Interview de M. Benoît Hamon, ministre de l'économie sociale et solidaire et de la consommation, à "France 2" le 5 juin 2013, sur les grandes lignes de son projet de loi sur la consommation.

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Média : France 2

Texte intégral

ROLAND SICARD
Vous allez bientôt présenter votre projet de loi sur la consommation. Il y a un point de ce projet qui fait hurler les assureurs : c'est celui qui permettrait aux assurés de résilier leur contrat à n’importe quel moment. Est-ce que vous allez mettre en danger ce secteur de l’assurance ?
BENOIT HAMON
Alors, de quelle mesure s’agit-il ? Effectivement…
ROLAND SICARD
Ils sont inquiets.
BENOIT HAMON
Oui, ils sont inquiets mais ils sont inquiets, pourquoi ? Parce qu’ils réalisent de solides bénéfices, peut-être ont-ils peur d’en faire un peu moins.
ROLAND SICARD
Vous pensez qu’ils gagnent trop d’argent ?
BENOIT HAMON
Non, je ne pense pas qu’ils gagnent trop d’argent mais je pense que si on payait moins chères les assurances, ce ne serait pas plus mal. Qu’est-ce qu’on veut faire ? C’est permettre aux assurés de résilier à partir du treizième mois quand ils le veulent leur contrat d’assurance. Aujourd'hui les contrats d’assurance, ça pèse cinq pourcents des dépenses des ménages par mois. Cinq pourcents pour lesquels vous n’avez pas le choix, parce que l’assurance automobile, l’assurance multirisque habitation, vous êtes obligés de la prendre. J’observe que dans les trois dernières années, la multirisque habitation a augmenté trois fois plus que l’inflation. Ça, c’est une réalité. Ce que nous voulons faire, c'est…
ROLAND SICARD
Vous dites que les assurances s’en mettent trop dans les poches, clairement.
BENOIT HAMON
Je pense qu’aujourd'hui on peut faire baisser les prix et que le moyen de faire baisser les prix…
ROLAND SICARD
De combien ?
BENOIT HAMON
On verra. Il a baissé, en tous cas dans les pays dans lesquels cette mesure a été mise en oeuvre, et c’est ce que nous cherchons comme objectif, c'est que parce qu’il y aura davantage de fluidité sur le marché, nous obtiendrons une baisse des prix. C’est une mesure de pouvoir d’achat. Je comprends que les assureurs ne soient pas favorables à une mesure qui leur ferait diminuer un tout petit peu leurs considérables bénéfices. En même temps, j’observe qu’il vient d’y avoir un sondage et quatre-vingt-trois pourcents des Français sont favorables à cette mesure. S’ils y sont favorables, c’est parce qu’ils pensent aujourd'hui que mettre davantage de concurrence dans ce secteur, ce n’est pas mauvais et que ça permettra aux assureurs de faire des offres qui sont plus raisonnables en termes de niveau des primes.
ROLAND SICARD
Dans ce projet, il y a aussi ce qu’on appelle l’action de groupe, c'est-à-dire la possibilité pour les consommateurs de porter plainte contre une entreprise qui les aurait lésés. Ça existe aux États-Unis. Qu’est-ce que ça peut apporter ?
BENOIT HAMON
L’action de groupe, c’est la possibilité effectivement pour les consommateurs de se rassembler et d’obtenir réparation d’un préjudice qu’ils ont subi, un préjudice économique. Je vais prendre un exemple dont tout le monde se souvient sans doute : l’autorité de la concurrence avait condamné les grands opérateurs de téléphonie pour des pratiques anticoncurrentielles. On estime que quand des grands opérateurs ou des entreprises s’entendent sur un prix, en réalité le prix que vous vous allez payer comme consommateur est de vingt pourcents en moyenne supérieur au prix normal du marché. Et quand on constate qu’il y a une entente illicite comme celle-là, l’autorité de la concurrence peut condamner les entreprises à payer une amende à l’État et vous, consommateur qui avez payé vingt pourcents de plus que le prix du marché, vous n’êtes jamais indemnisé. Eh bien l’action de groupe permettra aux consommateurs, avec une association de consommateurs, de ne pas avoir à engager de procédure eux-mêmes - c'est l’association de consommateurs qui le fera à leur place – et d’obtenir la réparation de cette multitude de préjudices du quotidien, de ces litiges de consommation que l’on vit, qui vous empoisonnent la vie, pour lesquels seul on n’a pas l’énergie d’aller déclencher une procédure et qui vous permettront enfin d’être indemnisés, remboursés d’un préjudice subi. C’est un transfert d’une forme de rente économique, de bénéfices consolidés par certaines entreprises, des entreprises vers les consommateurs. Là encore, c'est du pouvoir d’achat.
ROLAND SICARD
Justement, les entreprises. Le MEDEF dit que ça va multiplier les conflits ; ça pourrait faire perdre un pourcent de PIB à la France.
BENOIT HAMON
Alors, le MEDEF ne sait pas regarder la réalité parce que je vois très bien à quelle référence ils font allusion. Aux États-Unis où il y a une action de groupe qui n’est pas du tout sur le même modèle de ce que nous allons faire, on constate selon une étude du conseil d’analyse économique qu’il y a eu effectivement au mieux – parce qu’il y a peu de littérature économique sur le sujet – qu’il y aurait eu un pourcent du PIB non pas perdu par l’économie américaine mais transféré des entreprises vers les consommateurs. Donc ce n’est pas une perte de PIB, c’est une perte peut-être des entreprises mais en réparation d’un préjudice subi par le consommateur. N’oublions pas que l’action de groupe, c’est une manière de protéger le consommateur.
ROLAND SICARD
Vous ne pensez pas que ça peut entraîner des faillites d’entreprises ?
BENOIT HAMON
Non. Je pense que ça ne s’est jamais produit nulle part et que ça ne se passera pas en France. Je rappelle que cette mesure permet d’obtenir pour le consommateur la réparation d’un préjudice qu’il a subi. On n’attaque pas les entreprises, on ne leur propose pas une contrainte supplémentaire. On leur dit qu’un certain nombre d’entre elles trichent, et quand elles trichent et que c’est le consommateur qui paye la facture de cette triche, il est normal que le consommateur se voit indemnisé du préjudice qu’il a subi. Pour cela, il fallait une action de groupe. Ça n’existait pas en droit français, elle existera grâce à la loi que je vais porter.
ROLAND SICARD
Il y a deux secteurs qui ne sont pas concernés : c’est la santé et l’environnement. Pourquoi ?
BENOIT HAMON
Ils ne sont pas concernés par la loi que je porte, pourquoi ? Parce que la loi que je porte se concentre sur les préjudices économiques. Pour ce qui concernerait par exemple la santé – on pense à l’affaire du Mediator – ce que les patients ou les Français qui ont consommé du Mediator, et qui ont eu des dégâts pour leur santé attendent, ce n’est pas qu’on soit remboursé de la plaquette de médicaments qu’ils ont acheté ou le prix du médicament mais bien du préjudice sur leur santé. Et là-dessus, s’il doit y avoir une action de groupe elle ne peut pas être donc dans la loi de consommation, mais elle pourrait être demain si on élargissait le champ d’application dans un texte qui serait à ce moment-là un texte porté par ma collègue Marisol TOURAINE. On n’est pas fermé, le gouvernement, à l’élargissement du champ d’application. Cependant, c’est une fusée à plusieurs étages. Nous considérons qu’il faut commencer par les préjudices du quotidien, ceux qui sont les plus nombreux, la consommation, et si demain on doit l’élargir à l’environnement et à la santé, cet élargissement se fera dans d’autres textes de loi mais pas dans un texte qui concerne pour l’essentiel l’économie.
ROLAND SICARD
Vous êtes le Ministre de la Consommation à un moment où la consommation baisse, le pouvoir d’achat baisse. Ce n’est pas formidable !
BENOIT HAMON
Ah, ce n’est pas formidable mais en même temps, c’est maintenant qu’il faut essayer de prendre des mesures de soutien au pouvoir d’achat. C’est là où je demande aux assureurs que nous proposent-ils de faire pour…
ROLAND SICARD
Il ne faudrait pas augmenter les salaires ? Augmenter le SMIC ?
BENOIT HAMON
Oui, alors ça, ça pourrait être effectivement une solution qui relève, pour ce qui concerne les salaires, des entreprises elles-mêmes et de la politique salariale qu’elles engagent. Ce que nous, nous pouvons faire, en tous cas à travers une loi, il y a deux manières d’augmenter le pouvoir d’achat et d’augmenter la consommation : soit augmenter l’argent qui rentre dans vos poches, soit baisser ou diminuer l’argent qui en sort. Et ce que nous, nous allons essayer de faire à travers la loi consommation, c’est diminuer les dépenses contraintes. Il y a une multitude de secteurs dans lesquels – en clair aujourd'hui ce sont les frais bancaires que nous essayons de diminuer, ce sont les tarifs des assurances, ce sont les loyers, ce sont les tarifs de l’énergie – ces dépenses-là, c’est très compliqué de pouvoir jouer avec et elles sont contraintes. Nous allons essayer de les faire baisser pour augmenter le pouvoir d’achat. Ce sont par ces deux bouts-là qu’il faut travailler le pouvoir d’achat : l’argent qui rentre mais aussi l’argent qui sort de votre compte en banque et de votre porte-monnaie.
ROLAND SICARD
Un mot sur les retraites. Il y a un dossier sur le bureau du Premier ministre qui prévoit notamment de porter la durée de cotisation à quarante-trois ou quarante-quatre ans. Ça vous paraît une bonne mesure ? C'est une mesure supportable ?
BENOIT HAMON
Ça me paraît être une proposition – je ne vais pas parler en lieu et place du Premier ministre. La seule chose que je vais vous dire, c’est que dans cette réforme on veut pérenniser le système par répartition donc la solidarité. Ce que je constate aujourd'hui, c’est que ceux qui cotisent et qui en profitent le moins, ce sont les ouvriers parce qu’ils cotisent toute leur vie mais ont une retraite courte. Pourquoi ? Parce qu’ils vivent moins longtemps après leur départ du travail. En clair, les ouvriers payent la retraite de ceux qui vivent beaucoup plus longtemps, c'est-à-dire les cadres. C’est un peu grossier comme raccourci, mais c’est une réalité. Je pense que quand on fait les 3x8, quand on a un travail où pendant vingt heures par semaine minimum, on porte des charges lourdes, quand on travaille la nuit et quand on a un travail pénible, il est incontestable qu’on vit moins longtemps. Ça doit être pris en compte dans la réforme. C’est la condition pour qu’elle soit juste et acceptée. Je pense que cette question de la pénibilité que le rapport Moreau évoque peut-être une question au centre de la future réforme des retraites.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 6 juin 2013