Déclaration de M. Christian Eckert, secrétaire d'Etat au budget, sur la nécessité d'une gestion coordonnée des frontières pour des raisons économiques et sécuritaires, Bordeaux le 28 janvier 2015.

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Circonstance : Journée mondiale de la douane, à Bordeaux le 28 janvier 2015

Texte intégral


Monsieur le Secrétaire général,
Mesdames et messieurs les élus,
Madame la Directrice générale,
Mesdames et Messieurs,
J'avais accepté il y a déjà plusieurs semaines de venir clore vos travaux et ne pouvais imaginer que la gestion coordonnée des frontières – thème a priori plutôt aride – revête finalement une actualité aussi brûlante. Je suis heureux d'être parmi vous aujourd'hui et voudrais tout d'abord remercier de sa présence le secrétaire général de l'Organisation mondiale des douanes, Monsieur Kunio Mikuriya.
Vos débats furent riches, j'en suis persuadé, et permettront d'avancer sur cet enjeu décisif pour notre société : comment gérer ensemble et de manière coordonnée la frontière au XXI ème siècle ?
Certains pourraient s'étonner de cette question à l'ère de la mondialisation des échanges, jugeant la notion de frontière presque anachronique. D'autres au contraire s'empresseraient de raviver le fantasme d'une étanchéité absolue et soi-disant protectrice, oubliant que nulle ligne administrative ne nous protège de nous-mêmes.
L'intérêt général est à mi-chemin, dans une position d'équilibre qui prenne à la fois en compte la multiplication des échanges de toute nature et la montée, tout aussi protéiforme et rapide, de comportements condamnables, allant de la délinquance économique au crime organisé. Pour faire vivre, sur le terrain, cette position d'équilibre, nous avons besoin de la douane, de ses agents et de leurs compétences. Je viens de rencontrer ceux du centre opérationnel douanier terrestre de la direction interrégionale de Bordeaux et ai pu me rendre compte personnellement de leur professionnalisme et des technologies pointues qu'ils mettent au service de leurs missions.
Les défis auxquels nous devons faire face sont nombreux, mondiaux et interdépendants les uns des autres. Ils ont des visages divers : de la contrefaçon à la prolifération des armes en passant par les menaces biologiques ou sanitaires.
Ils sont autant d'atteintes potentielles à notre société et aux valeurs qui en constituent le fondement. Ils sont le fait d'organisations criminelles qui diversifient leurs activités et peuvent simultanément animer un trafic de stupéfiants, organiser des filières d'immigration clandestine ou encore financer des réseaux terroristes. Les attentats qui ont frappé la France du 7 au 9 janvier ont malheureusement démontré l'incroyable porosité de ces économies souterraines entre elles.
Ces menaces sont d'autant plus inquiétantes qu'elles sont devenues globales : dans un marché mondialisé qui connaît une massification croissante des flux des personnes et des marchandises, les réseaux de criminalité organisée s'appuient sur des organisations multinationales qui exploitent les potentialités offertes par le commerce international. Dans un autre domaine, l'interconnexion des zones économiques donne aux risques sanitaires un caractère systémique : on l'a vu encore récemment avec le virus Ebola.
Vous le voyez – et vous en avez discuté aujourd'hui – les défis auxquels nous avons à faire face sont tantôt économiques tantôt sécuritaires, les deux aspects étant intimement liés comme les deux faces d'une même pièce. Ils sont d'ailleurs pareillement sensibles ; et exigent d'être appréciés avec justesse : pousser trop loin le curseur du contrôle des frontières, c'est mettre en danger les libertés publiques et la compétitivité des échanges économiques ; mais lâcher excessivement la bride, c'est mettre en danger les personnes et les entreprises. Nos économies et nos sociétés ont besoin à la fois d'échanges pour produire de la richesse mais aussi de sécurité pour se développer.
Dans ce contexte, si la notion de frontière garde tout son sens, elle a toutefois considérablement évolué.
En premier lieu, notre frontière est désormais celle de l'Union européenne, ce qui impose une responsabilité partagée entre l'ensemble des membres de la communauté.
En second lieu, les frontières virtuelles, avec l'explosion du e-commerce, sont venues se superposer aux frontières physiques. On peut même dire qu'elles les déplacent, en quelque sorte. Elles imposent de développer très en amont la connaissance des flux de marchandises ou de personnes et d'analyser ces flux avant même qu'ils ne franchissent la frontière physique.
Au regard de ces évolutions, notre tâche est immense. Elle nécessite une volonté résolue et une action concertée. Aucun service, aucun pays ne peut agir seul. La gestion de la frontière exige la mobilisation de nombreux savoir-faire.
En ce sens, la gestion coordonnée des frontières est bien plus qu'un concept, c'est une nécessité. C'est le message que je suis venu délivrer aujourd'hui, au-delà de cette assemblée dont la diversité illustre bien la conviction de l'impérieuse nécessité de travailler ensemble.
Nous devons unir toutes les forces agissant aux frontières. Seule cette coopération permettra d'atteindre les trois objectifs qui sont les nôtres en tant qu'administration douanière :
– détecter les menaces contre la sécurité nationale ;
– prévenir les activités criminelles en interceptant les flux illégaux ;
– faire de notre territoire un espace sûr et accueillant pour les échanges légaux.
Cette mission doit s'exercer dans le respect de la sécurité de nos propres agents des douanes. En France, les 6000 douaniers présents sur le terrain, pour la plupart en uniforme, sont des maillons essentiels de la chaîne de protection des citoyens. Mais ils sont à ce titre exposés. Nous devons donc prendre toutes les mesures – et cela a été fait dès les premières heures suivant l'attaque de Charlie Hebdo le 7 janvier dernier – pour les équiper de façon adaptée lorsqu'ils interviennent sur la voie publique.
Plus globalement, la douane et l'ensemble des services agissant aux frontières doivent fédérer leurs compétences afin de relever ces défis.
- Cela implique tout d'abord une mobilisation de nos services de renseignement. Cette action passe par une augmentation de nos capacités : dans le cadre du plan de lutte contre le terrorisme annoncé par le Gouvernement, la Douane se verra dotée de 70 emplois supplémentaires sur trois ans, dont un contingent important sera affecté aux capacités d'enquête (au sein de la DNRED et de Cyberdouane) et aux capacités d'analyse du renseignement (au sein du Groupe opérationnel de lutte contre le terrorisme de la DNRED). Cela passe également par un approfondissement de nos échanges entre les différents services de renseignement : je rencontrerai vendredi Bernard Cazeneuve, avec Michel Sapin, afin d'évoquer les synergies possibles entre les services des Finances et de l'Intérieur dans la lutte antiterroriste. Cela passe enfin par l'enrichissement des renseignements collectés. A cet égard, nous devons continuer à faire progresser ensemble le projet PNR (Passenger Name Record) au niveau européen afin d'accéder aux données des passagers aériens dans le cadre de la lutte contre le terrorisme et la criminalité organisée.
Conformément aux mesures annoncées par le Premier ministre le 21 janvier dernier pour lutter contre le terrorisme, un dispositif PNR sera opérationnel en France dès le 1er septembre 2015, et c'est la douane qui accueillera la première plate-forme interministérielle, dans ses locaux à Roissy.
Par ailleurs, nous renforcerons le système ICS (Import Control System), dont le but est de prévenir les actes terroristes contre les moyens de transport par un meilleur contrôle des flux portuaires et aéroportuaires de marchandises.
- Cet effort de gestion coordonnée implique aussi de partager des canaux de communication avec les forces de police et de gendarmerie. Un budget de plus de 4,5 millions d'euros sera alloué aux Douanes sur trois ans pour multiplier leurs équipements en terminaux radios sur tout le territoire.
- Fédérer les compétences suppose aussi une gestion intégrée des frontières extérieures. A ce titre, la douane est engagée avec ses partenaires interministériels (direction de l'immigration, direction centrale de la police aux frontières, ministère des affaires étrangères) dans le dispositif « frontières intelligentes » qui prévoit, à l'horizon 2017, la création d'un système d'enregistrement automatique des entrées et sorties des personnes.
- enfin, la construction d'un Guichet unique national viendra parachever cette mise en commun de savoir-faire. La douane met en place un Guichet unique qui permet de réaliser en ligne l'ensemble des formalités administratives d'entrée sur le territoire, pour les marchandises les plus sensibles (matériels soumis à contrôle sanitaire, biens à double usage, armes, etc.). Ce projet interministériel regroupe les 15 administrations qui exigent des certificats, autorisations, licences au moment du dédouanement.
Avec ce guichet unique, les entreprises pourront demander leurs certificats et autorisations depuis le portail de la douane qui sera connecté à tous les systèmes des autres administrations. Ce grand projet permettra d'accroître la sécurité des échanges sur les flux les plus sensibles mais constituera également une avancée majeure en matière de simplification et de fluidité des échanges.
Il existe déjà, depuis 2013, pour les certificats sanitaires. Dès 2015, il intégrera les autorisations concernant les certificats d'exportation agricoles, les permis relatifs aux espèces protégées et les matériels de guerre.
Au-delà de la coopération entre administrations, la gestion coordonnée aux frontières nécessite également une forte implication de l'ensemble des acteurs de la chaîne logistique. Transporteurs, professionnels du dédouanement, autorités portuaires ou aéroportuaires, entreprises, doivent travailler ensemble pour fluidifier et sécuriser les échanges internationaux. Dans ce cadre, nous devons encore approfondir nos partenariats afin de fiabiliser les données du commerce international, d'interconnecter nos systèmes informatiques et d'améliorer la prévisibilité des flux. Beaucoup de chemin a déjà été fait, notamment avec les entreprises de messagerie comme j'ai pu le constater lors de mes déplacements dans les Yvelines ou à Dunkerque. Nul doute que l'autoliquidation de la TVA à l'import contribuera à aller encore plus loin.
Cette journée prend une dimension particulière au regard des événements dramatiques qui ont touché notre pays, récemment. Face à ces attaques terroristes, le président de la République a appelé le pays à l'unité. Cette unité doit également se traduire dans notre action quotidienne. Je sais pouvoir compter sur chacun de vous en ce sens.
Sur l'ensemble de ces sujets, je tiens à saluer l'action de l'Organisation mondiale des douanes qui oeuvre pour renforcer les capacités des administrations douanières et faire de la douane du XXIème siècle une force vitale veillant à la sécurité et au bien être des nations.
Je vous remercie.
Source http://www.douane.gouv.fr, le 10 février 2015