Déclaration de Mme Ségolène Royal, ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, sur le partage et la valorisation de la biodiversité et l'éducation à l'environnement, à Paris le 20 mai 2014.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Lancement de la semaine de la Fête de la nature et de la biodiversité au Muséum national d'histoire naturelle (MNHM) à Paris le 20 mai 2014

Texte intégral

Monsieur le Président du Muséum national d'histoire naturelle, cher Gilles Boeuf,
Monsieur le Président de l'association Fête de la Nature,
Mesdames et Messieurs les organisateurs et les partenaires de cette belle manifestation,
Je suis très heureuse d'en lancer aujourd'hui avec vous l'édition 2014 qui met, cette année, l'accent sur toutes les formes de biodiversité végétale dont nos villes, nos campagnes et nos montagnes sont riches, dans l'Hexagone et dans les outre-mers.
Je me réjouis que les milliers de manifestations gratuites, organisées à cette occasion dans la France entière, permettent à un très large public de tous les âges de s'émerveiller, de découvrir, de mieux comprendre l'infinie diversité de cette nature dont nous sommes partie prenante et de cette chaîne du vivant dont toutes les composantes sont intimement liées les unes aux autres.
Je salue l'exceptionnelle mobilisation de celles et ceux (associations, institutions scientifiques, organismes publics, entreprises privées, collectivités territoriales, amateurs passionnés) qui se mobilisent depuis des années et dont l'engagement fait la réussite de ce grand moment festif né de l'initiative conjointe du Comité français de l'Union internationale de conservation de la nature et du magazine Terre Sauvage.
D'autres pays commencent à nous emboîter le pas, inspirés par l'exemple français.
Le Muséum national d'histoire naturelle, qui nous accueille ce matin, y est très activement impliqué car, ici, on sait allier ces deux missions à mes yeux complémentaires : faire vivre l'exigence d'excellence d'une recherche de très haut niveau et diffuser largement la culture scientifique à tous, l'une et l'autre assorties de fortes convictions concernant la défense de notre capital naturel et de ses écosystèmes si étroitement interdépendants.
Je reviendrai d'ailleurs vous voir samedi prochain pour visiter le « Village de la Nature » installé au Jardin des Plantes, rencontrer les associations, prendre part à la démarche de sciences participatives « Vigie Nature » avec la Ligue de Protection des Oiseaux et débattre avec les spectateurs du film « Le plus beau pays du monde » à l'occasion de la projection gratuite organisée par le Ministère dans le grand amphithéâtre du Muséum.
Plaisir de se promener, de savourer la beauté des plantes sauvages, d'observer les singularités des espèces, des plus courantes aux plus rares, de découvrir leurs usages et leurs propriétés médicinales, de s'initier à la botanique, de partager des connaissances en faisant aussi la part du jeu et de l'art : c'est un peu tout cela et bien d'autres choses encore la Fête de la Nature. C'est aussi le temps fort, avec la Journée mondiale de la biodiversité dans deux jours, d'une vigilance et d'un travail au long cours de sensibilisation aux enjeux de cette biodiversité que vous appelez, cher Gilles Boeuf, « la fraction vivante de la nature », notre patrimoine commun trop longtemps malmené et aujourd'hui fragilisé, parfois même irrémédiablement entamé et appauvri.
Plus de 11.000 espèces animales sont aujourd'hui menacées d'extinction dans le monde et, avec elles, ce sont des connaissances précieuses et des découvertes à venir qui risquent de disparaître définitivement.
Ce sont des écosystèmes dont l'effacement est lourd de déséquilibres en cascades alors même qu'ils nous rendent, sans que nous en ayons toujours conscience, des services vitaux :
Pour l'agriculture et la régénération de la fertilité des sols,
Pour la régulation climatique et la protection de nos littoraux,
Pour l'épuration de l'air et de l'eau,
Pour la pollinisation nécessaire à la plupart des fruits et légumes que nous consommons,
Pour la résistance aux espèces invasives,
Pour les médicaments qui nous viennent d'abord de la nature (sans le saule blanc et la reine des prés, pas d'aspirine !).
Sans oublier ces services que l'on pourrait dire culturels :
La beauté de nos paysages terrestres et maritimes,
Le sentiment d'appartenir à un univers plus vaste que notre horizon quotidien (que décrit si bien Hubert Reeves quand il dit éprouver en forêt combien il participe de ce puissant courant de vie qui s'est déployé depuis des milliards d'années sur notre planète),
Ce pouvoir qu'a la nature de stimuler l'imagination de chacun et l'inspiration des poètes.
Et aussi ces modèles qu'elle offre aux chercheurs et aux ingénieurs, dont ils tirent les technologies les plus pointues, ce qu'on appelle biomimétisme ou bio-inspiration (une science passionnante, qui conduit par exemple à concevoir des ailes d'avion recourbées comme celle d'un rapace ou un béton performant et compostable imité du squelette d'éponges calcaires ou encore un système de ventilation dérivé de celui des termitières).
J'insiste sur l'importance de ces services écosystémiques car il n'en va pas simplement de la protection nécessaire d'espèces et d'espaces remarquables mais d'une vision plus large qui prend la mesure des interactions réciproques entre les êtres vivants et leurs milieux.
Robert Barbault, ce pionnier de l'approche systémique de la biodiversité, malheureusement disparu il y a quelques mois et dont la voix nous manque, avait recours à cette comparaison que je trouve très parlante : la dégradation de la biodiversité, disait-il, « c'est un peu comme un pull-over dont une maille saute. Cela peut ne pas sembler gênant mais quand il commence à s'effilocher intégralement, on se rend compte de l'importance de ces mailles ».
Bien sûr, il ne s'agit pas de mettre la nature sous cloche et de prétendre la figer. Il s'agit de préserver le potentiel encore existant et de permettre à l'évolution biologique de poursuivre à son rythme ses innovations.
La France est riche d'une exceptionnelle biodiversité, terrestre et maritime. Mais, malgré les progrès réalisés, notre capital naturel continue de se dégrader alors que nous pouvons redevenir une nation exemplaire.
La loi que je défendrai prochainement au Parlement porte une vision neuve en affirmant le principe de solidarité écologique, c'est-à-dire cette idée simple que, dans la chaîne du vivant, tout se tient et interagit.
Car, comme le disait jadis un chef indien,
« L'homme n'a pas tissé la toile de la vie.
Il n'est qu'un fil de cette toile.
Quoiqu'il fasse à la toile, il le fait à lui-même ».
Cette loi va donner un nouvel élan et de nouveaux outils pour stopper les destructions de la biodiversité et restaurer les écosystèmes dégradés.
Je remercie tous ceux qui se sont impliqués dans ce travail depuis des mois, voire davantage encore.
Et je suis particulièrement heureuse, vingt ans après avoir fait voter la loi sur le paysage, de reprendre ainsi le fil de la protection de la biodiversité.
Mais jamais une loi ne suffit.
C'est la prise conscience de chacun et l'engagement de tous les citoyens qui décupleront le mouvement déjà amorcé dans les territoires pour la protection, le partage et la valorisation de la biodiversité.
Il en va de la santé : une nature abîmée, stérilisée ou polluée, ce sont des maladies environnementales qui se développent.
Inversement, des études ont montré combien le contact régulier avec une nature en bon état de marche avait une incidence positive sur le comportement et les capacités d'apprentissage des enfants ou sur la convalescence de certains malades.
Il y a notamment de très intéressantes expériences réalisées avec des personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer mises en contact avec des éléments naturels.
Il en va aussi des enjeux de cette croissance verte qui doit être, à mes yeux, une croissance non prédatrice et porteuse d'un nouveau modèle de développement économique, de responsabilité écologique et de progrès humain.
Je suis convaincue que ce n'est pas contre la biodiversité mais grâce à elle que l'on peut créer et ancrer dans les territoires des emplois non délocalisables, parfois très qualifiés.
Je pense par exemple à toutes ces PME du génie écologique qui essaiment partout en France en aidant agriculteurs et entrepreneurs à intégrer dans leurs façons de faire la protection et la restauration de la biosphère. Il y a là un gisement d'activités nouvelles qui peuvent grandement améliorer la qualité de la vie dans notre pays.
Connaître et faire connaître, c'est toujours par là qu'il faut commencer : donner à chacun les moyens de savoir pour agir.
C'est pourquoi j'attache tant de prix à l'essor des « sciences participatives » dont le programme « Vigie Nature », piloté par le Muséum et dont Romain Julliard est le coordonnateur scientifique, est un remarquable exemple.
Sciences participatives, sciences collaboratives, sciences citoyennes, voire science partagée, ce n'est pas exactement la même chose mais cela témoigne de la formidable implication de citoyens, débutants, amateurs éclairés ou experts, qui se font les observateurs de la biodiversité et permettent, à condition que certaines conditions méthodologiques soient réunies, de collecter à grande échelle des informations extrêmement précieuses pour une meilleure connaissance scientifique de l'évolution de la flore, de la faune, de leurs milieux et de l'impact des changements climatiques.
La Ligue de protection des oiseaux est, je le sais, très ardemment partie prenante de cette démarche ainsi que France Nature Environnement.
Cette collaboration et cette co-construction des connaissances est à l'origine de véritables résultats scientifiques et contribue à éveiller plus largement l'intérêt du public.
Je crois aussi que l'éducation à l'environnement (et la formation des adultes car tous les métiers doivent désormais intégrer cette attention à la biodiversité) est essentielle pour l'épanouissement des enfants d'aujourd'hui et les décisions que demain ils prendront comme citoyens.
Nous avons, en Poitou-Charentes, beaucoup agi en ce sens dans les lycées dont la Région a la charge et les lycéens se sont montrés très motivés et très créatifs. Je souhaite généraliser cette expérience.
Le recteur de l'académie de Poitiers est l'auteur d'un excellent rapport sur le développement nécessaire de l'enseignement de la biodiversité, que je souhaite mettre en application sans tarder.
Il y formule 3 propositions que je trouve fort judicieuses :
- mettre en place dans les écoles primaires un « coin nature » qui permette aux enfants de se familiariser concrètement avec la biodiversité ;
- faire effectuer dans chaque collège un recensement de la biodiversité présente dans son quartier ou son village ;
- demander à chaque lycée de se poser une grande question relative à la biodiversité, de la traiter, d'en débattre et de la partager dans le cadre d'une démarche à la fois scientifique et citoyenne.
Troisième dimension très importante de cette sensibilisation : rendre plus accessibles les résultats et les questionnements de la recherche dont toutes les disciplines ont un éclairage à apporter au grand sujet éminemment transversal qu'est la biodiversité.
Je participerai dans deux jours à l'ouverture du colloque au Collège de France qu'organise Gilles Boeuf avec Hubert Reeves, président d'Humanité et Biodiversité, et Serge Haroche ainsi que nombre de chercheurs et spécialistes autour de cette magnifique question : « L'homme peut-il s'adapter à lui-même ? », examinée cette année sous l'angle des options futures et des marges d'acceptation envisageables.
Diffuser les savoirs, mettre en commun les connaissances, partager les états des lieux, aiguiser les curiosités, nourrir le débat public, c'est indispensable.
Mais il faut en même temps accélérer et approfondir l'action, pour obtenir sans tarder des résultats significatifs qui puissent faire boule de neige.
Je viens par exemple de signer le décret qui restitue enfin au Marais poitevin son label de Parc naturel régional. Il sera publié tout prochainement, et nous organiserons pour l'occasion un grand événement dans le Marais poitevin.
Je peux vous dire que je suis heureuse de cet aboutissement d'un long combat pour sauver ce qu'Henri IV appelait « la Venise verte » et qui représente, avec ses 100 000 hectares, la deuxième zone humide française et le plus grand des marais littoraux de l'Ouest.
Aménagé avec précaution au fil des siècles, cet ensemble d'une très grande richesse écologique a failli être sacrifié, il y a une vingtaine d'années, par la faute d'un tracé d'autoroute autoritaire, dont le moins qu'on puisse dire est qu'il procédait d'une insondable indifférence environnementale.
Grâce à la mobilisation des associations de défense de l'environnement et des maires des petites communes maraichines, grâce aussi au soutien de l'Etat et tout particulièrement de François Mitterrand qui en fit un des grands travaux présidentiels, avec la Grande pyramide du Louvre et l'Arche de La Défense ; le seul en milieu rural, le Marais Poitevin fut épargné.
Nous avons pu construire ensemble un projet de développement économique, social et culturel respectueux des équilibres écologiques fragiles de ce milieu remarquable. Le travail de reconquête de la biodiversité, avec notamment la préservation des continuités écologiques et une gestion équilibrée de l'eau, a porté ses fruits. Il a permis de retrouver ce label protecteur et mérité promis depuis… 2002.
Deuxième action forte de cette semaine de la Fête de la nature et de la biodiversité : je souhaite aujourd'hui anticiper l'interdiction des produits phytosanitaires pour les collectivités, qui doit intervenir en 2020, et fédérer toutes les énergies qui, sur le terrain, s'emploient à bannir l'usage des pesticides ravageurs pour la biodiversité et néfastes pour la santé. Il faut donner à ces démarches une plus grande visibilité et un fort pouvoir d'entraînement dans tout le pays.
Je présenterai jeudi prochain cette action « Villes et Villages sans pesticides », avec les associations et les représentants des communes qui réalisent déjà l'objectif « zéro pesticides » et recourent à des méthodes alternatives pour l'entretien des espaces végétalisés dont elles ont la charge (jardins publics, écoles, terrains de sport, cimetières).
Je me rendrai jeudi dans une école située à Paris, qui a banni les pesticides de tous les produits d'entretien et mène avec les enfants des projets de potagers biologiques.
Des Régions s'engagent comme Poitou-Charentes avec « Terres Saines » ou l'Ile de France avec Natureparif, des chartes comme celle des Fédérations régionales de défense contre les organismes nuisibles sont adoptées : des précurseurs de plus en plus nombreux prouvent qu'on peut se passer de ces substances nocives qui infiltrent l'air, l'eau, le sol.
Voilà deux ou trois choses que je souhaitais vous dire à l'occasion de cette riche édition 2014 de la Fête de la Nature.
J'invite tous les Français à ne pas bouder leur plaisir et à participer aux manifestations ouvertes à tous et organisées dans tous les territoires.
Encore merci et bravo à toutes celles et tous ceux qui s'y investissent, à ces milliers de bénévoles qui accomplissent avec enthousiasme une formidable tâche qui nous montre la voie et nous fait progresser collectivement.
Permettez-moi, pour finir, de citer un très grand poète qui me fit l'honneur de son amitié et dont l'oeuvre est un splendide herbier imaginaire qui n'évoque pas moins de 498 espèces végétales, avec une précision toute botanique enchâssée dans une langue incandescente.
Il s'appelait Aimé Césaire.
Les îles sont cette année mises à l'honneur par la Journée mondiale de la biodiversité : Aimé Césaire n'a cessé de célébrer la sienne, la Martinique.
Il aimait les « arbres amis », auxquels il rendait « visite et dévotions ».
« J'ai toujours été fasciné par l'arbre, a-t-il écrit. Il est partout, il m'inquiète, il m'intrigue, il me nourrit. Il y a la racine, l'accrochement au sol. Il y a le fût qui s'élève à la verticale. Il y a le motif de l'épanouissement du feuillage au soleil et de l'ombre protectrice.
A force de regarder les arbres, je suis devenu un peu arbre ».
Je vous remercie.
Source http://www.developpement-durable.gouv.fr, le 21 mai 2014