Déclaration de M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire, de la forêt, porte-parole du gouvernement, sur les enjeux du projet de loi d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt, au Sénat le 9 avril 2014.

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  • Stéphane Le Foll - Ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire, de la forêt, porte-parole du gouvernement

Circonstance : Intervention du ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du gouvernement dans le débat sur le projet de loi d'avenir pour l'agriculture l'alimentation et la forêt, au Sénat le 9 avril 2014

Texte intégral

M. Stéphane Le Foll, ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, c'est avec grand plaisir que je prends la parole ce soir pour cette première lecture au Sénat du projet de loi d'avenir pour l'agriculture.
M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques. Merci, monsieur le ministre !
M. Stéphane Le Foll, ministre. Je suis d'autant plus heureux que je connais l'assiduité des sénateurs, leur pertinence, parfois aussi leur impertinence, mais surtout leur connaissance des choses de l'agriculture,…
M. Charles Revet. C'est ce qui est important !
M. Stéphane Le Foll, ministre. … des territoires et de la ruralité.
Je ne peux ouvrir ce débat sans rappeler le contexte dans lequel nous sommes, mais pour tout de suite affirmer avec force que, pour moi, l'agriculture participe et participera pleinement au redressement productif de notre pays, qu'il s'agisse de l'agriculture en tant que secteur de production, de l'agroalimentaire, dans toute la diversité de cette industrie, mais également de l'ensemble des économies qui se développent aux niveaux local et régional, et que nous devons accompagner, ce qui fera sûrement l'objet de nos débats.
J'ai souvent entendu dire que ce texte n'aurait pas ou pas suffisamment intégré les grandes dimensions économiques de l'agriculture. (M. le président de la commission des affaires économiques s'étonne.) Comme si ce secteur d'activité devait faire l'objet d'un traitement différent par rapport aux grands enjeux qui ont été fixés par le Président de la République et présentés par le Premier ministre hier dans sa déclaration de politique générale et encore cet après-midi, ici, au Sénat !
Notre agriculture a vu sa présence reculer sur les marchés européens, voire internationaux, et ce en même temps que l'ensemble de notre industrie. Nous devons faire ce constat et nous persuader que l'enjeu du redressement pour notre pays passe autant par l'industrie que par l'agriculture, laquelle doit avoir les mêmes objectifs et bénéficier des mêmes mesures que celles qui valent pour le reste de l'économie, en particulier l'industrie.
Ainsi, mesdames, messieurs les sénateurs, les pactes de responsabilité et de solidarité concernent bien l'agriculture : la baisse des charges qui va être mise en œuvre bénéficiera à l'agriculture, en particulier grâce à l'enveloppe de 1 milliard d'euros consacrée aux travailleurs indépendants, dont font partie les agriculteurs. Il en va de même des baisses de charges proposées pour les salaires du niveau du SMIC et un peu au-delà, ainsi que pour le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi. Malheureusement, les coopératives agricoles n'y auront pas accès, mais elles bénéficieront de toutes les exonérations de cotisations sociales prévues dans les deux pactes que j'évoquais.
J'y insiste donc, l'agriculture s'inscrit pleinement dans la logique du redressement productif ; elle est partie prenante de ce redressement nécessaire de la production en France, dans toutes les dimensions et dans toute la diversité de la production agricole.
Car il faut bien prendre en compte la spécificité de l'agriculture. Ce secteur de production n'est pas l'affaire, comme l'industrie automobile, de quelques acteurs, en l'occurrence de deux constructeurs, voire un peu plus si nous considérons les constructeurs étrangers ayant investi en France. L'agriculture est au contraire constituée d'une multitude d'agriculteurs et d'exploitations agricoles s'insérant dans une grande diversité de paysages, de terroirs, à l'origine de produits agricoles divers dotés de signes de qualité différents. La même diversité prévaut pour les circuits de production, qui peuvent être courts, moyens ou longs, ainsi que pour les exportations, nombreuses, qui peuvent concerner des produits de luxe, comme le champagne…
M. Didier Guillaume, rapporteur de la commission des affaires économiques. La clairette de Die ! (Sourires.)
M. Stéphane Le Foll, ministre. …– bien sûr, monsieur le rapporteur (Nouveaux sourires.) –, mais également des produits de base, comme les céréales.
L'agriculture française se caractérise donc par la diversité de ses productions, mais elle n'en est pas moins un acteur économique important.
Ce projet de loi a donc pour objet de définir, compte tenu de la réforme de la politique agricole commune qui a été négociée et qui entrera en vigueur à compter de 2015, le cadre dans lequel nous souhaitons inscrire les exploitants agricoles de France pour préparer l'avenir, l'avenir de notre agriculture, l'avenir de nos agriculteurs.
Les objectifs ont été fixés par le Président de la République, en particulier dans son discours de Cournon-d'Auvergne. Le chef de l'État a notamment pointé à cette occasion la nécessité de rééquilibrer les aides afin de tenir compte des difficultés que rencontre l'élevage. À cet égard, s'il y a un sens à donner aux politiques publiques, c'est bien ici celui de compenser les handicaps pour maintenir l'activité agricole.
Il s'agit aussi d'engager une mutation de l'agriculture avec l'intégration de la dimension environnementale. Les grands enjeux liés à l'agroécologie feront l'objet d'un débat, ici au Sénat, comme ce fut le cas à l'Assemblée nationale. Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous le dis : la loi d'avenir pour l'agriculture ne se limitera pas à traiter isolément la dimension environnementale, même si c'est déjà très important, mais tendra à la combiner avec les enjeux économiques. C'est ce que l'on appelle aujourd'hui la « double performance »,…
M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques. Triple performance !
M. Stéphane Le Foll, ministre. … qui deviendra triple performance, avec la dimension sociale, grâce aux travaux de la commission des affaires économiques du Sénat.
M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques. Eh oui !
M. Stéphane Le Foll, ministre. Ce débat sur l'agroécologie nous permettra justement de définir cette mutation. Pour ma part, j'ai toujours considéré que, pour sa réussite, elle devait résulter d'une dynamique provenant des territoires et des acteurs agricoles eux-mêmes.
Je le sais, ici, au Sénat, et sur toutes les travées, certains d'entre vous relaient le ras-le-bol des agriculteurs face aux normes environnementales.
M. Charles Revet. C'est vrai !
M. Daniel Dubois. Ils ont raison !
M. Stéphane Le Foll, ministre. C'est justement tout l'enjeu de ce texte : comment créer une dynamique vertueuse pour que l'environnement soit compris comme un élément de la réussite économique.
Nous en reparlerons, mais je puis d'ores et déjà vous assurer que, dans le cadre de l'agroécologie, nous connaîtrons des changements de modèle de production.
L'idée est simple, et chacun doit pouvoir faire l'effort de la comprendre : si l'on baisse les consommations intermédiaires grâce auxquelles s'est construite l'agriculture depuis l'après-guerre, c'est-à-dire si l'on consomme moins d'énergies fossiles, moins de phytosanitaires, moins d'antibiotiques, le résultat est bon non seulement pour l'environnement, mais également pour l'équilibre économique des exploitations.
Nous devons être capables de porter, de développer, de faire vivre cette idée au travers de ce texte, même si, in fine, cette mutation doit s'appuyer sur une dynamique territoriale, locale, impulsée par les acteurs eux-mêmes, c'est-à-dire les agriculteurs.
C'est notamment le débat que nous aurons sur les groupements d'intérêt économique et environnemental, ces GIEE qui devront non seulement porter cette dynamique, mais aussi redonner un sens et surtout une réalité à l'esprit collectif en agriculture.
J'ai regardé, peut-être comme vous, un documentaire remarquable sur l'agriculture française, son histoire et ses grandes mutations, diffusé à la suite d'Apocalypse : la Première Guerre mondiale, sur France Télévisions. Ce programme reprenait des témoignages d'agriculteurs aux accents très divers, ce qui m'est apparu comme une magnifique manière de présenter la diversité des territoires et des terroirs, par les hommes qui les font vivre.
Il y eut deux moments essentiels dans l'histoire de ces mutations. Le premier fut celui de la modernisation, avec le développement du machinisme agricole, et la création des coopérations d'utilisation de matériel agricole, les CUMA, premières manifestations d'un processus d'organisation collective.
Le second moment fut celui des remembrements. Certains, ici, doivent s'en souvenir ; pour ma part, ayant grandi dans un petit village sarthois de 256 habitants, je me souviens parfaitement du remembrement et du traumatisme qu'il a pu causer chez certains agriculteurs ayant perdu des terres qui étaient leur propriété historique. Beaucoup, d'ailleurs, ne s'en sont pas remis. (Marques d'approbation sur toutes les travées.)
Quelle mutation avons-nous à organiser aujourd'hui ? Quel est l'enjeu auquel nous devons faire face tous ensemble ? À mon sens, il s'agit de cette combinaison, que j'évoquais à l'instant, entre l'économique, l'environnement et le social. Chaque époque a une responsabilité ; la nôtre est tout entière dans ce défi, et nous devons le relever.
Mais ce projet de loi tend également à s'attaquer à d'autres défis, aux enjeux aussi importants, car, si nous voulons réussir cette mutation, nous devons être capables d'engager ce processus dans l'éducation et l'enseignement agricoles. Tel est l'objet des articles 26 et 27.
Nous devons ainsi être capables de penser le développement agricole en nous appuyant sur les outils qui existent, de développer toutes les capacités de diffusion des savoirs et des éléments techniques qui vont permettre cette mutation. À cet égard, les chambres d'agriculture, les instituts techniques, les ONVAR, les organismes nationaux à vocation agricole et rurale, mais aussi tous ceux qui, à un titre ou à un autre, assurent déjà aujourd'hui la diffusion des connaissances, notamment l'enseignement agricole, ont un rôle primordial à jouer.
Il s'agit donc d'un processus global, qui implique l'éducatif – c'est l'enseignement agricole – le développement agricole, ainsi que la recherche, je ne l'oublie pas. L'innovation et la recherche sont essentielles ! Je vous renvoie au débat que nous avons eu dans cet hémicycle sur les organismes génétiquement modifiés.
La recherche est donc capitale pour assurer cette mutation. C'est pourquoi nous avons d'ores et déjà engagé des changements au sein de l'Institut national de la recherche agronomique, l'INRA, où une chaire consacrée à l'agroécologie a été créée, et que nous proposons, dans ce projet de loi, de créer cet institut qui regroupera l'agriculture, la forêt et l'enseignement vétérinaire, parce que l'on a besoin d'identifier, au fond, ce qui fait l'essence même du ministère de l'agriculture, son histoire : l'enseignement vétérinaire, l'agronomie, la forêt.
C'est un beau message que nous faisons passer avec ce projet de loi, pour l'avenir même de ce que représentons, de ce que nous voulons défendre, de ce que nous voulons porter. Tel est l'enjeu qui est au cœur de ce texte, pour aujourd'hui et pour demain.
De manière plus sectorielle, ce texte aborde aussi les grandes questions posées par la forêt et son développement. Je sais que le Sénat compte des spécialistes de ces questions…
M. Didier Guillaume, rapporteur de la commission des affaires économiques. Le rapporteur, notamment !
M. Philippe Leroy, rapporteur de la commission des affaires économiques. Il y en a bien d'autres !
M. Stéphane Le Foll, ministre. … et je me suis déjà souvent entretenu avec eux.
Là aussi, il y a un enjeu : faire le même diagnostic que pour l'agriculture et assurer la même mutation de la forêt française pour l'adapter aux conditions actuelles.
Nous devons en effet prendre en compte une réalité économique majeure : les produits de notre forêt, les arbres et le bois, sont exportés et nous perdons toute la valeur ajoutée de la transformation et du sciage. Ce problème est abordé par le projet de loi d'avenir : comment faire en sorte d'inciter les propriétaires à investir pour valoriser le bois, de créer un fonds pour relayer cette politique, de mieux s'organiser, de mettre en place des groupements d'intérêt économique et environnemental forestiers, adaptés aux zones de montagne, aux massifs forestiers pour permettre d'organiser la production et, surtout, la transformation ?
La forêt comporte une dimension environnementale, avec la lutte contre le réchauffement climatique, la promotion de la biodiversité et les loisirs, et une dimension économique majeure pour beaucoup de nos départements : la forêt représente un potentiel de création d'emplois. Il faut que nous soyons tous ensemble à la hauteur de ces enjeux. Je sais que, sur ces questions, nous saurons nous rassembler largement.
Je n'oublie pas non plus les outre-mer, avec leurs spécificités : chacune de leurs agricultures présente des particularités régionales qui ne sont pas celles que l'on retrouve en métropole. C'est pourquoi ce texte comporte un volet consacré aux outre-mer, car il faut que nous soyons capables de leur offrir des possibilités. Je pense, en particulier, à un certain nombre de matières actives spécifiques propres aux régions tropicales que l'on ne retrouve pas en métropole et qu'il faut adapter à l'enjeu agroécologique des outre-mer.
Il faut également fixer des objectifs précis à ces agricultures pour reconquérir les marchés locaux là où la part des productions locales a baissé : c'est un enjeu d'équilibre et d'emploi pour ces territoires. On retrouve bien là ce qui est affirmé dès le titre préliminaire du projet de loi concernant la triple dimension économique, environnementale et sociale.
Voilà pourquoi le volet relatif aux outre-mer est également d'importance.
Forêt, agriculture, groupements d'intérêt économique et environnemental, enseignement agricole, recherche : l'ensemble de ces points constitue la loi d'avenir, sans oublier les grandes questions liées à l'accès au foncier et à l'installation des jeunes. Car comment faire pour que, demain, l'agriculture ait renouvelé les générations qui sont aujourd'hui en activité ?
Cette question doit être envisagée d'un double point de vue.
Tout d'abord, la formation doit permettre l'accès à l'activité agricole à des jeunes qui n'ont pas d'origines familiales agricoles – ce que l'on appelle le « hors cadre familial ». Nous savons très bien que le nombre des agriculteurs, aujourd'hui, ne permettra pas un renouvellement des générations. Nous aurons donc des agriculteurs qui viendront d'ailleurs, des personnes qui se seront intéressées à l'agriculture. C'est tout le débat sur l'installation, et la loi d'avenir ouvre des perspectives importantes dans ce domaine.
M. Charles Revet. Cela a toujours été le cas !
M. Stéphane Le Foll, ministre. Encore plus avec cette loi d'avenir, monsieur le sénateur !
Nous avons pris en compte, par exemple, le fait que l'on ne s'arrête plus à la surface minimum d'installation, car, pour un jeune agriculteur, ce n'est pas la surface qui fait la réussite de l'installation, c'est sa capacité à dégager un revenu de son activité. Tout ramener à la surface revient à réduire la capacité à ouvrir l'installation. C'est pourquoi le passage à l'activité minimale d'assujettissement est un enjeu en soi.
Ensuite, se pose la question de l'accès au foncier, capitale pour l'activité agricole. Elle fait l'objet de nombreux débats et propositions, car elle est extrêmement difficile : nous sommes coincés entre le droit de propriété, constitutionnellement garanti, et notre volonté de permettre aux jeunes de s'installer et d'avoir accès au foncier.
Cela suppose de renforcer les sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural, les SAFER, avec une nouvelle gouvernance, de développer des méthodes et des mesures pour éviter les agrandissements, de faire en sorte que les formes sociétaires ne soient pas des outils qui permettent l'agrandissement en interne.
Tous ces sujets, extrêmement importants, figurent dans ce projet de loi d'avenir, car l'accès au foncier est la condition pour permettre l'installation, renouveler les générations, donner à des jeunes l'envie de produire et de construire leur vie en agriculture.
Tels sont, mesdames, messieurs les sénateurs, les grands enjeux de cette loi d'avenir qui feront l'objet de nos débats dans les soirées que nous allons passer ensemble. J'ai rappelé les grands axes dans lesquels s'inscrit notre démarche : la réforme de la politique agricole commune, l'accent mis sur la production et la compétitivité – c'est l'objet des pactes de responsabilité et de solidarité –, une loi d'avenir qui organise et donne des perspectives.
Voilà pourquoi ce débat est important. Je sais que, au sein de la Haute Assemblée, nous aurons l'occasion d'échanger pour améliorer le texte issu de la première lecture à l'Assemblée nationale. Il faut surtout que nous soyons capables, ensemble, d'envoyer un message aux jeunes de ce pays qui croient en l'avenir de l'agriculture comme nous y croyons, nous aussi ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

source http://www.senat.fr, le 14 avril 2014