Interview de M. Marc Blondel, secrétaire général de FO, à France-inter le 21 novembre 2000, sur les négociations sur les salaires dans la Fonction publique.

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Média : France Inter

Texte intégral

S. Paoli.- Y aura-t-il un front syndical pour les négociations de salaires dans la fonction publique qui commencent aujourd'hui ? B. Thibault, secrétaire général de la CGT, dans un entretien accordé hier à La Tribune, dénonçait une coupable absence d'ambition des syndicats, leur extrême faiblesse, leur division. Mais s'agissant des salaires des fonctionnaires, le gouvernement est aussi dans une position difficile. Des syndicats pluriels pour aller à la négociation dans la fonction publique ?
- "Les syndicats habituels, c'est-à-dire que nous sommes pratiquement tous désireux d'une augmentation de salaires dans la fonction publique, ce qui se justifie par différentes raisons. Nous venons tous avec nos revendications et il n'y a pas une situation nouvelle, c'est quelque chose d'assez habituel, c'est presque un rite. Alors ceci étant, est-ce justifié ? Cela semble justifié pour des raisons macro-économiques d'abord. Quand on regarde sur une dizaine d'années la part affectée aux salaires de manière globale, privée et publique, la part affectée aux salaires a baissé de l'ordre de 6 à 8 % du PIB : c'est donc qu'il y a une réappropriation au capital et non pas à ceux qui travaillent. Deuxièmement, sauf erreur de ma part, nous ne sommes pas amnésiques : M. Fabius a fait savoir en son temps qu'il avait des excédents budgétaires qui lui donnaient une certaine liberté. A partir de ce moment-là, je ne vois pas pourquoi les fonctionnaires ne profiteraient pas, c'est la formule traditionnelle d'une réaffectation de la croissance, c'est tout à fait normal."
Vous savez que M. Fabius était plutôt partisan d'un maintien du pouvoir d'achat. Vous demandez plus que cela aujourd'hui ?
- " M. Fabius est le grand argentier. Je n'ai jamais vu, sauf très rarement, le grand argentier être fort satisfait - il devrait d'ailleurs l'être là au passage. On a résolu un problème un petit peu à l'emporte-pièce concernant l'assurance-chômage où il va récupérer 30 milliards dans l'affaire, ce qui n'est pas mal joué en définitive ! Mais ceci étant, que demande-t-on à M. Fabius ? Tout simplement une chose : qu'on puisse négocier les salaires régulièrement dans la fonction publique, de manière à éviter les pointes. Je vais expliquer pourquoi : une augmentation - c'est élémentaire comme raisonnement - de 1 % des salaires dans la fonction publique au début de l'année, au mois de janvier, ça fait 12 % sur l'année. On est bien d'accord ? Une augmentation au mois d'octobre, il faut qu'elle soit au minimum de 4 % pour qu'elle rapporte autant. Et c'est très difficile. Cela veut donc dire que lorsqu'on fait 4 %, les effets sur le budget de l'année suivante sont très lourds. A partir de ce moment-là, la tentation est grande pour le gouvernement de dire qu'il veut bien augmenter les salaires mais qu'en contrepartie, il réduit les effectifs. Et là, manifestement, nous sommes pris dans la seringue !"
Ce n'est pas tout à fait ce qui se passe en ce moment. S'agissant des effectifs, vous avez bien vu ce qui s'est passé, notamment dans l'Education nationale
- "Oui, bien sûr, il y a les 13 000 postes de l'Education nationale. La vérité, c'est qu'on vient de bloquer la baisse des effectifs. Deux exemples : la fonction publique financière, grosso modo ,c'était 800 à 900 postes de moins par an - je parle des titulaires, parce que là aussi il y a un petit artifice : j'ai entendu les commentaires sur les effectifs, cela mériterait une petite précision..."
Vous savez qu'il faut être très technicien pour vous suivre !
- "Non, c'est relativement simple : c'est un grand débat en définitive entre poujadistes et non-poujadistes. On a besoin d'administration dans ce pays parce que notre structure est ainsi faite. Je ne voudrais pas faire de comparaisons, mais vous avez vu ce qui se passe aux Etats-Unis au moment des élections : il me semble que les fonctionnaires qui dépouillent c'est quelque chose de relativement curieux, non ? Mais revenons dans notre pays"
J'ai une question sur l'Allemagne et notamment ce qui se passe à La Poste en Allemagne.
- "C'est la privatisation, ce qui est autre chose. Revenons sur cette question, ici, dans notre pays : on a fait baisser les effectifs de titulaires d'une manière régulière, c'est-à-dire des postes budgétés. Cependant, comme il faut faire le travail - parce que les gens veulent payer moins d'impôts mais ils veulent quand même le service -, on embauche des auxiliaires, des contractuels. Moralité : quand on essaie de définir exactement la portée de la fonction publique, de l'administration en général, voire du secteur public dans ce pays, on se rend compte qu'en définitive d'une année sur l'autre, cela ne change pas beaucoup. Cela, c'est effectif. La vérité, c'est que d'une certaine façon, dans la fonction publique, on développe comme dans le privé la contractualisation, c'est-à-dire en définitive des postes qui ne sont pas des postes budgétés, où la garantie budgétaire n'est pas fixée."
C'est la mécanique, qui n'est pas simple pour ceux qui ne sont pas initiés. Mais êtes-vous bien conscient que la fonction publique est en position de force ?
- "Nous ne sommes pas en position de force"
On approche d'élections et les fonctionnaires pèsent un certain poids quand même
- "C'est autre chose. "
Vous parliez de Fabius. Mais ce n'est pas Fabius qui va décider en l'occurrence : c'est L. Jospin qui semble avoir tous les choix...
- "Comme d'habitude ! Vous n'avez pas remarqué que le Premier ministre est devenu maintenant le grand conciliateur. C'est lui qui négocie tout ! C'est très curieux d'ailleurs, et sur le plan démocratique cela posera des problèmes à terme, mais c'est comme ça ! Qu'on regarde bien : nous avons - je ne l'ai jamais caché - un environnement favorable. Et justement, il peut être dangereux, parce que la tendance peut être de dire que l'on va attendre l'année prochaine, et que l'on va faire une augmentation plus substantielle pour flatter l'électorat des fonctionnaires, pour essayer de se le fidéliser. Mais ce n'est pas une expression de la gauche plurielle, c'était vrai quand c'était les autres. Je connaissais la stratégie syndicale et je savais très bien que l'on avait un environnement favorable à la veille des élections, c'est traditionnel. Heureusement d'ailleurs : la démocratie est aussi faite pour cela, on se fait un petit peu plus entendre à ce moment-là. Donc oui, il y a un environnement favorable mais il est dangereux. Il est dangereux pour différentes raisons. Il y a le problème des salaires, le problème des 35 heures, le problème des effectifs, le problème de la pension et le problème de la modernisation de la réforme de la fonction publique qui est une véritable refondation. C'est aussi pernicieux que la refondation en privé, cela mérite beaucoup de réflexion, parce qu'on veut justement, d'une certaine façon, privatiser. On veut mettre debout des choses absolument effrayantes : on pense que les fonctionnaires peuvent être payés au mérite ! Permettez-moi de vous faire remarquer que le jour où on paie les fonctionnaires au mérite, c'est tout simplement en fonction de la couleur politique de celui qui dirige, et vous voyez très bien ce que cela peut donner. L'obligation de réserve existe fort heureusement chez les fonctionnaires, sinon on transforme notre fonction publique Je pose le problème tout simplement : y a t-il suffisamment ou non de fonctionnaires ? Est-ce vrai que les gens veulent de la sécurité en plus ? Est-ce qu'il y a suffisamment de police ? Pourquoi faisons-nous alors des polices municipales ? Pourquoi la question se pose de savoir si demain, on va faire des polices municipales - c'est-à-dire des polices privées ? En définitive, cela pose quand même énormément de problèmes ; on ne peut pas faire continuellement du poujadisme, ce n'est pas possible. "
Mais quid de la refondation sociale - puisque vous avez utilisé le mot refondation ; où en est-on ? Vous parliez de L. Jospin qui intervient partout, mais il y a eu une conversation directe et privée entre M. Jospin et M. Seillière
- "C'est cela que je dénonce. Cela veut tout simplement dire que M. Jospin, de son propre chef, a représenté les organisations syndicales, pas simplement celles qui étaient sur le bord du trottoir, c'est-à-dire FO et la CGT, mais aussi celles qui avaient signé. D'ailleurs, pour sourire, je dis que devant partir dans quelques années de Force Ouvrière, j'ai trouvé mon successeur : ce sera L. Jospin"
A vous écouter, on a compris que vous n'aviez pas envie de partir tout de suite !
- "Non, c'est réglé ! Au passage, je ne suis pas malade non plus ! Je vous signale que le cancer ce n'est pas vrai, c'est du pipeau : j'ai les cheveux courts parce que c'est la mode et puis parce que je les perds - j'ai entendu les bruits de couloir ! M. Jospin s'est investi de la représentation des organisations syndicales, a discuté avec M. Seillière... Je trouve cela absolument aberrant. M. Seillière parlait de refondation sociale, c'est-à-dire de reprise de dialogue entre les syndicats et les organisations patronales et il va régler le problème en discutant avec le Premier ministre ! L'autre aberration est que le Premier ministre se substitue aux organisations syndicales : il nous met tous sur le bord du trottoir, et se dit qu'il va concilier. Et la troisième aberration est qu'au passage, ils prennent 30 milliards ! C'est-à-dire beaucoup plus que ce qui est réaffecté aux chômeurs - il faut quand même le faire ! Je trouve que c'est une très belle affaire ! Pardonnez-moi , je vais employer un terme - c'est la première fois - ce sont des coquins ! Je le dis et c'est la raison pour laquelle nous serons d'autant plus déterminés, puisque maintenant M. Fabius aura reçu beaucoup d'argent."
(Source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 21 novembre 2000)