Point de presse de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, sur reconnaissance par la France et la Tunisie de la légitimité d'une riposte américaine aux attentats du 11 septembre, Tunis le 1er octobre 2001.

Prononcé le 1er octobre 2001

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Circonstance : Tournée de M. Hubert Védrine au Maghreb les 1er et 2 octobre 2001

Texte intégral

Je voudrais d'abord vous dire que les autorités françaises, le président de la République comme le Premier ministre, estiment très important que dans cette situation dont vous connaissez la gravité, après la tragédie du 11 septembre, il y ait une consultation politique et une concertation très étroite entre la France et la Tunisie, la France et l'Algérie, la France et le Maroc.
Ce matin, j'ai eu un entretien avec le président Ben Ali et un entretien avec mon homologue, le ministre des Affaires étrangères, et nous avons examiné cette situation.
La France et la Tunisie, naturellement, condamnent le terrorisme sous toutes ses formes et sont décidées à poursuivre et à intensifier la lutte contre le terrorisme, contre ses manifestations et contre tout ce qui l'alimente. Vous connaissez les décisions que les Européens ont prises dans les réunions spéciales des Quinze convoquées en urgence à ce sujet. Nous aurons des consultations avec la Tunisie qui se poursuivront à ce propos.
La France comme la Tunisie ont reconnu la légitimité d'une action américaine, en légitime défense, comme cela a été déclaré par une résolution du Conseil de sécurité, au titre de l'article 51 de la Charte des Nations unies.
Mais nous souhaitons les uns et les autres que cette réaction soit ciblée, concentrée sur les organisations terroristes et tous ceux qui ont pu les aider.
La France, comme aussi la Tunisie - évidemment, je ne vais pas parler à la place des responsables tunisiens mais j'ai constaté que les opinions étaient convergentes - refuse naturellement tout amalgame et fera tout pour que l'on ne tombe pas dans le piège, sans doute tendu par les terroristes, qui est de présenter une sorte d'affrontement de civilisations entre le monde occidental et le monde arabo-musulman. C'est un piège diabolique que nous refuserons de toutes les façons.
D'abord c'est faux et la France, à travers sa politique étrangère, est, je crois, l'incarnation même d'un pays qui est à la fois un très vieil allié et partenaire des Etats-Unis et, d'autre part, un pays qui a des relations étroites, anciennes, de coopération, de partenariat et d'amitié avec le monde arabe, à commencer par le Maghreb.
Voilà la situation dans laquelle nous sommes et nous avons décidé - c'est un choix du président Ben Ali - de rester très étroitement en contact, à chaque étape du développement de cette crise, au cours des prochaines semaines.


Q - Les relations bilatérales, Monsieur le Ministre, ont été évoquées ?
R - Rapidement, parce que le but de cette visite très courte que j'effectue dans les trois pays du Maghreb est essentiellement cette consultation politique sur la situation internationale par rapport à la question du terrorisme et toutes ses conséquences.
Nous avons donc passé en revue les questions bilatérales mais il y a d'autres échéances qui permettront de les approfondir : la visite en Tunisie, dans quelques semaines, du ministre français de l'Intérieur et, avant la fin de l'année, la réunion de la grande commission mixte.

Q - Monsieur le Ministre, est-ce que vous avez évoqué le problème du terroriste d'origine tunisienne qui a évolué sur le territoire français ? Est-ce que la France est prête à aider la Tunisie dans ce domaine et par quelles mesures concrètes ?
R - Quand on rencontre un président de la République, on ne traite pas les sujets de cette façon. Ce n'est pas à ce degré de précision. Ce sont deux pays qui sont engagés dans la lutte contre le terrorisme et, plus que jamais, dans le monde entier et ici dans notre région, les pays engagés dans cette lutte contre le terrorisme doivent coopérer ensemble.

Q - On dit que rien ne sera plus comme avant le 11 septembre. Comment voyez-vous le nouvel ordre international, Monsieur le Ministre ?
R - Pour ma part, c'est une expression que je n'emploie pas. Le 11 septembre est évidemment une tragédie sans précédent pour les Etats-Unis qui n'avaient jamais subi une telle agression sur leur sol. Et cela aura évidemment des conséquences très importantes, en Asie centrale et sur les relations entre les Etats-Unis et un certain nombre de pays dans le monde qui se trouveront dans cette coalition contre le terrorisme ou qui ne s'y trouveront pas.
Cela aura aussi des conséquences sur le plan financier international, compte tenu de l'impulsion nouvelle donnée à la lutte contre le financement du terrorisme qui rejoint d'ailleurs en partie la lutte contre le blanchiment. Cela a donc des conséquences sur le système financier et sur les conditions de la circulation dans le monde des capitaux.
Mais en même temps, nous savons très bien qu'il y avait beaucoup de problèmes dans le monde d'avant le 11 septembre, comme on s'en était rendu compte à Gênes, à Durban ou dans d'autres endroits. Tous ces problèmes sont toujours là. Il y a toujours entre les riches et les pauvres, entre certains pays du Nord et les autres, des désaccords sérieux, des fractures vraies en matière de répartition des richesses, en matières d'institutions internationales, sur beaucoup de crises régionales terribles, qui sont des abcès qui devraient être traités.
Donc tous les problèmes du monde qui étaient là avant le 11 septembre sont toujours là après. Ce n'est pas parce que nous devons nous mobiliser avec une énergie encore plus forte contre le terrorisme que ces problèmes ont disparu. Comme l'a très bien dit, il y a quelques temps, le secrétaire d'Etat américain Colin Powell à propos du Proche-Orient : "Raison de plus pour faire la paix au Proche-Orient".
Il y a beaucoup d'autres problèmes qui sont toujours là, comme par exemple la question de la crise des Grands lacs. Je prends cet exemple mais je pourrais en prendre d'autres. On ne peut donc pas dire que plus rien ne sera jamais comme avant. Il faut analyser de façon plus précise les répercussions qui sont très considérables mais ne pas oublier que nous avons toujours et plus que jamais à traiter les problèmes de fond qui font que le monde n'est pas ce qu'il devrait être. Et, à cet égard, la politique française a toujours été, je crois, très en pointe sur ces sujets.

Q - A propos des répercussions sur la communauté des travailleurs tunisiens et arabes en Europe, et plus particulièrement en France ?
R - En France, toutes les communautés ont fait preuve d'un grand calme et d'un grand sens des responsabilités. Les autorités françaises y ont veillé. Cela a été l'une des réactions immédiates du gouvernement français qui, naturellement, a veillé à la sécurité de toutes les populations vivant en France à travers le plan "Vigipirate" renforcé et, d'autre part, à travers un ensemble de décisions économiques.
En ce qui concerne les réactions des gens et des populations, vous avez pu entendre les autorités françaises, à plusieurs reprises - quasiment chaque jour - dénoncer tous les risques d'amalgame qui serait totalement injustifié et très dangereux. Nous l'avons fait tout le temps et je viens encore de le faire ici.
Nous allons continuer. Nous avons vu des représentants de tous les cultes représentés en France se réunir, dialoguer, émettre des messages de paix, de dialogue des cultures et des religions. Un gros effort a été fait tout de suite et je crois pouvoir dire que jusqu'ici nous n'avons rien noté d'inquiétant par rapport à cela.

Q - Pour les opérations militaires, est-ce que vous avez soulevé et est-ce que vous le ferez en Algérie et à Rabat, le scénario d'une participation française aux opérations militaires et le soutien maghrébin dans ces opérations, qu'il s'agisse d'un soutien logistique ou bien politique ?
R - Non, il n'y a pas de raison particulière parce que, d'abord, cela ne concerne pas du tout cette région. D'autre part, comme on commence à le voir, les Etats-Unis ne souhaitent pas constituer une coalition militaire. Vous pouvez noter que même par rapport à l'OTAN, par exemple, ils n'ont pas fait de demande militaire. Les Etats-Unis ont naturellement apprécié les marques de solidarité qui se sont exprimées mais quand ils parlent de coalition, c'est une coalition politique. C'est pour lutter, dans le moyen et le long terme, contre le terrorisme et trouver des façons intelligentes de le contrer, de le bloquer, de tarir ses sources. Donc nous ne sommes pas du tout dans un débat militaire.
Je vous remercie.

(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 3 octobre 2001)