Interview de M. Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics, à "France Info" le 22 janvier 2015, sur le renforcement des moyens de lutte contre le terrorisme, et leur financement.

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Média : France Info

Texte intégral

RAPHAËLLE DUCHEMIN
Votre invité Jean-François ACHILLI est donc ministre des Finances et des Comptes publics
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Bonjour Michel SAPIN…
MICHEL SAPIN
Oui ! Bonjour.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Bienvenue. 10.000 postes supplémentaires, nous sommes deux semaines après les attentats, 10.000 postes en plus, 10.680 pour lutter contre le terrorisme, 7.500 militaires qui seront conservés. Comment vont-être, c'est la question qu'on a envie de vous poser ce matin, comment vont être financés ces emplois nouveaux ?
MICHEL SAPIN
Oui ! Bien sûr, je vais répondre à cette question. Mais le principal c'est que le gouvernement aujourd'hui, dans le calme, la sérénité, mais de manière déterminée, prend des mesures pour renforcer les moyens de lutter contre le terrorisme. On a besoin non pas de policiers en plus dans la rue, on a besoin de policiers spécialisés pour décrypter des messages, pour traduire des langues un peu étranges, pour croiser des informations, bref pour pouvoir prévenir un certain nombre de situations qui représentent des dangers considérables pour nous ou pour d'autres pays, des pays voisins – puisque tout cela passe par les uns, par les autres – d'où la nécessité aussi d'avoir des maillages d'informations. Donc…
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Oui ! Parce que personne ne va s'en plaindre. Mais…
MICHEL SAPIN
Non ! Non, je pense que personne ne va s'en plaindre…
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Mais…
MICHEL SAPIN
Mais ça parait nécessaire de le faire, et puisqu'il faut le faire nous le faisons et puisqu'il faut le financer nous le finançons, et nous le finançons dans un cadre qui est par ailleurs celui de la responsabilité. Nous prenons nos responsabilités pour lutter contre le terrorisme, nous conservons nos responsabilités pour lutter contre les déficits et donc nous le faisons à l'intérieur du budget de l'Etat qui comprend plusieurs centaines de milliards et nous le faisons en utilisant des outils qui sont classiques, on a mis de côté des crédits dans le budget de l'Etat…
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Oui ! Il y a une sorte de cagnotte pour les urgences, c'est ça ?
MICHEL SAPIN
Ce n'est pas comme ça qu'on appelle… on n'appelle pas ça une cagnotte, je n'aime pas trop le terme de cagnotte parce qu'il rappelle une période un peu étrange…
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Oui !
MICHEL SAPIN
Mais non ce qu'on appelle des crédits qui sont gelés, c'est-à-dire qu'il y a des crédits qui sont mis de côté dans chaque ministère pour pouvoir utiliser au cours de l'année en fonction des urgences. C'est ça faire des choix !
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Parce qu'il y a eu un débat assez virulent, y compris au sein de la gauche, du PS. Avant ces drames, malheureusement, il y a eu un débat sur : il manque deux milliards pour le budget 2015, il n'y a plus d'argent, Bruxelles, etc. et, là, on a l'impression qu'il suffit de claquer des doigts pour trouver au fond les financements ?
MICHEL SAPIN
Non ! D'abord nous ne sommes pas dans des niveaux de deux milliards, nous sommes dans des niveaux qui se comptent en centaines de millions - c'est beaucoup – mais…
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
700 et quelques millions !
MICHEL SAPIN
Sur trois ans, donc vous voyez qu'on est sur des chiffres qui sont des chiffres importants, des chiffres nécessaires, mais des chiffres qui sont parfaitement en capacité d'être absorbés par notre budget tout en continuant à lutter contre nos déficits, à diminuer nos déficits et à le faire en coordination, en dialogue avec la Commission européenne. C'est fini ces histoires de bisbille, de « critiquaillerie » entre la Commission et la France, nous travaillons sérieusement les uns et les autres et, du côté européen – on pourra peut-être éventuellement en parler – avec une préoccupation enfin, parce que la France l'a voulu, c'est qu'on soutienne aussi la croissance, parce qu'il faut lutter contre le terrorisme mais il faut aussi se battre pour qu'il y ait plus d'emplois et moins de chômeurs.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Vous voulez dire que, après les attentats, le ton va changer à Bruxelles ou les bonnes vieilles habitudes vont reprendre le dessus ?
MICHEL SAPIN
Il y a une première chose c'est qu'il faut que les Français s'en rendent compte, le monde nous a regardé et le monde nous a admiré, a admiré le peuple français, a admiré la manière dont la France réagissait à ces tragiques attentats, à ces situations extrêmement difficiles, on aurait pu se diviser et nous nous sommes rassemblés et c'est quelque chose qui frappe énormément à l'extérieur et qui crée une certaine solidarité. Est-ce une raison pour passer par-dessus les contraintes budgétaires, les règles qui doivent être respectées ? Non ! Evidemment. Donc, du côté de la Commission, elle continuera à faire son travail, mais elle le fera avec une nouvelle orientation - qui était celle pour laquelle nous nous battions depuis plusieurs mois – qui est de mettre comme priorité en Europe la croissance et l'emploi.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Alors Nicolas SARKOZY hier soir sur France 2 a estimé que notre procédure budgétaire n'était pas adaptée à la menace, grosso modo il faut deux ans pour mettre en place ces nouveaux effectifs, et, selon lui, il faut rétablir les heures sup. dans la police et le renseignement. Réponse !
MICHEL SAPIN
Oh ! Nicolas SARKOZY… on est dans une démocratie, donc il fait son travail d'opposant, de chef de parti de l'UMP. La seule chose que je dirais, mais à lui comme à tout autre, ou à nous-mêmes, il faut que nous soyons tous au niveau de ce qui s'est passé et au niveau de la manière où les Français ont réagi, je parlais de ce regard de l'étranger sur nous qui est admiratif, soyons fiers de nous et de la manière dont nous avons réagi et soyons tous au même niveau. Alors, pour le reste, écoutez des gouvernements ont supprimé des postes, y compris dans les services de lutte contre le terrorisme, nous en avons déjà beaucoup rétablis et nous allons amplifier les choses, et je ne pense pas qu'aux yeux des Français dire qu'il suffit d'augmenter le nombre des heures supplémentaires des policiers apparaissent exactement à la hauteur de l'enjeu.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Parce que les policiers et les gendarmes effectuent des…
MICHEL SAPIN
Mais vous croyez qu'ils ne travaillent pas en ce moment…
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Voilà ! Ils font des heures sup, non ?
MICHEL SAPIN
Vous croyez qu'ils ne font pas des heures supplémentaires ? Evidemment ! Ils sont extrêmement mobilisés et, quand vous êtes dans une période comme depuis 15 jours, le nombre des heures supplémentaires est considérable et légitimement considérable, bien entendu il y a des moments de bourre - il faut y aller - et, ça, les heures supplémentaires ils ne rechignent pas à en faire, les forces de police, les forces de gendarmerie, les militaires qui sont aujourd'hui mobilisés. Là, je peux vous dire, ils ne comptent pas leurs heures.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
L'ancien président a critiqué également le mot « apartheid « lâché par Manuel VALLS, il vous a choqué vous ce mot ?
MICHEL SAPIN
Eh bien le mot est fort mais il est fort à la hauteur du problème. Après il ne faut pas prendre son dictionnaire d'étymologie pour savoir ce que cela voulait dire, non, qu'est-ce que ça veut dire dans l'esprit des Français, dans l'esprit de ceux qui vivent cela ? Il y a trop d'endroits où il y a des quartiers dans lesquels c'est de manière homogène, c'est tous de la même région, c'est tous du même pays d'origine, c'est tout même de la même religion et, ça, c'est quelque chose que dans notre République on peut décrire - et il faut décrire avec force - il faut nommer les choses, quand ça ne va pas il faut dire que ça ne va pas pour pouvoir réagir, mais ce n'est pas conforme à l'esprit de la République. Donc, nous voulons de la diversité, nous voulons du mélange, nous voulons éviter que les uns habitent à côté des autres et, au bout du compte, finissent par haïr l'autre.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Michel SAPIN, c'est comme pour Al CAPONE, il faut frapper les terroristes au portefeuille ? Bercy va lutter contre ces circuits de blanchiment d'argent sale qu'utilisent les groupes terroristes et djihadistes ?
MICHEL SAPIN
Mais c'est décisif !
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Concrètement, ça donne quoi ?
MICHEL SAPIN
C'est décisif ! Parce que bien sûr qu'il faut lutter contre le terrorisme, contre toutes les formes de terrorisme, mais prenons les terroristes-là qui ont frappé, ils avaient des armes, ils les ont achetées ces armes…
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Comment ?
MICHEL SAPIN
Ce n'est pas des sommes considérables…
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Oui !
MICHEL SAPIN
Mais c'est de l'argent. Parce que quoi ? Qu'est-ce qu'ils ont fait ? Qu'est-ce qui s'est passé ? Ils faisaient des petits trafics, ils vendaient peut-être des vêtements contrefaits, ils touchaient des sommes en cash - parce qu'il y a des mécanismes qui permettent de toucher des sommes en cash – et puis après ils allaient peut-être, je ne sais pas, en Belgique acheter des armes qui elles-mêmes passaient comme ça par des petits trafics. Ce n'est pas forcément des grandes sommes, ce sont des petits trafics, c'est contre ces petits trafics qu'il faut lutter avec efficacité et en particulier le noeud de la guerre dans cette affaire ou le noeud de la lutte contre ce financement c'est la question dite du cash de…
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Du cash ! Oui.
MICHEL SAPIN
Du cash ! Oui, quand il y a de la somme…
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Donc, les services, les douanes….
MICHEL SAPIN
Et donc là-dessus… Oui ! Les douanes travaillent énormément, l'ensemble des services de police, il y a un service qui est au Ministère des Finances qui s'appelle Tracfin qui est là justement pour qu'on lui signale tout mouvement qui peut paraître anormal. Mais il faut amplifier, il faut rendre plus efficaces les échanges d'information de pays à pays, parce que tous ces trafics ils peuvent passer mais dans des pays extrêmement nombreux et extrêmement loin, vous pouvez être à l'autre bout du monde, une place financière - je ne sais pas à Singapour - eh bien il y a un mouvement qui passe par Singapour, ce n'est pas le terroriste qui passe par Singapour mais c'est l'argent qui va lui permettre de réussir. Donc, il faut lutter contre tout cela avec efficacité. C'est une question française, nous avons des outils juridiques, nous renforçons les moyens ; c'est une question européenne, elle sera abordée à Bruxelles à la demande de la France, à la demande de moi-même au début de la semaine prochaine pour renforcer notre coordination ; et c'est une question internationale, je viens de le dire, parce que les mouvements d'argent ça passe partout sur la planète.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Et c'est pour ça que vous recevez accessoirement le secrétaire Américain au Trésor monsieur…
MICHEL SAPIN
Monsieur Jack LEW...
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Monsieur Jack LEW, c'est ça, dimanche oui.
MICHEL SAPIN
Parce que lutter contre tous ces financements, contre le financement de toutes les formes de terrorisme…
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Tout le monde s'y met !
MICHEL SAPIN
Eh bien il faut que tout le monde s'y mette bien sûr.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Nous évoquions l'Europe à l'instant, la BCE s'apprête à racheter massivement de la dette publique des pays de la zone euro, c'est son rôle ça de la BCE de faire ça ?
MICHEL SAPIN
Ah ! Mais son rôle c'est de faire en sorte que l'inflation ne soit pas plus élevée que 2 %, mais ne soit pas à 0 %. Aujourd'hui on a une situation anormale, qui est mauvaise pour l'économie, c'est que tout d'un coup les prix risquent de baisser et quand les prix risquent e baisser tout le monde s'arrête en attendant le mois suivant que le prix soit plus bas, eh bien tout à coup c'est une économie - c'est ce que nous connaissons – avec une trop faible croissance et une trop faible inflation. Donc, la Banque centrale est dans son rôle en mettant…
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Les Allemands ne sont pas contents, hein, les Allemands ne sont pas contents ?
MICHEL SAPIN
Eh bien, écoutez, les Allemands nous ont appris à respecter l'indépendance de la Banque centrale européenne, il faut qu'ils s'en souviennent pour eux-mêmes.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Message envoyé ! Mauvais signal d'ailleurs trois jours avant les élections en Grèce, non tout ça, parce qu'au fond la gauche radicale du parti SIRYZA, le parti de monsieur Alexis TSIPRAS, a fait plus ou moins campagne sur le non remboursement de la dette, est-ce qu'on n'est pas en train de dire à certains pays membres : « Allez-y ! Ce n'est pas grave, on rachète tout » ?
MICHEL SAPIN
Non ! Ça, c'est une description qui est faite parfois par quelques Français qui voudraient s'identifier à SIRYZA, mais monsieur MELENCHON n'est pas SIRYZA tout à fait et il fait une description de ce que souhaite SIRYZA qui ne me parait pas conforme à la réalité.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Même madame LE PEN soutient SIRYZA !
MICHEL SAPIN
Oui ! Je ne suis pas sûr que ça fasse plaisir aux intéressés eux-mêmes. Mais la question n'est pas là ! Est-ce qu'il y a un parti en Grèce qui demande la sortie de l'Euro ? Non ! Ils savent très bien que la place de la Grèce est dans l'Euro, ils ont raison. Est-ce qu'il y a un parti en Grèce qui dit que, puisqu'on reste dans l'Euro, il n'y a aucun effort à faire ? Non ! Ils disent tous qu'il y a des efforts à faire. Eh bien ce sont les sujets dont il faudra discuter quel que soit le gouvernement que les Grecs librement se seront donnés dimanche prochain.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
En quelques mots, pour conclure, François HOLLANDE – votre ami – le président de la République, s'est révélé pendant ces semaines, ces deux semaines ?
MICHEL SAPIN
Il a révélé des forces qui existaient en lui et il faut parfois des moments exceptionnels pour que les qualités d'un homme puissent être vues, perçues. Je pense que le regard des Français a définitivement changé sur François HOLLANDE, il a montré ce qu'il était en réalité, ce dont il était capable, c'est d'être un grand homme d'Etat.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Merci Michel SAPIN.
MICHEL SAPIN
Merci.
RAPHAËLLE DUCHEMIN
Merci.Source : Service d'information du Gouvernement, le 23 janvier 2015