Interview de M. Manuel Valls, Premier ministre, à BFM TV le 12 janvier 2015, sur la manifestation républicaine du 11 en hommage à "Charlie Hebdo", le plan Vigipirate et le renforcement des moyens de lutte contre le terrorisme.

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Média : BFM TV

Texte intégral

JEAN-JACQUES BOURDIN
Manuel VALLS est notre invité ce matin, Manuel VALLS bonjour.
MANUEL VALLS
Bonjour Jean-Jacques BOURDIN.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Que garderez-vous de cet immense élan collectif d'hier ?
MANUEL VALLS
Des images bien sûr, cette foule, non seulement dans Paris, mais dans toute la France. Ce lien fusionnel entre le président de la République, les proches et les familles des victimes, cette accolade avec PELLOUX, la manière dont il a embrassé, hier soir à la synagogue de la Victoire, le frère de l'une des victimes. Ces chefs d'Etat et de gouvernement qui faisaient que Paris hier était la capitale de la tolérance, de la démocratie et de la liberté. Mais, bien sûr, je crois que c'est cette force inouïe, magnifique, du peuple français, qui a apporté la plus belle des réponses.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Il y a un moment - on vous a vu, on vous a entendu – il y a un moment, dans cette journée, que vous garderez en mémoire, quelques mots particuliers qui vous ont touché plus que d'autres, Manuel VALLS ?
MANUEL VALLS
Oui, c'est quand j'ai rencontré, dans la manifestation, la mère, le père et le grand-père, parce que c'est le même, des victimes de Montauban et de Toulouse, c'est peut-être le moment le plus fort et où on n'est plus un responsable public, on n'est plus Premier ministre à ce moment-là. Ils étaient là, eux, ils étaient là pour soutenir ceux qui aujourd'hui sont atterrés, abattus, tristes, par la perte d'un être proche. Pourquoi je dis cela ? Parce que, au-delà de ce moment inouï, magnifique, et au fond je me suis « quelle fierté » tout au long de la manifestation, quelle fierté hier, d'être Français dans cette manifestation, d'abord silencieuse. Ce qui m'a frappé d'ailleurs, c'est le silence qui régnait sur Paris, et en même temps je suis promené dans la manifestation, il y avait aussi beaucoup de chaleur, beaucoup de familles, quelque chose qui se passait, une forme d'apaisement, mais en même temps, il faut rester sur nos gardes, il ne faut pas baisser la garde, il faut être vigilant, parce que nous savons que la menace est évidemment toujours présente.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Avec l'efficacité aussi des forces de police, qui ont encadré parfaitement cette manifestation, il n'y a pas eu un blessé, un blessé, et la responsabilité des Français, de ceux qui ont marché.
MANUEL VALLS
La responsabilité des Français, oui, leur très grande dignité à tout instant, mais bien sûr hier, avec Bernard CAZENEUVE, nous sommes allés à la préfecture de police de Paris rendre hommage aux forces de l'ordre, de police et de gendarmerie, la sécurité civile, les sapeurs- pompiers, les bénévoles, les services d'ordre des formations politiques et des syndicats, à Paris et partout en France. Et l'ancien ministre de l'Intérieur, vous pouvez le comprendre, était particulièrement fier et ému de voir nos concitoyens acclamer, acclamer, policiers, CRS, il y en avait même qui applaudissaient les tireurs d'élite du RAID qui étaient sur les toits de Paris. Une fusion entre ceux qui représentent l'Etat, l'ordre républicain, nos valeurs républicaines, qui sont les boucliers de la République, ces policiers, ces gendarmes, dont 3 d'entre eux sont tombés la semaine dernière, mais qui ont permis, aussi, de mener à bien les opérations pour mettre hors d'état de nuire les terroristes. Quelle fierté, quelle fierté !
JEAN-JACQUES BOURDIN
Trois d'entre eux, une jeune femme noire, un policier d'origine maghrébine, et un français de souche, un policier français de souche, le symbole, peut-être, le symbole.
MANUEL VALLS
Un symbole, vous avez raison. J'ai été très ému des propos du frère du policier…
JEAN-JACQUES BOURDIN
D'Ahmed MERABET.
MANUEL VALLS
Ahmed MERABET, qui disait qu'ils étaient membres d'une famille qui a toujours épousé les valeurs de la République et l'engagement dans le service public. C'est ça la France, accueillir ceux qui viennent d'autres pays, les intégrer et en faire des soldats de la République, et aujourd'hui des héros, puisque, ne n'oublions pas, cette semaine sera aussi une semaine, toujours, de deuil, avec les obsèques dans l'intimité familiale, l'hommage qui sera rendu demain aux policiers tombés dans la cour de la préfecture de police de Paris, et l'hommage aux Invalides pour toutes les victimes, toujours, bien sûr, autour du président de la République, qui a symbolisé ce rassemblement de tous les Français.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Le plus haut niveau du plan Vigipirate est maintenu pour l'instant, Manuel VALLS ?
MANUEL VALLS
Le plus haut niveau du plan Vigipirate, non seulement est maintenu, mais je veux le dire ici devant vous, nous maintenons et nous déployons un niveau jamais atteint, le nombre de militaires, puisque 8470 militaires vont être déployés. Vous savez qu'il y avait à peu près 1 millier de soldats dans le cadre du plan Vigipirate, nous en avons déployé 2000 supplémentaires, et dans les jours qui viennent nous allons en déployer 6000 en plus de l'engagement des forces de l'ordre, policiers et gendarmes, puisque 4100 gendarmes, mobiles et CRS, sont déjà déployés, et ce matin, au moment où nous nous parlons, Bernard CAZENEUVE va visiter ces unités qui protègent notamment les écoles confessionnelles juives.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous allez protéger particulièrement les écoles confessionnelles juives, avec des militaires, des policiers ? Vous allez renforcer…
MANUEL VALLS
Le plan Vigipirate…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, déjà.
MANUEL VALLS
… évidemment les journaux, les rédactions, toutes les institutions qui peuvent faire l'objet d'une attaque, et plus particulièrement les synagogues, les écoles confessionnelles juives, mais aussi les mosquées, parce que, on en a moins entendu parler, mais…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Combien, 27, 27 attaques ces derniers jours ?
MANUEL VALLS
Ces derniers jours, il y a eu un certain nombre d'attaques, de dégradations, mais aussi de tirs de balles, sur des mosquées. Nous devons assurer au maximum, tout faire – comme nous le faisons – mais tout faire pour assurer cette sécurité.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Et maintenant, Manuel VALLS, parce que cet immense élan de solidarité fait peser sur vos épaules une immense responsabilité. Est-ce que cette mobilisation, cette émotion, vont vous entraîner à politiquement créer une sorte d'unité républicaine ? Est-ce que des initiatives vont être prises ?
MANUEL VALLS
La démocratie, ce pourquoi les gens se sont jetés dans la rue dès mercredi soir, nous sommes tous Charlie, pas seulement en France, et d'ailleurs dans le monde, c'est le débat, c'est la confrontation démocratique, c'est ça ce qu'on a voulu anéantir, c'est nier qu'on puisse débattre, caricaturer, ce devoir d'impertinence qu'était celui de Charlie Hebdo. Donc, le débat démocratique il va se poursuivre, et fort heureusement, mais, mais, il y a, je l'ai dit hier soir, un esprit du 11 janvier, ce qui s'est passé hier et évidemment les jours précédents. L'unité nationale, ce ne sont pas les formations politiques, ou les dirigeants qui l'ont fait, seulement ils l'ont fait, ils y ont pleinement participé, avec toutes les forces vives…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Non, mais parce que je vois Nicolas SARKOZY qui dit « il faut un travail majorité et opposition pour comprendre. »
MANUEL VALLS
Mais c'est le peuple français qui nous oblige, et cette responsabilité qui pèse d'abord sur les épaules du président de la République, sur les miennes, sur celles du gouvernement, sur l'ensemble des parlementaires, elle doit s'appuyer sur cet esprit du 11 janvier, cette volonté d'unité et de cohésion. Et nous l'avons déjà dit, il faut évidemment tirer toutes les leçons de ce qui s'est passé.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, mais comment ?
MANUEL VALLS
Je vais y venir. Pour cela il faut une méthode, il faut d'abord que la justice puisse travailler, sereinement, et nous savons que ces enquêtes sont longues – permettez-moi de vous rappeler, et de rappeler à vos téléspectateurs et auditeurs, que la traque se poursuit.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, on va en parler.
MANUEL VALLS
Nous pensons que l'un des individus avait, sans doute, un complice, il y a sa compagne.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Un complice. C'est-à-dire Amedy COULIBALY aurait un ou plusieurs complices ?
MANUEL VALLS
C'est ce que l'enquête doit démontrer, mais en tout cas nous considérons…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous le pensez ? L'enquête le montre ?
MANUEL VALLS
Je suis prudent, parce que ce travail est mené…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, mais c'est une hypothèse.
MANUEL VALLS
Nous venons de rendre hommage aux services de police et de gendarmerie, j'y ajoute celui de nos services de renseignements, tout cela s'est fait dans une très étroite collaboration, avec la justice, et sous l'autorité du Parquet antiterroriste. Et le fait que, autour du président de la République, qui a pris des décisions essentielles, vendredi, il y avait le Premier ministre, bien sûr, c'est mon rôle, mais le ministre de l'Intérieur et la garde des Sceaux, nous montre bien que c'est ainsi que nous devons travailler, dans une unité de commandement absolue. Mais il y a évidemment, encore, non seulement des menaces, mais liées à ces attaques, il y a bien évidemment encore des pistes qu'il faut explorer. Des arrestations, des gardes à vue ont eu lieu, et le travail se poursuit.
JEAN-JACQUES BOURDIN
On a découvert une cache d'armes d'Amedy COULIBALY, on a découvert cette vidéo qui le montre…
MANUEL VALLS
Mais moi je ne veux pas en dire plus, mais ce que je veux dire c'est que sur ces attaques, ces actes terroristes, barbares, le travail se poursuit, et je ne veux pas parler uniquement celui de la justice, mais celui des enquêteurs, puisque…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Et d'éventuels complices.
MANUEL VALLS
Nous considérons qu'il y a, effectivement, probablement, d'éventuels complices.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Il y aurait d'éventuels complices de COULIBALY.
MANUEL VALLS
Et je veux rappeler – ça a été dit par le procureur MOLINS – qu'un joggeur, qui est aujourd'hui extrêmement…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, entre la vie et la mort.
MANUEL VALLS
Qui est entre la vie et la mort, qui est blessé, a été frappé d'une balle qui est liée à cette affaire.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Qui aurait été tirée par COULIBALY.
MANUEL VALLS
On ne le sait pas, mais en tout cas il y a là…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Même calibre.
MANUEL VALLS
Ça montre bien l'ampleur de l'attaque que nous avons subi. Mais, et je reviens à votre question, au-delà de ce travail d'enquête qui doit se poursuivre, et c'est légitime, il faut comprendre ce qui s'est passé, et puis aussi, puisque c'est ainsi qu'une démocratie doit fonctionner, réfléchir, vite, pas dans quelques mois, réfléchir très vite aux dispositifs qui peuvent être améliorés pour renforcer la sécurité de nos compatriotes.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Justement, comment renforcer l'arsenal antiterroriste en France ? Je ne sais pas moi, en durcissant la politique pénale, par exemple ? Je ne sais pas. En créant une forme de Patriot Act à la française ?
MANUEL VALLS
Ça c'est autre chose. Le Patriot Act, c'est-à-dire une loi d'exception prise par l'Administration BUSH, après les événements de 2001, du 11 septembre, si c'est cela qui doit nous amener à ce qui s'est passé quelques années après en Irak, je pense qu'il faut y réfléchir.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous dites non.
MANUEL VALLS
Et je rappelle que d'une manière générale c'est contre le terrorisme, contre la terreur et la violence, c'est le droit, c'est la démocratie. Attention à toutes les procédures d'exception, même s'il faut, à une attaque exceptionnelle, par sa violence et sa barbarie, une réponse d'une très grande fermeté, et donc une réponse bien sûr qui soit exceptionnelle, et pour cela elle doit reposer, oui, sur le débat, la concorde nationale, et en y associant…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Là vous allez engager le débat avec l'opposition, sur ces questions-là ?
MANUEL VALLS
Dans le cadre du Parlement, nous en reparlerons, et avec Claude BARTOLONE, et Gérard LARCHER, les présidents de l'Assemblée et du Sénat, parce que, oui, c'est dans le cadre parlementaire. Je rappelle…
JEAN-JACQUES BOURDIN
C'est-à-dire créer une mission parlementaire commune, Assemblée/ Sénat, pour réfléchir aux mesures à prendre…
MANUEL VALLS
Je pense que le Parlement souhaitera une commission d'enquête sur ce qui vient de se passer, c'est légitime et c'est naturel, mais oui, c'est dans le cadre parlementaire et bipartisan qu'il faut travailler.
JEAN-JACQUES BOURDIN
En associant l'opposition ?
MANUEL VALLS
En associant pleinement l'opposition, c'est le…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Tout le Parlement.
MANUEL VALLS
C'est le Parlement. Nous faisons face à quel type de phénomène ? Parce que c'est ça qu'il faut comprendre. Non seulement, évidemment, à ces 1400 individus qui sont concernés par les départs pour le Djihad, pour le terrorisme, en Syrie et en Irak, et ça représente en peu de temps une augmentation majeure. Il y avait une trentaine de cas quand je suis devenu ministre de l'Intérieur, 1400 aujourd'hui. Il y a près de 70 Français, ou résidents en France, qui sont morts en Syrie et en Iran dans les rangs des terroristes, donc il y a ce travail. Il y a ceux qui partent, qui se forment à la mort et à la terreur, ça a été le cas, sans doute, des deux frères, des deux individus…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, sauf qu'ils ne sont jamais allés combattre, les deux frères.
MANUEL VALLS
On ne le sait pas, on verra bien, mais celui…
JEAN-JACQUES BOURDIN
COULIBALY non plus !
MANUEL VALLS
Celui – j'ai toujours du mal à prononcer les noms – celui qui a opéré, qui a tué cette policière municipale à Montrouge…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, et qui a opéré porte de Vincennes.
MANUEL VALLS
Et qui a opéré porte de Vincennes, lui il n'est jamais parti, il n'était pas dans les radars des services de renseignements. Donc ça veut bien dire que…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Non, il était dans les radars de la police, je vais en parler après.
MANUEL VALLS
Ça veut bien dire que nous faisons face à un phénomène protéiforme, avec des individus qu'on appelle hybrides, et aussi avec des phénomènes, d'ailleurs ne l'oublions pas, non seulement d'autoradicalisation, par exemple sur Internet ou dans les prisons, mais également qui se dissimulent. Et d'ailleurs, aujourd'hui de plus en plus les messages des différents groupes d'Al Qaïda, ou de Daech, demandent à ces individus de ne pas aller combattre dans les zones de guerre, de se dissimuler, de ses fondre dans la population, pour pouvoir attaquer avec le plus de violence possible.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Alors justement, les mesures, je vous pose une première question, est-ce qu'il faut étendre les pouvoirs des autorités en matière de surveillance ?
MANUEL VALLS
Oui, sans doute, mais…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais comment ? Parce que vous dites « non » à un Patriot Act à la française. C'est quoi le Patriot Act ? C'est faire des perquisitions, saisir des documents ou des biens…
MANUEL VALLS
Mais ça nous le faisons déjà. C'est frapper, comme on dit, au portefeuille, c'est-à-dire il faut aller…
JEAN-JACQUES BOURDIN
C'est avoir accès à des données personnelles, c'est pouvoir surveiller les communications sur Internet, c'est ça le Patriot Act.
MANUEL VALLS
Et tout cela se fait déjà beaucoup, mais nous faisons face à un …
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais il faut étendre ces mesures là ?
MANUEL VALLS
Je ne vais pas ici faire les annonces alors que nous devons, c'est le rôle du gouvernement, c'est celui que m'a assigné le président de la République, de faire un certain nombre de propositions dans les jours qui viennent. Comme ministre de l'Intérieur et Bernard CAZENEUVE a poursuivi admirablement ce travail, nous avons fait une réforme très importante des services de renseignements intérieurs, nous avons créé la direction général de la sécurité intérieure. Nous lui avons donné des moyens supplémentaires, son budget a augmenté très sensiblement.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous allez encore renforcer les moyens ?
MANUEL VALLS
Bien sûr il le faut, les moyens de la direction du service extérieur de la direction générale des services extérieurs, la DGSE a connu aussi une augmentation de son budget, nous avions déjà prévu il y a un an, il y a 24 heures, l'augmentation du nombre d'agents de la DGSI, 432 sur 5 ans, il ne s'agit pas uniquement de recruter des brigadiers chef, des policiers, il s'agit de recruter des spécialistes, des experts, des techniciens, notamment sur Internet parce que là aussi la menace, elle est multiple et nous devons avoir des personnels, des agents qui travaillent admirablement, particulièrement bien formés. Mais il faudra donner le plus vite possible encore davantage de moyens à ces services. Il y a sans doute des problèmes de loi ou des problèmes juridiques pour effectivement améliorer encore la possibilité des systèmes d'interception, pour dire les choses autrement, d'écoutes, parce que là entre les écoutes administratives et les écoutes judiciaires, il faut sans doute être beaucoup plus performants.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Faciliter les écoutes ?
MANUEL VALLS
Bien sûr, bien sûr dans le cadre de la loi, mais il faut aller plus loin. Je rappelle que nous sommes en train de préparer depuis plusieurs mois, en lien très étroits avec le Parlement et avec Jean-Jacques URVOAS, le président de la Commission des lois, nous sommes en train de préparer une nouvelle loi sur le renseignement, nous sommes un des rares pays au monde, des grands pays confrontés à ces problèmes, qui n'avait pas de loi sur le renseignement. Nous sommes en train de le préparer, le texte doit être donné dans trois à quatre mois au Parlement, s'il peut être accéléré…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Une loi avant la fin 2015.
MANUEL VALLS
Une loi qui doit être présentée c'était déjà prévu, elle doit pouvoir porter peut-être un certain nombre d'éléments que nous pourrions élaborer dans un cadre dit partisan avec l'ensemble des formations qui siègent à l'Assemblée nationale et au Sénat. Donc il faut le faire intelligemment, le statu quo, ne rien faire serait absurde. La précipitation dans ce domaine là et l'inventivité sur des sujets aussi compliqués, même si et c'est normal les Français nous demandent d'agir, serait également une mauvaise solution. Et puis il y a tout le travail sur les prisons qui a déjà été entamé par Christiane TAUBIRA, il y a un an, notamment dans un lien très étroit avec les services, c'est sans doute une des priorités majeures que nous devons apporter.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais que peut-on faire, tout le travail, mais que peut-on faire…
MANUEL VALLS
C'est le travail d'abord de renseignements et c'est celui qui a été fait notamment avec l'unité qui lutte contre le terrorisme, là ce travail a été déjà engagé depuis un an. Ensuite on sépare un certain nombre d'individus qui présentent bien sûr un danger pour d'autres qui arriveraient en prison puisqu'ils souhaiteraient les radicaliser.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous généralisez la cellule individuelle pour les détenus qui sont sensés, qui sont dangereux.
MANUEL VALLS
On sépare ces détenus du reste…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous allez généraliser ça dans toutes les prisons françaises ?
MANUEL VALLS
Il faut poursuivre ce travail, mais là aussi il faut le faire avec intelligence…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Parce que des expériences qui sont tentées…
MANUEL VALLS
Oui mais ça montre que les choses ne sont pas faciles, il ne suffit pas de dire, il n'y a qu'à…
JEAN-JACQUES BOURDIN
On peut généraliser, encore faut-il avoir de la place dans les prisons.
MANUEL VALLS
Non seulement on peut, mais il faut généraliser. Et puis c'est un travail à la fois sanction, c'est un travail de répression, il faut être impitoyable à l'égard du terrorisme, mais il y a aussi un travail de prévention. C'est tout ce travail qui a été entamé par les ministères de l'Intérieur et de la Justice, vers les familles parce que depuis plusieurs mois, combien de familles nous disent, mon fils, ma fille nous inquiètent, mon fils, ma fille ont voulu partir ou sont partis en Syrie. Je rappelle qu'il y a 30 % de femmes parmi ceux qui sont partis en Syrie, qu'il y a des mineurs aussi, des gosses qui sont partis et qui aujourd'hui peuvent se former à la terreur et représenter un danger. Je vous rappelle monsieur Jacques BOURDIN enfin que, et parfois ça m'a été reproché, que nous avons non seulement fait voter deux lois antiterroristes en deux ans, mais que j'ai été l'un des premiers à dire que nous devions…
JEAN-JACQUES BOURDIN
15 lois depuis 1986…
MANUEL VALLS
Que nous faisions face à un ennemi extérieur, et je rappelle que la guerre, la guerre nous la faisons déjà.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Nous sommes en guerre là ?
MANUEL VALLS
La guerre nous la faisons, nous sommes en guerre contre, disons le clairement…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Guerre de civilisation ou pas, j'ai entendu cette expression employée par d'autres.
MANUEL VALLS
Nous faisons une guerre contre le terrorisme, contre le djihadisme, contre l'islamisme radical et cette guerre le président de la République l'a décidé quand il a envoyé les troupes pour sauver le Mali, menacé, attaqué par des groupes terroristes. Le Mali, Etat musulman qui était symbolisé hier par la présence de son président Ibrahim BOUBACAR KEITA…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Manuel VALLS…
MANUEL VALLS
… aux côtés du président de la République. La guerre, Jean-Jacques BOURDIN, nous la faisons. Je rappelle que demain, à l'Assemblée nationale, nous allons revenir sur ces évènements, et je répondrai aux questions des groupes parlementaires, mais juste après, je présenterai, parce que la constitution nous y oblige, et c'est bien ainsi que je présenterai la poursuite de l'engagement pour les prochains mois, de nos Rafale et de nos Mirage, en Irak.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Ça veut dire que nos Rafale et nos Mirage vont poursuivre l'engagement.
MANUEL VALLS
Poursuivre le travail, c'est une demande des autorités irakiennes, nous soutenons les combattants kurdes, où nous allons poursuivre ce travail. Les deux sont liés, cette attaque, au coeur de la France, la semaine dernière et en même temps cette guerre que nous menons contre le terrorisme. Et nous la menons, je vais répondre à votre question, alors, au nom de nos valeurs. Ce ne sont pas les valeurs seules de la France, ni de l'Europe, ni de l'Occident, ce sont des valeurs universelles, et c'était symbolisé par la présence de tous les chefs d'Etat et de gouvernement hier.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Alors, Manuel VALLS, j'ai des questions précises, deux questions précises, trois questions précises. La première : est-ce que vous allez revoir la législation concernant Internet ?
MANUEL VALLS
Mais, dans la loi antiterroriste qui vient d'être votée il y a quelques semaines, d'ailleurs, à une large majorité, la priorité c'est effectivement travailler, attaquer sur Internet, parce que c'est là où une partie de la radicalisation se forme. Mais pour cela il faut beaucoup de moyens, j'ai parlé des moyens de nos services de renseignements, je vous rappelle qu'entre 2007 et 2012on a perdu 13 000 postes de fonctionnaires de police et de militaires, de gendarmerie, que depuis que nous sommes au gouvernement, moi comme ministre de l'Intérieur, Bernard CAZENEUVE aujourd'hui, nous avons stoppé cette hémorragie, c'est vrai pour les postes, comme pour les moyens adaptés au fonctionnement, que nous créons des postes supplémentaires de policiers et de gendarmes. S'il faut en créer davantage, il le fera… il le faudra, parce que la sécurité des Français ne peut pas se discuter, et dans une période où nous devons faire des économies, nous l'avons démontré pour la sécurité et la justice, ça reste et ça restera, et je veux le dire à nos compatriotes, une priorité.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Où est Hayet BOUMEDIENE ? Vous le savez ? Elle est en Syrie ?
MANUEL VALLS
Probablement en Turquie ou en Syrie, et nous sommes évidemment dans un contact étroit avec les services de renseignements turcs.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Alors, justement, est-ce qu'il faut créer une liste européenne des terroristes ou des terroristes potentiels ?
MANUEL VALLS
Il y a toujours eu…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Ce qui n'existe pas en Europe.
MANUEL VALLS
Il y a toujours eu une coopération de grande qualité entre les services des pays européens, mais aussi de nos principaux alliés. Et comme ministre de l'Intérieur, et là aussi Bernard CAZENEUVE a poursuivi, je rappelle qu'hier dimanche, au ministère de l'Intérieur, il a réuni les ministres de l'Intérieur des pays européens, mais aussi du Canada, de l'Australie et des Etats-Unis. Ce travail doit évidemment se poursuivre. Mais il faut aussi que l'on soit aidé par exemple par le Parlement européen. Un dispositif, qui s'appelle le PNR, qui doit nous permettre d'assurer notre sécurité dans le transport aérien, doit être impérativement adopté par le Parlement européen, parce que ça nous permettra là aussi de mieux lutter…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Il est bloqué au Parlement européen, actuellement.
MANUEL VALLS
… contre les allers et les retours. Et renforcer les services, la coopération, avec les services de renseignements de l'ensemble des pays concernés, est un défi, c'est un défi, non seulement pour le pays, mais c'est un défi mondial. Regardez ce qui s'est passé, on a moins parlé là, au Nigeria encore, il y a quelques heures…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Boko Haram, bien sûr.
MANUEL VALLS
… c'est l'horreur.
JEAN-JACQUES BOURDIN
L'horreur, des milliers…
MANUEL VALLS
Regardez les risques terroristes qui existent au Mali, au Niger, au Tchad, et nous intervenons encore dans ces pays.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Manuel VALLS, des questions doivent être posées, j'ai envie de vous poser quand même la question sur le travail en amont des services français. Je regardais la déclaration du ministre de l'Intérieur vendredi « rien ne témoignait du fait que les frères KOUACHI et Amedy COULIBALY pouvaient s'engager dans un acte de ce type, leur situation n'avait pas été judiciarisée. Mais pardon, pardon, Chérif KOUACHI a été condamné en 2008, en 2010 interpellé pour avoir tenté de faire évader l'un des auteurs de l'attentat du RER B en 95, 2011 il part pour le Yemen, ils étaient suivis par les Etats-Unis, Amedy COULIBALY a été jugé pour un braquage, pour de multiples braquages, il a tissé des liens avec Djamel BEGHAL, condamné pour un projet d'attentat contre l'ambassade des Etats-Unis à Paris. Ne me dites pas qu'on ne savait pas, qui ils étaient !
MANUEL VALLS
Jjb.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui.
MANUEL VALLS
Toutes ces questions, elles sont légitimes. Il appartient à la justice…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Des enquêtes vont être ouvertes ? Y-a-t-il eu dysfonctionnement ?
MANUEL VALLS
Il appartient à la justice, d'abord, de poursuivre son travail, au Parlement d'établir aussi les circonstances des procédures, ce qui a fonctionné, comme ce qui n'a pas fonctionné. Le devoir de vérité, le devoir de transparence…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous avez un devoir de vérité.
MANUEL VALLS
Mais bien évidemment. Il doit se faire sans remettre en cause. C'est très important ce que je vais dire. Au moment où nous parlons, il y a des policiers, il y a des gendarmes, nos services de Renseignement intérieurs et extérieurs qui travaillent très bien. Ç'a été un grand changement. Les services intérieurs et extérieurs travaillent très bien entre eux, comme la police et la gendarmerie ont magnifiquement travaillé. Je veux rendre hommage à leur chef, le général FAVIER et le directeur général Jean-Marc FALCONE. Ils ont très bien travaillé sous la responsabilité évidemment de Bernard CAZENEUVE. Au moment où nous parlons, ils poursuivent ce travail. Je ne souhaite pas qu'il puisse y avoir le moindre doute sur leur détermination, qu'on ne remette pas en cause. En revanche, pour comprendre ce qui s'est passé, oui il faudra mettre tout sur la table, pas pour accuser.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Non, mais pour comprendre parce que les Français vous ont donné cette responsabilité.
MANUEL VALLS
Et vous pensez bien qu'avec le Président de la République et Bernard CAZENEUVE, nous la ressentons, vous le disiez tout à l'heure, cette responsabilité. C'est pour ça que nous ne pouvons pas baisser la garde.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Quatre mille sept cents policiers et gendarmes vont surveiller sept cent dix-sept écoles juives en France. C'est ce qu'annonce Bernard CAZENEUVE et ce que vous nous disiez tout à l'heure.
MANUEL VALLS
Oui. Plus l'engagement des militaires, huit mille.
JEAN-JACQUES BOURDIN
J'ai une dernière question pas facile. Vous seriez professeur ou instituteur ; imaginez dans votre classe jeudi dernier, certains élèves rechignant à honorer cette minute de silence. Que leur diriez-vous ?
MANUEL VALLS
Nous avons parlé des questions de police et de gendarmerie et c'est normal. J'ai évoqué cette extraordinaire réponse de la France mais en même temps, il faut être lucide. Les actes racistes et antisémites ont augmenté au cours de ces dernières années. La communauté juive aujourd'hui a peur, même si hier nous avons tenté de la rassurer.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous n'avez pas aimé ce qu'a dit Benyamin NETANYAHOU sur l'appel au départ des Français vers Israël. Vous n'avez pas aimé.
MANUEL VALLS
Non, mais j'ai tout simplement rappelé quelque chose. La France sans les Juifs de France n'est plus la France. Nous avons besoin de tout le monde.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous le lui avez dit ?
MANUEL VALLS
Je crois qu'il l'a compris et ses propos hier soir étaient, me semble-t-il, apaisants. Je réponds à votre question : la réponse doit être une réponse dans la société et de manière très lucide. Ça concerne tout le monde, chacun doit assumer ses responsabilités. Les phénomènes que vous venez de décrire, je les ai vécus dans ma ville. Je m'en rappelle très bien. C'est très minoritaire, il faut le rappeler à chaque fois.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, mais ils existent.
MANUEL VALLS
Des jeunes faisaient le V de la victoire au moment où il y avait la minute de silence, je crois le 14 septembre 2001. Ça veut dire que la réponse ne peut pas être uniquement, même si elle est indispensable, policière et judiciaire. C'est une réponse de toute la société – de toute la société ! – et au premier rang desquels l'école et l'école laïque. Parce que s'il y a un mot que nous devons porter, incarner mais faire vivre, c'est la laïcité. Demain avec la ministre de l'Education nationale, qui aujourd'hui rencontre l'ensemble des associations de parents d'élèves et les syndicats d'enseignants, j'irai devant les recteurs. Mais là, je crois qu'il y a un combat majeur. C'est peut-être la priorité du quinquennat, c'est la jeunesse. Là, il y a sans doute le défi majeur. Peut-être ici à ce micro ou ailleurs, j'avais parlé du très beau film sur l'apprentissage, l'éducation, ce qui s'est passé il y a soixante-dix ans. Dans quelques jours, le Président de la République ira à Auschwitz, ce sera le soixante-dixième anniversaire de la libération des camps de la mort. Moi dans mon pays, je ne veux pas qu'on puisse dire comme ç'a été dit dans certaines places, que l'ennemi quand on gamin répond à la question de son enseignant, que l'ennemi c'est le Juif. Je ne veux pas qu'il y ait des jeunes qui fassent le V de la victoire après ce qui s'est passé. Je ne veux pas qu'il y ait des jeunes qui se reconnaissent dans ces terroristes barbares qui ont assassiné des journalistes, des citoyens, des policiers, des Juifs français parce qu'ils étaient Juifs. Là, il y a un travail. Je ne veux plus que sur Internet, on puisse avoir ces mots effrayants, ces mots de haine que j'ai combattus. Je n'étais pas très soutenu sinon par le Président de la République et le Premier ministre il y a un an, quand j'ai combattu cet humoriste soi-disant.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Dieudonné.
MANUEL VALLS
Ça n'est plus possible. Peut-être faudra-t-il aller plus loin encore pour combattre l'antisémitisme, le racisme, l'apologie de l'extermination des Juifs. Il y a là un combat. Il y a quelques semaines à l'Assemblée, d'une certaine manière j'avais ressenti que la société ne s'était pas mobilisée après le drame de Créteil, cette famille violentée parce que juive. Il n'y avait pas eu beaucoup de monde dans la rue, quelques centaines à Créteil. La réponse enfin, c'est celle du peuple français hier. Ne laissons pas retomber cet esprit du 11 janvier. Quelle responsabilité, mais quelle belle responsabilité.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Merci Manuel VALLS d'être venu nous voir.Source : Service d'information du Gouvernement, le 13 janvier 2015