Texte intégral
PATRICK COHEN
Vous présentez ce matin en Conseil des ministres un projet de loi qui va créer des actions de groupe, voilà des années qu’on en parle. La loi donnera la possibilité aux clients lésés d’intenter collectivement une action en justice par le biais des associations de consommateurs. Quel est l’objectif de votre texte ?
BENOIT HAMON
Protéger les consommateurs, mieux les protéger. Nous vivons, depuis maintenant 20 à 30 ans, une libéralisation du marché intérieur européen considérable, mais les droits des consommateurs n’ont pas évolué à la même vitesse, et aujourd’hui, en France, il y a, on pourrait dire des trous dans la raquette, dans la protection des consommateurs, notamment dans la possibilité d’être indemnisés du préjudice qu’ils subissent, dans le champ économique, dans les contrats de consommation et dans les pratiques anticoncurrentielles. Je prendrai un exemple. Il y a eu des ententes illicites qui ont été sanctionnées par l’Autorité de la concurrence en matière de téléphonie mobile, avec des amendes considérables
PATRICK COHEN
Plus de 10 ans après !
BENOIT HAMON
Absolument, mais des amendes considérables, près d’1 milliard de francs à l’époque, pour ce qui concerne
non, 500 millions d’euros, pardon, pour les établissements bancaires aussi, sur des ententes illicites en matière de crédits immobiliers. La réalité c’est que les établissements ont payé, mais les seules personnes qui n’ont pas été indemnisées, ce sont les consommateurs. Or, on estime aujourd’hui, qu’en matière de pratique anticoncurrentielle, le prix est supérieur à 20% à son prix normal, quand il y a une entente illicite, ça veut dire que le consommateur paye 20% de plus que ce qu’il devrait payer, quand il y a une entente illicite. Ce que nous voulons, c’est que, par l’action de groupe, le consommateur puisse être indemnisé du préjudice qu’il a subi, ce sera possible grâce au projet de loi que je vais soumettre au Parlement, aujourd’hui au Conseil des ministres, au Parlement en juin.
PATRICK COHEN
Et au Parlement en juin. Le champ d’application de ces actions, vous venez d’en parler, c’est donc la consommation et la concurrence, les ententes, les abus, les tromperies, les publicités mensongères, donc les banques, les télécoms, les produits financiers, etc., en revanche pas d’action de groupe en matière de santé ou d’environnement, les victimes de l’amiante, du Mediator ou les prothèses PIP, ou d’une marée noire éventuelle, ne pourraient pas, n’auraient pas collectivement saisir la justice. Pourquoi ?
BENOIT HAMON
Pas à cet instant. Je dis cela, pourquoi ? Parce que d’abord je suis ministre de la Consommation, donc c’est dans le Code de la consommation que nous allons inscrire l’action de groupe, et nous avons voulu la limiter
PATRICK COHEN
Oui, mais votre collègue Christiane TAUBIRA souhaitait que ce soit étendu, au départ.
BENOIT HAMON
Il n’y a pas eu de débat là-dessus entre Christiane TAUBIRA et moi-même, la question c’était, est-ce que nous l’inscrivons, à ce stade, dans le Code de la consommation ou le Code de procédure civile ? En clair, est-ce qu’on le réserve aux préjudices dans le champ économique, ou est-ce qu’on va plus loin ? Ce que nous voulons aujourd’hui, c’est une procédure rapide, qui permette d’indemniser, à l’euro près, le consommateur du préjudice qu’il a subi. Prenez les prothèses PIP, le problème ce n’est pas de rembourser simplement les personnes victimes de ces prothèses-là, d’un équipement qui aurait été défectueux, on va bien au-delà, il peut y avoir des conséquences sur la santé, il peut y avoir un préjudice moral, et ça ne relève pas d’une indemnité fixée par le juge, qui serait décidée rapidement.
PATRICK COHEN
Oui, mais prenez un accident environnemental, par exemple, une marée noire, les communes s’organisent.
BENOIT HAMON
C’est pour ça que je vous dis, pas à cet instant. Ce que nous voulons, l’action de groupe c’est totalement nouveau dans le droit français, nous allons la mettre en oeuvre pendant plusieurs années, et voir de quelle manière, le cas échéant, le législateur, après, pourra étendre le champ d’application de l’action de groupe, mais à cette étape nous considérons qu’il faut mettre en place une procédure qui indemnise des centaines de milliers de consommateurs, des préjudices économiques du quotidien, ces préjudices pour lesquels vous n’irez jamais intenter une action en justice parce que c’est trop long, ça vous demande trop d’énergie, et vous êtes certain que c’est pot de terre contre pot de fer, vous allez perdre.
PATRICK COHEN
La procédure justement, elle sera très différente de ce qui se passe aux Etats-Unis, avec les class-actions, il n’y aura pas d’Erin BROCKOVICH à la française avec ces cabinets d’avocats intéressés aux résultats ?
BENOIT HAMON
Non, nous ne le souhaitons pas. Moi, ce que je ne souhaite pas, c’est que cette rente économique, constituée par un certain nombre de grands groupes, qui justifie d’ailleurs qu’ils combattent l’action de groupe, que cette rente économique elle ne passe pas des groupes vers les cabinets d’avocats, l’objectif c’est d’indemniser les consommateurs, et d’ailleurs de redonner un tout petit peu de pouvoir d’achat à travers ces mesures-là. Et c’est pour ça que nous avons voulu poser ce garde-fou, faire en sorte que les associations de consommateurs, elles sont 16, agréées, puissent être les seules à porter ces actions de groupe, et être en capacité de permettre à des consommateurs, là encore, d’obtenir réparation du préjudice subi. Beaucoup d’argent
PATRICK COHEN
A la fin de la procédure, les clients lésés pourront se manifester à la fin de la procédure ?
BENOIT HAMON
Beaucoup de personnes veulent se faire de l’argent sur le dos des consommateurs, y compris aux Etats-Unis, les cabinets d’avocats, donc ce n’est pas
alors, évidemment, nous n’avons rien contre les cabinets d’avocats, ils seront impliqués à travers les associations de consommateurs dans ces procédures, mais aux Etats-Unis on constate effectivement qu’il y a là une sorte de marché de l’action de groupe, qui peut conduire à quoi ? À ce qu’un concurrent, d’une entreprise, décide, à l’abri d’une association de consommateurs, qu’opportunément il met en place, eh bien d’atteindre, cherche à atteindre la réputation, l’image, d’une entreprise concurrente. Là encore on veut éviter cela, moi j’essaye d’être pragmatique, il y a aujourd’hui une crise, une crise qui justifie qu’à la fois on protège mieux le consommateur, sans pour autant qu’on crée un instrument qui pourrait être détourné et dévoyé.
PATRICK COHEN
Des réparations, d’accord, mais ça peut être très long. On le rappelait tout à l’heure, l’affaire des ententes entre opérateurs de téléphonie a été révélée en 2000 et la cour de cassation n’a rendu son arrêt qu’en 2012 parce qu’il fallait attendre que l’Autorité de la concurrence puisse trancher. Vous n’allez pas imposer des délais limites pour que les consommateurs soient indemnisés ?
BENOIT HAMON
Nous allons en discuter, dans le champ des ententes illicites, avec l’Autorité de la concurrence, mais il n’y a pas que les pratiques illicites dans le domaine de la concurrence.
PATRICK COHEN
Non, mais dans le domaine de la concurrence
BENOIT HAMON
J’en dis un mot, pourquoi ? Parce que ça peut aller très vite. Si demain vous achetez une voiture au motif qu’elle fait 4 litres aux 100, et que tout le monde constate qu’elle en fait 5 litres, 5, 6 litres, peu importe, bref que la raison pour laquelle vous avez acheté cette voiture n’était pas justifiée, ça peut supposer par exemple une action de groupe qui ira très vite, là il n’y a pas de décision de l’Autorité de la concurrence qui soit attendue. Cela étant dit, on ne peut pas avoir deux procédures parallèles, une de l’Autorité de la concurrence, une du juge, qui vivent l’une à côté de l’autre, il faut attendre effectivement que l’Autorité de la concurrence ait rendu son verdict pour
PATRICK COHEN
Et que les recours soient épuisés.
BENOIT HAMON
Voilà.
PATRICK COHEN
Alors, il faudra garder ses factures, pour les consommateurs, vous les incitez à
BENOIT HAMON
Dans ce cas-là, ce qui n’empêche pas que ça aille beaucoup plus vite que c’est le cas aujourd’hui.
PATRICK COHEN
D’autres mesures dans votre projet, Benoît HAMON, la possibilité de résilier son contrat d’assurance avant le terme annuel, à partir du 13ème mois.
BENOIT HAMON
Absolument. Aujourd’hui, les assurances obligatoires on dit que c’est 5% des dépenses des ménages, vous n’avez pas le choix, vous êtes obligé de vous assurer, or moi je constate quoi, c’est que l’assurance multirisque habitation, dans les trois dernières années, elle a augmenté trois fois plus vite que l’inflation, donc on a là un poste des ménages qui est important, et aujourd’hui une difficulté à se sortir, ou en tout cas à quitter, parfois, une assurance. Donc ce que nous allons permettre, c’est en fait de pouvoir résilier son contrat d’assurance, au terme de la première année, quand on le désir, quand on le souhaite, mais une fois
PATRICK COHEN
A tout moment.
BENOIT HAMON
Une fois qu’on est capable de montrer qu’on a une autre attestation d’assurance, pour éviter le risque, qui existe, que des gens ne soient plus du tout assurés.
PATRICK COHEN
Les assureurs disent déjà que ça peut faire monter les tarifs
BENOIT HAMON
Ecoutez, quand on a une belle rente économique comme celle-là on n’explique, en général, qu’une mesure de libéralisation va aider à faire baisser les tarifs. A chaque fois je constate qu’ils font de solides bénéfices, je constate aussi que la multirisque habitation, il faut me dire pourquoi, il faut m’expliquer, ou expliquer aux consommateurs, elle augmente trois fois plus vite que l’inflation dans les trois dernières années, et sur les dix dernières années, deux fois plus vite que l’inflation. On a aujourd’hui des postes de dépenses contraints, pour les Français, sur ces postes on peut faire des économies, ils peuvent faire des économies, et je demanderai donc aux assurances d’y aller de leur contribution, ça me paraît légitime, et ça paraît légitime au gouvernement.
PATRICK COHEN
Et puis le délai de rétractation pour les ventes à distance, les ventes sur Internet, qui passent de 7 à 14 jours. C’était utile, c’était demandé par les associations ?
BENOIT HAMON
C’est une transposition de la directive droits des consommateurs européenne, on a là une directive dite d’harmonisation maximale, en clair on donne davantage de possibilités au consommateur de se rétracter. Pourquoi ? Parce que le commerce en ligne augmente et qu’on a vu les abus aussi augmenter considérablement. On s’adapte à la réalité aujourd’hui, de la façon dont les Français consomment. Ils consomment de plus en plus par Internet, certains trichent de plus en plus sur Internet, pas les consommateurs mais un certain nombre de sites Internet ou de professionnels, il faut pouvoir lutter efficacement contre cela, et les délais de rétractation seront donc portés à 14 jours.
PATRICK COHEN
On va revenir sur ce projet pour la protection des consommateurs tout à l’heure avec les questions des auditeurs d’INTER, qui sont déjà nombreux au standard, vous pouvez continuer, 01.45.24.7000. Question d’actualité Benoît HAMON, pourquoi, au nom de quoi, avoir bloqué la vente du français DAILYMOTION à l’américain YAHOO ?
BENOIT HAMON
On considère là qu’il y a une pépite française, c’est rare
PATRICK COHEN
Pépite française qui demande à accéder à l’international et au marché américain.
BENOIT HAMON
Oui, mais dont on pense aujourd’hui qu’il faut pouvoir la conserver principalement dans le champ économique français, en tout cas avec des capitaux français, c’est une décision qui était une décision d’Arnaud MONTEBOURG qui me paraît tout à fait justifiée.
PATRICK COHEN
Vous trouvez que c’est un bon signal envoyé aux investisseurs étrangers ?
BENOIT HAMON
Il faut arrêter avec ces signaux à l’étranger. Est-ce que la France voit ses investissements directs étrangers reculer ? Non.
PATRICK COHEN
Non, mais là il y a un cas
BENOIT HAMON
Non, alors cessons de décrire la France comme une sorte d’apocalypse économique dans laquelle les investisseurs étrangers ne viendraient plus, ils viennent, nous prenons des décisions pour protéger ce que sont à la fois nos capitaux, nos créations, notre capacité d’innovation, si l’Europe se protégeait beaucoup mieux elle serait beaucoup plus forte face aux Etats-Unis, beaucoup plus forte face à la Chine, beaucoup plus forte face aux émergents. Eh bien aujourd’hui, à travers ces choix-là, nous voulons montrer que nous nous protégeons et nous nous protégerons, et c’est ainsi qu’il faut penser l’avenir de l’Europe. Nous sommes engagés dans des négociations avec les Etats-Unis sur un traité, le traité Transatlantique, eh bien posons-nous la question déjà de l’intérêt réel à construire ce grand marché transatlantique quand nos niveaux de protection, entre l’Europe et les Etats-Unis, n’ont rien à voir. Ils se protègent, nous ne nous protégeons pas. Eh bien commençons par nous protéger, on négociera ensuite.
PATRICK COHEN
Et donc le vrai patron de FRANCE TELECOM ORANGE, c’est le gouvernement ?
BENOIT HAMON
Ce n’est pas le vrai patron.
PATRICK COHEN
C’est MONTEBOURG qui a mis son veto.
BENOIT HAMON
Les gouvernements, d’abord parce que la prérogative existe, ont le droit de dire ce qui est l’intérêt général. On ne peut pas juste considérer que l’intérêt de la France c’est la somme des intérêts particuliers de quelques grandes multinationales ou quelques grands groupes français. C’est important qu’ils puissent avoir des stratégies de développement, d’investissements, qui soient libres, cela étant dit nous nous considérons que l’intérêt général il doit rester défini par la puissance publique.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 6 mai 2013