Déclaration de M. Philippe de Villiers, président du Mouvement pour la France, sur la bioéthique, à l'Assemblée nationale le 1er octobre 2001.

Prononcé le 1er octobre 2001

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Circonstance : Colloque "La bioéthique entre confusion et responsabilité" à l'Assemblée nationale le 1er octobre 2001

Texte intégral

En écoutant les intervenants, chacun d'entre nous pouvait se souvenir de ce qu'avait dit à une certaine époque le très regretté Professeur Jérôme Lejeune : "Finalement le XXème siècle a été le siècle de la tentation prométhéenne et le siècle suivant sera celui de la tentation faustienne".
- Tentation prométhéenne, quand l'homme a cherché à dérober le feu, le feu nucléaire, avec les dangers durables de cette trouvaille.
- Tentation faustienne, quand l'homme cherche à dérober la vie, quitte à perdre l'humanité entière et sa propre humanité.
Je pense souvent au discours de Harvard, qu'Alexandre Soljenitsyne nous avait rappelé en 1993, lorsqu'il était venu en France. A nouveau, il nous avait dit : "Les hommes ont besoin de faire des lois quand il n'y a plus de murs".
Et c'est vrai que, pendant longtemps, très longtemps, il n'y a pas eu besoin ni de bioéthique, ni de lois. Les deux serments de la tradition humaine suffisaient : le serment d'Hippocrate et le serment d'Antigone.
Le serment d'Hippocrate, c'est la conscience, l'homme et sa conscience face à la souffrance et à la maladie, la grandeur du médecin : " tu ne tueras pas. "
Et Antigone : le respect de la mort, le droit d'enterrer son frère, donc le respect de la vie.
Or, aujourd'hui, on voit que la conscience s'est en quelque sorte éclipsée, obscurcie, et que la notion même de respect est submergée, balayée, par ce qu'on appelle les progrès de la science. Et on voudrait nous dire, et nous serions tentés de croire, que la science est en avance sur la loi et qu'il serait urgent que la loi rattrape la science.
En d'autres termes, nous avons en France, depuis un certain nombre d'années, et peut-être même en Europe, accepté la dissociation progressive, qui était impensable du temps de nos grands-parents, entre la Loi et la loi, entre la loi morale et la loi positive, entre la loi faite par les juristes et la loi inscrite dans le cur des gens.
C'est pourquoi, je voudrais aborder, en tant qu'homme politique, après le Sénateur Bernard Seillier, et en soulignant ce qu'il a dit d'une manière définitive, me semble-t-il, le rôle du politique. Ceci est d'autant plus important, que dans les semaines qui viennent, les lois sur la bioéthique vont revenir au Parlement, devant la Chambre des députés et le Sénat.
I. Une nouvelle problématique :
Il me semble donc qu'il y a une nouvelle problématique, qui repose sur des phénomènes récents et inédits. J'en décrirai trois rapidement.
1. Les découvertes et les initiatives des chercheurs
Le premier phénomène, ce sont les découvertes et les initiatives des chercheurs.
En effet, il suffit de citer le clonage et la connaissance du génome humaine, pour mesurer aussitôt que nous sommes aux portes d'un autre monde.
Et là, l'homme politique est face à au moins trois types d'intérêts contradictoires :
- L'intérêt du patient.
Cela a été dit à cette tribune et dans la salle, nous sommes, là, dans une région de très haute affectivité. Un père, une mère qui pensent à leur enfant malade atteint d'une maladie incurable, se tournent vers la science et lui disent : "Pressez-vous, je suis prêt à tout pour guérir mon fils, ma fille"formidable pression du patient, pression de l'immédiate détresse.
- L'intérêt des chercheurs.
Pour un patient, tout ce qu'on peut tenter doit être tenté.
Pour un chercheur, tout ce qu'on peut trouver doit être recherché.
A l'évidence, nous ne sommes plus au temps de Pasteur qui disait en confidence : "Je ne sortirai pas de mon laboratoire si j'ai trouvé quelque chose de mal sans avoir trouvé quelque chose qui en soit l'antidote".
- L'intérêt des industriels,
L'intérêt des entreprises de biotechnologie. Intérêt puissant d'un groupe de pression qui pèse lourd et qui est discret. Qui pèse d'autant plus lourd qu'il est discret.
" Tout ce qu'on peut commercialiser doit être mis sur le marché ", voilà la norme.
" Tout ce qu'on peut inventer, tout ce qu'on peut rechercher, tout ce qu'on peut trouver doit être inventé, cherché, découvert. "
" Tout ce qu'on peut tenter, il faut le tenter, tout ce qu'on peut commercialiser, il faut le mettre sur le marché. "
Vous voyez bien que s'il n'y a pas, à un moment donné, un dénouement de ces contradictions par le haut, l'humanité court à sa perte.
2. La dérive de la société
Or, il y a un deuxième phénomène, qui connaît une accélération formidable ces dernières années : la dérive de la société.
La dérive, c'est-à-dire la confusion des esprits.
Nous sommes passés d'une logique de la dignité à une logique consumériste.
Prenez les quatre derniers exemples :
- Le PACS, avec la future adoption des enfants par les couples homosexuels. Cela signifie que la notion de famille n'a plus aucun sens. " Je désire un enfant et peu importe son équilibre affectif. "
- La pilule abortive à l'école, comme si les professeurs étaient des infirmières ou des médecins : logique consumériste ! !
- L'avortement à douze semaines, passé de dix à douze semaines, alors qu'on nous avait dit et promis : "cela ne bougera plus puisque c'est réservé aux cas d'extrême détresse".
- Et puis naturellement, l'arrêt Perruche qui donne le droit - on n'ose pas l'exprimer tellement c'est incroyable - à un enfant handicapé d'être indemnisé parce qu'on l'a fait naître !
Le droit d'être indemnisé parce qu'on a vécu !
Nous sommes au bord de ce que Mère Térésa a appelé justement une " société de violence ". Et d'ailleurs, la boucle sera bouclée lorsque viendra le débat sur l'euthanasie, ardemment souhaité par ce cher docteur Kouchner, humanitaire entre les humanitaires.
Avec l'avortement, la société a donné le droit aux parents d'éliminer les enfants. Avec l'euthanasie, la société donnera le droit aux enfants d'éliminer les parents ! Et la boucle sera ainsi bouclée.
C'est-à-dire, le droit - c'est ça la " société de violence " - le droit d'éliminer le voisin. Et l'avenir - car il y a une question qui domine toutes les autres, qui domine la morale et qui touche à la métaphysique de l'être - c'est l'incroyable collapsus démographique au cur duquel nous nous trouvons. Un collapsus que décrit M. Roland Hureaux, dans un livre écrit récemment : "Le temps des derniers hommes".
3. La pratique des dominos
Troisième phénomène inédit : la fameuse pratique des dominos, appliquée à la loi et appliquée à la science.
On légifère sur l'exception.
On la met en exergue comme exceptionnelle, et exceptionnellement touchante.
Ce qui veut dire, que toute personne qui n'est pas touchée par cette exception est réputée inhumaine, monstrueuse! Et à partir de cette brèche, l'exception, peu à peu, devient la règle :
- 1974 : " Ultime recours ".
- Puis : " droit de la femme ".
- Et maintenant : " droit de l'enfant " avec l'arrêt Perruche.
- Et c'est la même chose qui se prépare avec le diagnostic pré-implantatoire. Dans un premier temps, on s'en tient à des cas considérés comme incontestables, et, petit à petit, on va vers la sélection du patrimoine génétique.
II. Le politique doit faire uvre de paix :
Alors, face à ces phénomènes nouveaux, que doit faire l'homme politique ?
Il doit faire uvre de paix.
Je pèse mes mots. Nous ne sommes pas les violents. Nous, nous voulons la paix, :
- la paix civile,
- la paix des curs,
- la paix de l'humanité avec elle-même.
Ce qui implique : le discernement et la norme.
La vocation, la mission de l'homme politique, c'est le discernement. Et ce qu'on attend de lui, c'est de dire la norme. Et la norme c'est la dignité humaine.
Tout ce qui s'éloigne de la dignité humaine ne peut pas entrer dans la vocation de l'homme politique. Ce n'est plus de la démocratie, c'est de la démagogie. Il est difficile, avec un régime d'opinion - mais c'est nécessaire - de concilier la norme et les souhaits immédiats, les caprices de l'opinion. Mais c'est l'honneur et la grandeur de la politique de le tenter.
1. Avoir le courage des mots
Alors, pour y parvenir, il faut d'abord avoir le courage des mots.
Toutes les guerres perdues sont des guerres de mots perdus.
Permettez une comparaison qui me fait sortir du sujet un instant : la lutte contre le terrorisme en Corse a été perdue lorsque les hommes politiques français, à la quasi-unanimité, ont accepté d'utiliser l'expression "nationaliste corse". A partir du moment où les séparatistes corses ont fait admettre aux hommes politiques de la métropole qu'ils n'étaient pas des " terroristes " ou des " séparatistes ", mais des " nationalistes ", cela voulait dire " il existe une nation corse ". Et s'il y a une " nation corse ", alors les dés roulent, c'est l'indépendance assurée.
De la même manière que vous exigez, nous exigeons de la recherche scientifique, la " rigueur scientifique ", on devrait du milieu politique la rigueur sémantique. C'est le pendant de la rigueur scientifique.
Et si nous avions un peu de rigueur sémantique, nous n'accepterions pas de rentrer dans les trous de souris comme, par exemple, la distinction entre le clonage thérapeutique et le clonage reproductif. Parce que, quand on y réfléchit, il est bien évident que le problème est le même sur le plan philosophique et sur le plan des conséquences pratiques.
Il en va de même pour le Diagnostic pré-implantatoire (DPI). Pour faire bref, c'est une pratique eugéniste, qui est un instrument de sélection fondé sur le patrimoine génétique. C'est-à-dire, qu'on se prépare, après ces contournements de la sémantique visant à faire admettre une sélection de l'espèce, à mettre en place deux humanités côte à côte, deux sortes d'embryon et donc deux sortes de personnes, deux sortes de sujets de droit :
- ceux qui ont le droit de vivre,
- et ceux qui n'ont pas le droit de vivre et sur lesquels on peut expérimenter.
L'homme politique doit faire " uvre de paix ", c'est-à-dire appeler un chat, un chat ; un crime, un crime.
L'embryon n'est pas à moitié sujet, à moitié objet.
2. Imposer, par la loi, une barrière morale
Avoir le courage des mots et imposer par la loi une barrière morale. La société a besoin d'une barrière morale. Cette barrière morale, dans une société civilisée, n'a même pas besoin d'être formulée : elle est implicite, elle est invisible, elle est évidente.
Aujourd'hui, les choses sont plus compliquées et la bonne pédagogie, c'est de ramener les exemples à venir à des faits passés : on peut dire, par exemple, que la traite des embryons, le commerce des ovules rappellent l'esclavage. C'est-à-dire, la chosification, la réification d'une partie de l'humanité.
De la même manière, on peut dire que la sélection de l'espèce - Bernard Seillier le disait tout à l'heure sans ambages - rappelle la sélection de la race.
Il faut songer à ce que seraient demain les cabinets d'assurance, les cabinets de recrutement et que seraient les chasseurs de têtes, si on admet la logique de la " carte génétique " à la portée de tous. Cela veut dire, que, demain, on dira à quelqu'un : "Monsieur, je ne vous embauche pas parce que j'ai vu qu'à partir de cinquante ans vous développerez une maladie terrible".
Bref, on peut, à ce moment-là, éliminer quiconque en fonction d'une affection à venir, détectée dans la carte génétique. C'est, naturellement, un monde insupportable!
En d'autres termes, l'homme politique ne doit pas encadrer la science, comme pour la contraindre et l'empêcher. La liberté de l'homme politique ne s'oppose pas à la liberté du scientifique. Elle oriente la liberté du scientifique. Par exemple, nous avons bien compris qu'orienter la recherche pour ce qui concerne les cellules souches, c'est orienter la recherche vers les cellules souches adultes plutôt que vers les cellules souches embryonnaires. Cela coûte plus cher. Eh bien tant pis ! Parce que c'est le prix de l'humanité.
III. Le politique doit veiller au principe de précaution :
Enfin, je serais tenté de dire, en utilisant une expression très au goût du jour, mais qui curieusement n'est jamais utilisée pour la bioéthique, l'homme politique doit veiller au principe de précaution.
Le principe de précaution :
- Cela veut dire d'abord affirmer le respect de tout être humain.
- Cela veut dire, affirmer que l'être humain est une personne digne de respect et titulaire de droits juridiques depuis la conception jusqu'à la mort naturelle.
- Cela veut dire, maintenir que le corps humain ne doit pas être une source de profits et interdire la brevetabilité du génome humain ou de ses séquences.
- Cela veut dire, s'opposer aux pratiques eugéniques et à toutes manipulations des gènes.
- Cela veut dire interdire le clonage des êtres humains, qu'ils soient reproductifs ou thérapeutiques.
- Cela veut dire, déclarer par la loi, que la vie constituant le bien essentiel de tout être humain, nul n'est recevable à demander une indemnisation du fait de sa naissance.
- Cela veut dire, protéger le don de la vie, c'est-à-dire faire du droit à la vie un droit constitutionnellement reconnu et protégé.
- Cela veut dire, comme je l'ai fait dans mon département en Vendée - parce qu'il y a des gens qui parlent et il y a des gens qui réalisent, et nul n'est propriétaire de la morale publique -, créer dans tous les départements des centres d'accueil et de conseils pour les femmes enceintes en situation de détresse : la " Maison d'Ariane ". Donner à ces centres d'accueil des moyens effectifs pour accompagner psychologiquement et financièrement celles qui souhaitent garder leur enfant, et pour leur offrir ultérieurement des solutions de soutien ou d'adoption.
- Et cela veut dire, enfin, et c'est aussi important - on n'en a pas parlé parce que ce n'était pas le sujet mais c'est quelque chose qui nous touche tous de très près - assurer la dignité de la fin de la vie. C'est-à-dire maintenir fermement le principe d'interdiction de l'euthanasie, développer les unités de soins palliatifs, et favoriser le recrutement des personnels d'accompagnement travaillant soit dans ces unités de soins palliatifs, soit par des visites à domicile.
Une société se juge à la qualité du regard qu'on porte sur les plus petits et sur les plus anciens. Car, il y a quelque chose qu'on ne peut pas appréhender, qu'on ne peut pas même deviner, c'est la vie intérieure.
Nous sommes au cur de ce que les sociologues, les géostratèges appellent les trois révolutions :
- La première, c'est la révolution économique de la globalisation, la mondialisation.
Avec évidemment un corollaire, le danger de l'homme pion, au nom d'un néo-cosmopolitisme planétaire qui finirait par l'usine unique, la ferme unique, la culture unique, l'homme unique qui voit se briser un à un ses attachements vitaux.
- La deuxième révolution, c'est la révolution informatique, l'unification du monde, le village global, qui araserait les singularités et les identités familiales, régionales et culturelles.
C'est le danger de l'homme déraciné : déracinement géographique et conceptuel.
- Et la troisième révolution, celle dont on parle aujourd'hui, la révolution génétique, avec le danger de l'homme matériau, le passage du sujet à l'objet.
Il est quand même curieux - le Professeur Memeteau le disait tout à l'heure - qu'on s'apprête à faire de l'embryon un matériau dans lequel on peut puiser, prélever, au moment où l'on va élever l'arbre à la dignité d'un sujet titulaire de droits, le droit de vivre !
Si l'on veut que l'innocence ne soit plus sommée de fournir ses justifications,
si l'on veut en finir avec les crimes de logique,
il faut en appeler à un critère distinctif plus haut que les critères des assemblées.
Ce critère, comment l'appeler autrement que " le caractère mystérieusement irréductible de la personne humaine ", c'est-à-dire une petite flamme fragile mais qui éclaire les chemins de crête, tient éveillée les cordées assoupies.
Tout à l'heure, en écoutant les scientifiques, je pensais à une phrase de Camus qui pourrait être la nôtre, qui sera sans doute celle de la génération qui nous suivra, plus exigeante que la nôtre, "les générations qui nous ont précédé ont cru qu'elles avaient à refaire le monde, la nôtre devrait se contenter d'une mission : éviter que le monde ne se défasse".
(Source http://www.mpf-villiers.org, le 17 octobre 2001)