Déclaration de M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre, sur les enjeux liés à l'aménagement urbain durable, à Nantes le 27 septembre 2013.

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Circonstance : Sommet des villes durables Ecocity, à Nantes (Loire-Atlantique) du 25 au 27 septembre 2013

Texte intégral

Mesdames et Messieurs,
Je suis particulièrement heureux de vous retrouver, ici, à Nantes, dans une ville à laquelle j'ai consacré de nombreuses années de ma vie, et sur un thème, la ville durable, qui a guidé mon engagement politique et qui structure une part importante de l'action de mon Gouvernement.
Je tiens évidemment à saluer l'organisation du forum Ecocity, son conseil d'orientation stratégique, piloté par Nantes Métropole, ainsi que tous les acteurs qui se sont mobilisés autour de ce congrès.
Nous partageons tous ici une expérience et une conviction : la nécessité d'inventer une ville nouvelle et de réconcilier ses habitants avec leur environnement et leur cadre de vie. C'est une histoire mondiale qu'il nous revient de construire ensemble, celle d'une nouvelle modernité, réconciliée avec sa planète. Et nous avons besoin de lieux d'échanges, comme Ecocity, pour partager, s'inspirer, convaincre et se convaincre de la nécessité d'agir.
L'enjeu est bien d'inventer, dans l'urgence, un nouveau projet et une nouvelle vision pour la société mondiale. Je dis le mot « urgence », car tout prouve qu'il faut accélérer le changement. C'est le thème que vous avez choisi, et vous ne pouviez pas trouver mieux.
Ce matin même, les experts du GIEC ont remis leur rapport : il estime à 3 ou 4 degrés l'augmentation de la température d'ici la fin du siècle si rien n'est fait. Le lien avec les activités humaines est confirmé. Certes il y a des incertitudes : elles sont inhérentes à tous les processus scientifiques. Mais la trajectoire est là et il est encore possible de l'infléchir. Les conclusions doivent en être tirées dans toutes nos politiques publiques.
Ce défi concerne d'abord nos villes, car elles sont le lieu où se croisent et s'exacerbent toutes les problématiques du développement durable. Elles ne recouvrent que 3% des terres émergées, mais elles représentent 50% de la population humaine, 75% de la consommation d'énergie, 75% de la consommation de nos ressources et plus de 75% des émissions de gaz à effet de serre. Chaque semaine, ce sont plus d'un million d'hommes et de femmes qui s'installent en ville !
Comment ne pas voir que ces chiffres vertigineux bouleversent tous nos cadres de pensée et toutes nos habitudes ? Pour la première fois, les solutions aux déséquilibres urbains ne doivent plus être cherchées uniquement au niveau local. Pour la première fois, il nous revient de faire dialoguer le développement local avec les enjeux mondiaux du changement climatique. Pour la première fois, les enjeux deviennent réellement globaux.
C'est un changement considérable pour les dirigeants que nous sommes. Pendant des siècles, notre approche de la question urbaine a été exclusivement urbanistique, architecturale, économique ou hygiéniste.
Ici en France, nous avons eu à gérer l'exode rural, l'afflux soudain et massif de populations dans des agglomérations surpeuplées, au bâti vieillissant. Nous avons dû relever des enjeux considérables de santé publique, de transports et d'aménagement. Beaucoup de villes françaises gardent encore en mémoire l'image des maires bâtisseurs de la Reconstruction, qui, après 1944, ont surmonté la pénurie de logements, géré l'expansion économique et développé les services publics pour les habitants.
Mais notre génération doit en plus gérer la question du développement durable. Et face à ce défi, nous sommes tous ici à égalité. Car nous touchons tous aujourd'hui aux limites du modèle urbain dont nous héritons, quels que soient notre passé et nos spécificités.
Nous avons donc besoin de définir une vision commune de la ville durable, une vision qui donne envie à nos concitoyens de s'investir dans l'amélioration de leur cadre de vie.
Le premier enjeu est évidemment social. Nous devons lutter contre la ségrégation spatiale, qui n'est qu'une des formes de la ségrégation sociale. Nous devons maîtriser les mécanismes des marchés immobiliers et fonciers, qui engendrent spontanément l'entre soi et l'inégalité dans l'accès aux grands services publics que sont la santé ou l'éducation. Une ville qui exclut, c'est une société qui se délite, et qui finit parfois par exploser.
Le deuxième enjeu, c'est celui de l'attractivité économique. Les villes sont des moteurs de croissance, d'investissements et d'innovations. Mais les territoires urbains de demain devront être des territoires plus autonomes économiquement. Les territoires du futur s'appuieront sur des modèles économiques de proximité, croisant ressources locales et usages locaux. Ils s'alimenteront en énergie et en matières premières secondaires par des circuits courts, situés au plus près des besoins. Cette nouvelle économie territoriale assurera le bouclage maximal de tous les cycles de la matière et de l'eau. Déjà aujourd'hui dans le monde, les déchets des uns trouvent une seconde vie et deviennent les produits des autres.
Respecter les ressources, la biodiversité et le climat : là aussi l'enjeu est majeur. Certaines villes ambitionnent aujourd'hui de devenir des territoires zéro carbone, comme la ville de Masdar, aux Emirats Arabes Unis. Pourquoi ne pas viser cet objectif ? La ville doit d'abord être décarbonnée : c'est la priorité.
Les moyens sont connus. C'est l'aménagement urbain, une ville dense, qui rapproche ses bassins d'emploi et les logements, limite les déplacements individuels en voiture et permet l'installation de transports en commun. C'est la lutte contre l'artificialisation des sols, la limitation de l'empreinte écologique des villes. Ce sont les économies d'énergie, à condition que la sobriété énergétique soit au cœur des préoccupations de construction. Là encore, il faut aller vers la basse consommation et même l'énergie positive.
Je pourrais également parler du rôle de la culture ou de la nécessité de mieux anticiper et gérer les risques. Tout converge aujourd'hui pour penser la ville durable comme un système total, local, davantage intégré. C'est la fin des approches sectorielles (énergie, habitat, transports, industries…). A l'avenir, les territoires fonctionneront selon une logique d'intégration maximale. Ici, la chaleur des eaux usées est réinjectée dans les réseaux de chauffage urbain. Là, les huiles usagées se font biodiesel pour alimenter en biocarburant une flotte de bus urbains. Ailleurs, les déchets deviennent électricité.
Les solutions techniques qui rendent possibles ces évolutions existent. Elles se nomment récupération de chaleur, centres de tri des déchets, usines de réutilisation des eaux usées… Ce sont toutes des solutions décentralisées au niveau local. Elles produisent des « énergies de proximité », des « matériaux de proximité », des « eaux de proximité ». Elles préparent une économie « plus territoriale », une économie qui minimise les échanges à longue distance.
C'est un immense chantier d'innovations permanentes qui s'ouvre. Car seule l'innovation permet de concilier développement et soutenabilité. Je pense évidemment à la technologie, comme le numérique ou la voiture électrique, qui sont pourtant l'avenir des mégalopoles mondiales. Mais je pense aussi plus globalement à l'innovation technique, économique et sociale. La ville durable a cela de passionnant qu'elle implique une innovation d'ensemble, de système, qui nous oblige à tout repenser, à tout amender, pour l'avenir de nos enfants.
Tous ces chantiers exigent que nous fassions un effort sur nous-mêmes pour repenser nos habitudes et dégager des marges de manœuvre pour financer des priorités.
Chacun ici, à la place où il est, a son rôle à jouer. La France y prendra sa part. Nous n'avons pas de leçons à donner, mais nous avons la volonté d'être exemplaires.
Nous nous sommes engagés depuis 1 an dans une transition énergétique majeure, en fixant des objectifs de réduction des consommations de 50% en 2050, en diminuant de 30% notre consommation d'hydrocarbures en 2030 et en rééquilibrant massivement notre mix énergétique au profit des énergies renouvelables.
Nous faisons évoluer notre législation en matière de logement, d'urbanisme, de décentralisation, de biodiversité et bientôt d'énergie. Nous renforçons les compétences des métropoles pour leur donner de nouveaux moyens d'agir. Le développement durable est au coeur de notre politique d'investissements d'avenir, et nous soutenons toutes les initiatives de ses territoires et de ses industriels : éco quartiers, éco cités, et demain, réalisations exemplaires du savoir-faire technologique de nos entreprises.
L'Etat entend effectivement intensifier son accompagnement des collectivités locales et des entreprises qui s'engagent pour la ville durable, avec des interventions adaptées aux différentes échelles urbaines : du quartier à la ville entière, de la petite cité à la métropole.
Il s'agit désormais de traduire sur le terrain, par de nouvelles réalisations en France, cette vision de la ville durable, comme le font très bien d'autres pays.
Je souhaite d'ailleurs que nous puissions étudier quelques projets urbains exemplaires, qui concentrent l'ensemble de notre savoir-faire et réunissent collectivités locales, Etat et entreprises.
Cela suppose des coopérations raffermies avec toutes les filières industrielles du développement durable. Les innovations technologiques, ce sont nos laboratoires et nos industries qui les portent ! Je salue leurs initiatives quand ils décident de se regrouper et de porter ensemble des solutions adaptables à tous. J'attends d'eux qu'ils participent à ce beau projet de la ville durable tout en étant eux-mêmes exemplaires : la responsabilité sociale et environnementale est un défi pour eux comme pour nous, et ils doivent en être leaders.
Mais la première responsabilité pour « accélérer le changement », c'est à mes yeux celle des responsables locaux. L'urbanisation est d'abord une question politique. Ces deux mots ont d'ailleurs la même racine étymologique.
Les Etats doivent évidemment fixer les règles et donner les outils mais les collectivités ont la responsabilité ultime de faire ou de ne pas faire. La loi ne remplacera jamais une vision urbaine construite localement, ni la qualité de l'urbanisme et de la construction qui sont offertes. Les citoyens, en France comme ailleurs, sont prêts à passer à d'autres modèles urbains.
Tout se joue, au fond, dans le fonctionnement démocratique de nos territoires. C'est faire le pari de dire aux hommes et aux femmes : débattons, argumentons, participons, mobilisons convainquons et votons, pour une ville dans laquelle la qualité de vie et la prospérité sont à portée.
C'est aux hommes et aux femmes politiques d'abord qu'il appartient de promouvoir la ville durable, d'articuler le temps long des rééquilibrages Nord-Sud et de la protection de la planète, avec celui plus court de la vie démocratique, des enjeux économiques des crises que nous traversons et des préoccupations des citoyens.
Sans les élus nationaux et locaux, sans l'utilisation de leur pouvoir et de leur légitimité, il ne se passera rien.
C'est cette volonté politique qui nous a conduits à proposer d'accueillir la négociation internationale sur le climat en 2015, année décisive pour l'aboutissement du cycle actuel. Je salue d'ailleurs la « feuille de route climat » des gouvernements locaux qui a été remise aujourd'hui et qui prépare parfaitement cette COP21.
Notre responsabilité sera de parvenir à un accord ambitieux, c'est à dire permettant de limiter le réchauffement climatique à 2 degrés d'ici la fin du siècle. Un accord inclusif et équitable, c'est-à-dire engageant toutes les parties prenantes, mais en fonction de leurs capacités, et assorti des mécanismes de soutien technologique ou financier indispensables. Un accord contraignant, car c'est la condition de sa mise en oeuvre effective, et c'est bien à une obligation de résultat que nous assignent les générations futures.
Cet engagement international est indispensable pour permettre à nos villes de relever le défi du changement climatique. Sans régulation mondiale, sans effort international, sans l'impulsion personnelle des dirigeants mondiaux, nous n'aurons pas les moyens de gérer localement les déséquilibres de la croissance urbaine.
Vous avez donc tous ici une responsabilité en tant que citoyens, c'est de porter auprès de vos dirigeants nationaux un message d'engagement dans la transition écologique. C'est leur responsabilité de décider, et c'est la vôtre de les encourager et de les soutenir dans cette volonté politique.
C'est un immense chantier qui s'ouvre à nous, et j'y vois un chantier positif, fondateur, rassembleur et porteur d'une dynamique de progrès pour tous. Vous êtes tous ici les mieux placés pour porter cette ambition et vous pouvez compter sur la France pour y consacrer toute son énergie et prendre toutes ses responsabilités à vos côtés.
Je vous remercie.
Source http://www.gouvernement.fr, le 1er octobre 2013