Déclaration de Mme Ségolène Royal, ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, sur l'impact du dérèglement climatique sur la biodiversité marine, à Washington le 9 juin 2015

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Circonstance : Ouverture du Capitol Hill Ocean Week (CHOW), dans le cadre de la Journée mondiale des océans, à Washington (Etats-Unis) le 9 juin 2015

Texte intégral

Mesdames, Messieurs
Je salue les nombreuses éminentes personnalités rassemblées ce matin autour de la grande cause de la mer et des océans.
Je suis impressionnée par la forte participation et sa diversité (Congressional Members and staff, Administration officials, state and local government representatives, business executives, military officials, academic experts, and conservation leaders) ce qui démontre bien l'importance et l'universalité du sujet, et cela d'autant plus que nous sommes à quelques mois de la COP21.
En 15 ans, année après année, le CHOW est devenu un rendez-vous recherché. Cette année, vous examinerez les questions les plus importantes de politiques marines, de conservation et de gestion des océans, et de l'apport des océans à l'économie.
En fait il n'y a qu'un océan, qui irrigue toute la terre et relie les continents les uns aux autres. C'est un trait d'union. C'est sur l'Atlantique, océan qui nous unit, qu'a vogué la frégate l'Hermione, cette magnifique frégate que nous avons saluée vendredi à son arrivée aux Etats-Unis à Yorktown et que nous célébrerons à nouveau ce soir à Mount Vernon.
Je souhaite évoquer avec vous deux phénomènes qui impactent l'océan : le changement climatique et la pression exercée sur la biodiversité marine.
La France va accueillir la vingt-et-unième Conférence des Parties à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques.
C'est une échéance cruciale, puisqu'elle doit aboutir à un nouvel accord international sur le climat, applicable à tous les pays, dans l'objectif de maintenir le réchauffement mondial en deçà de 2°C.
Hier, le 8 Juin, était la Journée internationale des océans. À l'UNESCO à Paris la plateforme climat - océans, composé d'ONG et de scientifiques, a lancé un appel pour les océans soient davantage pris en compte dans les négociations climatique à l'approche de COP21 à Paris, en soulignant l'importance des océans pour lutter contre le problème du changement climatique.
Car le changement climatique a un impact direct sur les océans, et notamment sur l'acidification des océans.
Or le changement climatique a une incidence directe sur l'océan, et notamment son acidification.
L'océan couvre 71 % de la surface de la terre. Il a vu naître la vie. L'océan et l'atmosphère sont intimement liés. Ils échangent de l'énergie sous forme de chaleur et d'humidité. L'océan est ainsi un immense régulateur du climat.
Or, les températures moyennes de l'air à la surface du globe et de la surface de l'océan sont en hausse. Et le niveau moyen des océans se relève plus vite que jamais depuis la fin de la dernière ère glaciaire.
Les océans piègent près de 26 % des émissions de carbone. Or aujourd'hui, il s'acidifie à cause de la production excessive d'acide carbonique. C'est néfaste pour certaines variétés de plancton, et menace toute la chaîne alimentaire marine, ainsi que les activités socio-économiques qui en dépendent. Les changements rapides de la composition chimique de l'eau de mer ont un effet délétère sur les écosystèmes océaniques.
Tout cela impacte sur la biodiversité marine, qui, malgré toute sa richesse, et malgré l'étendue de l'océan, est fragile. De récents travaux conduits par le Centre national de recherche scientifique français ont montré que l'océan, dans sa quasi-totalité, va connaître un bouleversement profond de sa biodiversité si le réchauffement climatique n'est pas maîtrisé, avec la prolifération d'espèces exotiques (sargasses, méduses) et la disparition d'autres espèces, notamment celles qui peuvent être pêchées aujourd'hui.
Sur les 3 000 espèces marines ayant fait l'objet d'une évaluation de l'UICN de 2008, 22 % étaient classées « menacées », c'est-à-dire vulnérables, en danger ou en danger critique. Le monde a déjà perdu 19 % de ses récifs coralliens. 60 % des grands écosystèmes marins de la planète ont été dégradés.
32 % des stocks de poissons mondiaux sont surexploités, épuisés ou en phase de reconstitution alors qu'ils n'étaient que 25 % en 2006.
La raréfaction des ressources conduit au développement de nouvelles activités, avec d'importants enjeux économiques et environnementaux: pêche profonde, exploitations minières en haute mer, transport maritime en zones polaires, déchets dérivants dans toutes les mers du globe, nouvelles activités qui génèrent en retour de nouveaux impacts.
Alors, que faire ?
La communauté internationale doit prendre ses responsabilités pour protéger l'océan. Le sommet du G7 hier en Allemagne s'est mobilisé pour la protection de nos océans : les dirigeants des pays du G7 ont reconnu que les déchets marins, en particulier les déchets plastiques, posent un défi mondial, affectant directement la vie marine et côtière et les écosystèmes et potentiellement aussi la santé humaine. Ils ont également abordé la question de l'exploitation minière en haute mer au-delà des limites de la juridiction nationale. Ils ont demandé à l'Autorité internationale des fonds marins de poursuivre ses travaux sur un code clair, efficace et transparent pour l'exploitation minière en haute mer durable.
La France et les États-Unis ont une responsabilité particulière. La France possède le second espace maritime au monde, avec une zone économique exclusive de 11 millions de km2 (20 fois la surface de la France métropolitaine), juste derrière les États-Unis (avec 11,3 m km2). Cela nous donne une responsabilité éminente.
Dans sa ZEE, notre pays héberge 10 % des récifs coralliens, 20 % des atolls, 6 % des monts sous-marins. Ces milieux sont d'une grande richesse biologique. Ils supportent de nombreuses activités économiques.
Alors nous militons pour l'établissement d'un réseau mondial d'aires marines protégées.
Nous commençons chez nous. Un objectif ambitieux a été assigné pour placer 20 % en 2020 des eaux sous juridiction française en aires marines protégées. Nous en sommes déjà à 16 % des eaux sous juridiction française.
En France métropolitaine, je finalise un réseau de 10 parcs naturels marins ; j'ai créé en juin 2014 le parc naturel marin du Bassin d'Arcachon et en avril 2015 le parc naturel marin de l'estuaire de la Gironde et de la mer des Pertuis (sur 6 500 km²). Trois autres parcs naturels marins sont actuellement à l'étude : en Martinique, en Corse et dans le Golfe Normand-Breton.
Dans le Pacifique, le parc naturel de la mer de Corail a vu le jour en avril 2014 en Nouvelle-Calédonie. Avec 1,3 million de km², soit la quasi-totalité de la Zone économique exclusive de Nouvelle-Calédonie, ce parc naturel constitue désormais une des plus grandes aires marines protégées du monde.
Avec le projet de loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages que je porte devant le Parlement, j'ai doté la France du premier plan de protection de 55 000 hectares de mangrove et 75 % des récifs coralliens. J'ai signé cet engagement en Guadeloupe il y a quelques mois. Ce projet de loi prévoit aussi la création d'un nouvel outil, la réserve halieutique.
Mais nous devons aussi agir au plan international. Je soutiens l'objectif d'atteindre 10 % d'aires marines protégées dans le monde d'ici 2020 contre 3 % aujourd'hui. Nous agissons au travers de cinq conventions et programmes de protection des mers régionales.
Je soutiens activement la Convention de Carthagène, dans le Golfe du Mexique et la mer des Antilles : le sanctuaire de protection des mammifères marins dans les Caraïbes, qui s'étend sur plus de 143 000 km², permettra de nouer des liens avec les États de la Caraïbe et avec les membres de la Convention. J'ai mis récemment en place en Guadeloupe, le comité de pilotage avec le projet de réintroduction du lamentin. Le centre d'activités des aires protégées CAR-SPAW, hébergé par la France, étudiera les phénomènes de proliférations d'algues brunes qui s'échouent sur les plages des Antilles, menaçant l'industrie touristique.
En Antarctique, je soumettrai cette année, au nom de la France, avec l'Australie et l'Union européenne, une proposition d'aires marines protégées en Antarctique de l'Est à la Commission CCAMLR [Commission for the Conservation of Antarctic Marine Living Resources]. Je sais qu'en parallèle, les États Unis et la Nouvelle-Zélande sont très actifs sur le projet d'aire marine protégée en Mer de Ross, projet que je soutiens. J'espère vivement que ces deux projets, qui se soutiennent mutuellement, seront approuvés cette année.
Et je n'oublie pas que la France et les États-Unis sont membres fondateurs de l'International Coral Reef Initiative qui réunit aujourd'hui plus de 60 membres.
J'en viens à la haute mer, la mer au-delà des limites des juridictions nationales. La haute mer est l'incarnation d'un enjeu multilatéral particulier, puisqu'elle n'a pas de propriétaire et constitue pourtant une source de richesse immense, à peine explorée. Et elle couvre 64 % de la surface des mers du globe.
La richesse exceptionnelle de la biodiversité marine mérite une protection à la hauteur des enjeux, dans le cadre de la convention des Nations Unies sur le droit de la mer, la Convention de Montego Bay, qui est la véritable constitution des océans.
La communauté internationale travaille au développement d'un instrument mondial sous l'égide de la convention de Montego Bay. Cet instrument devra constituer une étape cruciale vers une meilleure gestion partagée de ces espaces communs et fragiles. Je suis persuadée que la gouvernance de la haute mer mérite un instrument universel, dans le cadre des Nations unies, qui s'inscrira dans le cadre des engagements de Rio+20.
Les défis sont immenses, mais notre énergie et notre détermination aussi.
Mesdames, Messieurs,
Les enjeux environnementaux vont apparaître dans toutes les questions que vous allez aborder - politiques maritimes et marines, tourisme, énergie, sécurité alimentaire, technologies, contribution des océans à l'économie. Le secteur marin peut être précurseur, devancer les évolutions, et transformer en atout ce qui a été longtemps perçu comme une contrainte, la préservation de l'environnement.
Je voudrais conclure par cette réflexion sur notre propre corps. Je la tiens de Gilles Boeuf, président du Muséum d'histoire naturelle à Paris. Pourquoi trouve-t-on dans notre sang, dans notre liquide céphalo-rachidien et dans nos larmes, des chlorures, du sodium, du potassium en concentration de 280 à 302 milliosmoles par kilogramme de sang ? Ce n'est pas l'osmolarité de l'eau de mer, ni celle de l'eau de rivière. C'est la concentration en sels d'une eau d'estuaire ! Notre sang, c'est tout simplement l'histoire de la vie, du mélange de l'eau douce et de l'eau salée, de la sortie des fleuves vers l'océan !
Je vous remercie.
Source http://www.developpement-durable.gouv.fr, le 10 juin 2015