Interview de Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice, avec France 2 le 20 mai 2015, sur la réforme du collège, la question de la Gestation pour autrui, la lutte contre le racisme et l'antisémitisme et sur la relaxe des deux policiers dans l'affaire de la mort de deux jeunes garçons de Clichy-sous-Bois.

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Média : France 2

Texte intégral


WILLIAM LEYMERGIE
Pour l'instant ce sont « Les 4 vérités », ce matin c'est Jeff WITTENBERG qui reçoit Christiane TAUBIRA, ministre de la Justice.
JEFF WITTENBERG
Oui ! Bonjour à tous, bonjour à vous madame TAUBIRA.
CHRISTIANE TAUBIRA
Bonjour.
JEFF WITTENBERG
Le gouvernement auquel vous appartenez a donc décidé, on l'entendait dans le journal, de publier dès ce matin les décrets d'application de la réforme des collèges, est-ce qu'on peut appeler ça un passage en force ?
CHRISTIANE TAUBIRA
Absolument pas ! Ca fait plusieurs mois que la ministre de l'Education nationale travail sur cette réforme, elle a expliqué, explicité longuement. C'est une réforme ambitieuse, parce qu'elle vise à donner à chaque enfant toutes ses chances de façon à ce qu'il donne lui-même le meilleur de lui-même, par conséquent c'est une réforme pour l'égalité, pour l'excellence et il est très bien qu'on vise la totalité des enfants.
JEFF WITTENBERG
Une réforme ambitieuse qui est dénoncée par une grande majorité d'enseignants, cela suffit quand même à l'appliquer, même ceux qui vont devoir l'appliquer n'en veulent pas ?
CHRISTIANE TAUBIRA
Non ! Mais j'ai vu qu'il y a des nuances dans les contestations sur cette réforme et, de toute façon, les réformes elles se prennent en main une fois qu'elles sont établies par les chefs d'établissement et les enseignants - et nous leur faisons confiance - nous c'est tout le gouvernement, nous savons qu'ils vont prendre en main cette réforme. A partir du moment où nous sommes d'accord sur l'objectif – et c'est le cas - parce que des syndicats d'enseignants l'ont dit eux-mêmes, ils ont le souci que les enfants acquièrent les fondamentaux et que les enfants avancent, donc une réforme qui vise à leur donner toutes leurs chances est une bonne réforme, elle sera mise en oeuvre, je suis persuadée que ce sera un grand succès.
JEFF WITTENBERG
Alors, ça, c'est sur le fond. Sur la forme vous vous sentez solidaire de Najat VALLAUD-BELKACEM qui, comme vous, a subi des attaques qui n'étaient pas simplement circonscrites à son domaine de compétences, par exemple monsieur CAMBADELIS parlait un petit peu de xénophobie à son égard, est-ce que vous avez senti cela vous aussi ?
CHRISTIANE TAUBIRA
Il y a des attaques ! Mais je crois qu'il est important, d'une part de ne pas s'arrêter, d'autre part évidemment de ne les minimiser, c'est-à-dire de bien dire…
JEFF WITTENBERG
Elles existent ?
CHRISTIANE TAUBIRA
Incontestablement ! Mais c'est de l'écume, c'est du bruit de fond, c'est du brouhaha, c'est de la diversion - ce qui compte c'est le travail de fond que nous effectuons et qui déplait profondément - simplement nos adversaires n'ont pas le courage d'opposer les arguments politiques, d'opposer des projets construits, cohérents, sérieux, donc ils font de la diversion. Mais, nous, nous n'allons pas nous laisser égarer.
JEFF WITTENBERG
Autre sujet qui est revenu dans l'actualité - et là qui vous concerne directement - la question de la Gestation Pour Autrui, la GPA, il y a quelques jours le tribunal de Nantes a autorisé l'inscription à l'état-civil d'enfants nés à l'étranger par cette méthode et hier, devant l'Assemblée, vous avez expliqué qu'il fallait respecter cette décision. Est-ce que ce n'est pas une légalisation, de fait, de la Gestation Pour Autrui de la GPA ?
CHRISTIANE TAUBIRA
Absolument pas ! Le tribunal ne se prononce pas sur la GPA, la GPA est absolument interdit dans le droit civil, dans le Code civil, absolument ça veut dire que c'est un principe sans nuance, que c'est un principe d'ordre public. Donc, la GPA…
JEFF WITTENBERG
Donc ces enfants nés par GPA, pour comprennent bien…
CHRISTIANE TAUBIRA
Mais les enfants existent monsieur WITTENBERG, les enfants existent, et donc le président de la République et le Premier ministre ont réaffirmé l'interdiction de la Gestation Pour Autrui. Ce n'est pas ça qui est en question, ce qui est en question ce n'est pas des enfants à venir par un encouragement à la GPA ou un assouplissement de l'interdiction, ce qui est en question… là le tribunal se prononce sur la transcription d'actes d'état-civil établis et qui concernent des enfants Français par le Code civil lui-même parce que leurs parents sont Français, donc Français qui vivent sur le territoire français, qui sont les enfants de la République. Donc, la question c'est de savoir comment on concilie la nécessité de rappeler que la GPA est interdite et le fait que la France elle-même dans son Code civil, dans son droit - qui a pris 40 ans pour être établi le droit sur l'égalité des droits des enfants – et respecte également une décision de la Cour européenne.
JEFF WITTENBERG
Je me permets de vous interrompre ! Qu'est-ce qui empêchera, avec cette décision que vous approuvez, que vous défendez en tout cas, d‘autres familles, d'autres personnes d'aller pratiquer cette méthode de la GPA à l'étranger puisque d'une certaine façon les enfants nés par cette pratique sont Français par la suite, vous dites ce n'est pas un encouragement, mais ça peut le devenir ?
CHRISTIANE TAUBIRA
Non ! Ce n'est pas un encouragement. Parce que… ça peut le devenir dans l'esprit des gens qui pensent qu'on se réveille un matin et qu'on va faire une GPA, voilà, donc effectivement avec ce raisonnement-là on est persuadé que les gens vont se dire, clac, demain je vais faire…
JEFF WITTENBERG
Lorsqu'on ne peut pas avoir d'enfant, ça peut arriver ?
CHRISTIANE TAUBIRA
Non ! Mais les gens qui sont confrontés au désir d'enfant, sur lequel je ne porte pas de jugement, les gens qui sont confrontés au désir d'enfant ils cherchent des solutions - ils cherchent des solutions médicales, ils cherchent des solutions sur place et il y en a qui vont chercher des solutions ailleurs - et dans l'ailleurs il y a une diversité de situations, donc ne confondons pas les sujets, ne confondons pas les sujets. Est-ce qu'on va prendre prétexte du fait que quelques couples supplémentaires…
JEFF WITTENBERG
Vous, vous ne le dissuadez pas ces gens-là donc ?
CHRISTIANE TAUBIRA
Nous répétons formellement que le GPA… et je dis que, si on va jusqu'au bout du raisonnement, on se donne les moyens de sanctionner les personnes qui recourent à la Gestion Pour Autrui, donc il faut arrêter l'hypocrisie, il faut arrêter l'hypocrisie, la GPA a été interdite, si on veut aller au bout du raisonnement, on sanctionne les personnes qui enfreignent cette interdiction mais on ne se venge pas sur les enfants d'un autre côté, des enfants qui sont déjà nés, des enfants qui entendent ces paroles qui sont d'une extrême violence, y compris lorsqu'ils sont prononcés avec un ton chic et pincé.
JEFF WITTENBERG
Madame TAUBIRA, on va parler d'un autre sujet, une réunion de magistrats consacrée aujourd'hui à la lutte contre le racisme et l'antisémitisme – puisque ça été déclaré grande cause nationale par le président – va avoir lieu sous votre direction, quelles sont les actions de ce domaine ? Est-ce que les choses ont changé dans les décisions de justice depuis que cette décision a été prise ?
CHRISTIANE TAUBIRA
Oui ! Vous savez que le gouvernement a mis en place un plan interministériel et triennal de lutte contre le racisme et l'antisémitisme…
JEFF WITTENBERG
Oui !
CHRISTIANE TAUBIRA
Et toutes les discriminations, donc je…
JEFF WITTENBERG
Qu'est-ce que ça change concrètement dans les décisions de justice ?
CHRISTIANE TAUBIRA
Ce que ça change, c'est qu'il y a un certain nombre d'actes. Pour ce qui concerne le Ministère de la Justice, nous sommes cinq ministères concernés, pour ce qui concerne le Ministère de la Justice par exemple nous allons mettre en place une enquête annuelle de victimation, c'est-à-dire que nous avons besoin de comprendre et de saisir la mesure réelle du phénomène, vous savez qu'il y a à peu près 300 – 350 condamnations correctionnelles prononcées chaque année - il est évident que ça ne correspond pas à l'ampleur du phénomène - donc cette enquête qui sera menée par l'Observatoire de la délinquance et des réponses pénales nous donnera des éléments, nous publions déjà l'ensemble des condamnations que nous communiquons à la Commission des droits de l'homme et nous travaillons avec les associations. Ce que nous allons faire en plus c'est une plateforme interactive, qui va associer les partenaires institutionnels et associatifs pour informer et orienter les victimes ; nous allons également créer l'action de groupe…
JEFF WITTENBERG
Dans ce domaine !
CHRISTIANE TAUBIRA
Qui permettra aux victimes de se rassembler et donc de saisir la justice ensemble qui prononcera les sanctions ou les réparations.
JEFF WITTENBERG
Madame TAUBIRA, est-ce que vous êtes choquée par les déclarations qui ont suivi la relaxe des deux policiers dans l'affaire de la mort des deux jeunes garçons de Clichy-sous-Bois, Zyed et Bouna, le député-maire de Nice Christian ESTROSI a dit – je le cite – hier : « que c'était aux familles d'éduquer les enfants pour faire en sorte qu'ils ne soient pas délinquants et que ces deux jeunes étaient – je cite – en excès de vitesse », est-ce que ces déclarations vous ont choqué, vous, madame TAUBIRA ?
CHRISTIANE TAUBIRA
En excès de vitesse avec leurs jambes, parce que ce sont deux gamins qui sortaient d'un match de football et qui affolés de ne pas avoir leurs papiers sur eux se sont mis à courir, ils étaient donc en excès de vitesse avec leurs jambes. Moi je suis choquée effectivement que des responsables politiques puissent avoir des paroles aussi abjectes alors que les coeurs des mamans et des papas sont encore en lambeaux. Que l'on commente des décisions de justice c'est déjà contestable par des responsables politiques mais qu'en plus…
JEFF WITTENBERG
Vous ne le faites pas !
CHRISTIANE TAUBIRA
Moi je ne le fais pas ! Mais que des responsables politiques se permettent de le faire c'est déjà contestable, mais venir jeter comme ça encore de la souffrance sur des coeurs meurtris, avec du cynisme électoraliste, simplement juste pour des raisons électoralistes - parce qu'il y a des personnes qui sont en campagne dans le Sud et qui courent après un parti politique qui n'a lui-même aucune décence, aucune pudeur – oui je suis choquée par ça. Je ne porte aucune appréciation sur la décision de justice, mais néanmoins je pense aux parents de Zyed et de Bouna, et je me souviens qu'à l'époque d'ailleurs un ministre de l'Intérieur – qui par la suite est devenu président de la République - ce ministre de l'Intérieur les avaient qualifiés…
JEFF WITTENBERG
Nicolas SARKOZY !
CHRISTIANE TAUBIRA
Voilà ! De cambrioleurs, de voleurs, les avaient accusés d'être délinquants, il avait été établi 48 heures après que c'était complètement faux.
JEFF WITTENBERG
Eh bien on vous a entendu ! Merci beaucoup madame TAUBIRA…
CHRISTIANE TAUBIRA
Merci à vous.
JEFF WITTENBERG
C'est à vous William, très bonne journée à tous.
WILLIAM LEYMERGIE
Merci.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 26 mai 2015