Déclaration de M. Jean-Pierre Chevènement, ancien président du Mouvement des citoyens et ancien ministre de l'intérieur, sur le vote des députés du MDC contre le projet de loi de "modernisation sociale" et sur leur proposition de rétablir l'autorisation administrative de licenciement pour les entreprises dont les plans sociaux concernent plus de 500 suppressions d'emplois, à l'Assemblée nationale, le 13 juin 2001.

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Circonstance : Vote concernant le projet de loi de "modernisation sociale" à l'Assemblée nationale, le 13 juin 2001

Texte intégral

Monsieur le Président,
Madame la Ministre,
Mes chers collègues,
J'interviens au nom des députés du Mouvement des Citoyens. J'indique que les Radicaux de Gauche voteront pour et que les Verts s'abstiendront.
La vague de licenciements dans les grands groupes, sans aucune justification industrielle, la multiplication des plans dits " sociaux " et des licenciements boursiers, illustrent ce que nous connaissons à savoir la dictature actuelle des gestionnaires de fonds qui exigent des entreprises des taux de rentabilité à deux chiffres. Nous revenons à l'archéo-libéralisme du 19ème siècle, à un déséquilibre toujours plus marqué entre le capital et le travail avec des inégalités croissantes, des gains de pouvoir d'achat concentrés sur une minorité, les trois-quart des salariés voient leurs revenus stagner et même quelquefois diminuer, le modèle de l'économie sociale de marché est remis en cause.
Face à la révolte des salariés et au large mouvement de solidarité qui s'est exprimé chez les Français, le gouvernement a souhaité apporter une réponse à travers ce projet de loi de modernisation sociale. J'insiste sur le fait que c'est lui-même qui a choisi le vecteur de ce projet de loi. Or, il ne semble pouvoir le faire que par quelques mesurettes destinées à freiner quelque peu la machine à broyer les emplois.
Il faut rappeler, en effet, que la dictature actuelle des marchés financiers n'est pas tombée du ciel. Ce sont les gouvernements successifs qui se sont défaits des leviers de commande et qui ont installé la dictature de ces marchés financiers.
Elle est le résultat de la libéralisation -sans aucune contrepartie fiscale ou autre- des mouvements de capitaux, ou du traité de Maastricht qui a interdit toute mesure de politique industrielle contraire au sacro-saint principe d' " une économie ouverte où la concurrence est libre ", véritable Constitution libérale pour l'Europe : Banque centrale européenne indépendante, Commission de Bruxelles et Cour de justice européenne imposant le respect des dogmes libéraux inscrits dans les traités européens, sans parler de l'Organisation mondiale du commerce qui transforme la planète en supermarché.
La théorie dite de la " régulation " cache mal la résignation face à l'absence d'ambition sociale en Europe, symbolisée par la déclaration de Lisbonne.
Dans un tel environnement, l'actionnaire est roi et le citoyen disparaît. Il ne suffit, pour combattre la mondialisation libérale, de demander leur avis aux syndicalistes ou d'en appeler, via le boycott de Danone, au consommateur. Il faut en appeler au citoyen. Or ce que vous nous proposez, Madame la Ministre, est insuffisant.
En effet, il ne suffit pas de renforcer les institutions représentatives des salariés face à un patronat aiguillonné par les actionnaires. C'est là une vision réductrice compréhensible d'un point de vue libéral où n'existent que les facteurs de production -le travail et le capital- compréhensible peut-être, du point de vue d'un marxisme primaire où l'Etat est l'instrument docile du capital, mais non d'un point de vue républicain où il faut un arbitre qui ne peut être que l'Etat.
Jaurès disait déjà, au début du 20ème siècle, qu'il lui appartenait de faire entendre la voix d'un intérêt général.
Déclarer aujourd'hui que l'Etat ne peut rien, traduit un aveu d'impuissance devant le retour à l'archéo-libéralisme qui laisse le monde du travail sans défense.
On peut aussi proposer le recours au juge, mais je pense que la judiciarisation de la vie sociale, outre qu'elle complique la vie des entreprises, met l'Etat lui-même aux abonnés absents. Or, dès lors que la Commission de Bruxelles se borne à constater la conformité des plans de restructuration industrielle avec les lois de la concurrence, les citoyens, les milieux populaires en particulier, attendent légitimement de l'Etat, garant du long terme et de la cohésion sociale, qu'il joue ce rôle d'arbitre.
L'Etat, Madame la Ministre, ne doit pas se défausser de ses responsabilités.
J'ai déposé, avec les députés du MDC, un amendement ; il ne proposait pas le rétablissement de l'Autorisation administrative de licenciement qui, chacun s'en souvient, passé le délai réponse de quinze jours, équivalait presque toujours à une approbation tacite. Non, il prévoyait que pour les plans sociaux comportant plus de cinq cents suppressions d'emplois ou pour les opérations de restructurations touchant à un intérêt industriel majeur, l'autorisation de l'administration soit rétablie.
Cet amendement ayant été rejeté par le gouvernement, force nous est de constater que ce projet de loi, même s'il améliore la concertation entre partenaires sociaux, ce que nous ne nions pas, n'est pas à la hauteur des enjeux. Car, un Etat simplement garant des règles de la libre concurrence, ne correspond à rien d'autre que la définition qu'en donne le libéralisme.
C'est la raison pour laquelle les députés du MDC, comme ils s'étaient opposés en mai 2000 au texte, de même inspiration, portant sur les nouvelles régulations économiques, voteront contre ce projet de loi de " modernisation sociale " qui ne fournit pas une réponse à la hauteur des problèmes posés par la mondialisation libérale.
(Source http://www.mdc-France.org, le 18 juin 2001)