Interview de Mme Fleur Pellerin, ministre des petites et moyennes entreprises, de l'innovation et de l'économie numérique, à "RTL" le 18 juillet 2013, sur le rôle du crédit impôt compétitivité emploi (CICE), sur le débat philosophique autour de la notion de progrès, sur les distorsions de concurrence entre groupes industriels locaux et internationaux.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

PHILIPPE CORBE
Avant d’évoquer les sujets d’actualité qui concernent votre ministère, LE FIGARO annonce ce matin que le taux du LIVRET A est baissé à 1,25%, que ça devrait être annoncé à l’Elysée aujourd’hui. Vous confirmez ?
FLEUR PELLERIN
Je ne confirme pas, on attendra que l’Elysée officialise effectivement…
PHILIPPE CORBE
Mais vous ne démentez pas non plus ?
FLEUR PELLERIN
Je ne déments pas, mais je ne confirme pas.
PHILIPPE CORBE
On verra ça dans la journée. Le Premier ministre vient de détailler le grand choc de simplification annoncé par François HOLLANDE, on a parlé beaucoup de mesures qui concernent la carte d’identité, les « Ticket Restaurant », d’un certain nombre de démarches administratives qui ne pèseront plus sur les petites entreprises dont vous avez la charge. Mais il y a aussi, dans ce plan, une suppression d’un certain nombre de niches fiscales, d’aides aux entreprises qui aidaient les PME, qui sont aujourd’hui au coeur de l’économie française ; est-ce que ce n’est pas un peu contradictoire de dire qu’on met tout sur l’emploi, qu’on met tout sur l’économie des petites entreprises, et de supprimer un certain nombre d’aides, au moment où elles ont des difficultés ?
FLEUR PELLERIN
Vous savez, moi, je rencontre beaucoup d’entreprises qui me disent : il y a déjà énormément d’aides publique qui sont disponibles, des collectivités, de l’Etat, ce dont on a surtout besoin, ce sont des perspectives de commandes, de croissance, et elles ont besoin d’un marché plutôt que des aides, et parmi ces aides, on en a recensé 6.000, donc vous êtes une entreprise aujourd’hui, vous savez un paysage d’aides publiques, composé de 6.000 dispositifs, est-ce que vous croyez que c’est quelque chose d’efficace ? Donc nous, ce que nous avons décidé de faire, c’est de rationaliser ce système, c’est-à-dire de vérifier parmi les aides lesquelles sont les plus efficaces économiquement, lesquelles ne sont pas efficaces ou ciblent un nombre trop restreint de bénéficiaires, et de rationaliser, donc de rationaliser la dépense, de dépenser moins, mais mieux, tout en travaillant davantage sur la manière dont on peut aider les entreprises à gagner des marchés, parce que c’est ça qu’elles veulent, elles ne veulent pas être aidées, subventionnées, etc., elles veulent surtout qu’on les aide à obtenir des marchés, je crois que c’est ça qui est important…
PHILIPPE CORBE
Justement, il y a moins d’argent aussi pour les Chambres de commerce, les Chambres de commerce qui dénoncent un double langage qui dit : le gouvernement répète que les petites entreprises et les PME sont la richesse de notre économie, mais il les méprise, s’agace le président des Chambres de commerce.
FLEUR PELLERIN
Tout le monde défend un petit peu – c’est normal – ses budgets, je pense que c’est de bonne guerre, mais je crois que nous sommes à un moment malheureusement où nous devons faire collectivement des efforts, pour l’instant, c’est vrai que les efforts ont surtout porté sur les contribuables, qu’il s’agisse des ménages ou des entreprises, qui avaient le plus de moyens pour contribuer à cet effort collectif.
PHILIPPE CORBE
Et là, on rentre dans le dur de la rigueur donc un peu plus large…
FLEUR PELLERIN
On ne rentre pas dans le dur de la rigueur, moi, je suis chargée – vous l’avez dit tout à l’heure – des PME, de l’innovation, de l’économie numérique, dans mes domaines, il y a beaucoup d’investissements aussi, nous préparons l’avenir, donc nous rationalisons la dépense, c’est bien un engagement qui avait été pris par le président de la République, l’opposition d’ailleurs ne cesse de dire : vous ne réduisez pas suffisamment les dépenses, mais dès que nous réduisons les dépenses, ils sont les premiers à s’offusquer. Donc nous réduisons la dépense, mais de manière concertée, avec les intéressés, par la discussion, par la négociation, pour essayer de rationaliser cette dépense qui est l’argent des contribuables quand même, c’est l’argent des Français qui sert à payer tout ça. donc nous essayons de dépenser mieux, moins, mieux, et puis surtout, d’offrir des perspectives de croissance à nos entreprises. Et tout le programme d’investissement qui a été annoncé par le Premier ministre, la semaine dernière, ça vise aussi à ça, à tirer notre pays vers le haut, à faire revenir la croissance, à créer des perspectives d’emplois, et je crois que c’est ça qui est important, c’est là-dessus qu’il faut insister.
PHILIPPE CORBE
Une des armes principales du gouvernement, c’est le crédit d’impôt compétitivité emploi, on apprenait ces derniers jours dans la presse que de grands groupes, on parle vraiment des plus grands groupes du CAC40 en France, font pression sur leurs fournisseurs, souvent des PME, dont vous avez la charge, pour récupérer, pour baisser leurs prix, en fait, pour récupérer une partie de la manne de ce crédit d’impôt ; est-ce que vous confirmez ces pratiques des grands groupes français aujourd’hui ?
FLEUR PELLERIN
Eh bien, je confirme ce qui remonte du terrain, c’est vrai qu’il y a plusieurs dirigeants de petites et moyennes entreprises, des fournisseurs qui ont signalé ce type d’abus, qui sont absolument inadmissibles…
PHILIPPE CORBE
C’est du racket ?
FLEUR PELLERIN
C’est du racket, je crois qu’on peut appeler ça du racket, quand c’est confirmé et quand il y a vraiment la captation d’une aide de l’Etat, c’est vraiment inadmissible, et donc Pierre MOSCOVICI et Arnaud MONTEBOURG l’ont dit, Benoît HAMON l’a aussi inscrit dans sa loi, il y aura des moyens qui seront mis à la disposition de l’administration pour enquêter, pour vérifier si ces pratiques sont avérées, et à ce moment-là, il y aura des sanctions, des amendes…
PHILIPPE CORBE
Sauf que, aujourd’hui, le crédit impôt compétitivité doit donner du volume à l’économie, donner de l’air aux petites et moyennes entreprises, donc comment vous pouvez faire aujourd’hui pour éviter ces pratiques ?
FLEUR PELLERIN
Oui, alors, non mais vous savez, déjà, le crédit impôt compétitivité emploi donne d’ores et déjà de l’air, il y a plus de cent demandes qui arrivent par jour seulement de préfinancement, tout le monde y a droit à ce crédit impôt compétitivité emploi…
PHILIPPE CORBE
Mais comment vous pouvez éviter justement que les grands groupes récupèrent, rackettent, comme vous dites, cet argent ?
FLEUR PELLERIN
Il ne faut pas non plus généraliser, aujourd’hui, ce que nous avons mis en place, c’est qu’il y a une médiation, qui s’appelle la médiation inter-entreprise, et toutes les personnes qui s’estiment victimes de ce type de pratiques peuvent la saisir…
PHILIPPE CORBE
Et vous appelez, vous, les grands groupes ou les ministres de Bercy appellent les grands groupes pour dire : attendez, ne faites pas comme ça ?
FLEUR PELLERIN
Non, mais il y aura des choses… donc, d’abord, il y a cette médiation qui est mise en place, et puis, il y a les services de l’Etat qui peuvent aussi être appelés, et si jamais il y a des abus, je l’ai dit, il y a… la direction de la concurrence et de la répression des fraudes pourra infliger des amendes, faire des enquêtes et infliger des amendes. Et donc, il n’y a à appeler les responsables, mais il y aura des amendes pécuniaires, donc elles seront punies…
PHILIPPE CORBE
Donc s’il y a des auditeurs qui sont patrons de PME, qui sont victimes de pressions comme cela de grands groupes…
FLEUR PELLERIN
Il faut qu’ils appellent la direction de la répression des fraudes ou la médiation inter-entreprise et qu’ils le signalent, car c’est vraiment inadmissible.
PHILIPPE CORBE
Fleur PELLERIN, vous avez aussi en charge dans votre portefeuille le numérique, est-ce que le gouvernement a toujours l’intention de taxer les grandes entreprises du numérique qui sont entrées dans notre vie quotidienne, souvent américaines, GOOGLE, FACEBOOK, AMAZON, qui échappent assez largement à l’impôt, notamment l’impôt sur les sociétés en France ?
FLEUR PELLERIN
Oui, je crois qu’il faut le présenter d’une autre façon, aujourd’hui, ce qu’il y a, c’est qu’il y a une asymétrie dans les deux concurrences, enfin, il y a un problème entre des acteurs multinationaux, pas forcément tous américains d’ailleurs, et des acteurs français ou européens qui paient effectivement l’impôt sur les sociétés, la TVA, etc… et puis d’autres qui ne paient rien du tout. Et donc quand on ne paie rien du tout, on a beaucoup plus d’argent…
PHILIPPE CORBE
Comme GOOGLE par exemple…
FLEUR PELLERIN
Comme certaines entreprises multinationales qui arrivent à optimiser complètement leur impôt, il y a… effectivement GOOGLE est parfois même montrée du doigt, mais il y en a d’autres, il y en a d’autres. Et en fait, ces pratiques, eh bien, leur donnent un avantage concurrentiel considérable, parce que ce sont des entreprises qui, du coup, ont beaucoup plus d’argent pour faire de la recherche, développement, pour améliorer leurs services, pour conquérir de nouveaux marchés, et elles ne sont pas sur un pied d’égalité avec leurs homologues européennes.
PHILIPPE CORBE
Alors, le Conseil…
FLEUR PELLERIN
Nous, ce que nous voulons rétablir, c’est cette égalité de traitement, et entre les acteurs européens et les acteurs multinationaux…
PHILIPPE CORBE
Donc vous envisagez de mettre une taxe, sauf que le Conseil national du numérique dit : si vous taxez, les grands groupes trouveront un contournement, et vous taperez en fait sur toutes les petites entreprises françaises du numérique.
FLEUR PELLERIN
Mais je crois que c’est vraiment ça la problématique, et c’est bien la difficulté qu’on a aujourd’hui, c’est de trouver un moyen, alors, déjà, de ne pas créer de nouvelles distorsions de concurrence entre les acteurs locaux qui paient leurs impôts, et ces acteurs-là. et donc ce qu’il faut absolument éviter, c’est de créer un nouveau dispositif, que ce soit une taxe ou autres, ça peut être autre chose, ça peut être des dispositifs en matière de droit de la concurrence, etc., ne raisonnons pas toujours taxe, taxe, taxe, donc ce qui est difficile, c’est de trouver un dispositif auquel ces entreprises-là n’arriveront pas, d’une façon ou d’une autre, à échapper, et qui ne finira pas par retomber sur des contribuables européens ou français, et ça, nous n’en voulons pas.
PHILIPPE CORBE
Vous êtes ministre de l’Innovation, c’est un beau mot « l’innovation », j’ai une question presque… qui dépasse le champ de votre ministère, le président de la République, l’autre jour, dimanche, à la télévision, disait : pas d’exploration du gaz de schiste, on ne va pas regarder ce qu’il y a dans notre sous-sol comme gaz de schiste, et par ailleurs, les députés viennent d’adopter, il y a quelques jours, le principe de la recherche sur l’embryon ; question générale, d’un côté, principe de précaution, je ne regarde pas ce qu’il y a comme sous-sols en France, d’un autre côté, on fait de la recherche sur l’embryon, l’essence même de la vie pour plein de Français, notamment les catholiques, qui s’émeuvent, notamment François BAYROU, qui l’a dit hier publiquement ; vous ne trouvez pas ça un peu étrange cette double conception du principe de précaution en France ?
FLEUR PELLERIN
Non, vous savez, je pense que c’est tout à fait normal qu’il y ait un débat public, philosophique quasiment…
PHILIPPE CORBE
Philosophique, exactement, oui…
FLEUR PELLERIN
De valeurs entre des personnes qui pensent certaines choses et d’autres personnes qui pensent que le progrès peut parfois être porteur de choses négatives, il y a toujours eu ce débat, cette ambivalence…
PHILIPPE CORBE
Et le progrès, ça serait le gaz de schiste peut-être aujourd’hui…
FLEUR PELLERIN
Il y a toujours eu cette ambivalence sur la notion de progrès, est-ce que le progrès en soi est bon ou mauvais, est-ce qu’il est qualifiable d’un point de vue éthique, c’est extrêmement… ce sont des sujets qui sont extrêmement compliqués, moi, je trouve ça plutôt sain qu’il y ait un débat de société en tout cas, qu’il y ait des positions après divergentes, ça me paraît tout à fait naturel. Moi, je suis ministre de l’Innovation, je cherche à faire en sorte que le progrès technique soit mis au service du progrès social, et du progrès de la vie de nos concitoyens, c’est ça ma mission…
PHILIPPE CORBE
Et donc par exemple, au moins explorer ce qu’il y a dans nos sous-sols avec le gaz de schiste.
FLEUR PELLERIN
Ça, c’est une décision qui revient au président de la République.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 2 août 2013