Interview de M. Christian Eckert, secrétaire d'Etat au budget, à "France Inter" le 22 mai 2014, sur les repentis fiscaux et l'optimisation fiscale pratiquée par certaines multinationales.

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Média : France Inter

Texte intégral

CLARA DUPONT-MONOD
Bonjour, Christian ECKERT.
CHRISTIAN ECKERT
Bonjour.
CLARA DUPONT-MONOD
Votre fonction, entre autres, est de lutter contre la fraude fiscale et sociale, quelles sont les dernières nouvelles du front ?
CHRISTIAN ECKERT
Ecoutez, je ne sais pas si on peut parler de front, mais en tout cas, une action résolue…
CLARA DUPONT-MONOD
C'est un combat !
CHRISTIAN ECKERT
Oui, une action résolue pour suivre un double-objectif, d'abord un objectif budgétaire, c'est vrai, mais aussi un objectif de cohésion sociale. Les Français sont souvent prêt à faire des efforts, mais ils ne comprennent, ils n'admettent pas, ils ont raison que certains puissent chercher à échapper à la contribution, à la charge publique, comme le prévoit la constitution et donc c'est une action révolue, on ne part pas de rien. Bernard CAZENEUVE avait posé des actions fortes, le Parlement avait porté beaucoup de mesures qui ont permis aux services fiscaux, à la justice, aux douanes, d'avoir des moyens supplémentaires, et aujourd'hui ça paie.
CLARA DUPONT-MONOD
Donc vous poursuivez, vous poursuivez et ça paie. Alors quelles seront les sommes dégagées ? Vous avez un plan ? Vous avez…
CHRISTIAN ECKERT
On a, on a la poursuite de l'action engagée et surtout engranger des résultats. Les résultats, c'est qu'aujourd'hui plusieurs centaines de dossiers de régularisation de ceux qui détiennent des avoirs, des comptes, de l'argent à l'étranger, qui n'avaient pas déclaré ces sommes, plusieurs centaines, toutes les semaines viennent spontanément le faire, ils ont intérêt d'ailleurs, parce que les échanges de plus en plus nombreux, les accords au niveau international y compris avec la Suisse, avec l'Autriche, avec le Luxembourg, vont de toute façon faire en sorte que nous pourrons savoir s'ils ont des biens à l'étranger, nous pourrons les assujettir à l'impôt donc ils viennent.
CLARA DUPONT-MONOD
Et donc ces repentis fiscaux vont représenter à peu près 1,8 milliard d'euros pour l'année 2014, c'est bien ça ?
CHRISTIAN ECKERT
Aujourd'hui a engrangé, si j'ose dire environ 750-800 millions d'euros de puis décembre 2013. Nous attendions un milliard pour cette année 2014, et donc tout laisse à croire que nous allons largement dépasser ce milliard prévu et nous avons acté une recette d'1,8 milliard, ce qui va nous permettre, la mesure fiscale qui est assumée, qui est donc financée grâce au résultat de la lutte contre la fraude, cette mesure que le Premier ministre a annoncé, que le Parlement devrait adopter dans les prochaines semaines qui permettra de sortir de l'impôt sur le revenu 1,8 millions de contribuables qui étaient entrés, je dirais à la limite du barème.
CLARA DUPONT-MONOD
Alors vous procédez en fait à un allègement fiscal, à un renflouement des caisses publiques qui est un projet durable, mais pour ça avec une mesure qui n'est pas pérenne. Autrement dit vous répondrez à un projet structurel par une mesure conjoncturelle. Est-ce qu'il n'y a pas un problème ?
CHRISTIAN ECKERT
Non, parce que les gens qui déclarent leurs avoirs à l'étranger, ces avoirs certes font l'objet de redressement, de rattrapage sur le passé, mais vont maintenant être connus du fisc, et donc continueront à être assujettis notamment à l'Impôt de Solidarité sur la Fortune, on est souvent sur des avoirs en moyenne de 900 000 euros aujourd'hui, donc des gens susceptibles de payer l'ISF. Et donc il y aura aussi des recettes pérennes, comme vous le dites, qui seront perçues à l'avenir sur ce qui a été régularisé.
CLARA DUPONT-MONOD
Alors Michel SAPIN dit dans LE PARISIEN ce matin : en 2016, au plus tard, la question des comptes cachés en Suisse, appartiendra au passé. Vous en avez pour l'instant régularisé 20 000, il en reste 60 000 en Suisse. Est-ce que ce n'est pas un pêché d'optimisme de penser qu'en 2016, tout sera assaini ?
CHRISTIAN ECKERT
Ecoutez, en tout cas, on aura beaucoup progressé ! Il y a eu, vous l'avez dit, en fait c'est 23 000 comptes qui ont été déclarés. 80 % de ces comptes viennent de Suisse, 7 % viennent du Luxembourg, il en reste venant d'autres pays. Mais les accords internationaux qui sont en cours de signature tant au niveau européen qu'au niveau mondial, montrent que le secret bancaire c'est terminé ! Alors ça ne s'arrête pas du jour au lendemain…
CLARA DUPONT-MONOD
Presque terminé ! Ce n'est pas…
CHRISTIAN ECKERT
Ca ne s'arrête pas du jour au lendemain, il faut un certain nombre de réglages et c'est justement cette période qui nous conduit à dire : attendez ! Faites-le spontanément, vous serez pénalisés parce qu'il y a des amendes qui sont infligées, elles sont de 15 % pour les fraudeurs passifs, ceux qui l'ont fait un peu par ignorance mais de 30 % pour les fraudeurs actifs, ceux qui l'ont fait volontairement, mais le jour où nous irons chercher grâce aux échanges d'informations les avoirs à l'étranger, à ce moment-là, les pénalités seront beaucoup plus fortes.
CLARA DUPONT-MONOD
Alors là, cela concerne les particuliers, mais qu'est-ce que vous faites Christian ECKERT des multinationales comme GOOGLE, comme AMAZON qui eux, pêchent par optimisation fiscale, là aussi, il y a un manque à gagner ?
CHRISTIAN ECKERT
Il y a un manque à gagner qui est probablement même plus important que celui sur les particuliers….
CLARA DUPONT-MONOD
Alors ?
CHRISTIAN ECKERT
C'est un souci permanent, nous avons un travail avec l'OCDE, nous avons un travail au niveau de l'Europe et au niveau mondial. Le Parlement a proposé, adopté, même un certain nombre d'amendements, ils ont fait l'objet de correction, voire d'annulation, par le Conseil Constitutionnel, nous reprenons le chantier, probablement peut-être, un peu au moment de la loi de finance rectificative mais surtout dans le « Real Finance » (phon), nous avons rencontré hier encore les députés qui travaillent sur ces sujets…
CLARA DUPONT-MONOD
Mais de ce côté-là, la lutte n'est pas aussi intense qu'envers les particuliers visiblement ?
CHRISTIAN ECKERT
Elle est tout à fait intense, il y a un certain nombre de dossiers dont je ne peux pas parler publiquement, puisqu'ils sont couverts par le secret fiscal. Mais croyez bien qu'y compris les noms que vous avez cités, font l'objet actuellement d'examens très attentifs.
CLARA DUPONT-MONOD
Après l'affaire CAHUZAC, Christian ECKERT, est-ce que c'est une façon pour le budget de se racheter une virginité ?
CHRISTIAN ECKERT
Je crois que c'est ce qu'attendent les Français. Je l'ai dit tout à l'heure, c'est un facteur de cohésion sociale. On ne peut pas admettre…
CLARA DUPONT-MONOD
Mais ça gauchise un peu l'image de Manuel VALLS, qui n'est pas complètement inutile à la veille des Européennes ?
CHRISTIAN ECKERT
Vous savez Manuel VALLS c'est quelqu'un de très rigoureux. J'ai moi-même une réputation de rigueur, nous serons rigoureux par rapport à la fraude, surtout par rapport à la fraude active et particulièrement attentif à la situation des entreprises.
CLARA DUPONT-MONOD
Merci, Christian ECKERT. Bonne journée !
CHRISTIAN ECKERT
Merci à vous.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 26 mai 2014