Texte intégral
La catastrophe qui a eu lieu le 24 mars dernier au tunnel du Mont-Blanc a conduit le Gouvernement à agir dans les délais les plus rapides possibles.
Vous le savez, je me suis rendu immédiatement sur place et je suis allé, le 8 avril, au tunnel du Fréjus, pour y rencontrer les chauffeurs routiers et les élus locaux, après avoir décidé la mise en place de mesures de sécurité renforcée et dune régulation du trafic des poids lourds.
Les décisions qui ont été prises pour faire face à lurgence figurent dans le dossier qui vous sera donné.
Un rapport commun sera établi par les missions d'enquête administrative française et italienne pour le 1er juillet. Les ministres français et italiens concernés en présenteront les conclusions.
Sagissant des expertises menées sur les tunnels routiers et ferroviaire, nous disposerons, à lété, de préconisations qui seront également rendues publiques.
Mais, à l'évidence, ces mesures ne suffisent pas. Il faut aller plus loin
La catastrophe du tunnel du Mont-Blanc renvoie à un choix de politique des transports qui est aussi un choix de société.
La liberté de circulation des marchandises et des biens à l'intérieur des frontières de l'Union Européenne est une réalité. La seule régulation par la loi du marché ne peut permettre de répondre valablement et durablement à l'intérêt général. Il faut mieux prendre en compte les questions liées à la sécurité et à lenvironnement et au meilleur équilibre entre les différents modes de transport. Il faut donc mieux organiser les flux de circulation.
Quels sont les objectifs du Gouvernement ?
- renforcer la sécurité,
- faciliter lécoulement du trafic entre la France et lItalie et réduire les contraintes engendrées pour les habitants et les transporteurs routiers,
- accélérer la mise en uvre dun meilleur partage modal, notamment au profit du rail (et du cabotage maritime aussi).
Nous nous sommes engagés depuis près de 2 ans dans le choix d'une meilleure complémentarité entre modes de transport. La catastrophe du Mont-Blanc confirme, hélas, le bien fondé de cette orientation, valable au plan national et européen et particulièrement pour la traversée de zones sensibles comme les Alpes et les Pyrénées.
Une situation qui crée des tensions
Les routiers ne veulent pas que la régulation, nécessaire en termes de sécurité comme en termes économiques, ne se retourne contre eux.
Les riverains, quant à eux, supportent de moins en moins laccroissement du nombre de poids lourds.
Il faut donc trouver un juste équilibre et agir pour des solutions durables.
Car les faits sont têtus :
On dit que, dans les vingt prochaines années, il y aura une croissance de 80% du tonnage de fret franchissant les Alpes.
Face à cette demande, le transport par route de marchandises, beaucoup plus souple que les autres modes, peut difficilement être remplacé sur courtes et moyennes distances, sauf par le ferroutage, notamment en zone sensible.
Les riverains, les élus, mais aussi les automobilistes, veulent restreindre le trafic poids lourds sur les autoroutes, voire le supprimer hors des autoroutes ou dans certains tunnels. C'est particulièrement vrai dans les Alpes et dans les zones sensibles.
Il nous faut donc construire un compromis stratégique, dans lequel des solutions apportent à la collectivité et à chacun - les riverains, les transporteurs, les chargeurs - des améliorations de leurs conditions de vie et de travail, sans nuire à l'efficacité économique et sociale.
Vis-à-vis des chauffeurs routiers, les conditions dans lesquelles s'effectue actuellement la régulation des poids lourds seront améliorées : une aire de stationnement des poids lourds à l'arrêt, équipée de divers services, est en cours d'aménagement par la société du tunnel du Fréjus. Cette aire de régulation sera opérationnelle à Ayton, à proximité de l'autoroute A 43, le 14 juillet prochain au plus tard.
Vis-à-vis des riverains et des collectivités territoriales de la vallée de la Maurienne, de la vallée de lArve et de leurs accès, un appui fort et décisif de lÉtat est nécessaire, pour les aider à gérer au mieux les conséquences économiques et environnementales de ce bouleversement des trafics.
Jai demandé aux préfets des départements concernés de les évaluer au mieux et dexaminer, en concertation avec lensemble des partenaires, les moyens dy répondre, notamment pour mettre en place des dispositifs de mesure des nuisances (bruit, pollution...) permettant de lutter contre celles-ci, et pour financer une campagne de promotion touristique.
Vis-à-vis des chargeurs et des clients, des mesures ambitieuses doivent accroître durablement loffre ferroviaire sur laxe franco-italien.
L'objectif de doubler en dix ans le fret ferroviaire par le développement du transport combiné et le ferroutage - mieux adapté aux distances plus courtes dans les zones sensibles - doit devenir une priorité. Cet objectif est ambitieux mais cest la condition pour maintenir la part de marché du fret ferroviaire, compte tenu de la croissance globale prévisible du transport. Dans la décennie 2010 - 2020, il faudra donc aller plus loin. Et, dès maintenant, il faut aller au-delà de cet objectif, dans les zones sensibles telles que les Alpes ou les Pyrénées.
Le fret doit être considéré comme une priorité pour la SNCF, au même titre que les voyageurs.
Autant nous devons lutter à l'échelle européenne et nationale contre toutes les pratiques de dumping économique et social, autant la question du prix du transport ferroviaire du fret doit tenir compte de la concurrence de la route. Cela signifie que le transport combiné doit bénéficier d'une politique de volume, analogue à celle mise en place pour les voyageurs, qui se traduise par des baisses tarifaires.
Initier cette politique justifie une aide des pouvoirs publics. Un amendement du Gouvernement à la Loi dorientation pour un aménagement durable du territoire (LOADT) vient d'ailleurs de reconnaître cette nécessité.
Pour développer les infrastructures, il s'agit, dans limmédiat, de moderniser les itinéraires existants et de combiner mesures de gestion et investissements tant sur la voirie que sur le matériel : ainsi les investissements sur la ligne Ambérieu - Chambéry - Modane - Turin, qui est le principal passage ferroviaire entre la France et l'Italie, seront accélérés de manière à absorber une plus forte croissance du fret. Dès la fin de 1999, seront mises en service des locomotives multicourant pouvant opérer sur les deux réseaux. Ainsi, dès 2001, la capacité de la ligne devrait progresser de 20 % et passer de 10 millions de tonnes par an à 12 millions, 2 millions de tonnes de plus représentant léquivalent de 100 000 poids lourds par an.
Dans le même temps, il s'agit d'accélérer la réalisation du Lyon - Turin, jusque là envisagé pour 2015. Les décisions déjà prises ont permis le renforcement des études absolument indispensables. Celles-ci devront être terminées d'ici un an environ. Dès leur achèvement, les décisions de réalisations pourront intervenir au sommet franco-italien de 2.000, dans le respect des engagements déjà pris par les gouvernements français et italien,
Des financements très importants doivent être mobilisés de manière pérenne.
Dans le cadre d'un dispositif de financement qui intègre des concours importants en provenance de l'Union européenne, de France, d'Italie voire d'autres Etats, notamment des ressources d'emprunt, et d'un mécanisme de concession de longue durée, le transport routier devrait prendre une part plus importante des dépenses d'aménagement, de sécurité et d'environnement qu'il induit, notamment dans les zones sensibles.
Une augmentation, modulée, progressive et échelonnée dans le temps, des tarifs des péages routiers, pour le franchissement des Alpes, sera engagée, conformément à la directive relative à la "taxation des Poids lourds pour l'utilisation de certaines infrastructures" qui vient d'être adoptée par le Parlement européen.
Cette orientation doit à la fois inciter les opérateurs à choisir plus fréquemment le fret ferroviaire et à dégager une partie des ressources nécessaires aux investissements ferroviaires.
Une mise en oeuvre très progressive de cette tarification, avec une première étape en 2000, devrait être recherchée, en liaison d'une part avec l'ouverture échelonnée, entre 2001 et 2004, de la Suisse aux poids lourds de plus de 28 tonnes, d'autre part avec la réouverture du Tunnel du Mont-Blanc dont les conditions techniques et le calendrier seront déterminés à l'issue des expertises en cours.
Elle devra, dès le début, être modulée de manière à lisser les pointes de trafic au cours de la semaine ou de la journée, sans accroître les nuisances nocturnes.
Les ressources nouvelles ainsi dégagées devront être affectées prioritairement au financement des investissements ferroviaires nécessaires à la traversée du Massif alpin et à ses accès. Pendant la montée en puissance du dispositif, celui-ci pourrait aussi contribuer à financer les travaux de sécurité du Mont-Blanc (du côté français comme du côté italien) et dautres tunnels alpins.
Parallèlement, pour éviter le report du trafic sur des routes nationales, il est indispensable d'étudier les conditions de limitation de laccès des poids lourds aux routes qui permettent de franchir la frontière par les cols.
Cette politique de régulation intermodale et de gestion harmonisée des péages entre les différentes voies de franchissement des Alpes pose la question de la nécessaire mise en synergie et de la coordination des politiques des sociétés concessionnaires des tunnels et de leurs itinéraires d'accès.
Cette réflexion devra également intégrer le besoin de mettre en place, pour chaque tunnel, une société d'exploitation unique ayant la maîtrise de la sécurité, en liaison avec la sécurité civile.
De manière plus générale, il faut travailler à une harmonisation des missions actuellement exercées par les Commissions intergouvernementales mises en place dans l'ensemble du massif alpin.
Lensemble de ces orientations perdrait une grande partie de son efficacité si la France était la seule à les mettre en uvre.
Cest pourquoi le trafic fret - tant routier que ferroviaire - devra être organisé, notamment dans les zones sensibles - selon des règles qui seront applicables à l'ensemble de l'Union Européenne et du massif Alpin : cela doit concerner les politiques de tarification, la sécurité, les interdictions de circulations au-delà de certains tonnages..., de manière à optimiser des infrastructures très coûteuses à une échelle géographique qui ne peut être que l'espace européen et à éviter que des flux de poids lourds ne se déversent d'une vallée à l'autre en fonction des différences de prix de transit.
Cette volonté française se manifestera par le dépôt à la rentrée, auprès des instances européennes, d'un mémorandum en vue notamment de traduire, dans le droit communautaire, les principes posés par la Convention Alpine, notamment en matière de mesures incitatives destinées à favoriser un transfert sur la voie ferrée d'une part croissante du trafic de marchandises.
Ce mémorandum traitera également des questions relatives à la sécurité des véhicules.
Je demande également quil rappelle, à propos du franchissement ferroviaire entre Lyon et Turin, les propositions, faites par Jacques Delors en 1993, de recours à un grand emprunt européen pour financer ce type dinfrastructure.
Je souhaite enfin que soit désignée une personnalité européenne, susceptible d'instruire rapidement les propositions contenues dans ce mémorandum.
Voilà, Mesdames et Messieurs, ce que je souhaitais vous dire à l'issue du Conseil des ministres, au cours duquel j'ai présenté cette communication.
(source http://www.equipement.gouv.fr, le 27 mai 1999)