Texte intégral
Chômage à la hausse, 35 heures à la traîne, fonds secrets : ancienne garde des Sceaux, aujourd'hui ministre de l'Emploi, Elisabeth Guigou se justifie. En répliquant à la droite, au Medef et à... Laurent Fabius.
La croissance ralentit, le chômage vient de remonter légèrement. Est-ce le début d'une nouvelle donne ?
Elisabeth Guigou. Je suis très attentive. Néanmoins, 2,3 % de croissance en 2001, même si c'est moins que prévu, cela reste un niveau soutenu. Quant au chômage, il serait hasardeux de faire des extrapolations. Nous savions que 2001 ne serait pas une année facile. La tendance de fond reste bonne.
Votre objectif est-il toujours de passer en dessous de la barre des 2 millions de chômeurs d'ici à décembre ?
Nos prévisions, c'est un taux de chômage à 8,5 %, contre 8,7 % en juin.
Ne redoutez-vous pas que la France soit " contaminée " par la déprime américaine ?
Rien ne nous permet de le croire. J'observe d'ailleurs qu'aux Etats-Unis on enregistre déjà des signes de reprise. Même s'il est normal que nous soyons touchés par l'essoufflement américain, par la stagnation du Japon et les problèmes que connaît l'Allemagne, la France a enregistré depuis 1997 de bien meilleurs résultats que ses voisins. Il n'est donc pas interdit de penser que nous continuerons à mieux résister qu'eux.
Quelle est la part des 35 heures dans le recul du chômage ?
On estime à 360 000 le nombre d'emplois créés ou préservés grâce à la réduction du temps de travail.
" A l'hôpital, les 35 heures ne se mettront en place que très progressivement " Laurent Fabius vous reproche d'avoir fait trop de concessions au PC en durcissant les mesures antilicenciements du projet de modernisation sociale...
Le gouvernement s'était fixé une ligne : pas de retour à l'autorisation administrative de licenciement, pas de judiciarisation des décisions. Ligne tenue. Mais, sur des décisions stratégiques qui mettent en jeu l'avenir d'une société, il est normal que les salariés aient leur mot à dire. Nous vivons dans une société où chaque citoyen réclame le droit à la parole. Comment les entreprises pourraient-elles rester à l'écart de pareille mutation ?
Les patrons de PME, relayés par Laurent Fabius, militent pour un assouplissement de la loi sur les 35 heures...
J'ai autant le souci des entreprises, en particulier des petites qui créent les emplois, que quiconque. Je ne suis pas hostile à un assouplissement, mais dans le cadre de la loi. C'est ce que nous venons de décider pour les hôtels, les cafés, les restaurants. Dans un secteur où la durée hebdomadaire du travail est aujourd'hui de 43 heures, la RTT va s'appliquer avec les aides de l'Etat, mais de façon progressive. L'objectif ici, c'est 2006. Nous réfléchissons en même temps à des adaptations particulières pour les entreprises de moins de dix salariés : je pense, par exemple, aux boulangers, qui ont des contraintes très spécifiques. La souplesse existe donc ! Cela dit, je veux être claire lorsqu'on me demande un relèvement du quota d'heures supplémentaires : si certains patrons pensent de la sorte pouvoir se dérober à la loi, ils se trompent. Je le répète : passer aux 35 heures, c'est leur intérêt. Quant à leurs salariés, ils ne comprendraient pas qu'on les prive d'une qualité de vie accrue. Car les 35 heures, c'est un changement historique : avec cette loi, on a changé la vie.
Loi de modernisation sociale, 35 heures dans les PME : Laurent Fabius se démarque...
Il a dit ce qu'il avait décidé de dire.
La droite plaide en faveur des " 35 heures à la carte "...
Si la droite entend revenir sur cette grande avancée sociale, je lui souhaite bon courage !
Syndicats et directeurs d'établissement attendent vos décisions sur les 35 heures à l'hôpital...
Nous avons toujours dit qu'à l'hôpital, contrairement au reste de la fonction publique, la RTT se fera avec créations d'emplois. Et ce sera très important. Cela étant, il reste un problème : celui de la pénurie des personnels, infirmières en tête. A l'hôpital, les 35 heures ne se mettront en place que très progressivement.
" Dans les fonds secrets, ce qui est choquant, c'est que ces sommes en liquide ne soient pas soumises à l'impôt " Vous avez invité le Medef à participer au Grenelle de la santé du 12 juillet. Ferez-vous un geste dans sa direction ?
Le patronat, comme les syndicats, a exprimé le souhait de voir clarifier les rôles respectifs des uns et des autres en matière de Sécurité sociale. A la mi-juin, Lionel Jospin a reçu un à un les partenaires sociaux, et nous engageons une nouvelle étape dans les relations des pouvoirs publics avec eux. Nous sommes attachés au système paritaire. Un départ du Medef n'est donc pas souhaitable.
Fallait-il attendre pour engager la réforme vitale du régime des retraites ?
Je réfute l'accusation d'immobilisme. D'abord, parce qu'en dopant la croissance, notre politique économique a permis de desserrer l'étau de l'urgence. Ensuite, parce que nous avons créé le fonds de réserve des retraites. Doté de près de 50 milliards de francs à la fin de l'année, et de 1 000 milliards en 2020, il permet de voir venir. Seule une vaste concertation permettra de faire aboutir cette réforme vitale. Oh, certes, nous pourrions édicter un décret demain matin, avec une explosion sociale à la clé. On a vu, avec Juppé en 1995, comment se soldaient les décisions brutales. A force de vouloir aller vite, le gouvernement de l'époque a fait perdre dix ans au pays.
Martine Aubry, dit-on, a laissé derrière elle des " bombes à retardement "...
Je récuse ce vocabulaire polémique. Gouverner, c'est enclencher des réformes, mais aussi les transformer en succès. En arrivant ici, je savais que mon travail ne serait pas facile, puisqu'il s'agissait de faire aboutir ces réformes dans la durée. Tout cela, c'est un travail d'équipe.
Faut-il supprimer la partie politique des fonds secrets ?
Il faut surtout supprimer l'opacité qui les entoure ! Tout le monde sait que chaque ministre dispose d'enveloppes pour rémunérer ses collaborateurs qui ont, chacun le sait, une lourde charge de travail. Ce qui est choquant, c'est que ces sommes en liquide ne soient pas soumises à l'impôt.
Que vous inspire le climat politique, nourri d'affaires et de billets d'avion ?
Je me suis battue pour l'indépendance de la justice quand j'étais garde des Sceaux. Ne comptez donc pas sur moi, aujourd'hui, pour commenter les affaires en cours. Nous proposerons d'ailleurs d'inscrire ce principe d'indépendance dans la Constitution. Parallèlement, nous réfléchissons à la possibilité de demander davantage de comptes aux juges. Quand j'étais place Vendôme, j'avais lancé l'idée de réformer le Conseil de la magistrature. Cette proposition devra être inscrite dans la Constitution.
Préférez-vous que ce soient les électeurs ou les juges qui choisissent le prochain président ?
Les juges font leur travail. Seuls les électeurs éliront le prochain président. Et c'est bien comme cela.
Propos recueillis par Dominique de Montvalon, Jean-Marc Plantade et Odile Plich
(source http://www.leparisien.com, le 9 juillet 2001)
La croissance ralentit, le chômage vient de remonter légèrement. Est-ce le début d'une nouvelle donne ?
Elisabeth Guigou. Je suis très attentive. Néanmoins, 2,3 % de croissance en 2001, même si c'est moins que prévu, cela reste un niveau soutenu. Quant au chômage, il serait hasardeux de faire des extrapolations. Nous savions que 2001 ne serait pas une année facile. La tendance de fond reste bonne.
Votre objectif est-il toujours de passer en dessous de la barre des 2 millions de chômeurs d'ici à décembre ?
Nos prévisions, c'est un taux de chômage à 8,5 %, contre 8,7 % en juin.
Ne redoutez-vous pas que la France soit " contaminée " par la déprime américaine ?
Rien ne nous permet de le croire. J'observe d'ailleurs qu'aux Etats-Unis on enregistre déjà des signes de reprise. Même s'il est normal que nous soyons touchés par l'essoufflement américain, par la stagnation du Japon et les problèmes que connaît l'Allemagne, la France a enregistré depuis 1997 de bien meilleurs résultats que ses voisins. Il n'est donc pas interdit de penser que nous continuerons à mieux résister qu'eux.
Quelle est la part des 35 heures dans le recul du chômage ?
On estime à 360 000 le nombre d'emplois créés ou préservés grâce à la réduction du temps de travail.
" A l'hôpital, les 35 heures ne se mettront en place que très progressivement " Laurent Fabius vous reproche d'avoir fait trop de concessions au PC en durcissant les mesures antilicenciements du projet de modernisation sociale...
Le gouvernement s'était fixé une ligne : pas de retour à l'autorisation administrative de licenciement, pas de judiciarisation des décisions. Ligne tenue. Mais, sur des décisions stratégiques qui mettent en jeu l'avenir d'une société, il est normal que les salariés aient leur mot à dire. Nous vivons dans une société où chaque citoyen réclame le droit à la parole. Comment les entreprises pourraient-elles rester à l'écart de pareille mutation ?
Les patrons de PME, relayés par Laurent Fabius, militent pour un assouplissement de la loi sur les 35 heures...
J'ai autant le souci des entreprises, en particulier des petites qui créent les emplois, que quiconque. Je ne suis pas hostile à un assouplissement, mais dans le cadre de la loi. C'est ce que nous venons de décider pour les hôtels, les cafés, les restaurants. Dans un secteur où la durée hebdomadaire du travail est aujourd'hui de 43 heures, la RTT va s'appliquer avec les aides de l'Etat, mais de façon progressive. L'objectif ici, c'est 2006. Nous réfléchissons en même temps à des adaptations particulières pour les entreprises de moins de dix salariés : je pense, par exemple, aux boulangers, qui ont des contraintes très spécifiques. La souplesse existe donc ! Cela dit, je veux être claire lorsqu'on me demande un relèvement du quota d'heures supplémentaires : si certains patrons pensent de la sorte pouvoir se dérober à la loi, ils se trompent. Je le répète : passer aux 35 heures, c'est leur intérêt. Quant à leurs salariés, ils ne comprendraient pas qu'on les prive d'une qualité de vie accrue. Car les 35 heures, c'est un changement historique : avec cette loi, on a changé la vie.
Loi de modernisation sociale, 35 heures dans les PME : Laurent Fabius se démarque...
Il a dit ce qu'il avait décidé de dire.
La droite plaide en faveur des " 35 heures à la carte "...
Si la droite entend revenir sur cette grande avancée sociale, je lui souhaite bon courage !
Syndicats et directeurs d'établissement attendent vos décisions sur les 35 heures à l'hôpital...
Nous avons toujours dit qu'à l'hôpital, contrairement au reste de la fonction publique, la RTT se fera avec créations d'emplois. Et ce sera très important. Cela étant, il reste un problème : celui de la pénurie des personnels, infirmières en tête. A l'hôpital, les 35 heures ne se mettront en place que très progressivement.
" Dans les fonds secrets, ce qui est choquant, c'est que ces sommes en liquide ne soient pas soumises à l'impôt " Vous avez invité le Medef à participer au Grenelle de la santé du 12 juillet. Ferez-vous un geste dans sa direction ?
Le patronat, comme les syndicats, a exprimé le souhait de voir clarifier les rôles respectifs des uns et des autres en matière de Sécurité sociale. A la mi-juin, Lionel Jospin a reçu un à un les partenaires sociaux, et nous engageons une nouvelle étape dans les relations des pouvoirs publics avec eux. Nous sommes attachés au système paritaire. Un départ du Medef n'est donc pas souhaitable.
Fallait-il attendre pour engager la réforme vitale du régime des retraites ?
Je réfute l'accusation d'immobilisme. D'abord, parce qu'en dopant la croissance, notre politique économique a permis de desserrer l'étau de l'urgence. Ensuite, parce que nous avons créé le fonds de réserve des retraites. Doté de près de 50 milliards de francs à la fin de l'année, et de 1 000 milliards en 2020, il permet de voir venir. Seule une vaste concertation permettra de faire aboutir cette réforme vitale. Oh, certes, nous pourrions édicter un décret demain matin, avec une explosion sociale à la clé. On a vu, avec Juppé en 1995, comment se soldaient les décisions brutales. A force de vouloir aller vite, le gouvernement de l'époque a fait perdre dix ans au pays.
Martine Aubry, dit-on, a laissé derrière elle des " bombes à retardement "...
Je récuse ce vocabulaire polémique. Gouverner, c'est enclencher des réformes, mais aussi les transformer en succès. En arrivant ici, je savais que mon travail ne serait pas facile, puisqu'il s'agissait de faire aboutir ces réformes dans la durée. Tout cela, c'est un travail d'équipe.
Faut-il supprimer la partie politique des fonds secrets ?
Il faut surtout supprimer l'opacité qui les entoure ! Tout le monde sait que chaque ministre dispose d'enveloppes pour rémunérer ses collaborateurs qui ont, chacun le sait, une lourde charge de travail. Ce qui est choquant, c'est que ces sommes en liquide ne soient pas soumises à l'impôt.
Que vous inspire le climat politique, nourri d'affaires et de billets d'avion ?
Je me suis battue pour l'indépendance de la justice quand j'étais garde des Sceaux. Ne comptez donc pas sur moi, aujourd'hui, pour commenter les affaires en cours. Nous proposerons d'ailleurs d'inscrire ce principe d'indépendance dans la Constitution. Parallèlement, nous réfléchissons à la possibilité de demander davantage de comptes aux juges. Quand j'étais place Vendôme, j'avais lancé l'idée de réformer le Conseil de la magistrature. Cette proposition devra être inscrite dans la Constitution.
Préférez-vous que ce soient les électeurs ou les juges qui choisissent le prochain président ?
Les juges font leur travail. Seuls les électeurs éliront le prochain président. Et c'est bien comme cela.
Propos recueillis par Dominique de Montvalon, Jean-Marc Plantade et Odile Plich
(source http://www.leparisien.com, le 9 juillet 2001)