Déclaration de M. Laurent Fabius, président de l'Assemblée nationale, sur la politique forestière, notamment la modernisation du code forestier et la production de la filière bois, Paris le 3 mai 1999.

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Circonstance : Ouverture du colloque "Forêt et filière bois" à l'Assemblée nationale le 3 mai 1999

Texte intégral

Je remercie vivement François Brottes, président du groupe d'étude de l'Assemblée nationale sur la forêt et la filière bois, d'avoir pris la bonne initiative de cette manifestation. Elle vient à point nommé pour s'interroger sur la meilleure impulsion à donner à une activité qui, sans être réellement en difficulté nutilise sans doute pas pleinement le potentiel dont elle dispose et reste le cadre d'une controverse qui n'est pas nouvelle sur le rôle même de la forêt. Vous êtes, chacune et chacun, les bienvenus.
Nous disposons depuis 8 mois du rapport de Jean-Louis Bianco au gouvernement ; c'est une excellente base de travail pour l'élaboration d'un texte de loi qui, comme l'a indiqué il y a quelques semaines le ministre de l'agriculture, devrait être déposé devant le parlement avant la fin de l'année. Nous avons à examiner, sans attendre, quelles sont les voies à emprunter pour concrétiser ce travail parlementaire.
On peut dans ce domaine sortir de quelques idées reçues. Beaucoup croient que la forêt régresse et que les industries qui en vivent doivent fatalement elles aussi reculer. Il est vrai que, depuis les temps lointains, quand la surface boisée recouvrait 75 % de notre territoire, la forêt s'est réduite pour atteindre au 19ème siècle moins de 15 % du territoire ; l'homme avait besoin des mises en culture pour nourrir une population en constante progression ; aujourd'hui, la tendance s'est inversée. La France est composée à 30 % de zones forestières. Les terres les moins fertiles retournent à la forêt dans de nombreuses régions, en même temps que se sont régénérées certaines forêts de montagne qui avaient été détruites pour servir de bois de chauffage, entraînant malheureusement érosion accrue et risque d'avalanche.
Pour 80 % de français qui vivent en ville, ainsi d'ailleurs que pour de nombreux ruraux, la forêt est avant tout un lieu de loisir. Les enfants des villes croient souvent qu'un arbre pousse tout seul - ce qui est partiellement vrai - et qu'une belle futaie est une forêt sauvage - ce qui est souvent faux. Comme l'écrit Jean-Louis Bianco dans son rapport, "l'apparition de ce nouvel imaginaire forestier citadin n'est pas facilement compatible avec le constat que les coûts de la gestion durable des forêts sont essentiellement supportés par la vente du bois". Il peut exister des conflits d'intérêts entre propriétaires et usagers, que les propriétaires soient privés ou publics, que les usagers soient des exploitants forestiers, des promeneurs, des chasseurs, des protecteurs de l'environnement, ou des collectivités. Plutôt que de mettre en avant seulement les conflits, on doit chercher à concilier les multiples fonctions de la forêt, patrimoine agricole, environnemental, économique de la Nation.
- La première fonction, c'est bien sûr la production. C'est sur cet aspect que devra porter beaucoup du travail législatif, en modernisant le code forestier, en préparant l'Office national des forêts à ses nouvelles missions, en renforçant les entreprises de la forêt et du bois face à la concurrence. Un plan d'ensemble cohérent devrait permettre de protéger certains biotopes tout en relançant durablement une filière porteuse de croissance et d'emploi. En se rappelant que l'impôt qui préserve la nature est plus intelligent que celui qui pèse lourdement sur le travail.
- D'autres fonctions de la forêt ne sont pas directement des fonctions marchandes. Elles doivent être organisées avec ceux qui sont concernés, l'Etat pour la définition d'une politique nationale, les régions pour les massifs forestiers, les communes, les associations, les producteurs pour faire émerger les besoins et assurer la gestion sur les sites, ce qui n'est pas sans lien avec le démarrage souhaitable d'une seconde phase de la décentralisation.
Nous pourrons utiliser pour cela deux outils contractuels nouveaux :
- les contrats de plan Etat-régions, en cours d'élaboration, dont un volet devra concerner le schéma de services collectifs des espaces naturels et ruraux, institué par la loi d'orientation sur l'aménagement durable du territoire ;
- les contrats territoriaux d'exploitation qui devraient favoriser l'emploi, l'occupation du territoire et la préservation de l'environnement. Ces contrats pourront être ouverts aux exploitations forestières, la politique forestière faisant partie intégrante de la politique agricole.
Avec ces instruments, et avant même que la loi sur la forêt ne soit rédigée, nous répondons à des demandes anciennes et légitimes. Il nous faudra veiller à ce qu'ils soient bien utilisés : nous devons éviter aussi bien la vision ultra productiviste que celle de la forêt sanctuarisée, dans laquelle on ne pourrait plus se promener.
La voie contractuelle devrait permettre de traiter chaque situation avec souplesse. L'exploitant, public ou privé, devra s'engager sur un cahier des charges, rémunéré en fonction de celui-ci, qu'il traite de la protection de l'environnement, du développement du tourisme, de la diversification des activités. Il s'agit d'inverser la tendance, où trop longtemps, le développement de la forêt aura été le corollaire de la désertification des régions.
Quelques mots enfin sur l'Europe et l'international. Les cours du bois fluctuent en fonction de la loi de l'offre et de la demande. Quand ils sont bas, les pays producteurs les plus pauvres ont tendance à tirer encore un peu plus dans leur réserve. Face à cela, les réunions de la Conférence des Nations Unies sur l'environnement et le développement ont permis d'adopter des principes pour un consensus mondial sur la gestion, la conservation et le développement durable de tous les types de forêt. Mais, dune part, en dehors des grandes messes, la dernière fut à Rio en 1992, la pression nest pas maintenue, dautre part reconnaissons que les applications concrètes sont plus faibles. Il serait hautement souhaitable qu'une concertation entre les pays membres de l'Union européenne les amène à une meilleure cohésion de leurs positions, puis à l'adoption d'une politique européenne qui pourrait être une référence mondiale, en utilisant le second volet de la PAC, celui de l'aménagement du territoire, de la protection de l'environnement et de l'emploi.
N'oublions jamais, enfin, que l'horizon du forestier est celui du long terme, pas du myope. Il faut donc non seulement ne pas se tromper, mais juger des conséquences de ses décisions à très longue portée. Bel exemple pour le politique. Cest le sens de la réflexion initiée par François Brottes et vous tous. Dans ce domaine, comme dans tant d'autres, il faut préférer les mesures concrètes aux effets d'annonce, la réforme utile à l'immobilité et la durée à l'instant. Bon travail !
(Source http://www.assemblee-nationale.fr, le 04 mai 1999)