Interview de M. Thierry Mandon, secrétaire d'Etat à la Réforme de l'Etat et à la simplification, à France Inter le 18 février 2015, sur le recours à l'article 49-3 de la Constitution pour faire voter le projet de loi Macron.

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Texte intégral

PATRICK COHEN
Bonjour Thierry MANDON.
THIERRY MANDON
Bonjour.
PATRICK COHEN
La majorité a explosé hier.
THIERRY MANDON
Non, non le…
PATRICK COHEN
Comment ça pourquoi ?
THIERRY MANDON
Non, 49.3 ce n'est pas un signe d'explosion de la majorité, c'est un signe de difficulté persistant, depuis le début d'ailleurs du quinquennat.
PATRICK COHEN
C'est le signe qu'il n'y a pas de majorité pour approuver un texte de loi et un texte considéré comme important.
THIERRY MANDON
Je crois que c'est plus compliqué que ça, je pense que l'histoire de ce texte c'est un match en fait entre une façon moderne de faire de la politique et des réflexes anciens qui persistent.
PATRICK COHEN
Oui mais c'est un match à l'intérieur du Parti socialiste.
THIERRY MANDON
Non, c'est un match qui concerne l'ensemble de la vie politique du pays. Alors les éléments sont simples, l'urgence emploi, ça je pense que tout le monde peut être d'accord là-dessus, ça ne marche pas, pas de résultat et on voit bien qu'il y a des besoins de réformes. Là-dessus qu'est-ce qui se passe ? Vous avez un ministre de l'Economie qui vient à l'Assemblée nationale qui innove dans sa façon de faire de la politique, premièrement il soumet son texte à une contre-expertise indépendante, réalisée par le Commissariat Général à la Stratégie à la Prospective, monsieur PISANI-FERRY, pour voir si vraiment ces dispositions permettent de créer une loi. Deuxièmement, il passe 111 heures en séance, après 82 heures en commission, il accepte un petit millier d'amendements à son texte de loi, jamais, jamais vu. Bref, il fait un vrai travail de coproduction législative, et là …
PATRICK COHEN
Et il se plante.
THIERRY MANDON
Que se passe t-il ? Il se trouve face à un mur de la vieille politique, les bâtisseurs de ce mur on peut le nommer.
PATRICK COHEN
Oui.
THIERRY MANDON
Telle ancienne ministre désormais candidate putative à une présidentielle qui le 4 janvier, alors que le texte n'a même pas commencé à être discuté à l'Assemblée dit je voterai contre, c'est Cécile DUFLOT…
PATRICK COHEN
Cécile DUFLOT.
THIERRY MANDON
En l'espèce. Et puis des gens qu'on n'a pas vus en séance pendant trois semaines, jamais.
PATRICK COHEN
Qui ?
THIERRY MANDON
Qui à la dernière minute viennent expliquer qu'ils sont contre parce que finalement ils ne donnent pas de motivation. Leur intérêt politique ou des petits calculs boutiquiers les poussant à voter contre.
PATRICK COHEN
Benoit HAMON a été vu en séance le week-end dernier ?
THIERRY MANDON
Oui, oui, je crois le dernier jour mais il n'y a pas que lui, il y a les leaders de la droite, il y a l'ensemble de ce que j'appelle la vieille classe politique ; et voilà le match, mais ça c'est très…
PATRICK COHEN
On ne peut pas mélanger tous les députés, ils ne tombent pas du ciel les députés, ils ont tous été élus avec une étiquette politique dans un courant, dans la foulée d'une élection présidentielle. Quand les députés PS, ceux qui se sont opposés au texte disent : on n'a pas été élus pour déverrouiller le travail du dimanche ou les transports par autocar, on peut les entendre, c'est différent de ceux qui ont été élus sur d'autres programmes comme l'UDI ou l'UMP.
THIERRY MANDON
D'abord moi je respecte les convictions de chacun mais j'observe que c'est à peu prés le même nombre de parlementaires qui depuis le premier jour du quinquennat et notamment le premier vote qui a eu lieu sur le Traité européen, la fameuse réorientation ou pas du Traité européen, il manquait à ce moment là une trentaine de voix à l'exécutif et au gouvernement, c'est à peu prés le même nombre, on ne saura pas puisqu'il y a 49.3, c'est à peu prés le même nombre qu'on a retrouvé pour le vote de confiance à Manuel VALLS, pour le Traité dit de l'ANI, l'Accord National Interprofessionnel, donc il y a ce groupe là qui représente un peu moins de 10 % de la majorité, qui persiste dans son opposition au pouvoir. Donc voilà la situation n'a pas radicalement changé. Ce qui a changé c'est qu'il y a une cristallisation des deux camps, il y a des gens qui jusqu'à maintenant fermaient les yeux, s'abstenaient, veulent décidément et vraiment bloquer l'action gouvernementale. Et puis il y a des gens qui essayent de réformer.
PATRICK COHEN
Pour quelles raisons ?
THIERRY MANDON
Et le 49.3 c'est finalement le signal donné à la nouvelle politique pour que le travail parlementaire qui a été fait, ce travail là ne soit pas foulé au pied par des gens qui ont des réflexes anciens d'opposition systématique à des réformes.
PATRICK COHEN
C'est ce qui s'appelle positiver Thierry MANDON. Vous les connaissez bien ces frondeurs, avant d'entrer au gouvernement vous étiez l'un des porte-parole du groupe PS à l'Assemblée, et à vous entendre depuis 5 minutes on a l'impression que vous doutez de leur sincérité, vous avez parlé de calcul de boutique c'est quoi c'est le congrès du PS qui approche, c'est… ?
THIERRY MANDON
Non leur sincérité je ne la mets pas en cause, personne d'ailleurs.
PATRICK COHEN
Donc vous pensez qu'ils sont réellement heurtés par la philosophie libérale de certaines dispositions de la loi Macron.
THIERRY MANDON
Quelle est la situation politique du pays aujourd'hui ? C'est quand même, on est quand même dans le sur réalisme, on est passé de 5 dimanches à 12 dimanches, sur volonté éventuellement du maire, donc ce n'est même pas obligatoire et on passe au 49.3.
PATRICK COHEN
Non mais justement Benoit HAMON expliquait hier, ici même, qu'il aurait suffit que le gouvernement accepte un plancher pour salaire minimum de compensation, de rémunération pour le travail du dimanche pour que les choses puissent se dérouler autrement que le vote contre, qui était annoncé hier, soit une abstention en fait de la part des frondeurs.
THIERRY MANDON
Etre parlementaire ce n'est pas être syndicaliste. C'est le travail des syndicalistes de négocier en fonction de la diversité de l'économie, ce n'est pas une règle administrative qui s'applique à tout le monde.
PATRICK COHEN
Y aurait pu avoir un compromis ?
THIERRY MANDON
Mais il y a un compromis, cette disposition personne n'en parle, par exemple dans le commerce aujourd'hui les salariés qui travaillent le dimanche n'ont pas le droit à être rémunéré plus que s'ils ne travaillaient pas le dimanche.
PATRICK COHEN
Oui il y a un progrès mais…
THIERRY MANDON
Il y a un progrès, maintenant c'est 30 %, désormais tous les salariés du pays qui travaillent le dimanche, tous, là dans le commerce, auront au minium 30 % de compensation salariale supplémentaire.
PATRICK COHEN
Il y a d'autres secteurs où la loi fixe des planchers de rémunération, vous le savez Thierry MANDON.
THIERRY MANDON
Bien sûr.
PATRICK COHEN
Ca aurait pu se faire.
THIERRY MANDON
Et par ailleurs, oui mais c'est extrêmement différent, l'économie française, vous savez les grandes règles administratives qu'on essaye de ploquer comme ça sur toute l'économie, ça ne marche pas. Il y a des réformes récentes qu'on ne peut pas appliquer parce que justement on se rend compte que l'économie est très diverse, mais cette loi crée de nombreux droits pour les salariés. Elle permet de lutter contre par exemple les travailleurs détachés avec des renforcements des contrôles de l'inspection du travail. Elle permet de lutter contre l'utilisation de travailleurs importés pour le transport routier ou le transport fluvial. Et puis je peux vous faire toute une liste. Ce n'est pas une liste, c'est une liste qui crée des droits. C'est tellement vrai que je pense que c'est la raison pour laquelle la droite ne la vote pas. Personne ne s'interroge, l'UMP pourquoi elle se bloque comme ça dans une attitude de refus, elle se bloque parce que cette loi ouvre, bouscule des positions acquises, que la droite protège, reprenant d'ailleurs les amendements que lui proposent ces professions réglementées in extenso sans les signer, et parce qu'elles créent des droits nouveaux aux salariés, c'est pour cela que la droite s'y oppose. En fait ce qui est dommage c'est qu'en effet dans la majorité on n'ait pas eu un peu plus de hauteur de vue pour encourager ce mouvement de création de droits nouveaux pour un certain nombre de salariés.
PATRICK COHEN
Le PS de fait est casser en deux même si ce ne sont pas deux parties égales ou les députés PS sont cassés en deux, il y a deux PS ou il y a deux gauches aujourd'hui ?
THIERRY MANDON
Mais il y a une fronde persistance, on essaye aujourd'hui d'expliquer que la fronde c'est contre Manuel VALLS, et tout cela est absolument n'importe quoi. La fronde elle a commencé, je vais vous redonner les chiffres, 30 voix pour le TSCG, elle a commencé au début du quinquennat, il y a une petite, moins du dixième du groupe qui est sur des positions assez dures.
PATRICK COHEN
On la règle comment cette crise au sein du PS Thierry MANDON à votre avis ?
THIERRY MANDON
Il faut assumer jusqu'au bout l'effort d'innovation politique qu'on est en train d'engager, par exemple il faut un 49.3 de l'application du texte.
PATRICK COHEN
Ca veut dire quoi ?
THIERRY MANDON
Ce texte doit faire ses preuves le plus vite possible, il faut aller très vite pour sortir les décrets, très vite pour engager les négociations sur les articles qui méritent négociations sociales pour qu'il rentre dans les faits, qu'on voit que ce texte va permettre la création d'emplois, et que ceux qui aujourd'hui hésitent, considèrent qu'il n'aura aucun effet ceux là constatent dans les faits que ce texte marche.
PATRICK COHEN
Très vite, au mieux c'est la fin de l'année, la fin de l'année 2015 ?
THIERRY MANDON
Ah non mais moi je pense qu'il faut, dans la fabrique de la loi on peut tout à fait imaginer des systèmes où les décrets sont préparés pendant l'examen du texte de loi qui peut être ajusté et aux quelques semaines, trois mois après le texte de loi les décrets sortent. Ca veut dire quoi ? Ca veut dire à l'été 2015. Je pense qu'on peut se donner cet objectif de sortir les décrets à l'été 2015 et de faire en sorte que les dispositions principales et bénéfiques pour l'emploi de ce texte s'appliquent d'ici la fin de l'année. C'est très important de faire la preuve, il faut continuer cet effort de modernité. Et puis par ailleurs je pense qu'on pourrait aussi innover en demandant une évaluation en continue des effets de ce texte qui pourrait être fait par une commission de l'Assemblée nationale, on évalue quand on a envie, quand on a le temps en France. Constatons là aussi les impacts des dispositions de ce texte.
PATRICK COHEN
Thierry MANDON, invité de France Inter ce matin.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 24 février 2015