattu énormément de vaches de réforme. Ces marchés sont importants pour nous, nous devons y être présents. Les exportations ont été momentanément bloquées. L'Algérie, le Maghreb sont en effet des marchés sur lesquels nous devons être présents.
Enfin, la règle de l'ICHN est nationale et l'application régionale.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 19 avril 2013