Interview de M. Guillaume Garot, ministre de l'agroalimentaire, à "Radio classique" le 22 mai 2013, sur les suites de la fraude à la viande de cheval (étiquetage des produits cuisinés...), les aides à l'exportation pour la filière agroalimentaire.

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Média : Radio Classique

Texte intégral

NICOLAS PIERRON
Vous avez rencontré hier les professionnels de la filière viande, pour tirer les leçons du récent scandale qui a frappé la plupart des pays d’Europe, la viande de cheval, évidemment. Que proposez-vous, concrètement, pour éviter que ça ne se reproduise ?
GUILLAUME GAROT
D’abord, il faut que les entreprises se protègent mieux, et donc nous avons validé hier une charte anti-fraude, pour permettre aux entreprises de détecter tous les signes d’une éventuelle tromperie qui pourrait leur tomber dessus, et ça c'est très important que, au-delà même des contrôles que l’Etat continue évidemment d’opérer, les entreprises elles-mêmes puissent mieux se prémunir, se protéger contre d’éventuelles dérives. Et puis ensuite, j’avais beaucoup insisté sur cette dimension, au mois de février dernier, il faut améliorer encore et toujours la qualité des plats préparés, et c'est ce qui sera fait à travers un code qualité viande pour ces plats préparés, de telle sorte qu’on harmonise à l’échelle nationale, les critères de qualité pour ces viandes qui rentrent dans la composition des plats cuisinés, et puis surtout, qu’on dise ce qui est autorisé et ce qui ne l’est pas, pour qu’on soit complètement garanti, les consommateurs le soient, complètement garantis, sur la qualité des plats qui leurs sont proposés.
NICOLAS PIERRON
Est-ce qu’il y aura un étiquetage des ingrédients, y compris, donc, de la viande qui figure dans les plats préparés ?
GUILLAUME GAROT
Alors, vous avez complètement raison d’insister sur ce point, et c'est la dimension européenne de la réunion qui s’est tenue hier, et très concrètement, nous nous battons avec Stéphane LE FOLL, avec Benoît HAMON, pour qu’au plan européen, il puisse y avoir cette réglementation, qui, comment dire, qui rendra obligatoire l’étiquetage sur l’origine des viandes dans les plats préparés.
NICOLAS PIERRON
Mais ça sera une loi européenne, on ne peut pas, d’abord, faire une loi française.
GUILLAUME GAROT
Alors, il faut anticiper, vous avez complètement raison, et qu’est-ce que nous faisons avec les professionnels ? Eh bien nous leur avons dit la chose suivante : rien ne vous interdit, aujourd'hui, d’apposer sur les plats que vous proposez, la mention « Viande bovine française », – VBF – ou Viande porcine française – VPF – ou Volaille de France. C'est très important aussi que les consommateurs soient directement informés sur l’origine de la viande qu’il y a dans le plat préparé, si elle a été composée en France, bien évidemment.
NICOLAS PIERRON
Est-ce qu’au-delà de ces mesures, en termes d’étiquetage notamment, il ne faut pas essayer d’aller vers des circuits plus courts, revenir à du bon sens ? On a vu que la chaine logistique était extraordinairement complexe…
GUILLAUME GAROT
Tout-à-fait.
NICOLAS PIERRON
…dans la filière bovine en Europe, d’où les dérives que l’on a vues avec la viande de cheval de Roumanie, est-ce qu’on ne peut pas aller vers plus de simplicité, finalement ?
GUILLAUME GAROT
Si, en tout cas plus de transparence, c'est évident. Et la décision que nous avons annoncée hier, c'est que la France saisie la Commission européenne, pour que la profession des traders, vous savez, hein, on a bien vu que durant la crise du cheval, avait été mis au jour, une profession qui considérait que l’on pouvait vendre de l’alimentation, de la viande, comme n’importe quelle autre marchandise. Ce n’est pas ma conception des choses, et donc, nous souhaitons que les traders, dans le cadre d’une réglementation européenne, soient maintenant redevables d’obligations, et qu’il y ait une forme d’agrément, qui pèse sur eux, de telle sorte que là aussi, on soit complètement rassuré sur la qualité et donc sur la traçabilité, également, l’information qu’on soit aux consommateurs, et que nous doivent aussi les traders.
NICOLAS PIERRON
Avec quelle échéance ?
GUILLAUME GAROT
Nous avons, de ce point de vue-là, engagé la discussion, et nous souhaitons que durant l’année 2013, un progrès, un progrès réel, marquant, concret, puisse être marqué.
NICOLAS PIERRON
Guillaume GAROT, le scandale de la viande de cheval n’a pas arrangé les affaires d’une industrie agroalimentaire en difficultés, les marges des entreprises sont au plus bas, 5 000 emplois auront été détruits, dit la fédération du secteur, au premier semestre 2013. Que faire pour inverser la tendance selon vous ?
GUILLAUME GAROT
Il faut donner à nos entreprise, des armes, aujourd'hui, pour être plus compétitives, et donc c'est le sens du plan d’action que je présenterai avec Stéphane LE FOLL, à la fin de ce mois, de telle sorte que, que ce soit pour l’investissement, que ce soit pour l’exportation, que ce soit pour l’innovation, nos entreprises de l’agroalimentaire aient aujourd'hui davantage de force. Alors, il y a déjà le pacte de compétitivité, que nous déclinons dans notre secteur agroalimentaire, et par exemple, le C.I.C.E, le Crédit d’impôt compétitivité emploi, est un vrai ballon d’oxygène pour toutes ces entreprises. Mais au-delà, il faut que nous puissions combattre à armes égales, avec les entreprises d’autres pays, en particulier de ceux de l’Union, et c'est vrai aujourd'hui que la concurrence avec l’Allemagne est très féroce, très sévère, même, et que l’on doit rétablir une vraie concurrence, sur des bases égales, et c'est la raison pour laquelle nous menons aussi, au plan européen, ce combat, de telle sorte que cette directive détachement, qui permet aujourd'hui à des entreprises allemandes d’employer des salariés venus des ex-pays de l’Europe de l’Est, mais payés au prix du pays d’origine, au salaire du prix d’origine, eh bien, que cette directive-là, qui autorise cela aujourd'hui, soit sévèrement encadrée demain.
NICOLAS PIERRON
C'est notamment le cas dans la filière porcine, vous allez d’ailleurs rendre visite demain à la société GAD, abattoirs en Bretagne…
GUILLAUME GAROT
Non, je recevrai demain les salariés.
NICOLAS PIERRON
Vous recevrez les salariés de cette entreprise, 1 700 personnes, en Bretagne, donc, spécialisées dans l’abattage de porcs, et concurrencée de manière déloyale, selon elle, par la filière porcine allemande. Est-ce que c'est aussi votre opinion ? Concurrence déloyale, on peut aller jusque-là ?
GUILLAUME GAROT
Alors, j’évoquais cette directive de détachement, qui est aujourd'hui, de mon point de vue, abusivement employée, mais au-delà de ça, il faut que la filière porcine française retrouve des marges de manoeuvre et nous avons présenté un vrai plan d’action, au mois dernier, de telle sorte que la filière puisse se moderniser, puisse être relancée, avec l’objectif d’atteindre 25 millions de porcs produits chaque année, dans notre pays, mais ça signifie qu’il faut être capable de concilier performance économique et performance écologique, hein, c'est très important, parce qu’on a vu aussi les difficultés qui étaient connues aujourd'hui dans beaucoup de nos régions de production, de France, en matière, principalement, de qualité de l’eau. Donc il faut être exigeant aussi sur la dimension écologique, et c'est la raison pour laquelle nous avons lancé un plan de méthanisation, avec l’objectif de déployer 1 000 méthaniseurs d’ici 2020 en France.
NICOLAS PIERRON
Pour ça, il faut aussi augmenter les prix de la viande de porc, c'est ce que réclament les producteurs, ils réclament ça aux transformateurs, à la grande distribution, certains s’y opposent, Serge PAPIN, de SYSTEME U, y est plutôt favorable. Comment gérez-vous ces relations conflictuelles, permanentes, entre industriels et l’agroalimentaire et distributeurs, aujourd'hui ?
GUILLAUME GAROT
Vous avez raison de dire qu’elles sont, dans notre pays, "conflictuellement" permanentes, ou en permanence conflictuelles. Et, nous, ce que nous souhaitons, avec l’ensemble du gouvernement, sous la direction de Jean-Marc AYRAULT, c'est que l’on puisse installer de nouvelles relations, à la fois stables, dans un cadre contractuel, qui permette à chacun de s’y retrouver et de s’en sortir.
NICOLAS PIERRON
Il y a déjà une loi qui a été prise en 2008, la fameuse loi LME, qui régule ces relations industrielles distributeurs…
GUILLAUME GAROT
Eh bien, justement pas.
NICOLAS PIERRON
Elle a échoué jusqu’à présent ?
GUILLAUME GAROT
Eh bien je considère que, s’agissant de la filière alimentaire, elle n’a pas rempli son office. Parce qu’aujourd'hui on voit trop de PME, qui se sentent étranglées, hein, je n’ai pas peur des mots, par les comportements ou certaines pratiques de la grande distribution. Elles se disent « on n’arrive pas à s’en sortir. Et une entreprise, qui n’arrive pas à s’en sortir, c'est une entreprise qui n’investit plus, et c'est une entreprise qui, à terme, est condamnée, et donc les emplois sont condamnés. Alors, ça veut dire…
NICOLAS PIERRON
Qu'est-ce qu’on peut faire pour améliorer les choses ?
GUILLAUME GAROT
Eh bien, c'est l’objet du projet de loi, que porte Benoît HAMON, et qui permettra de réviser, sur deux points très importants, cette loi LME de 2008, en prévoyant d’abord que les conditions générales de vente, proposées par la PME soient le socle de la négociation commerciale, donc on fait en sorte de rétablir l’équilibre et redonner des vraies perspectives, des vraies marges, dans la négociation à la PME. Et puis ensuite, c'est la réponse à votre question sur la filière porcine et les producteurs de porcs, il faut que la volatilité du prix des matières premières puisse être répercutée dans le prix final, et là aussi c'est une question très importante, parce qu’on voit aujourd'hui que beaucoup de producteurs de porcs se sentent dos au mur, donc il faut les aider, et il faut les aider durablement, c'est le sens de cette loi qui sera modifiée et qui permettra donc de répercuter à la hausse ou à la baisse, de façon symétrique, cette volatilité du prix des matières premières.
NICOLAS PIERRON
Donc, de revoir régulièrement et non pas une seule fois par an, les tarifs négociés.
GUILLAUME GAROT
De les voir régulièrement, de telle sorte que nous offrions un cadre stable, lisible, à l’ensemble des acteurs économiques.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 23 mai 2013