Déclaration de M. Alain Juppé, Premier ministre, en réponse à une question sur le conflit social et la volonté du gouvernement de négocier (régimes de retraite, contrat de plan SNCF, l'avenir des services publics), à l'Assemblée nationale le 13 décembre 1995.

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Circonstance : Séance de questions au gouvernement à l'Assemblée nationale le 13 décembre 1995

Texte intégral

M. le président. La parole est à M. Christian Daniel.
M. Christian Daniel. Ma question s'adresse à M. le Premier ministre et concerne notre situation sociale et économique.
Aujourd'hui, mercredi 13 décembre, notre pays est entré dans sa troisième semaine de grève et de paralysie. La situation est grave.
M. Didier Migaud. A qui la faute ?
M. Christian Daniel. Notre économie est en péril car trois semaines de grève, ce sont nombre de petites et moyennes entreprises, de commerçants et d'artisans au point mort, des baisses sensibles de chiffres d'affaires, une multiplication des situations de chômage technique, des livraisons non effectuées, des encaissements paralysés, une consommation qui s'effondre. Actuellement une entreprise sur quatre n'exclut pas le dépôt de bilan.
M. Jean Glavany. C'est l'arroseur arrosé !
M. Christian Daniel. Selon les experts, ces trois semaines de grève sont déjà à l'origine d'une baisse de notre production nationale de 0,2 point.
Monsieur le Premier ministre, depuis dimanche dernier, vous multipliez les ouvertures, vous offrez le dialogue, vous tendez la main, vous combattez les mensonges et la désinformation. (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française et du Centre.) Hier, en repoussant la censure, nous vous avons renouvelé notre soutien et signifié notre entière confiance.
M. Jean Glavany. C'est le dernier carré !
M. Christian Daniel. Aujourd'hui, il faut refuser la surenchère à laquelle certains sont tentés de se livrer. Désormais, il n'y a plus de motif à la grève. (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française et du Centre.) Il est temps que tous les Français reprennent le travail. Pouvez-vous, nous informer sur la situation de notre pays aujourd'hui ? (Mêmes mouvements sur les mêmes bancs.)
Mme Frédérique Bredin. Deux millions de personnes dans la rue !
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre. (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française et du Centre.)
M. Alain Juppé, Premier ministre. Depuis plusieurs semaines, et tout spécialement au cours des derniers jours, le Gouvernement s'est montré ouvert au dialogue, à la concertation, à la discussion. Des clarifications utiles ont ainsi pu être apportés aux partenaires sociaux et je voudrais les rappeler.
D'abord, pour sauvegarder la sécurité sociale, qui est la forme la plus achevée et la plus concrète de la solidarité et de la fraternité entre les Français, il faut, nous le savons bien tous, la réformer. Je vous ai proposé un plan cohérent et global de réforme et vous en avez approuvé les principes et les orientations à une très large majorité. J'en rappelle quelques têtes de chapitre.
Premièrement, faire du Parlement la clé de voûte de notre système de protection sociale, comme il est normal dans une démocratie.
Mme Frédérique Bredin. Et les ordonnances ?
M. Jean-Pierre Balligand. Et les mesures autoritaires !
M. le Premier ministre. Deuxièmement, mieux définir la chaîne des responsabilités, où, bien sûr, les partenaires sociaux doivent jouer tout leur rôle.
Troisièmement, refuser le rationnement des soins, qui a été trop souvent pratiqué dans le passé, et en particulier ne pas diminuer à nouveau les remboursements dont bénéficient les assurés.
Quatrièmement, donner à la maîtrise médicalisée des dépenses de santé toute sa portée concrète.
M. Pierre Mazeaud. Très bien !
M. le Premier ministre. Cinquièmement, réformer l'hôpital, avec pour seul critère celui de la qualité des soins.
Enfin, réformer le financement de la sécurité sociale de sorte qu'il pèse moins exclusivement que par le passé sur les salaires.
M. Pierre Mazeaud. Très bien !
M. le Premier ministre. C'est dans cet esprit que je vous ai d'ores et déjà proposé un élargissement de l'assiette aux revenus des placements financiers, ce qui n'avait pas été fait par le passé. (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie et du Centre.)
Ces principes, ces orientations, qui reçoivent d'ailleurs un soutien qui va très au-delà de la seule majorité parlementaire, on l'a bien vu ... (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste)... doivent être mis en oeuvre dans la concertation : telle est la volonté du Gouvernement. C'est la raison pour laquelle j'ai dit et je répète ici que les ordonnances donneront lieu aux consultations et aux concertations nécessaires, d'abord avec les commissions compétentes du Parlement, ensuite avec les partenaires sociaux et je le leur ai dit moi-même lundi dernier. Il en sera de même évidemment pour les projets de loi qui seront nécessaires.
M. Claude Bartolone. Alors, il fallait en débattre ici !
M. le Premier ministre. Ensuite, s'agissant des retraites dans la fonction publique et le service public, ce qu'on appelle les régimes spéciaux ou les régimes particuliers de retraite, je le répète : aucune modification de ces régimes n'a été décidée. La commission Le Vert, qui avait entrepris un simple travail de réflexion, est suspendue puisque la procédure n'a pas été comprise. Toutes les dispositions actuelles relatives à ces régimes restent donc en vigueur. Nous verrons, le moment venu, avec les organisations syndicales quel type de réflexions pourra, le cas échéant, être engagé.
Troisièmement, s'agissant du contrat de plan à la SNCF, pour les raisons que je vous ai exposées hier, le projet élaboré par l'Etat et la direction de l'entreprise est gelé. La négociation peut donc reprendre à zéro, d'abord au sein de l'entreprise, puis entre l'entreprise et les pouvoirs publics.
Enfin, quatrième chapitre des discussions que nous avons eues tout au long des jours qui viennent de s'écouler, s'agissant de l'avenir des services publics, nous sommes déterminés ? je l'ai dit ainsi que tous les ministres compétents ? à préserver les missions qu'ils assument dans la société française parce que, dans notre histoire et dans notre culture, les services publics ont une place qu'ils n'ont peut-être pas dans d'autres sociétés. Nous sommes prêts à rechercher, avec tous les partenaires concernés, les garanties souhaitables, qui pourraient être par exemple ? c'est une idée que j'ai lancée ? de nature constitutionnelle.
Sur ces bases, grâce à ces clarifications et à ces ouvertures...
Mme Martine David. Quel temps perdu !
M. le Premier ministre. ... je constate comme vous que, depuis ce matin, de nombreux appels à la reprise du travail ont été lancés...
Mme Martine David. Ah non !
M. le Premier ministre. ... par plusieurs organisations syndicales, et je m'en réjouis. Certaines organisations souhaitent poursuivre leur action, notamment samedi prochain, à huit jours des fêtes de Noël. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
M. le président. Je vous en prie, mes chers collègues, laissez M. le Premier ministre s'exprimer.
M. le Premier ministre. Nous sommes en démocratie : je respecte, comme vous, le droit de grève et le droit de manifester. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
Mais nous sommes en démocratie et je respecte donc aussi la volonté de travailler, le droit au travail et la liberté du travail. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française et du Centre.)
Je pense, comme vous toutes et vous tous, aux millions de Français qui, depuis des semaines, ne font pas grève et continuent à travailler dans des conditions souvent extrêmement difficiles.
Plusieurs députés du groupe du Rassemblement pour la République. Ils sont majoritaires !
M. Jean Glavany. Mais ils soutiennent la grève !
M. le Premier ministre. Je pense aussi à ceux qui ont fait grève et qui souhaitent aujourd'hui reprendre le travail.
M. Pierre Mazeaud. Très bien !
M. le Premier ministre. Je demande donc à chacun de réfléchir aux conséquences qu'aurait pour nous tous, pour nos entreprises ? car nos entreprises, c'est notre travail ? …
M. Christian Bataille. Il fallait y penser plus tôt !
M. le Premier ministre. ... pour nos salariés, la poursuite d'un mouvement qui n'a plus aujourd'hui, dans les secteurs où il se durcit, de véritables justifications revendicatives. (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française et du Centre.)
J'ajoute que je perçois et que je comprends, avec tout le Gouvernement, au-delà des revendications des secteurs en grève, l'inquiétude générale qui s'exprime sur l'avenir.
Cette inquiétude a un nom, nous le savons bien, celui de (« Juppé ! » sur les bancs du groupe socialiste ? « Maastricht » sur les bancs du groupe communiste) « chômage » : chômage de longue durée sur lequel nous avons commencé à marquer des points, chômage qui concerne toutes les catégories d'âge et d'activité de la population, chômage des jeunes tout particulièrement, qui lui, malheureusement, continue de croître.
Une fois encore, je veux appeler à une mobilisation contre le chômage. J'ai demandé ? j'en ai informé lundi dernier les organisations syndicales ? au ministre du travail et des affaires sociales de préparer une rencontre de tous les partenaires sociaux sur ce sujet. C'est ce qu'il a entrepris.
Je propose donc de présider moi-même, jeudi en huit, le 21 décembre, avec tous ceux qui le voudront bien, un sommet pour le travail et pour l'emploi, qui cherchera de nouvelles solutions en matière notamment d'emploi des jeunes, d'aménagement et de réduction du temps de travail.
Il faut maintenant sortir de la confrontation. Les conditions sont réunies.
Mme Martine David. Non !
M. le Premier ministre. Je demande à chacun, en son âme et conscience, de venir au rendez-vous de l'emploi, qui est aussi le rendez-vous de la France et des Français. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française et du Centre.)
M. le président. Nous en venons aux questions du groupe socialiste.
Source http://www.assemblee-nationale.fr, le 18 juillet 2014