Déclaration de M. Alain Juppé, Premier ministre, en réponse à une question sur l'enfouissement des lignes électriques dans la vallée du Louvron, les atteintes à l'environnement, au Sénat le 1er février 1996.

Prononcé le 1er février 1996

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Circonstance : Séance de questions au gouvernement au Sénat le 1er février 1996

Texte intégral

M. le président. La parole est à M. Carle.
M. Jean-Claude Carle. Ma question s'adresse à M. le ministre de l'industrie, de La Poste et des télécommunications.
Le général de Gaulle savait que la puissance d'une nation dépend notamment de son indépendance énergétique. Cette vision des choses l'avait conduit à mettre en place la politique que l'on connaît et, à la suite des grands travaux hydroélectriques qu'elle a menés, la France a engagé un programme ambitieux de construction de centrales nucléaires.
L'histoire récente à montré le bien-fondé de cette décision. Je n'ose en effet, monsieur le ministre, imaginer quelle serait la situation économique de notre pays sans cette indépendance et sans cette sécurité énergétiques.
Le contexte économique difficile d'aujourd'hui nous incite à poursuivre dans cette voie afin d'assurer la sécurité de l'alimentation tant des personnes physiques que des acteurs économiques.
En revanche, cette énergie, réputée propre, présente dans son mode de transport des caractères d'agressivité parfois incompatibles avec la qualité de vie et l'environnement. L'implantation souvent très dense de pylônes supportant des lignes à haute et très haute tension dénature de façon sensible le paysage.
Je suis l'élu d'un département qui a la chance de bénéficier d'un cadre de vie exceptionnel, élément déterminant de son développement économique.
Certes, il est toujours facile de refaire l'histoire, mais ce n'est pas dans ma nature. En revanche, il est, je pense, de notre devoir de préserver l'avenir et d'être plus vigilants et plus exigeants sur les implantations futures.
Je voudrais d'ailleurs saluer la volonté de concertation d'EDF dans le cadre d'une politique de dialogue avec les collectivités locales. De nombreux point de blocage subsistent cependant, en, particulier avec les lignes à très haute tension.
Aujourd'hui, la technique permet l'enfouissement de ces lignes sur une distance assez longue, mais le passage en souterrain est souvent, selon EDF, beaucoup plus cher — jusqu'à vingt fois !
Se pose ainsi le problème du financement, car, si chacun s accorde à reconnaître que l'environnement n'a pas de prix, peu osent aborder le problème du coût.
C'est l'objet de ma question. Monsieur le Premier ministre, comment prendre en compte ce surcoût ? Est-ce du ressort de l'Etat, et donc du contribuable, du fournisseur ou de l'abonné ? Le cadre législatif actuel permet-il toutes ces solutions ?
Je n'ai pas évoqué, bien sûr, le rôle des collectivités locales, car c'est souvent sur ces dernières que l'on se défausse lorsque les crédits sont défaillants, comme le montrent des exemples dans d'autres domaines, en particulier la remise aux normes des bâtiments d'élevage ou, demain, des nouvelles directives sur l'eau et sur l'assainissement, qui sont autant de sources d'inquiétude pour les communes rurales.
Monsieur le Premier ministre, quelles mesures comptez-vous prendre pour faire face à une situation qui est de plus en plus d'actualité, de plus en plus aiguë et qui pose tout le problème du couple économie-écologie ? (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Alain Juppé, Premier ministre. Monsieur le sénateur, vous avez eu raison de rendre hommage à la perspicacité que, dans ce domaine comme dans d'autres, le général de Gaulle a eue en développant un programme d'énergie nucléaire qui assure aujourd'hui notre indépendance et qui nous permet de produire en abondance une électricité d'un coût très compétitif puisque, vous le savez, nous la vendons à nombre de nos partenaires européens.
Ce programme a été une grande réussite. C'est l'un des aliments de la croissance économique, qui est aujourd'hui plus que jamais nécessaire.
Il est cependant une autre exigence que nous devons de plus en plus prendre en compte, c'est la protection de l'environnement, tout simplement parce que c'est la France, c'est l'Europe, c'est la planète de nos enfants et de nos petits-enfants qui est en jeu.
La nécessaire conciliation. de cette double exigence de protection de l'environnement et de croissance économique, c'est ce qu'on appelle le développement durable.
Vous savez que la France s'est engagée, dans les instances internationales, à tout faire pour que la croissance économique puisse mieux prendre en compte le respect du patrimoine naturel et culturel.
J'en viens plus particulièrement à la question que vous posez, qui est celle de l'enfouissement des lignes électriques.
Comme vous-même, en Haute-Savoie, mais aussi dans d'autres régions, je suis choqué lorsque je vois des paysages uniques bouleversés par le passage de ces lignes sur des portiques de très grande amplitude qui constituent une atteinte durable à l'environnement. Il faut donc changer de politique en ce domaine.
A ce titre, après mûre réflexion et en concertation avec les différents ministres intéressés, je viens de prendre une décision qui, si elle ne concerne pas la Haute-Savoie, vous montrera la détermination du Gouvernement à aller dans ce sens.
J'ai décidé de ne pas autoriser l'engagement des travaux de construction de la ligne électrique de 400 000 volts Cazarilh-Aragon, qui devait traverser les Pyrénées.
J'ai en effet été particulièrement sensible aux efforts fournis depuis des années par les habitants de la vallée du Louron, qui ont fondé tout le développement économique de leur région sur la valorisation de leur patrimoine naturel et culturel.
Le choix du Gouvernement sur ce dossier marque bien notre souci à tous de faire de la défense de l'environnement, notamment du paysage, une priorité.
J'ai donc demandé au président d'EDF d'examiner avec l'ensemble des partenaires intéressés toutes les autres solutions - il en existe, j'en suis persuadé - permettant de développer les interconnexions électriques avec l'Espagne. Nous ne pouvons nous laisser mettre devant ce choix du tout ou rien que trop de techniciens prétendent parfois imposer aux politiques.
C'est dans cet esprit que M. Alphandéry ira sur le terrain rencontrer les partenaires locaux et engager avec eux une concertation.
Je suis conscient des problèmes qui vont se poser à nos partenaires espagnols. Nous avons la volonté de trouver, en concertation avec eux, des solutions alternatives. Les contacts nécessaires seront pris à cet effet sans délai.
Au-delà de ce cas particulier, qui est toutefois très symbolique de la politique que nous voulons conduire, j'indique que je vais demander aux ministres de l'industrie et de l'environnement ainsi qu'à EDF de mettre au point un programme plus ambitieux d'enfouissement des lignes électriques.
Les dirigeants de l'entreprise m'ont indiqué qu'ils étaient prêts à faire un effort financier supplémentaire en ce sens. Cela répond en partie à votre souci, mais ne suffira sans doute pas ; il faudra d'autres financements. Nous allons y réfléchir, mais l'enjeu est d'une telle importance pour l'avenir que la solidarité de toutes les collectivités et de toutes les entreprises intéressées devra se manifester. Voilà, je crois, la preuve d'un choix déterminé pour le développement durable. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)source http://www.senat.fr, le 17 juillet 2014