Interview de M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur, à Europe 1 le 31 octobre 2001, sur la polémique engendrée par la proposition de créer un centre de détention en Corse et sur le projet de loi de sécurité quotidienne.

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Média : Europe 1

Texte intégral

J.-P. Elkabbach Finissons-en avec la Corse et ses prisons. Pour votre annonce de samedi, le Premier ministre vous a-t-il félicité ?
- "Il ne m'a pas félicité, dans la mesure où on a vu la polémique que mes propos ont déclenchée. De ce point de vue, je regrette qu'il y ait eu cette polémique, d'autant que ceux qui l'ont entretenue ne sont sûrement pas les mieux placés pour parler de la Corse, dans la mesure où ils ont souvent échoué en Corse et où ils n'ont aucune proposition à faire."
Vous avez vu hier soir, longuement, une nouvelle fois monsieur Jospin. Est-ce qu'il vous a encouragé à recommencer ?
- "Mais non, L. Jospin, vous l'avez vu à Rennes, a clairement dit ce que j'avais dit, ce que je n'avais pas dit. Le problème est que toute cette polémique est née du fait qu'on a commenté ce que je n'avais pas dit et pas pensé. Ceci étant, revenons-en au problème lui-même : la Corse, depuis un an que L. Jospin m'a confié le ministère de l'Intérieur - et notamment le dossier corse, car vous savez que c'est sur ce dossier, justement, qu'il m'a confié la responsabilité de ce ministère après le départ de J.-P. Chevènement -, c'est de réussir à élaborer dans la fidélité du relevé de conclusions, un texte, un projet. Ce projet, pendant un an, je l'ai élaboré. Je suis allé - c'est peut-être sans précédent -, deux fois en Corse, pour dialoguer, dans la transparence avec les élus. Et à chaque fois, les choses se sont bien passées, parce que je crois qu'il faut aussi comprendre la Corse et que l'intérêt de la Corse, c'est l'intérêt de la République. Et il faut savoir trouver dans ce projet de loi, l'avenir de la Corse. C'est bien l'objet de ce débat."
On comprend bien que c'est tout un texte, un ensemble de textes. Mais est-ce que c'est monsieur Jospin - car on essaie de comprendre une fois pour toutes, pour tourner la page, avant d'ailleurs que l'opposition pose des questions à vous-même, au Premier ministre, cet après-midi à l'Assemblée - qui vous avait demandé d'annoncer la création d'un prochain centre de détention en Corse ?
- "Mais bien sûr que non ! J'ai parlé de cette question avec M. Lebranchu. Vous savez qu'elle a annoncé un plan de rénovation et d'implantation de prisons en France dans les années qui viennent. Nous avons discuté de cette question, parce que c'est une demande de l'ensemble des élus corses qu'il y ait un centre de détention. Vous savez très bien que je n'ai pas parlé de "regroupement de détenus nationalistes", car il n'y a pas en démocratie de détenus politiques et que les décisions de placement sont prises sur la base d'un examen individuel. Bien entendu, il n'a jamais été question de traiter les choses dans l'immédiat, sous la pression ou pour faire des concessions. M. Lebranchu, m'a dit que l'idée qu'il y ait en Corse, pour mettre fin à un injustice, qu'il y ait une prison, un centre de détention, est quelque chose de positif. Voilà."
Pour vous, ce matin, est-ce une faute politique, une gaffe, un mot malheureux de D. Vaillant, une maladresse ?
- "Il est clair que, compte tenu de la polémique que certains ont voulu déclencher sur le continent, ceux qui, manifestement, se moquent de la Corse, ne veulent pas aider la Corse à s'enraciner dans la République et à sortir de ses difficultés, de l'impasse dans lesquelles elle se trouvait, bien évidemment, si j'avais su que cela déclencherait cette polémique sur des propos que je n'ai ni pensés, ni tenus, je tiens à vous le redire ici, en plus grande sincérité, bien sûr, j'aurais préféré ne pas l'avoir dit. Ceci étant, je me rends compte que quand on dit des choses sensées, justes, là où elles doivent être dites, c'est-à-dire justement devant les élus de la Corse, c'est sujet à polémique en France. Je le regrette, parce qu'encore une fois, la Corse et la République méritent mieux que ces polémiques."
C'est peut-être vrai que vous n'avez pas dit "regroupement", mais on a tous entendu "regroupement".
- "Mais je n'ai pourtant pas dit, je ne l'ai pas pensé."
Vous avez vu la presse, elle titre - sauf en Corse d'ailleurs : "La colère de Jospin", "Le désaveu"...
- "Vous savez, pour qu'il y ait une feuille de papier à cigarette entre le Premier ministre, L. Jospin, et le ministre de l'Intérieur qu'il a choisi, et qui veut servir l'intérêt général, celui du gouvernement de L. Jospin et L. Jospin lui-même, celui-là n'est pas né, je puis vous le dire. Vous savez bien comment nous travaillons : nous travaillons dans la confiance. Regardez depuis un an : j'essaie de faire mon travail, sur ce sujet comme sur d'autres. Regardez la loi sécurité quotidienne qui va venir à l'Assemblée..."
Mais quand vous lisez : "Vaillant contesté", "Vaillant Gaffeur", Le Figaro avec un scénario à la Spielberg "Il faut sauver le soldat Vaillant.".. Qu'en pensez-vous ?
- "C'est arrivé à d'autres, cela arrivera à d'autres, peut-être que cela m'arrivera à nouveau d'avoir une telle campagne... C'est un peu facile, je trouve, parce que quand on travaille loyalement, avec sincérité, pour le bien commun - et je ne veux pas dissocier l'intérêt de la Corse et des Corses de celui de la République -, manifestement, cela ne plaît pas à tout le monde. Et certains veulent jouer avec la Corse plutôt que servir la Corse. Se servir de la Corse à des raisons politiciennes plutôt que la servir. Ce n'est pas mon cas."
J.-P. Chevènement est-il dans ce que vous dénoncez ?
- "Je n'ai pas l'habitude de critiquer celui qui m'a précédé, notamment quand il s'agit d'un ami. Je dirais que la Corse n'est sûrement pas le sujet sur lequel J.-P. Chevènement devrait être le plus critique à mon égard."
Quand J.-L. Debré dit, ici même, que le processus de Matignon est pour la droite fini, mort et caduc. Qu'en pensez-vous ? Est-ce qu'il n'a pas raison ? Où est le processus de Matignon ?
- "C'est un projet. C'est celui qui va passer au Sénat le 6 novembre. J'ai voulu aller en Corse avant d'aller au Sénat. J'espère que les sénateurs vont faire ce travail et que l'Assemblée trouvera ensuite le sens de la responsabilité, pour voter un texte qui va permettre l'investissement, le développement, la responsabilité des élus dans la transparence. C'est l'objet de ce projet. Le Gouvernement est désintéressé quand il agit comme cela. Son seul intérêt est celui de la Corse et des Corses dans la République."
C'est terrible que l'histoire de la Corse et de la prison soient montées, alors qu'on peut penser qu'il n'y aura jamais de centre de détention ni à Borgo, ni ailleurs en Corse.
- "Ne dites pas cela. Je pense que les Corses et que la Corse ont le droit d'avoir, comme les autres régions de France, un centre de détention pour régler des problèmes sociaux, familiaux, sans distinguer les catégories de détenus. Evidemment, il ne s'agit pas de prévenus, parce qu'ils doivent être prêts du juge d'instruction. Il s'agit des condamnés. C'est un travail qui n'est pas pour demain. Je l'ai dit en Corse. Cela prendra du temps."
C'est en 2004. Si d'ici là, vous avez perdu dans six mois, la droite ne fera pas le centre de détention à Borgo, ni ailleurs en Corse.
- "J'espère bien d'ailleurs que la droite ne reviendra pas aux responsabilités pour casser ce qui a été fait par la gauche. Je pense à des tas de lois justes importantes, qui ont porté leurs fruits dans notre pays. Ce sera le débat politique des mois qui s'annoncent. Je pense que l'intérêt est effectivement de traiter la Corse dans la République et non pas de la rejeter comme certains le font."
La loi sur la sécurité liée au terrorisme est débattue cet après-midi à l'Assemblée nationale. Elle est valable jusqu'en décembre 2003, si elle est votée. Elle comporte des mesures qui risquent - selon le MRAP, les droits de l'homme, quelques élus et juristes - de porter atteinte aux libertés. Est-ce que le gouvernement Jospin va soumettre cette loi sur la sécurité au Conseil constitutionnel ?
- "D'abord pour soumettre une loi au Conseil constitutionnel, il faudrait que 60 parlementaires saisissent le Conseil constitutionnel. Le Gouvernement a proposé, notamment le ministre de l'Intérieur que je suis, des dispositions pratiques dans la loi de sécurité quotidienne, dont je vous rappelle qu'elle a été lancée le 31 janvier et qu'elle risque - je le souhaite - heureusement d'être votée, c'est-à-dire en peu de temps, par l'Assemblée nationale."
Si elle est votée que se passe-t-il ? Dès demain ou après-demain, on voit des policiers qui commencent à ouvrir nos voitures ?
- "Il y a plusieurs choses. Il y a les dispositions qui étaient prévues, notamment sur les armes. J'en suis sûr - et je le sais parce que je vais à la rencontre des Français - que la question des armes est une question posée. Bien sûr, ce n'est pas la question des chasseurs, la question des sportifs, mais du trafic d'armes, de la détention illégale d'armes. Regardez le drame de Tours qui nous le rappelle cruellement."
Et Béziers...
- "Oui. Et combien d'autres cas dramatiques. Les Français préfèrent que des gens détiennent des armes dans des conditions de sécurité et de régularité, plutôt que dans le trafic. Il y a les chiens dangereux, le cartes bancaires..."
Sur les armes : cela veut dire moins de libre accès aux armes ? Des ventes d'armes contrôlées davantage, la détention surveillée ? On va peut-être aller voir ceux qui dans certains quartiers ont des armes ? On va aller les voir et les chercher davantage ?
- "On le fait déjà heureusement. Vous savez que les policiers vont un bon travail pour démanteler les réseaux et les trafics. Ceci étant, il y a encore trop de permissivité qui fait que des armes circulent, sont vendues trop librement, sans contrôle, à des gens dont on sait qu'il ne faut pas qu'ils détiennent des armes. Faire la loi dans ce domaine est un élément utile, voulu et souhaité par les Français. Il y en va de notre sécurité."
Si la loi est votée, elle est appliquée instantanément ?
- "C'est justement ce que je souhaite. Je souhaite que la loi s'applique très rapidement dans toutes ses dispositions. C'est vrai aussi pour les dispositions contre le terrorisme que nous avons rajoutées et qui sont bien utiles et approuvées par les Français."
Les rave parties : le PS finit par se rallier à votre proposition d'encadrer les rave parties ?
- "Sur cette question, j'avais mis le Parlement devant ses responsabilités. J'ai lancé un appel et j'espère qu'il va répondre à mon appel et qu'effectivement, une disposition, une déclaration préalable avant concertation et une application d'une charte permettra que cela se passe mieux que cela ne se passe. Vous l'avez encore vu durant tout cet été. Il y va de la protection de la jeunesse et de la liberté culturelle de la jeunesse."
Bientôt plus sécuritaire que le PS, ce sera impossible ?
- "La sécurité est une valeur qui n'est ni de gauche, ni de droite. C'est une valeur au service de la liberté. La déclaration des droits de l'homme et du citoyen disait : "Des hommes libres dans une société sûre". Le ministre de l'Intérieur veut effectivement la sécurité. Cela me paraît bien le moins qu'on puisse lui demander."
(Source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 31 octobre 2001)