Déclaration de M. Pierre Moscovici, ministre délégué aux affaires européennes, sur la construction de l'Europe de la sécurité, la mise en place d'un espace européen de sécurité et de justice, la défense européenne et sur la sécurité dans l'Europe de demain, Montbéliard le 13 juillet 2001.

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Circonstance : Visite de l'école nationale de police à Montbéliard le 13 juillet 2001

Texte intégral

Monsieur le Directeur,
Chers Amis,
Permettez-moi d'abord de vous remercier, Monsieur le Directeur, de m'avoir invité à venir parler, devant les élèves de votre Ecole, des questions de sécurité, vues sous l'angle européen.
C'est un angle sous lequel il me paraît intéressant et important d'aborder le thème de la sécurité - sous tous ses aspects, intérieurs et extérieurs. Bien sûr, il est vrai que mes fonctions actuelles m'y conduisent tout naturellement. Mais, au-delà, je crois le choix de ce thème particulièrement pertinent. En effet je suis profondément convaincu que nous ne pouvons plus traiter ces questions de manière exclusivement nationale. Comme la plupart des dossiers que les gouvernements des Quinze ont à traiter aujourd'hui, celui-ci comporte une forte dimension européenne. Nous devons, je crois, en être pleinement conscients, afin d'en tirer le meilleur parti pour notre pays. Cela est vrai pour tous ceux qui au ministère de l'Intérieur, à la Défense, ou aux Affaires étrangères, sont directement impliqués dans ces problématiques. Cela sera plus vrai encore plus pour vous qui, aujourd'hui élèves de cette Ecole, serez demain, à votre tour, les acteurs à part entière des politiques de sécurité : l'Europe sera l'espace dans lequel vous déploierez cette action, et la connaissance de cette dimension, appelée à prendre un essor de plus en plus grand, sera pour vous essentielle.
La sécurité des citoyens est au cur du pacte républicain ; elle est aussi au cur des valeurs fondamentales sur lesquelles s'est construite, depuis plus de 50 ans maintenant, l'Union européenne. La Charte des Droits fondamentaux, adoptée par les quinze chefs d'Etat et de gouvernement, à Nice, en décembre dernier, le rappelle clairement dans son article 6 : "Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté".
La sécurité sera donc aussi une préoccupation centrale de l'Europe élargie de demain. L'Europe que nous construisons aujourd'hui et qui scellera, bientôt, définitivement la réunification du continent divisé pendant près d'un demi-siècle par le rideau de fer, doit garantir ce droit fondamental. Le Premier ministre, Lionel Jospin, l'a rappelé lorsqu'il a exposé, le 28 mai dernier, sa vision de l'Europe élargie.
Pourtant, me direz-vous, lorsque les pères fondateurs de l'Europe ont eu l'idée géniale, en 1950, de jeter les bases de cette Europe, ils ont d'abord choisi de se donner les moyens de mettre un terme aux conflits meurtriers qui ont dévasté notre continent. Et ce n'est pas de sécurité qu'ils se sont occupés. Vous auriez, en effet, du mal à trouver, dans les traités fondateurs de la Communauté européenne, la moindre référence à la coopération entre les ministères de l'Intérieur des Etats membres, ni même entre ceux de la Défense. D'ailleurs, pour la sécurité extérieure, seule l'Alliance atlantique - l'OTAN - offrait alors, à partir du milieu des années 50, un cadre pertinent.
Pourtant, au fur et à mesure du développement de la Communauté européenne, le besoin d'une coopération en matière de sécurité intérieure et extérieure s'est fait sentir, et c'est ainsi que, de la Convention de Schengen, en 1985, jusqu'au Conseil européen de Tampere, en Finlande, - le premier sommet des chefs d'Etat et de gouvernement des Quinze consacré exclusivement aux questions de sécurité et de justice - en octobre 1999, une construction progressive a vu le jour, dont je vais essayer ici de vous exposer les principales étapes et les réalisations concrètes. Je sais que plusieurs d'entre elles vous sont déjà familières. Je vais m'efforcer d'être aussi précis que possible, sans toutefois mobiliser trop du temps dont nous disposons, afin de laisser plus de place au débat.
I. J'aimerais, pour commencer, revenir sur les raisons et la manière dont les questions de sécurité ont peu à peu pris place parmi les thèmes prioritaires de la construction européenne
Arrêtons-nous d'abord sur le sujet lui-même : de quoi parle-t-on lorsque l'on parle de sécurité ? Ce terme recouvre des champs d'action à la fois très vastes et très différents. Il s'agit, en vérité, de l'ensemble des questions qui relèvent de ce que l'on appelle couramment l'ordre public.
Je mets pour l'instant de côté la dimension "sécurité extérieure" dont je parlerai plus tard.
L'ordre public et sa garantie sont, comme vous le savez, au cur des fonctions régaliennes de l'Etat. Ces fonctions relèvent, par excellence, de la souveraineté des Etats et il n'a jamais été envisagé qu'elles soient exercées par une autorité supranationale.
Aussi, à son commencement, la Communauté européenne, dont l'objectif était d'abord de mettre en commun la production de certaines matières premières, fondamentales pour la richesse et le fonctionnement des Etats - le charbon et l'acier - n'a-t-elle traité que des seules règles propres à faciliter les échanges commerciaux, la circulation des biens marchands entre les Etats membres. Il y a pourtant, me direz-vous, dans les contrôles effectués par les services des douanes, un lien direct avec l'ordre public. Cela est vrai, mais ces fonctions, si elles obéissaient à ces règles définies en commun, ont continué à relever des seules administrations des Etats membres jusqu'à la réalisation complète du grand marché européen, en 1992.
Quant aux tâches exercées par les services de police ou de gendarmerie, elles n'ont fait, jusqu'au début des années 1990, c'est-à-dire jusqu'au Traité de Maastricht, l'objet d'aucune mention dans les traités.
Il serait pourtant inexact de dire qu'aucune coopération organisée n'existait alors entre les services répressifs, dans les années 60 ou 70. D'abord parce qu'entre la France et l'Allemagne des liens de travail étroits avaient, dès 1963, date de la signature du Traité de l'Elysée, commencé à se tisser dans tous les domaines. Ensuite, parce que la France entretenait également avec ses autres voisins immédiats, notamment l'Italie, des contacts politiques et techniques. Certains événements, je pense en particulier à la vague terroriste dans les années 70 en Italie, en Allemagne ou en France, ont tout naturellement conduit les services compétents des Etats concernés à travailler ensemble. C'est d'ailleurs ainsi qu'est né, à la fin des années 70, le groupe de travail appelé TREVI (abréviation des termes de "terrorisme, radicalisme et violence internationale") et qui rassemblait les responsables des services de police des Etats alors membres de la Communauté européenne.
Cependant, le véritable tournant en matière de sécurité s'est opéré en 1985, lorsque cinq Etats membres - la France, l'Allemagne et les trois pays du Bénélux- ont eu l'idée de créer ensemble l'"Espace Schengen".
Comment cette idée est-elle née ? Tout simplement du constat que, pour donner à la Communauté européenne qui, parallèlement à ses premier élargissements (au Royaume-Uni, à l'Irlande, puis à l'Espagne et au Portugal) allait vers plus d'intégration, les moyens de fonctionner, il fallait permettre non seulement aux marchandises, mais aussi aux citoyens de circuler plus facilement. Il semblait, en effet, paradoxal de prétendre créer un espace unique tout en maintenant les dispositifs traditionnels de contrôle aux frontières intérieures entre Etats membres. Cela allait devenir rapidement inacceptable pour les citoyens, tant dans leurs déplacements professionnels que de loisirs.
Mais la suppression de tels contrôles - qui nous semble aujourd'hui aller de soi - supposait que l'on prenne parallèlement les mesures indispensables pour compenser les éventuels risques qui pouvaient naître de ces mesures. C'est l'objet même des Conventions dites de Schengen, qui prévoient un ensemble de règles très précises pour renforcer la coopération entre services de police, de douanes, de gendarmerie, ainsi qu'entre autorités judiciaires.
Ce n'est qu'une fois que ces règles furent entrées en vigueur, que les contrôles aux frontières ont pu être levés.
L'idée de Schengen était simple : il fallait d'une part assurer des contrôles communs renforcés aux frontières extérieures de l'Union qui, de fait, devenaient des frontières communes, d'autre part, mettre en commun, entre autorités compétentes des Etats parties à cette convention, les moyens de lutter plus efficacement contre les atteintes à l'ordre public, qu'elles proviennent du sein même de la Communauté, ou de l'extérieur.
C'est ainsi que les services consulaires des Etats liés à Schengen se sont dotés de règles communes pour établir, délivrer et contrôler les visas accordés à des ressortissants de pays tiers souhaitant se rendre dans l'Espace Schengen.
Pour faciliter leur travail, ils se sont dotés d'un réseau d'information commun "le réseau mondial visa" sur lequel sont mises à la disposition des services consulaires des seuls Etats Schengen, des informations relatives à des personnes dont la présence - pour telle ou telle autre raison- n'est pas souhaitée dans l'un des Etats membres, voire sur l'ensemble du territoire de l'Union.
Parallèlement, pour renforcer la sécurité au sein de l'espace Schengen, un système interne d'information a été mis en place pour les services de police : le SIS (Système d'information Schengen), installé à Strasbourg, et qui permet aux forces de l'ordre et aux autorités judiciaires compétentes, d'échanger des données à des fins d'enquête sur des personnes et des biens, par exemple des personnes recherchées en vue d'arrestation ou d'extradition, ou sur des véhicules ou des uvres d'art volés.
Naturellement, des autorités de contrôle indépendantes (du type de la CNIL) ont été mises en place dans les Etats membres, afin de veiller à ce que les informations entrées dans le SIS ne violent pas les règles de protection en vigueur puisqu'il s'agit de données à caractère personnel.
Ce système, imaginé en 1985, a dû attendre 1995 (date de la levée des contrôles), c'est-à-dire plus de dix ans, pour fonctionner pleinement, sous la forme que nous connaissons aujourd'hui. Si les choses se sont faites lentement et progressivement c'est bien parce que l'on touche ici, comme je l'indiquais en introduction, au cur de la souveraineté des Etats, à des domaines extrêmement sensibles pour les opinions publiques et dans lesquels on ne peut avancer qu'avec précaution.
Vous aurez certainement relevé dans mes propos que je n'ai pas parlé de traité, mais bien de convention entre quelques Etats membres. En effet, précisément parce que, dans ces matières, la Communauté européenne ne disposait, en 1985, d'aucune compétence, les Etats, en attendant que les traités européens comportent des dispositions en ce sens, ont dû procéder, en dehors du Traité de Rome, selon la voie intergouvernementale classique, c'est-à-dire au moyen d'une convention. Il y a même eu deux conventions successives pour mettre en place le système que nous appelons couramment "Schengen". La première, en 1985, pour poser les principes, la seconde, en 1990 (entrée en vigueur en 1995), pour permettre le fonctionnement effectif de ce système. Tous les obstacles à surmonter, les dispositifs spécifiques à mettre en place, comme le SIS, n'ont été, en fait, imaginés qu'au fur et à mesure, et c'est lorsque la Convention de Schengen et sa convention d'application ont été mises en oeuvre, en 1995, que d'autres Etats membres ont décidé d'y adhérer à leur tour.
Mais, vous le comprendrez aisément, la lourdeur propre à la négociation, la ratification et donc l'entrée en vigueur d'une telle convention sont vite apparues en décalage par rapport à l'évolution du processus de construction européenne. En outre, si le côté expérimental de Schengen présentait, en 1985, des avantages certains, la cohérence générale de la construction européenne exigeait que ces questions, dont on voyait bien qu'elles allaient très vite monter en puissance pour devenir des domaines d'action-clés de l'Europe, soient intégrées dans les traités.
Pour autant, il n'était pas question de transférer à la Communauté des compétences qui sont au cur de la souveraineté des Etats.
Que se passait-il, au même moment, dans le domaine de la sécurité extérieure ? En fait, des interrogations de même nature ont commencé à se poser, au début des années 1990, sur la nécessité, pour la Communauté, d'élaborer une Politique étrangère et de sécurité commune. Une coopération politique existait bien depuis 1970, notamment sous l'impulsion de la France qui n'a eu de cesse d'affirmer que l'Europe ne pouvait se limiter à une dimension économique et commerciale. Pour contribuer à renforcer la paix dans le monde, il fallait à l'Europe une politique étrangère à la hauteur de son poids économique. Mais là, plus encore peut être que dans le domaine de la sécurité intérieure, tout restait à faire.
C'est ainsi qu'a été donnée à l'Europe, en 1992, par le traité de Maastricht, une organisation d'ensemble reposant sur trois piliers distincts : le premier pilier, dit pilier communautaire et qui regroupait tout ce qui figurait, depuis 1957, dans les traités c'est-à-dire essentiellement les politiques communes (notamment la PAC et les fonds structurels) dans lesquelles les compétences étaient d'ores et déjà partagées entre les Etats et la Communauté ; le deuxième pilier, consacré exclusivement à la PESC - la Politique étrangère et de sécurité commune -, et doté de règles spécifiques, qu'on qualifie d'intergouvernemental ; enfin, le troisième pilier, consacré aux questions "JAI", c'est-à-dire à la justice et aux affaires intérieures avec, point très important, la décision de créer EUROPOL, dont je reparlerai plus tard. Ainsi, l'Union européenne et son architecture en trois piliers est-elle née, englobant la communauté européenne créée par le Traité de Rome et ses institutions majeures (Commission, Conseil, Parlement et Cour de Justice).
Cette construction en piliers peut paraître complexe. Elle vise à tenir compte de la spécificité de chaque domaine. Cette spécificité tient elle-même au fait que la conduite de chacune des politiques n'obéit pas aux mêmes règles. Dans le premier pilier (politique commerciale, politique agricole commune, etc...), c'est la Commission qui conduit la politique, les Etats ayant transféré vers elle leurs compétences. En revanche, en matière de politique étrangère et de sécurité, les Etats membres conservent leur compétence, même s'ils disposent de moyens d'agir en commun. Cela s'explique par le poids et le degré d'engagement différent de chaque Etat membre en la matière (rôle particulier des "grands" ; problème des neutres). Enfin, en matière de "Justice et Affaires intérieures", là encore, même si la Commission est associée étroitement aux travaux, les Etats gardent la main. La création de "l'Union européenne" a permis de redonner un cadre politique commun à cette architecture en trois piliers.
Comme vous le voyez, c'est de façon très progressive et encore très timide que les questions relatives à la sécurité ont pris peu à peu place dans " l'agenda " européen, au début des années 90.
L'accélération provoquée par la création de l'Union européenne d'une part, la poursuite du processus d'intégration sous la poussée de plus en plus forte des événements extérieurs d'autre part, - la perspective de l'élargissement commençait à se dessiner, même si les modalités n'en étaient pas encore définies -, ont conduit les Etats membres à franchir, à la fin des années 1990, de nouvelles étapes décisives vers l'avènement d'un véritable espace de liberté, de sécurité et de justice.

II - Vers la mise en place parallèle d'un espace de liberté, de sécurité et de justice et d'une politique de sécurité et de défense
Le Traité de Maastricht, signé au début de l'année 1992 et entré en vigueur en novembre 1993, portait déjà expressément en germe le traité suivant, celui d'Amsterdam, signé en 1997, qui a véritablement jeté les bases juridiques du futur espace de liberté, de sécurité et de justice.
Revenons, un instant sur le contexte historique dans lequel les travaux préparatoires à la négociation de ce nouveau traité ont été lancés, car ils sont déterminants :
- au plan intérieur, comme je l'ai indiqué tout à l'heure, la Convention de Schengen commence à peine à être mise en oeuvre, dix ans après sa négociation. Et l'on en découvre, au fur et à mesure, les insuffisances, que ce soit en matière policière ou judiciaire. La coopération se développe, s'intensifie, mais l'absence de règles communes et la persistance de procédures lourdes et longues en compromettent l'efficacité. Surtout, au plan extérieur, les événements qui se déroulent dans l'ex-Yougoslavie, c'est-à-dire non seulement aux frontières les plus proches de l'Union européenne, mais sur notre continent même, sont la source de difficultés nouvelles qu'il apparaît indispensable de traiter sur des bases communes.
Ce conflit d'une gravité exceptionnelle, le premier de cette ampleur depuis la création de la Communauté européenne, dont je rappelle qu'elle procédait de la volonté de bannir à jamais toute guerre du continent européen, ébranle l'Union européenne. D'abord, parce que ce conflit met à jour son impuissance à apporter une réponse commune à ce conflit. Cette incapacité est venue, en premier lieu, du fait que les réactions des Etats membres aux événements qui ont conduit à l'éclatement du conflit ont été divergentes. Mais, elle est venue aussi du fait que les Etats membres ne disposaient ni des outils juridiques, ni des instruments opérationnels nécessaires pour y faire face. Le Traité de Maastricht, en créant la PESC, n'y a apporté qu'un embryon de solution qui exigeait de nouveaux développements. J'y reviendrai.
Ensuite, ce conflit s'accompagne d'une série de conséquences concrètes importantes du point de vue des populations. Il a déclenché, vous le savez, des mouvements massifs de réfugiés qui ont afflué vers les Etats membres les plus proches, à savoir, l'Allemagne, l'Autriche, l'Italie. La question qui s 'est alors posée était celle de la réponse à apporter à ce problème nouveau et inattendu.
Le principe de solidarité, qui est un des principes de base du fonctionnement de l'Union européenne, devait se traduire par une réponse coordonnée et commune. C'est ainsi que les quinze chefs d'Etat et de gouvernement ont décidé, lors de la négociation du Traité d'Amsterdam, de "communautariser" une partie des compétences en matière de justice et d'affaires intérieures, à savoir la partie concernant les politiques d'asile et d'immigration, communautarisation selon une méthode progressive, basée sur un échéancier de cinq années après l'entrée en vigueur du nouveau traité.
Concrètement qu'est-ce que cela signifie ? D'abord que la Commission prépare - de sa propre initiative ou à la demande des Etats - des projets de directives (c'est-à-dire des "lois européennes" qui doivent ensuite être transposées dans le droit national), que le Parlement européen est consulté pour avis sur ces projets, dont l'application est ensuite contrôlée par la Cour de Justice des Communautés européennes. A Nice, nous sommes allés un peu plus loin en introduisant la vote à la majorité qualifiée pour les décisions qui permettront la mise en oeuvre de ces politiques (définies, elles, à l'unanimité). L'objectif est de jeter les bases d'une politique commune d'accueil des réfugiés, d'une part, et de gestion des flux migratoires d'autre part.
Il est alors apparu, à Amsterdam, que la Convention de Schengen qui commençait, entre temps, à faire ses preuves entre 9 Etats membres, devrait être intégrée pleinement dans les traités. Par-là même, la quasi-totalité des Etats membres de l'Union acceptaient d'y participer, à défaut du Royaume-Uni et de l'Irlande qui, au nom de leur spécificité insulaire ont préféré, dans un premier temps, rester en dehors de ce système. Il est d'ailleurs intéressant de noter aujourd'hui que ces deux pays ont marqué leur souhait de participer à l'ensemble des coopérations permises par cette Convention. C'est donc bien la preuve qu'elle répond à de véritables besoins, et qu'elle fournit aux autorités des Etats membres un levier pour accroître l'efficacité de leurs politiques nationales. On a pu notamment en apprécier les mérites de manière très concrète, en 1998, lors de la Coupe du monde de football.
Le Traité d'Amsterdam a maintenu le reste de la coopération policière - celle qui concerne la lutte contre la criminalité notamment, ainsi que les trafics de toute nature -, de même que la coopération judiciaire pénale dans le pilier intergouvernemental (c'est-à-dire le troisième pilier), tout en introduisant quelques avancées nouvelles : d'abord l'obligation d'aller progressivement vers un rapprochement des législations des Etats membres, ensuite en permettant que certaines conventions, si les Etats membres le souhaitent, puissent entrer en vigueur sans attendre que tous les Etats membres les aient ratifiées.
Il faut souligner ici que, si les chefs d'Etat et de gouvernement n'ont pas voulu envisager, dans le domaine de la coopération policière et judiciaire pénale une véritable harmonisation des législations, c'est en partie parce qu'au-delà des transferts de souveraineté qu'une telle démarche supposait, elle aurait exigé de se lancer dans un travail titanesque, tant les traditions entre nos systèmes policiers et judiciaires sont fortes et anciennes, tant les différences qui les caractérisent sont nombreuses. C'est donc, comme toujours depuis la création de la Communauté, la méthode pragmatique des petits pas qui a été privilégiée.
Une fois le Traité d'Amsterdam entré en vigueur, en mai 1999, il restait à donner plus de chair au projet d'espace de liberté, de sécurité et de justice.
La progression des négociations en vue de l'élargissement de l'Union européenne à plus de dix nouveaux membres exigeait que l'Union soit en mesure de présenter aux Etats candidats un acquis - c'est-à-dire un ensemble de règles communes - précis et en état de marche. Il semblait donc urgent d'accélérer les travaux à Quinze et de ne pas attendre l'entrée en vigueur des prochains élargissements pour réaliser l'espace de sécurité, de liberté et de justice. C'est ainsi qu'en octobre 1999, à l'initiative de la Présidence finlandaise de l'Union européenne, les quinze chefs d'Etat et de gouvernement ont consacré, pour la première fois, un sommet entier à ce sujet. Le Sommet de Tampere a permis d'adopter, six mois après l'entrée en vigueur du Traité d'Amsterdam, un véritable calendrier de réalisation de l'espace de sécurité, de liberté et de justice, exploitant pleinement les possibilités offertes par le nouveau traité.
Cet objectif a pris alors place au premier rang de l'agenda politique européen et s'est traduit par un tableau de bord détaillé des mesures à prendre pour permettre aux citoyens européens de circuler librement dans toute l'Union, dans des conditions de sécurité et de justice protectrices pour tous.
Concrètement, qu'a permis ce sommet ?
- d'abord, de faire adopter par tous les Etats membres la conception française d'une approche globale des phénomènes migratoires : nous avons une longue tradition dans ce domaine, contrairement à beaucoup de nos partenaires et nous souhaitions que l'on considère les problèmes dans toutes leurs dimensions : en amont, la situation des pays d'origine et donc les causes des phénomènes migratoires, mais aussi, en aval, la possibilité de mieux intégrer dans nos sociétés les immigrants installés régulièrement et depuis longtemps sur notre territoire. Cette approche a été validée à Tampere. Elle s'est traduite par des projets de directives, qui ont déjà fait l'objet d'un accord politique - par exemple les textes relatifs à la lutte contre l'immigration clandestine -, ou qui sont encore en cours de discussion -comme les projets de directive sur le regroupement familial ou l'accueil des réfugiés.
- ensuite, en matière judiciaire civile, le principe de reconnaissance mutuelle des jugements a été inscrit au rang des priorités : c'est tout à fait essentiel dans le cas de litiges qui concernent des entreprises ; c'est encore plus important dans le cas de divorces entre couples binationaux où se posent des problèmes de garde d'enfants.
- enfin, en matière pénale, nous avons aussi fait inscrire au rang des priorités la définition commune des incriminations et des sanctions : cela permettra de lutter plus efficacement contre les différents formes de criminalité organisée ; surtout, nous nous sommes mis d'accord sur un certain nombre d'instruments pour lutter contre le blanchiment de l'argent sale, comme la levée du secret bancaire en cas d'enquête.
Pour chaque domaine, un véritable échéancier a été mis en place. Par exemple, sur la reconnaissance mutuelle des décisions de justice, il avait été demandé d'établir un programme de mesures d'ici fin 2000. La présidence française l'a donc fait. Pour chaque mesure, un échéancier a été fixé en fonction du degré de priorité, entre 2002 et 2004.
Comme je vous l'ai indiqué tout à l'heure, parallèlement au domaine JAI, des évolutions importantes sont intervenues, grâce au Traité d'Amsterdam, dans le domaine de la politique étrangère et de sécurité commune. La plus importante est sans doute la création de la Fonction de Haut représentant de l'Union, qu'occupe aujourd'hui Javier Solana, ancien Secrétaire général de l'OTAN, et qui permet à l'Union européenne d'avoir un visage et une voix lorsqu'elle intervient dans le règlement de conflits extérieurs.
Là encore, se sont les événements extérieurs qui ont provoqué une accélération des travaux des Quinze. Le conflit qui a éclaté au Kosovo et qui a conduit l'OTAN, au printemps 1999, à intervenir par des moyens militaires puissants pour faire cesser la répression militaire engagée par la Yougoslavie de Milosevic, a créé une prise de conscience de l'urgence qu'il y avait, pour l'Union, à se doter de moyens d'intervention propres et de s'engager plus qu'elle ne l'avait fait auparavant, tant dans la prévention que dans le règlement des conflits.
Le terrain avait été largement préparé grâce à l'avancée décisive qu'avait représentée l'initiative franco-britannique prise à Saint-Malo, en décembre 1998, et qui avait permis de jeter les bases d'une véritable politique de défense commune, dans le respect des engagements souscrits par la plupart des Etats membres dans le cadre de l'Alliance atlantique et de manière complémentaire par rapport à cette Alliance. Cette initiative a facilité le ralliement des Etats membres neutres à l'idée de doter l'Union de capacités militaires propres. Concrètement, la décision a été prise par les quinze Etats membres, à Helsinki, donc un an après Saint-Malo, de se mettre en mesure de mobiliser 60.000 hommes dans des délais très brefs, pour intervenir en urgence hors de ses frontières, pour maintenir ou rétablir la paix.
La mise en place de tels engagements supposait naturellement la création de structures permanentes qui permettent à l'Union de prévoir, de décider et d'agir. Il a donc été créé un Comité politique et de sécurité qui, placé sous l'autorité du Conseil, - c'est-à-dire des représentants des Etats membres - doit, en cas de crise, assurer le contrôle politique et la direction stratégique des opérations décidées pour faire face à une telle crise.
En outre, - et ce point vous intéresse peut être plus particulièrement - les Quinze se sont attachés à développer aussi les aspects dits civils de la gestion des crises.
Un objectif très concret a été fixé en matière de police qui prévoit que, d'ici 2003, les Etats membres seront en mesure de fournir jusqu'à 5.000 policiers pour des missions internationales, dont 1.000 pouvant être déployés dans un délai de 30 jours. Les missions que ces policiers auraient, le cas échéant, à accomplir, sont des missions de conseil, de formation, d'assistance, voire même, si nécessaire, de substitution aux polices locales. Comme vous le voyez, il est prévu de pouvoir faire appel à toutes les spécialités de police existant dans les Etats membres.
Il est clair également que de telles actions ne sauraient constituer une fin en soi, et qu'une attention particulière sera portée aux actions susceptibles, à moyen terme, de rétablir et de renforcer l'administration locale et l'Etat de droit dans les pays concernés. En outre, ces actions pourront également être complétées par le recours à des moyens spécifiques à la protection civile. A cet égard, les Quinze se sont fixé l'objectif de 2.000 personnes mobilisables et déployables dans un délai très bref.
Toutes ces dispositions - qu'elles concernent la sécurité intérieure ou extérieure- peuvent vous paraître, à juste titre, à la fois nombreuses, variées et très disparates. Au fond, le sentiment que l'on peut avoir c'est celui d'un immense puzzle, dont la plupart des pièces seraient bien là mais peineraient à trouver leur place, comme s'il manquait un élément décisif pour assembler ces éléments et leur donner une portée véritablement concrète. C'est pour cette raison que le débat que nous avons décidé, à Nice, de lancer afin de préparer les prochaines réformes à apporter à l'Union pour qu'elle puisse fonctionner lorsqu'elle sera élargie à plus de dix nouveaux membres, doit prendre en compte toutes les politiques à mener ensemble, y compris celles relatives à la sécurité.
III - La sécurité - intérieure et extérieure- est une des dimensions centrales de l'Europe de demain
L'importance des défis auxquels l'Europe va se trouver confrontée dans les années à venir exige de repenser en profondeur le projet européen, non plus seulement sous l'angle de ses institutions, mais bien sous l'angle très concret du contenu que nous voulons, ensemble, donner à l'Europe.
Le premier de ces défis, j'en ai déjà parlé, est désormais très proche : c'est l'élargissement de l'Union européenne à plus de dix nouveaux Etats membres. C'est un défi historique pour l'Union que de réaliser, enfin, la réunification du continent européen. Celle-ci sera bientôt effective ; d'ici 2 ou 3 ans, les premiers futurs membres seront dans l'Union, et ce sera alors l'aboutissement d'un processus entamé dès la chute du mur de Berlin, il y a à peine plus de dix ans.
L'Union européenne a déjà fourni des efforts techniques et financiers considérables pour aider ces pays à recouvrer pleinement leur indépendance et à se mettre à niveau pour rejoindre l'Union européenne. Depuis le début des négociations d'adhésion, il y a trois ans, les aides annuelles aux pays candidats ont été portées, au total, à trois milliards d'euros par an. De nombreux programmes ont été mis en place pour les aider à reprendre, ce que l'on appelle "l'acquis de l'Union européenne", c'est-à-dire l'ensemble des dispositions légales et réglementaires dont elle s'est peu à peu dotée. Cependant, ces programmes - y compris de nombreux jumelages, dans le domaine de la police, entre Etats membres et pays candidats -, s'ils sont indispensables pour aider les candidats à se mettre à niveau dans tous les domaines avant d'entrer dans l'Union, ne sauraient, à eux seuls, constituer une réponse au grand défi de l'élargissement.
Ce défi, concrètement, quel est-il ? Il est celui du nombre : l'Union va, dans les 5 à 10 années à venir, s'élargir à plus de dix nouveaux membres; il est aussi celui de la diversité et de l'hétérogénéité : les pays d'Europe centrale et orientale ont, comme les Etats membres actuels, leur identité propre qu'ils entendent bien préserver. Le défi de l'Union européenne, pour réussir cet élargissement, c'est de parvenir à organiser son fonctionnement en tant qu'Union, c'est-à-dire en tant qu'entité unie et solidaire face au reste du monde, mais en même temps respectueuse de la diversité de ses Etats.
C'est pour cela que le travail de réforme des institutions doit franchir un saut qualitatif d'ici 2004. Nous ne mènerons à bien cette tâche que si nous la concevons d'abord comme la définition d'un projet de société et non comme la solution d'un simple problème institutionnel.
Il faut partir du constat que l'Europe constitue bien une civilisation et qu'elle repose sur une communauté de valeurs. Notre projet commun pour l'Europe élargie de demain doit consister à faire vivre cette communauté, à lui permettre d'affirmer toujours plus et mieux ces valeurs, sans renoncer à préserver la diversité des Etats qui la composent.
Au premier rang de ces valeurs affirmées désormais haut et clair par la Charte des Droits fondamentaux adoptée, en décembre dernier, à Nice, et destinée à devenir, un jour, le préambule d'une future constitution européenne, il y a la sécurité. Pour devenir un véritable espace de sécurité, de liberté et de justice, au sein duquel les citoyens pourront jouir de droits et de protections renforcées, l'Union doit se donner les moyens de parvenir à l'harmonisation de certaines règles de fond et de procédures. Pour offrir à ses citoyens le maximum de sécurité face aux fléaux de la grande criminalité transfrontalière - je pense au blanchiment d'argent, aux trafics de stupéfiants, mais aussi à toutes les formes que peut prendre, aujourd'hui, la traite et l'exploitation des êtres humains - l'Union doit se doter de moyens nouveaux pour agir au niveau européen.
EUROPOL pourrait ainsi, comme l'a proposé le Premier ministre, devenir le noyau d'une future police criminelle opérationnelle. Selon le principe créé par Schengen, la suppression des frontières au sein de l'espace européen, doit logiquement se traduire par un renforcement de la protection des frontières extérieures grâce à la mise en commun des moyens ainsi dégagés. Ainsi, une coopération policière intégrée et spécifique pourrait-elle se développer pour assurer la protection des frontières extérieures de l'Union.
Parallèlement à l'espace de sécurité, il faut impérativement développer la mise en place d'un véritable espace judiciaire. Cela veut dire qu'il faut franchir, là aussi, comme l'a proposé le Premier ministre, une étape décisive pour aller au-delà de la coopération entre magistrats vers une harmonisation au moins partielle du droit pénal des Etats membres avec, peut être, à terme, la création d'un parquet européen dont le rôle serait de coordonner les poursuites et l'action publique au niveau européen.
La volonté politique, en la matière, est essentielle pour vaincre les résistances. L'on voit bien aujourd'hui que l'Union européenne peine à respecter le calendrier ambitieux fixé à Tampere, que j'ai évoqué tout à l'heure. Il s'agit de réformes de fond, qui touchent à des domaines complexes, et certains "traînent un peu les pieds" alors même que la demande d'Europe s'exprime clairement dans l'opinion. Je prendrai un exemple que vous connaissez sûrement : l'affaire Rezala, qui a montré qu'il fallait d'urgence que les Quinze achèvent les procédures de ratification des conventions relatives à l'extradition signées en 1995 et 1996. Cela suppose souvent de modifier (c'est le cas en France) le droit interne. Ce n'est pas simple, mais il faut le faire. Nous nous sommes engagés à le faire dans les mois qui viennent.
Mais pour assurer pleinement sa sécurité et contribuer, conformément à son objectif historique, au maintien de la paix dans le monde, l'Union européenne doit aussi se doter d'une défense commune. J'ai dit tout à l'heure que les bases en avaient été jetées, qu'une force d'action rapide sera bientôt mise en place. Il reste à définir une stratégie à long terme et une véritable doctrine d'emploi.
Ces deux dimensions essentielles pour l'Europe de demain - la sécurité intérieure et la sécurité extérieure- exigent, pour prendre toute leur force concrète, d'abord que tous les citoyens européens adhèrent à ce projet ; ensuite, que l'Union ait les moyens réels de mener à son terme ce projet ambitieux.
Pour que les citoyens - ceux d'aujourd'hui et ceux de demain- adhèrent à ce projet, il faut qu'ils aient la parole sur l'Europe. C'est le but du débat que nous menons actuellement et jusqu'en novembre, dans toutes les régions de France. Car ce qui intéresse les citoyens, ce qui vous intéresse, à juste raison, ce sont, avant tout, les réalisations concrètes que permet l'Europe. Il faut donc parler de tous les domaines dans lesquels l'Europe peut apporter sa valeur ajoutée, peut permettre aux Etats membres de faire mieux, d'être plus forts et plus performants ensemble.
Ensuite, les moyens de l'Union. Il faut que les futures institutions de l'Europe répondent à ces besoins concrets que nous aurons définis. Sans doute avez-vous entendu évoquer les termes de fédération, de Constitution, de répartition des compétences, de clarification des traités. Nous pourrons en reparler, si vous le souhaitez, au cours de notre débat. Le risque, à mon sens, est que tous ces termes restent abstraits et peu parlants pour nos concitoyens si nous n'essayons pas de leur donner un contenu. Car les solutions institutionnelles n'ont de sens et d'intérêt que si elles sont au service d'un grand projet politique. C'est ainsi que pour aller vers une intégration plus étroite tout en préservant la spécificité des Etats, la formule d'une "Fédération d'Etats nations" pourrait être la mieux à même de traduire ce double objectif.
Surtout, pour permettre la mise en oeuvre rapide des réformes que j'ai évoquées tout à l'heure dans le domaine de la sécurité, il faut doter l'Union d'une capacité de décision renforcée : cela veut dire, par exemple, permettre qu'un nombre plus grand de décisions soient prises à la majorité et non plus à l'unanimité, renforcer la Commission européenne, afin qu'elle soit une véritable source de propositions, car elle seule a la vision d'ensemble des systèmes nationaux ; elle seule peut donc le mieux voir comment en faire la synthèse, lors de l'élaboration de projets de lois européennes ; et puis, il faut aussi responsabiliser davantage le Parlement européen.
Bref, si nous voulons achever la mise en place de ce grand puzzle de mesures afin qu'il donne corps à l'espace de sécurité de liberté et de justice, tout comme à l'ensemble des autres politiques qui feront l'Europe de demain, nous devons concevoir cette tâche comme un projet global et ambitieux, dans lequel les citoyens se reconnaissent et auquel ils puissent adhérer.
Voilà le rapide tableau que je souhaitais brosser devant vous, sans prétendre être exhaustif : je suis prêt, maintenant, à écouter toutes vos remarques et à répondre à toutes vos questions.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 25 juillet 2001)