Texte intégral
Monsieur le Président,
Monsieur le Rapporteur,
Mesdames, Messieurs les Sénateurs,
Votre Commission des Affaires Sociales a souhaité, au mois de juin dernier, dissocier l'examen des dispositions du projet de loi de modernisation sociale relatives au régime du licenciement économique, des autres dispositions de ce texte.
J'ai déploré ce délai supplémentaire qui retarde le vote définitif de la loi et prive ainsi les salariés d'une protection sociale attendue. Mais il a mis encore plus en évidence l'importance et l'actualité toute particulière de la question.
Depuis plusieurs mois déjà, les difficultés économiques que connaissent les aux Etats-Unis entraînent une révision à la baisse des perspectives de croissance dans l'ensemble des pays industriels. Certains secteurs, comme la téléphonie ou ceux de l'économie de l'internet, ont subi des révisions déchirantes. La chute des cours boursiers a un effet de freinage important des investissements.
Les inquiétudes et incertitudes nées des attentats du 11 septembre ont amplifié les doutes sur la capacité de redressement, à brève échéance, des économies développées. De nouveaux secteurs d'activité ont été directement et immédiatement impactés, comme le transport aérien ou le tourisme.
Même si des mesures sont d'ores et déjà prises ou sont en discussion, pour réagir à ces difficultés et lever ces inquiétudes, pas une semaine ne s'écoule sans que ne soient annoncés des plans de restructuration d'entreprises qui avivent la crainte de milliers de salariés à l'égard de l'avenir de leur emploi.
Vous êtes Mesdames et Messieurs les Sénateurs, plus encore qu'au mois de juin, sous le regard des salariés qui attendent du législateur le bénéfice d'un régime de traitement des difficultés et restructurations économiques plus protecteur du droit à l'emploi.
C'est la finalité du texte adopté le 13 juin dernier, par vote solennel, en 2ème lecture par l'Assemblée Nationale.
Ce texte est bien proportionné aux enjeux économiques et sociaux qui sont les nôtres. Il propose des solutions justes et équilibrées, sur lesquelles je voudrais revenir, dans deux directions :
- celle du droit d'information et d'intervention des salariés et de leurs représentants, sur les projets de restructuration des entreprises.
- celle de la responsabilité sociale des chefs d'entreprise dans la protection de l'emploi des salariés.
1. Le droit d'information et d'intervention des salariés et de leurs représentants :
Le projet de loi n'empêche pas les entreprises d'évoluer et de s'adapter. C'est pourquoi nous n'avons pas retenu l'idée d'un recours au juge ou à l'Etat pour se prononcer sur l'opportunité d'un projet de restructuration.
Le texte que vous examinez aujourd'hui mise sur le renforcement du dialogue social à l'intérieur même de l'entreprise, entre l'employeur et les représentants des salariés, pour trouver les voies d'une adaptation qui concilie au mieux les intérêts économiques et sociaux en cause.
Un changement réussi est celui dont la justification et les modalités sont clairement présentées devant les principaux concernés, c'est à dire les salariés et leurs représentants. C'est celui qui n'est pas joué d'avance et qui comporte des marges de discussion, parce que l'avenir de l'entreprise ne se fait pas contre les salariés.
J'entends critiquer le risque que ferait courir aux entreprises des délais supposés excessifs d'information et de consultation préalables. Mais il est des délais, bien plus invalidants : ce sont ceux des conflits collectifs engendrés dans un grand nombre de cas par l'absence de dialogue social véritable.
Les exigences posées par le projet de loi, en matière d'annonce publique ou de concertation préalable à la prise de décision de l'employeur, sont parfaitement justifiées :
- Rien ne saurait justifier que le comité d'entreprise soit le dernier informé d'un projet qui doit avoir des conséquences importantes sur l'emploi ou les conditions de travail, et notamment après le public ou les actionnaires.
- Le recours à la médiation, comme voie ultime de conciliation des points de vue lorsqu'ils divergent durablement, est d'autant plus adapté qu'il ne dessaisit pas l'employeur de la responsabilité de la décision finale et qu'il ne porte donc pas atteinte à son pouvoir de gestion économique.
On a dit que cette procédure était " précipitée " ou " non évaluée ", alors même que la médiation fait partie de longue date de notre arsenal juridique, toutes branches du droit confondues, et qu'un projet est en cours de réflexion, au plan européen, pour la mettre en valeur et la promouvoir comme élément du droit social communautaire. Il vaut mieux une médiation réussie, même au prix d'un allongement des délais de concertation, plutôt qu'un conflit qui hypothèquera la réussite de la restructuration.
Je constate, en outre, qu'une telle procédure a le mérite de privilégier la rechercher d'une solution entre parties plutôt que d'externaliser la décision entre les mains du juge ou de l'administration, comme l'induirait un droit d'opposition non assis sur la médiation.
Et il n'est pas besoin d'ajouter que le recours à un médiateur n'est qu'une potentialité dont on se passera si le dialogue social sait être de qualité.
Les remarques qui précèdent, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, n'épuisent pas l'ensemble des mesures du projet que vous examinez. D'autres dispositions importantes consolident l'obligation des employeurs en matière de concertation préalable à toute décision de restructuration pouvant entraîner des suppressions d'emploi. Je ne les rappellerai que pour mémoire car elles n'ont pas fait l'objet de critiques de principe de votre Commission des affaires sociales. Je pense notamment :
- à la saisine des organes de direction et de surveillance de l'entreprise sur la base d'une étude d'impact social et territorial, avant décision de restructuration ;
- à la distinction entre la concertation sur le projet économique lui même et celle sur ses conséquences sociales en matière de suppression d'emplois, assortie d'un droit des représentants du personnel de recourir à un expert et de proposer des mesures alternatives ;
- ou encore à l'information en amont de l'entreprise sous-traitante, pour lui permettre de parer aux conséquences que le projet de l'entreprise donneuse d'ordre peut avoir pour elle-même.
La deuxième finalité du projet de loi, tout aussi légitime et proportionnée aux enjeux, consiste à étendre la responsabilité sociale des chefs d'entreprise et à renforcer la protection des salariés face aux licenciements économiques.
2. L'extension de la responsabilité sociale des chefs d'entreprise et de la protection de l'emploi des salariés.
Une des principales idées force du projet de loi de modernisation sociale est que toutes les solutions alternatives doivent avoir été proposées, étudiées et mises en uvre avant que des suppressions d'emploi ne soient envisagées. Les licenciements économiques sont l'ultime recours.
Cette idée n'est pas nouvelle, elle était déjà inscrite dans le Code du travail, en particulier dans la logique du dispositif de plan social depuis 1986. Elle a été plusieurs fois renforcée en 1989 et 1992.
Mais il manque encore des éléments à cet édifice, que vient combler le texte adopté par l'Assemblée Nationale.
- La réduction du temps de travail, comme la loi du 19 janvier 2000 l'organise, est une mesure fondamentale pour sauvegarder des emplois.
Refuser de faire de cette question un préalable à la présentation d'un projet de licenciement collectif, ainsi que le propose votre Commission des Affaires Sociales, est incompréhensible dans une logique de solidarité interne à l'entreprise pour sauvegarder des emplois.
Vous n'êtes pas en phase sur ce point avec les salariés et les organisations syndicales, que pourtant vous avez eu soin de consulter.
- Le deuxième élément fondateur de la responsabilité sociale des chefs d'entreprise et de protection du droit à l'emploi des salariés, repose sur la définition du licenciement économique.
La définition adoptée par l'Assemblée Nationale est il est vrai plus exigeante. Elle rendra plus serrée la discussion dans l'entreprise, avec les représentants du personnel, sur les circonstances justifiant des licenciements et elle conduira à renforcer la recherche de mesures alternatives. C'est son but. Mais elle reste ouverte et proche des apports de la jurisprudence, puisqu'elle ne se limite pas à la prise en compte des difficultés économiques : elle admet la nécessité pour l'entreprise de s'adapter aux évolutions technologiques et de se réorganiser pour assurer son activité présente et à venir.
- Le troisième pilier, sans doute le plus essentiel, est celui qui vient donner toute sa force au droit au reclassement.
Le reclassement interne, par l'adaptation des salariés aux évolutions de l'emploi et le développement de leurs compétences par la formation, est une obligation permanente de l'entreprise. Elle est posée clairement par le projet de loi. Une innovation fondamentale, que vous avez déjà adoptée au mois de juin, donnera corps à cette obligation : c'est la validation des acquis de l'expérience et leur reconnaissance par les diplômes et titres, qui permettra d'une part de mettre en évidence les compétences acquises des salariés, souvent ignorées des entreprises faute de formalisation, et qui leur offrira des perspectives de développement professionnel garantissant leur parcours dans l'emploi.
Cette obligation d'adaptation permanente est d'autant plus forte que l'employeur devra faire la démonstration de son respect au moment où il envisage des licenciements économiques.
Le projet de loi n'autorise en effet le licenciement qu'après que tous les efforts de formation et d'adaptation aient été réalisés et le reclassement des salariés recherché dans l'entreprise et, si c'est le cas, dans le groupe.
Le licenciement est donc bien l'ultime recours et, pour éviter qu'il ne conduise au chômage, il est prévu que les salariés des entreprises de 1 000 salariés et plus se voient proposer un congé de reclassement de 9 mois maximum, financé par l'employeur.
Mais il manque dans le projet que vous examinez, un dispositif actif d'aide au reclassement pour les salariés des petites et moyennes entreprises, non concernés par le congé de reclassement.
C'est pourquoi, après en avoir discuté avec les partenaires sociaux, le gouvernement a déposé un amendement qui permettra à l'UNEDIC et à l'ANPE d'engager des actions de préparation au reclassement de ces salariés pendant la durée de leur préavis.
Ces actions porteront sur des bilans d'évaluation des compétences et sur un accompagnement personnalisé.
L'employeur sera tenu de proposer ces actions aux salariés et de leur laisser le temps d'y participer.
C'est une mise en œuvre anticipée du PARE.
J'espère, que le Sénat aura soin d'adopter cet amendement qui répond à une critique touchant à l'insuffisance des mesures de protection pour les salariés des entreprises petites et moyennes qui sont les plus nombreux à subir les licenciements économiques.
Votre haute assemblée aura soin aussi, je l'espère, d'adopter deux dispositions très importantes dont votre Commission des Affaires Sociales prône la suppression.
Je pense au doublement de l'indemnité minimum légale de licenciement en cas de licenciement économique et aux obligations de contribution des grandes entreprises à la réactivation des bassins d'emploi affectés par des fermetures totales ou partielles de sites.
S'agissant de l'indemnité légale de licenciement, faut-il rappeler que son taux n'a pas évolué depuis 1973 ? Faut-il rappeler aussi que l'inégalité est grande entre salariés d'entreprises importantes qui voient souvent fortement majorer leurs indemnités de départ et ceux des petites et moyennes entreprises qui ne bénéficient que du minimum légal ?
L'argument consistant à dire que cette mesure de justice sociale va engendrer une fraude au licenciement personnel s'autodétruit par le fait même que la fraude est redressable par le juge et qu'il en coûtera alors plus cher à l'entreprise.
Enfin, puisque la demande de suppression de l'article sur l'obligation de contribution à la réactivation des bassins d'emploi est fondée sur l'absence de précisions concernant la nature et l'assiette de cette contribution, j'espère que vous accueillerez favorablement l'amendement du gouvernement qui apporte satisfaction sur ce point À moins qu'il ne s'agisse d'une écoute sélective ne prenant en compte qu'un versant des avis des partenaires sociaux Mais ce serait étonnant de la part de parlementaires qui, dans leurs circonscriptions expriment souvent leur désarroi lorsque des fermetures d'entreprises importantes ruinent les efforts qu'ils entreprennent pour assurer le développement économique local
Telles sont, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, les points saillants de cette partie essentielle du projet de loi de modernisation sociale que je tenais à mettre en lumière.
Loin d'empêcher les entreprises d'évoluer et de s'adapter, les dispositions sur le licenciement économique adoptées par l'Assemblée Nationale exigent qu'elles le fassent en toute responsabilité : dans le respect de la transparence du dialogue social, en s'appuyant sur la force du compromis et en préservant l'emploi dans toute la mesure du possible.
C'est une architecture de droits et obligations dont notre pays a besoin, pour faire face aux incertitudes économiques qu'il connaît, et pour combattre le désespoir de milliers de salariés qui craignent d'en être les premières victimes.
(source http://www.travail.gouv.fr, le 11 octobre 2001)