Déclaration de M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'alimentation et de la forêt, sur le développement de l'agro-écologie, à l'Assemblée nationale le 16 janvier 2014.

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Circonstance : Rencontres annuelles du Forum des agriculteurs responsables respectueux de l'environnement (FARRE) "La protection intégrée : notre ambition pour produire autrement", à l'Assemblée nationale le 16 janvier 2014

Texte intégral

Si je suis ici c'est parce que le sujet de votre colloque « La protection intégrée : notre ambition pour produire autrement » est dans le cadre de ce que l'on est en train de faire et qui a fait l'objet de débats la semaine dernière à l'Assemblée nationale. A cette occasion, il y a eu des débats extrêmement importants et positifs, avec des interrogations et des échanges qui ont permis d'avancer sur pas mal de sujets, en particulier sur les GIEE, groupements d'intérêts économiques environnementaux pour lesquels s'il faut les cadrer, il convient aussi de laisser de la liberté aux acteurs eux-mêmes. Dans le domaine de l'agroécologie, comme du « produisons autrement », comme de ce qui a été fait, il faut que l'on soit capable d'agréger et pas de sélectionner, il faut que l'on soit capable de rassembler et pas d'exclure, il faut que l'on soit capable de porter un projet dynamique et pas de s'arrêter au premier obstacle. C'est ça l'enjeu. Donc les GIEE ont ce principe que ce sont les acteurs eux-mêmes qui vont déterminer les dynamiques qui vont être créées. A Farre, il y a 20 ans, la première démarche consistait à se dire que dans le contexte où l'on était, comment pouvait-on faire pour éviter de faire des bêtises. Aujourd'hui, on est en train de se poser la question, vous avec nous, comment passer à un changement d'échelle et de modèle de production. On n'est plus dans un moyen d'éviter de faire des bêtises mais de créer quelque chose de nouveau. Ca prendra des formes nouvelles, c'est ça qui me paraît important. C'est pour cela que je n'ai fermé aucune porte. Et si je suis là ici aujourd'hui c'est parce que je prends en compte ce qui a été fait. Et Farre a évolué et d'ailleurs vous avez fait en sorte de passer à un autre vocable, un autre sigle, le forum des agriculteurs responsables. Au fur et à mesure, il y a une évolution qui se fait. Si on commence par considérer ce qui est bien et ce qui est mal, et que l'on met de côté ce qui soit disant ne serait pas la référence, on perd une capacité à être efficace, à être dynamique.
J'ai eu un débat ce matin avec tous les services sur les nouvelles manières d'aborder les MAE, mesures agroenvironnementales. Il y a un gros travail qui est fait. La profession a été consultée et sera consultée. Je suis très satisfait de tout ce qui a été mis en place pour les phytos (Certiphyto, Défiphyto…) et qui est un élément du progrès que l'on va faire. Il y a des pionniers, il y a ceux qui ont testé, qui ont pris des risques plus que d'autres Et on ne peut pas demander à tous les agriculteurs de prendre des risques, sans leur apporter ou des contreparties financières, ou de les accompagner. Celui qui est convaincu, il le fait quoiqu'il arrive. Celui qui ne l'est pas et n'a pas de démarche militante, il faut que l'on soit capable de l'accompagner. Donc tous les pionniers, ils ont pris des risques pour les autres. Le vrai problème c'est que si ça reste au sein des pionniers et que ça ne se diffuse pas, c'est une perte de substance, de connaissance, de capacité. On est là pour piloter, comme le dit un des vos agriculteurs : « être plutôt chef d'orchestre que homme-orchestre» pour accompagner tous les réseaux qui ont fonctionné, qui ont créé des dynamiques, qui ont fait des expériences. Si on est capable de maîtriser les mécanismes naturels qui nous aident avant que l'on soit obligé directement d'intervenir, c'est tout bénéfice. On a tout intérêt d'être dans cette démarche là. Comme pour le labour et le rôle des vers de terre, c'est assez marrant de penser qu'il y en a d'autres qui peuvent travailler à notre place, en particulier à la place des agriculteurs qui passent beaucoup de temps sur les tracteurs, ce qui fait souvent mal dans le dos. Les tracteurs ont fait des progrès immenses mais plutôt que de faire 5000 heures de tracteur, si on peut en faire 2000, on ne va pas s'en priver surtout s'il y en a d'autres qui travaillent à notre place, ce sont les intestins de la terre avait dit Platon. On est bien dans ce système où on s'adapte aux écosystèmes où on essaie d'être des chefs d'orchestre. Mais pour être chef d'orchestre, il faut avoir été musicien et il faut connaître ses gammes, il faut être capable d'animer. C'est là que ça demande de la connaissance. C'est là où tout ce qu'ont pu faire les réseaux c'est très important. C'est la diffusion de cette acquisition de connaissances qui va être l'enjeu. Le potentiel, il est là : comment fait-on pour débloquer le système ? Comment fait-on pour que ça se diffuse. C'est ça l'enjeu. Les GIEE ont cet intérêt, et c'est pour cela que l'on ne cherche pas à en fermer le cadre, qu'ils doivent permettre par l'animation, de regroupement d'exploitations, de créer cette dynamique collective. Il faut que celui qui sait plus que l'autre soit capable de le diffuser, de lui donner. Et comme on est rassuré parce que l'on est ensemble, on va faire des progrès énormes. J'ai confiance aux agriculteurs, lorsque le processus s'engage, ça peut aller très vite. Et d'ailleurs, ça va aller très très vite.
Pour les MAE, sur la question des phytosanitaires, on va essayer de prendre des moyennes. On ne va pas ramener tout à l'exploitation, pour dire à quel niveau d'IFT (indice de fréquence de traitement) vous êtes mais on va prendre des moyennes. Quand on prend la moyenne, on est déjà en-dessous en IFT de ceux qui sont au-dessus et au-dessus de ceux qui sont en-dessous. Et si la MAE consiste à se fixer comme objectif de descendre en-dessous de la moyenne, c'est tout le système qui progresse.
On n'est pas là pour avoir un jugement, on est là pour essayer de prendre en compte une diminution globale, d'y intégrer les éléments de progrès qui ont déjà été fait et de poursuivre le progrès. Ca c'est très intéressant. Et ce que vous avez fait depuis longtemps sans aides publiques, vous l'avez fait tout seul. Tout cet acquis, il est là quand je vois tout ce que vous avez fait sur l'arboriculture, la pommiculture, la lutte intégrée. Et contrairement à ce que dit Serge Papin, même en Bretagne des centres de recherche en lutte intégrée et qui fonctionnent très bien : vous pouvez aller chercher votre petit carton de bourdons pour polliniser vos tomates, des abeilles, des larves pour la lutte intégrée… C'est comment j'utilise les prédateurs et les auxiliaires pour pouvoir gérer en partie. Et si la nature ne peut pas tout faire, j'agis. C'est exactement ça le principe de l'agroécologie, que l'on peut appeler écologiquement intensive, mais c'est ça le concept. Et ça prendra des formes différentes car on n'aura pas forcément les mêmes contraintes partout. On ne fera pas partout pareil. Par contre, on sait que partout où on sera on aura le même principe, la même méthode, la même approche. C'est parce qu'à un moment certains auront été pionniers et qui auront montré ce que l'on pouvait faire, c'est par ce que l'on sera capable de diffuser ce savoir-faire aux autres que l'on arrivera à cet objectif qui doit rester stratégique en termes économiques, c'est que la question environnementale doit être un élément ou une composante de la question économique et de la performance économique, et donc de la compétitivité. Moins j'ai des coûts de production élevés, mieux je me porte en termes économiques et plus je suis performant. C'est cela qu'il faut que l'on arrive à faire avec tous ces processus qui sont en cours.
Je sais que vous avez en particulier avancé sur la certification environnementale, que vous avez aussi des actions sur les pratiques qu'il faut prendre en compte, dans Ecophyto notamment, j'espère que dans les semaines et les mois qui viennent, il y aura des préfigurations de groupements d'intérêt économiques et environnementaux qui seront là pour accompagner tout cela. Cela fait partie du processus, des enjeux. Les débats avec l'opinion publique a souvent été biaisé, avec des a priori et avec vos médiateurs des champs, il faut communiquer, faire valoir les progrès qui sont faits. Dans les débats aujourd'hui, il y a des peurs dont il faut tenir compte, il y a des risques qu'il faut expliquer et il y a des progrès qu'il faut aussi expliquer sinon on se retrouve très vite dans des situations difficiles.
Le colloque aujourd'hui a mis en évidence des solutions, des acquis, l'accompagnement des agriculteurs dans le cadre de la transition écologique, de l'agroécologie. On aura un partenariat à créer. Il faudra que l'on se voit pour voir comment travailler ensemble. J'ai besoin de toutes les compétences, de tous les réseaux. Il y en a beaucoup, chacun a des acquis, des connaissances. Et nous, il faut que l'on soit capable de les fédérer, de concevoir la rediffusion de tout cela. Je vous proposerai donc une rencontre au ministère sur la base de tout ce que vous avez pu faire pour que l'on ait une charte et un engagement commun comme on l'a fait avec d'autres, comme les Chambres d'agriculture. Avec un réseau comme le vôtre, qui a une histoire, qui a une présence sur le terrain, je suis d'accord pour travailler avec vous surtout que les objectifs on les partage, on doit s'appuyer sur ce qu'ont été les expériences, on doit diffuser les éléments qui sont aujourd'hui à votre disposition. On a les fermes phyto qui ont fait des progrès, on doit évaluer les progrès variables qui ont été obtenus et voir si cela peut s'appliquer ailleurs.
L'agroécologie, l'écologiquement intensif ou l'agriculture responsable, c'est d'être capable de s'adapter aux écosystèmes. Peut-être que le conventionnel a eu un tort à un moment où l'objectif était la production, mais on a appliqué à peu près globalement partout des règles, des systèmes, avec des firmes derrière qui cherchaient à cadrer et à normer. Dans les dix années qui viennent, cela va être beaucoup plus adaptatif. Il y aura plus de diversité dans les choix des modèles car on sera capable de s'adapter. Puisque le principe c'est je suis chef d'orchestre et pas homme-orchestre, je m'appuie sur tout ce qui existe pour éviter d'agir trop tôt et je n'agis que quand j'ai besoin. Donc cela nécessite des adaptations partout. Ce ne sera pas partout pareil. Dans l'ouest, dans le Maine-et-Loire, ce ne sera pas comme dans la Sarthe, ça je peux vous l'assurer. Quoique… Le Nord Sarthe sera peut-être différent du Maine-et-Loire.
Vous citiez M. le Président tout à l'heure la volonté de certains de vouloir considérer la conversion à une agriculture biologique, comme l'une des finalités de la politique agricole. Si la bio est une composante, elle n'est pas une finalité. C'est clair dans l'esprit et dans la loi. On ne peut pas tout ramener à la bio. D'ailleurs, j'ai souvent dit, avant d'être ministre, mon désaccord avec le Grenelle de l'environnement qui fixait 20% de surface agricole en bio. Les 80% qui restent : qu'est-ce qu'on en fait ? Personne n'en a parlé. Ce n'est pas un objectif en soi. En admettant même qu'on ait fait 20% de la surface en bio, et on en est loin, et qu'on ait fait que le marché du bio se soit cassé la figure : qu'est-ce qu'on aurait réussi ? Rien ! Mais alors plus que rien, c'est moins que rien. Donc il y a besoin de s'adapter d'abord sur la production bio. Et deuxièmement, je pense que l'on a un potentiel en termes de biodiversité, de combinaisons environnement- agriculture qui est bien plus grand si on fait effet de masse, si on fait les choix de développer des modèles pour l'ensemble de l'agriculture, plutôt que de les cibler. Cela vaut pour les MAE que je citais tout à l'heure. Les MAE ont souvent été prises pour régler des problèmes particuliers. On va essayer maintenant au contraire qu'elles puissent être utiles à ces évolutions là. C'est cela que l'on veut. On va avoir des impacts énormes. Et même bien plus importants que ceux qui défendent l'environnement ne peuvent l'imaginer parce qu'une fois que le processus se met en route, il offre lui-même des possibilités qu'on ne soupçonne pas quand on est au tout début du processus. Et je suis sûr, si je prends votre ferme, le chemin que vous avez vous-même parcouru jusqu'à aujourd'hui, au début, vous ne l'auriez pas imaginé. Et qu'est-ce qu'il va se passer dans 20 ans, une fois que l‘on est sur la base sur laquelle on est ? On ne sait pas trop, mais il va se passer des choses.
Je voulais passer et faire ce geste parce que je compte sur votre collaboration. Il faut que Farre soit là comme un acteur et je réitère cette proposition : on aura, M. le Président, un rendez-vous au ministère et on essaie de bâtir ensemble une charte et des objectifs. En tout cas, merci de m'avoir invité et surtout je salue votre travail.
Source http://www.farre.org, le 21 janvier 2014