Déclaration de M. François Huwart, secrétaire d'État au commerce extérieur, sur les réponses que doivent apporter l'Europe et les organismes internationaux aux défis posés par la mondialisation économique, notamment les inégalités de la concurrence sociale et fiscale, Rouen, le 7 juin 2001.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Conférence sur la mondialisation à l'université de Rouen, le 7 juin 2001

Texte intégral

Mesdames et Messieurs,
Je suis très heureux de cette occasion qui m'est donnée d'évoquer devant vous quelques pistes de réflexion sur le phénomène de la mondialisation qui cristallise parfois les angoisses les moins raisonnées ou les espérances les plus imprudentes.
Economistes libéraux et capitaines d'industrie vous présentent la mondialisation comme un jeu sans perdants. Les acquis de la pensée économique libérale, depuis la démonstration ricardienne des avantages comparatifs jusqu'aux raffinements théoriques plus récents, semblent aujourd'hui corroborés par une création de richesses sans précédent.
On exporte pour pouvoir importer et consommer au meilleur prix pour le plus grand bien être du consommateur.
Les perdants sont pourtant nombreux ; quelques-uns ont été placés sous les feux de l'actualité récente. Je pense d'ailleurs tout autant aux employés Moulinex qu'aux restructurations qui touchent les équipementiers automobiles ou le secteur des NTIC. A eux, comme à beaucoup d'autres, les bénéfices du libre-échange et de l'intégration économique croissante risquent d'apparaître trop théoriques.
Malgré tout, une société civile européenne, et au-delà, mondiale se dessine et prend vie à travers un grand nombre d'organisations non-gouvernementales, de syndicats, d'élus et de parlementaires. Le sentiment d'un destin commun à tous les citoyens du monde apparaît moins utopique que jamais et dans le même temps, la nature inégalitaire de la mondialisation n'en apparaît que plus insupportable.
Pour répondre à ce paradoxe, l'Europe doit aider à construire une mondialisation politique qui fasse pendant à la mondialisation économique.
Je vous parle d'Europe, car nous partageons avec nos partenaires de l'Union des valeurs et une vision commune de la mondialisation qui nous engagent à infléchir le cours de ce fleuve impassible de la mondialisation.
Nous partageons, je crois, cette conviction profonde que l'homme est un animal politique, et non simplement un " homo economicus ", que l'homme est un citoyen et non simplement un consommateur ou un producteur. Ce qui revient à dire que nous considérons toujours l'économie comme un moyen et non comme une fin.
La seconde certitude est que la seule source légitime de l'organisation de la société est la démocratie ; cette démocratie qui atteint le juste équilibre de la liberté et de l'égalité en édictant ses règles et ses lois.
Quelles conséquences devons-nous tirer de ces principes?
Je dirais d'abord que si nous acceptons les promesses économiques de la mondialisation, nous ne voulons pas en méconnaître les défis politiques.
Nous reconnaissons les avantages potentiels du libre-échange, qui permet aujourd'hui une création de richesses sans précédent. La spécialisation assure une meilleure allocation des ressources et entraîne des gains d'efficacité et donc une augmentation du bien-être national: les consommateurs ont accès à des gammes de produits plus larges et à des prix inférieurs, en comparaison d'une situation d'autarcie. Serions-nous prêts à payer le prix de l'autarcie: moindre pouvoir d'achat, moindre choix pour les consommateurs que nous sommes, moindre bien-être collectif et moins de croissance?
Je ne le crois pas, et d'ailleurs, nous autres Européens, avons en mémoire l'exemple du défunt COMECON et de l'ex-URSS: une économie protectionniste offre des biens et des produits moins nombreux et de moins bonne qualité, tout en étant moins respectueuse de la nature. Faut-il pour autant passer à des politiques brutales de déréglementation et de dérégulation internationales?
Evidemment non. Le marché, même s'il est globalement efficace, connaît des défaillances à l'échelle nationale. On le découvre de façon éclatante aux Etats-Unis dans le domaine de l'énergie, en Californie ou bientôt à New York. Il est donc naturel qu'au niveau mondial les forces du marché se révèlent également insuffisantes.
Pour répartir les bénéfices de la croissance de manière plus équitable comme pour faire face au réchauffement climatique lié aux gaz à effet de serre, ou permettre aux malades du sida en Afrique d'avoir accès aux traitements efficaces, une volonté politique doit accompagner et encadrer l'intégration économique.
Cette mondialisation politique que l'Europe appelle de ses vux repose donc sur deux principes: la régulation et la solidarité. Il s'agit de donner des règles à l'échange international pour en garantir l'équité. Il s'agit d'être solidaire avec les plus pauvres pour être fidèles à nos valeurs.
* * *
I. Quelques idées reçues.
Avant de développer ces deux axes forts de notre action, régulation et solidarité, entendons-nous d'abord sur le phénomène de la mondialisation. Il me paraît nécessaire de dissiper d'emblée quelques idées reçues. Les inquiétudes exprimées par les manifestants à Seattle, Millau ou Porto Alegre sont souvent légitimes mais rendent une image déformée d'un phénomène très complexe et qui ne mérite sans doute pas une telle opprobre.
Une mondialisation inédite?
Les grands traits de la mondialisation sont maintenant bien connus: intégration croissante des économies, à travers les échanges commerciaux et les flux financiers, transferts internationaux de main d'œuvre et diffusion des connaissances, amplifiée par l'avènement de l'e-économie.
Mais, pour être spectaculaire, le phénomène de la mondialisation n'est pas pour autant inédit. La fin du 19ème siècle a connu semblable expansion des échanges et du commerce entre les nations. En proportion de la richesse produite, les flux financiers entre l'Europe, l'Amérique du nord et le Japon étaient sensiblement plus importants dans les années 1870 à 1914 qu'entre 1970 et 1996.
Nous avons, malgré tout, aujourd'hui le sentiment d'une rupture historique, d'une formidable accélération du progrès technologique et des échanges, d'un rétrécissement des durées comme des distances.
Peut-être est-ce le développement de l'internet qui définit le mieux l'originalité historique du phénomène. Il vous est plus facile aujourd'hui d'échanger le dernier CD de Manu Chao avec un étudiant de Chicago ou d'Helsinki croisé sur le net que de vous le faire prêter par un l'un de vos condisciples sur ce campus.
Cette convivialité planétaire est peut-être le visage le plus spectaculaire de la mondialisation, le plus sympathique aussi.
Mais au-delà de ces aspects ludiques, les avancées de la technologie ont formidablement accru le potentiel d'échanges de biens, de services et d'informations.
Quelques chiffres éloquents : depuis 1950, les exportations de marchandises ont été multipliées par 18 et les investissements directs à l'étranger par 2500, quand le PIB mondial a été, si j'ose dire, seulement multiplié par 5. Les échanges internationaux ont encore augmenté de plus de 11% en volume l'année dernière.
Une mondialisation inégalitaire ?
Le principal grief adressé à la mondialisation serait d'avoir enclenché une dynamique inégalitaire. Qu'en est-il véritablement ? A vrai dire, les faits sont ambigus.
Entre 1960 et 1995, l'écart de revenu entre les 20% de la population mondiale les plus riches et les 20% les plus pauvres est passé de 30 pour 1 à 60 pour 1.
Cet écart s'accroît entre les pays: sur les 25 dernières années, la richesse par tête a augmenté de 70% dans les pays industrialisés et seulement de 6% dans les pays les moins avancés.
Ces chiffres montrent aussi que tous les pays se sont enrichis, mais dans des proportions et à des rythmes très variables. De plus, indépendamment des indicateurs de revenus, l'indice de développement humain mesuré par le PNUD révèle que même les pays les moins avancés ont amélioré leur performance moyenne de près de 1% par an. Cela signifie que l'amélioration moyenne des conditions de vie sur la planète n'est pas contradictoire avec un accroissement des inégalités.
Ces considérations générales ne peuvent ignorer les spécificités régionales. L'extrême-orient a connu des taux de croissance exceptionnels en s'ouvrant au commerce international et s'est engagé dans une phase de rattrapage inédit dans l'histoire de l'humanité.
La Chine, qui s'apprête à entrer à l'OMC, bouleverse à elle-seule les statistiques mondiales de la pauvreté: ce pays-continent, plus peuplé que l'Afrique et les deux Amériques réunis, connaît une croissance de 8% par an.
Par ailleurs, les pays les plus exposés au commerce international, comme ceux d'Asie de l'est, ont plutôt minimisé l'accroissement des inégalités au sein de leur population, surtout si l'on compare avec les pays ayant choisi des stratégies de développement autarcique par substitution de la production locale aux importations comme en Amérique latine.
Dumping social ?
Dans les pays industrialisés, une des principales craintes suscitées par la mondialisation tourne en effet autour de ce qu'on appelle le dumping social, terme générique qui suscite autant de fantasmes que de confusions.
Il désigne d'abord les délocalisations vers les pays du sud, vers ces terres où le salaire est dérisoire et la législation peu encombrante. En fait, ces délocalisations sont très limitées par rapport à l'importance des investissements français elles représentent à peine 5% de nos investissements directs dans les pays proches tels que les PECO ou le Maghreb.
Le plus souvent, ces implantations à l'étranger s'inscrivent dans des stratégies de conquête de nouveaux marchés.
Je l'ai constaté au Mexique le mois dernier : il est clair que Renault, par exemple, a grandement tiré parti des capacités existantes de Nissan dans ce pays pour fabriquer ses modèles sur place. La production de la Scenic a débuté depuis plusieurs mois, la Clio devant suivre d'ici la fin de l'année. L'alliance Renault-Nissan est d'ailleurs à mes yeux l'une de ces preuves concrètes que la mondialisation est une source d'opportunités et de richesses.
Les contraintes de la mise en concurrence universelle jouent de la même façon pour les anciens pays industriels et les pays émergents. Des inégalités de revenus se creusent entre les travailleurs peu ou pas qualifiés entraînés dans une course à l'abîme social d'un côté, et les travailleurs dont le savoir-faire ou la compétence raréfiée (" les manipulateurs de symbole " de Robert Reich) sont valorisés à l'échelle démultipliée du marché mondial. C'est le cas aujourd'hui des informaticiens indiens.
Que ce soit au nord ou au sud, ces inégalités doivent être contrebalancées par une politique forte de redistribution des chances et d'accès à l'éducation et au savoir. La coexistence de l'économie de marché et de la solidarité a été une invention du XXème siècle. Ce modus vivendi doit être préservé au nord et mis en place au sud. Nous n'y parviendrons que si nous sommes capables de construire une mondialisation politique.
II. Construire une mondialisation politique.
" Si nous savons la maîtriser, la mondialisation peut être une nouvelle étape dans la progrès de la civilisation. " C'était le message du premier ministre Lionel Jospin aux étudiants brésiliens le mois dernier ; c'est je crois bel et bien le défi que nous devons relever.
Et pour maîtriser la mondialisation, nous devons lui donner des règles.
Prenons l'exemple du transport maritime qui s'est développé au rythme du commerce mondial: il constitue un bon exemple des imperfections et des impérities du marché. Les us et coutumes d'une marine marchande qui exploite les législations factices et les régimes fiscaux avantageux des pavillons de complaisance, comme elle exploite ses matelots sri-lankais ou philippins, apparaît comme une inquiétante métaphore d'une mondialisation purement capitaliste.
L'Organisation maritime internationale, qui est une agence des Nations Unies, vient d'établir un calendrier pour éliminer progressivement tous les pétroliers à simple coque, au profit des bateaux à double coque, plus sûrs, d'ici à 2017. Vous me direz, pourquoi attendre si longtemps? Il faut savoir qu'une telle décision condamne près de 2 500 navires dans le monde, pour une valeur estimée à plus de 16 milliards de dollars!
Je veux également souligner que le parlement européen est très attentif à ces questions: il a adopté de nouvelles propositions pour renforcer la sécurité maritime. L'une prévoit l'obligation pour les bateaux faisant escale dans les ports de l'Union européenne d'être doté d'une sorte de boîte noire qui permette de vérifier les données du voyage. L'autre disposition va dans le sens d'une plus grande responsabilité, notamment financière, des sociétés de classification qui sont chargées d'inspecter les navires.
Mais beaucoup reste à faire à l'échelle internationale, notamment dans l'enceinte de l'Organisation maritime internationale.
Edicter des règles qui s'imposent à tous apparaît tout aussi nécessaire pour parvenir à limiter la production mondiale des gaz à effet de serre. Sommes-nous prêts à répondre de manière concertée aux problèmes liés à l'intensification des échanges et à la croissance industrielle, bref aux externalités négatives de l'activité économique?
Le climat apparaît désormais comme un bien public international: depuis le sommet de Rio en 1992, les Etats ont reconnu la nécessité d'une démarche de coopération qui dépasse les intérêts particuliers. Des instruments économiques pour réduire les émissions de gaz à effet de serre ont été définis: incitations, taxations, crédits d'émissions, technologies propres.
Mais la difficulté reste avant tout politique: il s'agit de faire accepter l'idée que ces bénéfices à long terme justifient des contraintes immédiates. Même lorsque la volonté politique existe, ne soyons pas naïfs: il y a toujours des arbitrages délicats entre l'objectif de réduction des émissions et les objectifs de compétitivité industrielle ou de politique intérieure. En refusant d'honorer les engagements pris à Kyoto, la nouvelle administration américaine a clairement privilégié ce deuxième objectif sur le premier. Je suis toutefois persuadé qu'elle sera nécessairement amenée à retrouver, sur ces questions, le chemin du dialogue avec la communauté internationale.
Je reste d'autant plus confiant que ce dialogue nous a permis tout récemment d'avancer de manière décisive sur le dossier des POP, les polluants organiques persistants et de bannir 12 d'entres eux parmi les plus nocifs.
Notre réponse, vous le voyez, est de chercher un rééquilibrage entre l'économique et le politique. Si nous appelons à ce rééquilibrage en faveur du politique, c'est d'abord au nom du développement et, en dernière instance, de l'efficacité économique elle-même. La misère, l'exclusion et les inégalités se nichent trop souvent dans les absences de l'Etat.
Progrès juridique
Les crises financières en Turquie et en Argentine ont mis en lumière les déficiences structurelles propres aux Etats, à commencer par les béances ou les imperfections du droit. Ce sont bel et bien des défaillances juridiques qui ont déclenché la crise économique et financière. Ce sont ces même défaillances qui menacent la pérennité du progrès économique. Elles permettent en effet le développement du " crony capitalism ", ce capitalisme de larrons dans lequel l'allocation du capital n'obéit plus à des données objectives mais à des jeux d'influences.
Il est donc important de renforcer les droits bancaires ou boursiers, le droit de la concurrence et celui des faillites. Et qui dit règle de droit dit juge qui l'interprète et la fait respecter. Le progrès juridique est donc indissociable du progrès institutionnel qui dote l'Etat de tribunaux honnêtes et compétents, et d'une administration qui ne l'est pas moins.
En un mot, il s'agit d'établir partout les bases de l'Etat de droit économique: ce qu'on appelle désormais la bonne gouvernance.
Un exemple concret: à Ouagadougou, nous avons apporté notre soutien à l'OHADA pour créer un droit des affaires unifié dans les pays d'Afrique francophone. La cour de justice prévue par le Traité sera bientôt en place avec pour mission de faire respecter ce droit dans la zone.
On comprend bien aussi pourquoi une action efficace de lutte contre la corruption, comme celle initiée par l'OCDE, constitue une priorité absolue pour assurer la rationalité des choix économiques collectifs.
L'exemple du Cameroun est à cet égard instructif.. Les institutions internationales mettent en œuvre le Document stratégique de réduction de la pauvreté élaboré en étroite concertation avec la société civile camerounaise. La lutte contre la corruption en est l'un des axes forts. Or, chaque passage de la mission conjointe FMI-Banque Mondiale coïncide avec des inculpations pour mauvaise gestion dans l'administration. Comme le rapporte la presse, la population voit plutôt d'un bon œil ce qu'elle appelle les " licenciements FMI " !
Est-ce donc tout à fait un hasard si les perspectives économiques du pays engagent à l'optimisme ? : croissance du PIB prévue à 7,5% en 2000/2001 et demande intérieure en hausse de près de 11 % sur la même période.
Elle peut aussi rassurer les investisseurs étrangers. Dans le contexte de concurrence globalisée, cette bonne gouvernance, la qualité du droit et des institutions, devient un élément décisif dans l'allocation des capitaux à l'échelle mondiale. Le progrès juridique est une condition du progrès économique et reste sous-tendu par un progrès démocratique. Mais il n'y pas que le droit économique ; il y a aussi le droit social au sens large, le droit du travail, le droit de la sécurité sociale, le droit fiscal. Il faut rappeler que dans le monde, 8 personnes sur 10 ne bénéficient d'aucune protection sociale. Dans ces domaines, il ne peut être question seulement de compétitivité: il faut prendre en compte les impératifs de solidarité et de cohésion sociale.
q Mais il faut parallèlement favoriser le progrès juridique au niveau international, non pas au profit d'Etats-nations jaloux de leurs prérogatives mais dans l'élaboration de nouveaux cadres, supranationaux ou multilatéraux qui redonnent aux peuples le pouvoir d'influer sur le cours de la mondialisation, le pouvoir de la maîtriser, de lui donner des règles.
Pour y parvenir, les Etats doivent construire ensemble une architecture internationale de régulation.
Les crises financières nous rappellent justement que l'intégration financière croissante est aussi facteur d'instabilité. Elles mettent en évidence un certain nombre de failles évidentes du système monétaire et financier international. Toutefois, depuis 3 ans des progrès significatifs ont été accomplis, en particulier dans la lutte contre la délinquance financière.
Le blanchiment d'argent, les pratiques fiscales dommageables des territoires et pays non-coopératifs mettent en danger la stabilité du système. Le Groupe d'action financière internationale créé en 1989 a identifié 15 de ces territoires dits " non-coopératifs ". La publicité donnée à cette liste noire et les menaces de sanctions, telle que l'interdiction de toute relation bancaire internationale, ont incité certains de ces pays à durcir leur législation. Le GAFI souligne que plusieurs de ces pays lui ont fait parvenir leurs plans anti-blanchiment avant sa réunion prévue les 21 et 22 juin prochains au cours de laquelle cette fameuse liste noire sera sans doute modifiée.
Je crois qu'il s'agit là d'un exemple très concret des mécanismes de régulation qui commencent de se mettre en place.
III. Solidarité
Mais, dans le même temps, trop de pays restent encore en marge des réseaux de l'économie mondialisée. La moitié des habitants de la planète vit avec moins de 2 dollars par jour et 800 millions d'entre eux souffrent de la faim et de la malnutrition, comme vient de le rappeler la FAO le 18 avril dernier.
Tout récemment, le Sénégal a porté à 49 le nombre des Pays les moins avancés. Leur permettre de s'intégrer et de bénéficier pleinement du développement des échanges doit être une des priorités de la prochaine conférence de l'OMC qui va se tenir au Qatar à l'automne.
Dans le domaine commercial, nous continuons à plaider au niveau européen pour un cycle global, permettant l'équilibre entre le libre échange et les règles. Nous voulons tout d'abord que le prochain cycle soit un "cycle de développement".
Nous continuons à demander à ce que l'investissement et la concurrence, domaines étroitement liés au commerce, soient régulés dans le cadre multilatéral de l'OMC. De mes récents contacts avec M. Zoellick, mon homologue américain, je retire l'impression que les jeux sont ouverts: un nouveau cycle peut encore être lancé à Doha.
D'ailleurs, pour contredire ceux qui décrivent l'Europe comme une " citadelle assiégée ", l'Union a décidé d'ouvrir son marché à l'ensemble des produits en provenance des pays les moins avancé, dans le cadre de l'initiative EBA "Everything but arms / Tout sauf les armes ". Pour parler franchement, ces pays ne pourront vraiment réduire la pauvreté qu'à condition d'avoir un plus large accès aux marchés des pays développés mais aussi à ceux des pays émergents les plus avancés.
L'abaissement progressif de ces barrières douanières et l'ouverture des marchés négociés à l'OMC sont donc des objectifs fondamentaux pour réduire la pauvreté.
Cette dynamique se heurte néanmoins à un obstacle paradoxal: les nations pauvres sont aussi celles qui tirent des recettes douanières la part la plus importante de leurs recettes fiscales. Nous avons donc proposé de créer au FMI une facilité financière qui permette de compenser les pertes de revenu liées à l'abaissement des tarifs douaniers et d'encourager ainsi les PMA dans la voie d'une ouverture commerciale dont ils pourront véritablement bénéficier.
J'ajoute que cette aide financière spécifique doit absolument s'accompagner d'une assistance technique et humaine qui permette à ces pays de maîtriser les enjeux et les conséquences de négociations complexes.
Je me permets de souligner que la France est très engagée dans l'assistance au commerce extérieur des pays africains. Sur la période 1995-2000, nous avons apporté environ 1,5 milliards de francs sur des projets contribuant au renforcement des capacités exportatrices et de l'équilibre commercial d'une dizaine de PMA africains.
Très concrètement, cette somme a servi à valoriser certains avantages comparatifs africains dans le secteur agricole : café et huile de palme en Guinée, légumes et fleurs en Zambie par exemple. D'autres projets ont visé à développer les infrastructures pour désenclaver ces pays: équipement ferroviaire au Mozambique, portuaire au Togo ou aéroports en Guinée et au Malawi.
Ces propositions n'épuisent pas nos engagements envers les pays les plus pauvres. Ceux qui ne peuvent encore tirer du commerce des ressources suffisantes ont besoin de l'aide publique au développement. Mais, pour ces pays, le premier obstacle au développement reste le poids de la dette.
En ouverture du troisième sommet des PMA à Bruxelles la semaine dernière, Romano Prodi a annoncé l'abandon par l'Union européenne de ses créances sur les PMA à la suite de la convention de Lomé. Le président de la Commission a fort justement rappelé à cette occasion que l'année dernière l'Union avait déjà annulé pour plus d'un milliard d'euros de dettes des PMA.
A cet égard, j'ai accompagné la semaine dernière le premier ministre en Afrique du Sud. Devant le parlement de ce pays, qui est aujourd'hui les des plus durement touchés par l'épidémie, Lionel Jospin a annoncé que la France allait convertir un milliards d'euros de la dette en fonds destiné à lutter contre le sida localement. La pandémie de sida qui touche le continent africain est un désastre sanitaire mais aussi social et économique plus grave encore pour ces pays. Au Botswana par exemple, un jeune de votre age a deux " chances " sur trois de mourir du sida. Le continent compte 12 millions d'orphelins, peut-être 40 millions en 2010: c'est une génération entière qui va grandir sans parents, sans enseignants. Le sida est aussi la première entrave au développement de ces pays dans les années à venir.
Outre la conversion de la dette, la France va donc également contribuer 150 millions d'euros sur trois ans, qui viennent s'ajouter aux 200 millions de dollars promis par les Etats-Unis, pour la création d'un fonds multilatéral consacré à la lutte contre le sida mais aussi contre la tuberculose et le paludisme.
C'est aussi une réponse à ceux qui s'écrient que les malades sont au sud quand les médicaments sont au nord.
Vous le savez, la Commission européenne s'est engagée en faveur d'un mécanisme de prix différenciés des traitements contre le sida. Cette tarification modulée est aujourd'hui la seule solution qui permette à la fois aux populations du sud d'avoir accès à ces médicaments coûteux tout en préservant le droit de la propriété intellectuelle et donc la capacité de recherche et de développement des firmes pharmaceutiques. Très concrètement, cela veut dire qu'une tri-thérapie coûte environ 14 000 euros par an dans les pays riches contre 400 à 500 euros dans les pays les plus pauvres.
Mais il n'est pas question seulement d'argent. Comme l'a dit le premier ministre, " sans capacités de dépistage, d'accueil, et de suivi des malades, le combat contre le sida est vain ". C'est pour cela que la France a proposé, par la voix de mon collègue Bernard Kouchner, une collaboration entre hôpitaux du nord et du sud. Ce programme est d'ailleurs inscrit à l'ordre du jour du G8 qui se tiendra à Gènes du 20 au 22 juillet prochain.
* * *
Voici les valeurs et les principes qui nous inspirent aujourd'hui et guident notre action dans la mondialisation
Je dirai pour conclure que la vision d'une Europe sociale qui sait se fixer des normes communes ambitieuses, d'une Europe dans laquelle la " cohérence économique se met au service de la solidarité sociale " que le premier ministre a dessinée dans son discours fondateur sur l'avenir de l'Europe, le 28 mai dernier, peut inspirer l'architecture internationale en devenir.
Nous avons besoin d'institutions internationales plus cohérentes, plus démocratiques, plus efficaces encore. Certaines sont certainement à créer telle l'OME, l'Organisation mondiale de l'environnement que le gouvernement appelle de ses vœux depuis longtemps. Doit-on réorganiser les Nations-Unies et pourquoi pas, y rattacher l'OMC comme les autres institutions spécialisées ? Quel rôle le G7/G8, ou désormais le G20 élargi doivent-ils jouer ? Imaginer une nouvelle architecture de la gouvernance mondiale fondée sur les valeurs des Droits de l'homme, de la démocratie et du progrès partagé est encore largement utopique: mais ce n'est pas le moindre des défis que nous adresse la mondialisation.
Antonio Gramsci opposait l'optimisme de la volonté et le pessimisme de l'intelligence. Il me semble en effet que nous devons avoir l'intelligence de ne pas minimiser les risques et les déséquilibres provoqués par la mondialisation. Mais ce diagnostic ne doit pas déboucher sur une condamnation sans appel. L'effervescence citoyenne grandissante depuis Seattle verse parfois dans l'excès. Elle témoigne pourtant de cet optimisme de la volonté, de la certitude que nous pouvons agir sur les mutations en cours, que nous pouvons influer sur le cours de la mondialisation, que nous pouvons lui donner le visage du progrès. Un progrès dont la dimension économique n'occulte pas la valeur humaniste.
(Source http://www.commerce-exterieur.gouv.fr, le 27 juillet 2001)