Déclaration de M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, sur les enjeux de la filière forestière en termes économiques et de développement durable, Paris le 31 mai 2013.

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Circonstance : Assemblée générale de la Fédération nationale des Communes forestières au Sénat le 31 mai 2013

Texte intégral

J’ai noté dans le discours d’introduction que la question forestière avait laissé des traces au président du Sénat. Sujet qui, pour un maire de commune rurale et forestière, est toujours, ou a été, un sujet de conflits et de difficultés.
Je voudrais que cette expérience passée soit justement dépassée et que l’enjeu de cette réunion aujourd’hui soit justement d’essayer de mettre en cohérence l’ensemble des acteurs de la forêt pour valoriser cette forêt et donner à cette forêt des atouts qui sont autant d’atouts pour notre pays tout entier dans le cadre du redressement productif engagé.
C’était un moment de rappel, de mémoire et la journée que vous engagez aujourd’hui, cette assemblée générale, doit être au contraire tournée vers l’avenir. C’est ce que vous avez indiqué.
Monsieur le Président, vous avez détaillé, rappelé ce que sont quelquefois les inquiétudes, les demandes de la fédération des Communes forestières. Je vais essayer d’y répondre.
Je voudrais dire en préambule, après l’engagement qui a été le mien sur cette dimension forestière au ministère de l’Agriculture, que nous sommes passés à une phase opérationnelle avec les discussions au niveau des régions dans un cadre décentralisé. Sachant que demain les régions, avec en particulier la responsabilité qui leur sera donnée, au niveau du FEDER et du FEADER (deuxième pilier de la Politique Agricole Commune), sont des acteurs avec lesquels il va falloir compter et s’organiser.
Deux rapports ont été présentés lors d’un conseil supérieur de la forêt le 6 mai : un rapport de Jean Yves Caullet que je salue pour la qualité du travail engagé et que j’encourage, et un rapport conjoint entre le CGAER, le ministère du Redressement Productif et le ministère de l’Environnement. Ces deux rapports sont la base sur laquelle nous allons nous appuyer pour construire, dans le cadre du débat sur la Loi d’avenir, ce plan national pour la forêt qui doit intégrer l’ensemble des dimensions forestières.
Je sais, Monsieur le Président vous le rappelez, que vous êtes attaché à multifonctionnalité de la forêt. Nous y sommes tout attachés, mais nous avons tous fait, et vous le faites depuis plus longtemps que moi, le constat que cette filière forestière aujourd’hui a besoin de retrouver du dynamisme. Nous ne remettons pas en cause les objectifs de la multifonctionnalité en développant la partie économique. Au contraire, le choix stratégique qui est fait au niveau du ministère de l’Agriculture, de l’Agro alimentaire et de la Forêt est de combiner la dimension économique qui est absolument nécessaire à l’engagement écologique qui est la base du développement durable.
Je reste sur cette ligne là. Je considère que l’axe stratégique, politique, qui est devant nous est de faire bloc.
Je connais trop bien, pour avoir depuis un an regardé toutes les discussions, les enjeux des uns et des autres : forêts privées, forêts publiques, ONF, coopératives forestières, communes, propriétaires. Tout cela, j’en prends parfaitement la mesure. Mais je veux que nous fassions bloc. Pour avoir un bel houppier, il faut un beau tronc. C’est ainsi que l’on construit. Et puis il faut les racines. Si nous commençons chacun, alors que nous sommes en train de bâtir l’avenir, à venir avec à chaque fois des revendications spécifiques, particulières et que nous ne fassions pas passer l’intérêt général de la filière forestière avant, nous allons retomber dans les mêmes travers.
C’est le message politique que je veux faire passer ce matin. Pour moi, il est important de créer la dynamique. Si je m’arrête à chaque problème je n’arriverai pas à l’objectif. Je veux que nous sortions de cette situation. Je ne veux pas bouleverser les équilibres, changer ce qu’a été l’histoire de la forêt française, mais je veux que tous les acteurs de la forêt française soient capables de se mettre autour d’une table pour porter l’intérêt général de la forêt française, parce que c’est l’intérêt général du pays, de nos territoires. Ce n’est pas simplement une question catégorielle, c’est une question d’intérêt général pour notre pays, troisième forêt d’Europe qui connaît un déficit commercial de près de 6 milliards d’euros.
Nous produisons des billes et nous allons les scier ailleurs. Nous produisons de la matière première et nous importons des meubles. Aujourd’hui, le Conseil constitutionnel remet en cause la possibilité, pourtant simple, de considérer que ce matériau, le bois, a un intérêt général. C’est un puits de carbone. Donc nous n’y revenons pas dans la Loi d’avenir. Nous essaierons de mettre une règle principielle dans la loi qui mette en exergue l’intérêt général lié à la lutte contre le réchauffement climatique. Et le bois a un rôle spécifique à jouer. C’est au nom de cette idée du principe de précaution inscrit dans la constitution que nous devons pouvoir assurer un débouché dans le bâtiment pour le bois. Ce n’est pas simplement une question de choix individuel, mais derrière d’un enjeu d’intérêt général. C’est l’objectif de la Loi d’avenir. Nous y veillerons, elle doit avoir cela comme stratégie.
Faire bloc, faire tronc, cela passe, Monsieur le Président, et n’ayez pas de craintes là dessus, par l’organisation au sein du ministère du Redressement productif dans le cadre des filières organisées, par la mise en oeuvre d’une filière bois, spécifique, regroupant l’ensemble des acteurs. Ce n’est pas pour que le ministère de l’Industrie finisse par prendre le pas sur les forestiers. C’est au contraire la capacité que nous avons à créer ce bloc, à faire enfin que l’ensemble des acteurs forestiers puissent se réunir, discuter, fixer des objectifs. Pourquoi y aurait il des filières organisées dans l’automobile, dans le bâtiment, et que nous ne serions pas capables de nous organiser dans la filière bois ? Je dis que cette filière doit participer comme les autres au redressement productif, en même temps qu’elle a d’autres missions, c’est sa multifonctionnalité.
Cependant, je considère comme un atout le fait d’intégrer avec une filière spécifique l’ensemble de la stratégie de filière mise en place dans le cadre du redressement productif. Et ce n’est pas le ministère de l’Industrie qui viendra décider. Au contraire, puisque nous allons faire la Loi d’avenir pour la forêt, c’est nous qui allons prendre ce destin en main. Il est nécessaire que cette filière bois soit reconnue, comme les autres, comme un élément à la fois économique et écologique. Il n’y a aucune raison que nous ne soyons pas capables de nous mettre autour de la table dans le cadre des plans de filières du ministère du redressement productif. Cela fait partie des objectifs que je soutiens.
Deuxième élément majeur, le fonds stratégique.
Il y en encore des discussions inter ministérielles. Il faut qu’un ministre de l’Agriculture et de la Forêt prenne un certains nombre de précautions, mais je m’engage totalement pour la création de ce fonds, en y mettant tous les moyens fiscaux, sur les moyens de recettes et bien sûr sur le fonds carbone, pour avoir un outil stratégique de financement particulier de l’adaptation de la forêt, de la plantation de bois. Si nous voulons ouvrir des marchés nouveaux, si nous voulons être capables dans le bâtiment d’utiliser du bois, beaucoup de possibilités nous sont offertes à travers tout un tas de sujets. Faut-il encore que cela suive en amont, que nous nous organisions de manière concrète et durable, de manière soutenable. Adapter notre forêt au réchauffement climatique, choisir les espèces, replanter, avoir un objectif de structuration, avec finalement des marchés qui s’ouvrent, telle est la stratégie que nous devons avoir.
Ce fonds stratégique sera un outil pour soutenir l’ensemble de cette stratégie. Nous aurons l’occasion d’en rediscuter. Fiscalement, le rapport de Jean Yves Caullet donne les pistes, que vous connaissez, sur lesquelles nous travaillons en interministériel. Comme nous touchons à la fiscalité, c’est le ministère du redressement des comptes qui regarde, qui va surveiller tout cela. Nous avons cette volonté. Sur la question posée sur les centimes forestiers, je sais les problèmes posés. Je sais, parce que je veux que nous ayons cette structuration, cette capacité à nous regrouper. Il faut que, sur les questions de gouvernance et de répartition, nous ayons une discussion. Je l’ai évoqué avec le président des chambres d’agriculture.
Je ne veux pas, là non plus, que chacun se campe à chaque fois dans son domaine, dans son périmètre. L’enjeu est la gouvernance commune, la forêt. Tous ceux qui y participeront doivent pouvoir trouver, au travers de cette gouvernance nouvelle que nous allons mettre en oeuvre, la capacité à la fois d’être présents, de défendre leurs intérêts, mais aussi de porter l’intérêt général de la forêt. J’ai entendu le message. Nous allons travailler pour faire en sorte que sur ces sujets nous puissions avancer dans la discussion et le dialogue. C’est ce que je souhaite et ce que je vais faire dans les semaines qui viennent.
Loi d’avenir, avoir une stratégie. La vraie question est comment nous regroupons, comment nous nous organisons mieux : forêt publique, forêt privée, les acteurs économiques, les acteurs de patrimoine. Comment faisons-nous pour mutualiser l’enjeu ? Il est clair que c’est le regroupement, c’est l’organisation qui va être un enjeu majeur.
Les groupements d’intérêt économique, écologique et forestier doivent être l’occasion d’organiser tout cela sur cette base et avec en particulier les coopératives forestières et les communes. Nous ferons un lien entre tout cela. Il faut que nous essayions de faire en sorte que l’activité économique soit un enjeu avec en même temps la dimension patrimoniale qu’est la forêt pour de nombreux propriétaires. Je ne veux pas les opposer, mais nous ne pouvons pas être tout le temps dans le patrimoine et la conservation quand nous avons besoin aujourd’hui de dynamiser la forêt. Donc regrouper, se regrouper. Et les coopératives forestières auront un rôle.
Pour ceux qui intégreront ces groupements d’intérêt économique et forestier, des avantages fiscaux pourront aider à prendre des décisions. Je veux créer cette dynamique, à la fois économique, soutenable et écologique. Les deux iront de pair. Dans l’objectif de la Loi d’avenir, cette dimension sera extrêmement importante.
La question sera posée sur la manière dont nous allons légiférer pour offrir au bois les débouchés nécessaires, les réglementations qu’il va falloir changer. Comment se fait-il que notre forêt de feuillus ne trouve pas de débouchés, en particulier les hêtres ? Parce qu’aucune réglementation ne permet d’utiliser ce bois aujourd’hui. C’est un enjeu majeur. Ou alors nous nous disons que pour faire de l’économie dans la forêt il n’y a que du résineux ? Mais il se trouve que nous avons des feuillus, de belles forêts de feuillus. Il faut trouver le moyen de valoriser. Il n’y a pas de raison qu’un pays voisin fasse des choses beaucoup plus intéressantes dans l’Europe que nous. Au nom de quoi ? Au nom de réticences ? De certains lobbies ? Il faut qu’ensemble nous fassions bouger les choses. C’est là que faire bloc est très important.
Voilà les grands objectifs de ce que nous allons mettre en oeuvre ensemble dans le plan pour la forêt française. La question de l’organisation, des moyens et de la fiscalité, la question de la taxe carbone et de ce dont nous discutons aujourd’hui pour arriver à intégrer cette question dans les ambitions qui sont les nôtres. Le fait que nous ayons des outils qu’il faut mobiliser, le crédit d’impôt compétitivité emploi pour toutes les entreprises qui ont des salariés doit être mobilisé. C’est dans l’intérêt économique. C’est de la compétitivité. Nous ne nous arrêtons pas à l’idée que c’est compliqué, nous prenons les renseignements nécessaires. Le crédit d’impôt compétitivité emploi va bénéficier à la forêt et aux acteurs économiques de la forêt.
Banque publique, nous parlions de l’aval, comment investissons-nous ? Des discussions que nous avons eues avec le directeur de la Banque publique et le Président sont parfaitement intégrées à la dimension de la filière bois. Il faut que nous nous organisions pour être demandeurs. Ce n’est pas eux qui viendront vous dire « Combien vous faut-il ? ». Il faut que nous nous mettions en place. Les réunions décentralisées qui ont eu lieu ont mis en avant un certain nombre de projets. Il faut que nous soyons à la manoeuvre, à l’initiative. Il faut que nous soyons capables d’aller chercher cet argent.
J’ai vu hier, lors de la rencontre entre le Président Hollande et Mme Merkel, l’importance de la question de la mobilisation de la BEI dans le domaine forestier. Il va falloir nous organiser pour mobiliser l’ensemble des moyens qui nous permettront d’investir. Ainsi nous allons préparer l’avenir. Ce sont des outils, mais surtout une volonté. Je vous affirme la volonté qui est la mienne d’aller jusqu’au bout dans cette démarche.
Vous avez évoqué, Monsieur le Président, les questions liées aux chartes forestières, aux massifs forestiers. Je demande que si nous avons une politique globale à l’échelle nationale, que si nous nous appuyons sur les régions qui vont gérer les fonds FEDER et FEADER, nous nous appuyions aussi sur ce qui existe et qui a fonctionné, sur les chartes, sur les politiques de massif. Faut-il là encore, j’en suis parfaitement d’accord, que nous mettions sur la table les vraies stratégies de massif.
Il s’est passé quelque chose dans les Alpes. Ailleurs ? Pas forcément. Dans cette nécessité que nous avons à coordonner les politiques qui doivent se mettre en oeuvre, s’il doit y avoir des choix stratégiques en particulier sur les politiques de massif, encore faut-il que nous les définissions, que nous soyons capables de les mettre en oeuvre ensuite. Il ne suffit pas de dire « massif » et que derrière il ne se passe rien. Un des problèmes de l’industrie du bois, c’est l’approvisionnement. Nous avons donc intérêt à chercher à coordonner notre politique d’approvisionnement. Dans le même temps où nous allons aller vers une politique de plantation, de structuration, de regroupement, nous avons intérêt à avoir ces stratégies. Les massifs sont un outil possible.
Je demande qu’au-delà du discours, de l’objectif, on me fasse des propositions. Quels sont les massifs capables de s’organiser ? Comment peuvent-ils s’organiser ? Je prends le Sud-Ouest, les Pyrénées, les Alpes, le Massif central, le Grand-est. Quand je vois les débats dans la Nièvre sur une scierie, sur l’approvisionnement, où chacun se renvoie la balle en se demandant si l’on ne va pas piquer une partie du bois du voisin, je pense que nous avons là aussi intérêt à réfléchir à cette politique de massif.
Sur cet objectif, je souhaite que nous avancions. Il ne suffit pas d’en parler, il faut être capable de le mettre en oeuvre. Cela fait partie des stratégies à développer et à soutenir.
Enfin, concernant l’ONF, dont vous avez évoqué les difficultés que je ne mésestime pas, un Conseil d’administration aura lieu le 27 juin. Un travail sera engagé.
Je souhaite assurer la viabilité et la pérennité de l’Office. Il est essentiel à la gestion de nos forêts. Il connaît aujourd’hui des difficultés en termes de trésorerie. L’État a fait un effort, et nous allons continuer à faire ce que nous devons faire, dans un contexte budgétaire extrêmement contraint. J’entends beaucoup de personnes dire qu’il faut baisser la dépense publique et à chaque fois que nous faisons quelque chose, elles disent « ah non, pas ici. ». Cela devient compliqué et pourtant il faut que nous le fassions.
Pour l’ONF, nous devons trouver les moyens de garantir la présence territoriale et les moyens d’un équilibre économique. Ce n’est pas le cas aujourd’hui vue la situation du marché du bois. Il nous faut une stratégie pour passer cette période difficile et assurer à nos fils la capacité de durer demain pour être un acteur, et un outil de développement et de préservation de l’ensemble des objectifs sur la forêt.
Quant à la biodiversité de la forêt, elle existe ; les objectifs de la multifonctionnalité de la forêt intègrent la biodiversité. Je pense même que dans les GIE et les EEF, nous pourrions intégrer des objectifs sur ce domaine. Pour ce qui est de l’agence de la biodiversité qui va être créée, je ne crois pas que cela puisse nous être préjudiciable. Il faut que nous gardions la même stratégie. Ce n’est pas cette agence qui viendra modifier ni l’existant ni la contribution de la forêt à la biodiversité, au contraire. La forêt est là pour rappeler qu’elle est un lieu, un biotope où se développe la biodiversité. Cela fait partie de sa multifonctionnalité.
Voilà ce que je voulais vous dire ce matin. Je n’avais pas pu assister à la dernière assemblée générale, je souhaitais venir ce matin. Je vais être obligé de vous quitter, car après j’ai la présentation d’un plan pour l’agriculture biologique, donc c’est une matinée chargée. Mais après tout, entre l’agriculture, l’agriculture biologique et la forêt existe un lien assez simple, celui des territoires, de l’idée que pour assurer le développement économique, pour marquer l’attachement qui est le nôtre à l’agriculture et à sa forêt, nous avons besoin de retrouver de l’ambition et de la confiance, ce que je suis venu vous donner au maximum ce matin. Maintenant je compte sur vous. Faisons bloc. Si nous sommes capables de nous rassembler et d’être mobilisés, je suis sûr que nous réussirons.
Merci.
Source http://www.fncofor.fr, le 8 août 2013