Déclaration de M. Harlem Désir, secrétaire d'Etat aux affaires européennes, sur la situation en Ukraine, la Grande-Bretagne et l'Union européenne, le traité transatlantique, la stratégie numérique de la Commission européenne, la politique de voisinage et sur les questions migratoires, au Sénat le 16 juin 2015.

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Circonstance : Débat préalable à la réunion du conseil européen des 25 et 26 juin 2015, au Sénat le 16 juin 2015

Texte intégral

M. le président. Nous allons maintenant procéder au débat interactif et spontané, dont la durée a été fixée à une heure par la conférence des présidents.
Chaque sénateur peut intervenir pendant deux minutes au maximum. La commission des affaires européennes ou le Gouvernement, s'ils sont sollicités, pourront répondre.
M. le président. La parole est à M. Cyril Pellevat.
M. Cyril Pellevat. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la situation en Ukraine ne fait plus la une des médias. Elle est pourtant toujours aussi critique.
Avec 6 400 morts depuis avril 2014 et des tensions quotidiennes, l'Ukraine, désormais amputée de la Crimée, est plongée dans une crise qui n'en finit plus. En dépit des difficiles négociations menées pour en sortir, la guerre n'est pas terminée. Nous savons que, de part et d'autre, le cessez-le-feu n'est pas respecté.
Le 10 juin dernier, s'est tenue à Paris une réunion au format « Normandie », c'est-à-dire entre la France, l'Allemagne, la Russie et l'Ukraine. L'objectif était de discuter des perspectives concernant le cessez-le-feu et le processus politique pour mettre en œuvre les accords de Minsk dans leur intégralité.
Monsieur le secrétaire d'État, pouvez-vous nous présenter le bilan de cette réunion, qui, je l'espère, a abouti à des résultats concrets ?
Il est à craindre que des poches régionales de contestation et de troubles se développent. Des incidents se multiplient d'ailleurs dans d'autres pays de la zone ; je pense, par exemple, à la Géorgie ou à la Moldavie, au moment où la France achève la ratification d'accords d'association entre ces pays et l'Union Européenne.
Les membres de mon groupe ont fait part de leurs inquiétudes pour les Ukrainiens face aux positions russes, mais aussi concernant la stratégie de la Commission européenne. Le président Jean Bizet suit d'ailleurs cette question de près.
Notre collègue Pascal Allizard avait formé le vœu que la Commission européenne puisse agir avec plus de diplomatie, notamment au regard de la politique de partenariat oriental. Quelles ont été les avancées à ce sujet depuis le sommet de Riga des 21 et 22 mai dernier ? Nous le savons, la question ukrainienne est indissociable du partenariat oriental.
Enfin, monsieur le secrétaire d'État, pouvez-vous nous indiquer quelles mesures proposera la France à cet égard lors du prochain Conseil européen ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. L'évolution de la situation sécuritaire dans l'Est de l'Ukraine reste très préoccupante. Au cours de ces dernières semaines, des affrontements, notamment autour de la localité de Chirokiné, à l'est de Marioupol, se poursuivent. Nous devons donc rester extrêmement vigilants afin de prévenir toute nouvelle escalade de ce conflit.
La réunion au format « Normandie » du 10 juin a permis d'avancer sur la conclusion d'un plan de désescalade pour Chirokiné, plan qu'il convient désormais de mettre en application.
En outre, notre priorité est de garantir la pleine mise en œuvre de l'ensemble des accords de Minsk. Les quatre groupes de travail qui ont été constitués se sont déjà réunis plusieurs fois. Je rappelle qu'ils portent non seulement sur les échanges de prisonniers, le cessez-le-feu et la surveillance de la frontière, mais aussi sur l'avenir des régions de l'est et l'organisation des élections, ainsi que sur la mise en place de leur futur statut.
Il est également important de soutenir l'action de l'OSCE - Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe -, que ce soit sur le plan politique, avec le travail mené dans le cadre du groupe de contact trilatéral, ou sur le terrain, avec la mission spéciale d'observation en Ukraine. En effet, il est essentiel de garantir à cette mission spéciale un accès total au terrain afin qu'elle puisse accomplir son mandat. C'est la raison pour laquelle nous renforçons ses moyens, notamment en termes de communications et d'informations actualisées.
La poursuite du dialogue au format « Normandie » est aussi extrêmement importante. C'était, bien entendu, le sens de la réunion qui s'est tenue le 10 juin dernier à Paris. Nous voulons voir des gestes concrets au cours des prochains jours, en particulier en ce qui concerne l'échange de prisonniers, les questions humanitaires et l'accès aux populations.
M. le président. La parole est à M. Richard Yung.
M. Richard Yung. Ma question porte sur les demandes formulées récemment par le Premier ministre britannique, David Cameron, au sujet de la place du Royaume-Uni - d'autres pays sont d'ailleurs également concernés - dans l'Union européenne.
Il y a là un paradoxe puisque le Royaume-Uni est déjà le pays bénéficie du plus grand nombre d'exceptions, d'opt out : il n'est pas membre de l'espace Schengen et de l'Union économique et monétaire, il ne participe pas à la coopération judiciaire en matière pénale et il n'est pas signataire de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. Et cela ne l'empêche pas, nous le savons tous, de réclamer depuis trente ans son « chèque » à chaque budget européen !
Tout cela donne le sentiment d'un engagement... limité.
Quoi qu'il en soit, à la suite des dernières élections - dont nous ne saurions évidemment remettre en cause le résultat -, M. Cameron demande qu'un certain nombre de points fassent l'objet d'une renégociation. D'où ma première interrogation, monsieur le secrétaire d'État : pouvez-vous nous apporter quelques précisions sur les points en question ?
Nous avons compris que les Britanniques souhaitaient revoir le système de la libre circulation des travailleurs et des citoyens, et en particulier remettre en cause la possibilité de bénéficier de la protection sociale dans un autre pays de l'Union européenne. Nous avons également compris qu'ils entendaient « rapatrier » vers leur Parlement des compétences qui relèvent actuellement de la Commission européenne, mais aussi, sans doute, du Parlement européen.
À mes yeux, ce sont là de mauvaises actions. Elles vont à l'encontre de notre marche historique qui consiste à rechercher une plus grande intégration européenne.
Monsieur le secrétaire d'État, où en est la France dans ses discussions avec le gouvernement britannique ? Quelles lignes de négociation vous êtes-vous données ? (MM. Alain Bertrand et Yves Pozzo di Borgo applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. Monsieur Yung, comme l'a indiqué le Président de la République lorsqu'il a reçu le Premier ministre David Cameron à l'occasion de sa visite en France le 28 mai dernier, au lendemain des élections britanniques, la France souhaite que le Royaume-Uni reste dans l'Union européenne. Nous considérons que c'est l'intérêt de l'Europe tout autant que l'intérêt du Royaume-Uni.
La question de la place du Royaume-Uni dans l'Union européenne, comme vous le savez, sera soumise à un référendum d'ici à la fin de l'année 2017. Ce sera donc au peuple britannique qu'il reviendra de se prononcer le moment venu.
Nous pensons que l'obtention d'une large majorité à l'issue des élections doit aider M. Cameron à convaincre le peuple britannique de se prononcer en faveur du maintien du Royaume-Uni au sein de l'Union européenne.
M. Cameron a annoncé qu'il formulerait un certain nombre de demandes, alors que, comme vous l'avez rappelé, le Royaume-Uni dispose déjà aujourd'hui de dispositions spécifiques. C'est précisément lors du prochain Conseil européen des 25 et 26 juin qu'il précisera aux autres chefs d'État et de gouvernement les éléments sur lesquels il souhaite que des changements interviennent. Il a déjà donné à cet égard certaines indications : elles concernent l'immigration, s'agissant notamment de résidents européens qui souhaitent entrer au Royaume-Uni, et le fonctionnement des institutions européennes. Il a également fait référence à son souhait d'une Union européenne toujours plus étroite... Bien entendu, c'est à lui qu'il revient de dire en quoi consistent exactement les demandes du Royaume-Uni.
Le Président de la République a fait savoir que la France examinerait, tout comme les autres partenaires européens, ces demandes. Nous sommes évidemment tout à fait disposés à étudier toutes les demandes susceptibles de contribuer à une amélioration du fonctionnement de l'Union européenne dans l'intérêt de l'ensemble des États membres et des citoyens européens, à condition, bien sûr, qu'elles ne remettent pas en cause les principes fondamentaux de l'Union européenne, notamment la liberté de circulation, d'autant que nous nous trouvons à un moment où l'unité européenne doit être renforcée, et non affaiblie.
M. le président. La parole est à M. Michel Billout.
M. Michel Billout. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le projet de traité transatlantique suscite ces temps-ci beaucoup de remous.
Ainsi, la semaine dernière, le président du Parlement européen a préféré reporter le vote de la résolution sur le traité transatlantique faute de trouver une majorité. Le dernier rebondissement en date s'est produit vendredi dernier au Congrès américain - certes, il ne concernait pas directement le traité transatlantique, mais il y était très lié. Barack Obama a en effet subi un sérieux revers de la part de son propre camp puisqu'un grand nombre d'élus démocrates ont refusé de voter un projet de loi qui lui aurait accordé des pouvoirs accrus pour conclure l'accord de libre-échange transpacifique avec onze pays. Même si la Chambre des représentants s'est prononcée sur ce point à une courte majorité, elle a rejeté massivement le second volet du projet de loi de Trade Adjustement Assistance, un programme destiné à aider les Américains qui perdent leur emploi à la suite d'accords de libre-échange. Les deux volets étant indissociables, ce rejet bloque le projet de loi dans son ensemble.
Comme l'ont précisé un certain nombre d'observateurs, ce rejet aura forcément des incidences sur les négociations du TTIP, autrement dit le Transatlantic Trade and Investment Partnership.
S'il nous en fallait une preuve, cet épisode nous montre combien les accords de libre-échange soulèvent des questions difficiles, même outre-Atlantique. En Europe comme aux États-Unis, le manque d'informations et de transparence sur les négociations reste extrêmement préjudiciable.
Monsieur le secrétaire d'État, comment le Gouvernement français compte-t-il faire entendre sa voix afin que la Commission européenne assure enfin une véritable transparence sur ce dossier ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. Monsieur le sénateur, vous le savez, nous considérons que la transparence est une nécessité absolue. Du reste, elle est dans l'intérêt même de la poursuite de la négociation et de sa conclusion puisque les parlements nationaux et le Parlement européen seront appelés à ratifier le traité.
C'est pourquoi la France a toujours demandé que le mandat de négociation soit rendu public ; il l'a finalement été. Nous avons également demandé que l'accès à l'ensemble des documents de la négociation soit garanti dans l'ensemble des États membres, ce qui n'était pas le cas. Des solutions ont été trouvées, mais elles ne sont pas toutes entièrement satisfaisantes. Nous avons fait savoir à nos partenaires américains que nous n'utiliserions pas les salles de lecture de leurs ambassades ; un accès sécurisé au texte via un poste informatique dédié dans les administrations nationales nous semble indispensable.
Nous rejoignons tout à fait votre demande d'une transparence qui soit la plus large possible.
En tout état de cause, la Commission agit sur mandat des États membres, elle rend compte régulièrement au Parlement européen et aucune étape de la négociation ne pourra être franchie sans que nous donnions notre accord.
Comme s'y était engagé Laurent Fabius dès le début de cette négociation, nous rendrons compte de chacune de ses principales étapes. Le secrétaire d'État au commerce extérieur et moi-même sommes à la disposition de l'Assemblée nationale et du Sénat et nous organiserons à cette fin, régulièrement, des rencontres avec les députés et les sénateurs, que ce soit au sein des commissions ou dans un autre cadre.
Bien entendu, la France conduit cette négociation avec l'idée que l'ouverture du marché américain présente des opportunités ; j'ai évoqué tout à l'heure l'agriculture, mais on pourrait aussi parler des marchés publics, qui sont très fermés aux États-Unis : alors qu'ils sont ouverts à 90 % en Europe, ils ne le sont qu'à hauteur de 40 % outre-Atlantique. Il s'agit, pour nous, d'un point essentiel de cette négociation.
Nous souhaitons que ce traité ouvre la voie à des gains pour l'économie européenne, et notamment pour l'économie française.
M. le président. La parole est à Mme Colette Mélot.
Mme Colette Mélot. Monsieur le secrétaire d'État, la stratégie numérique présentée le mois dernier par la Commission européenne témoigne d'une ambition certaine en abordant l'ensemble des problématiques liées au développement de la société et de l'économie numériques : droits d'auteur, blocages géographiques, commerce transfrontières, fiscalité, neutralité de l'internet, libre circulation des données et protection des données personnelles ou encore cybersécurité sont largement évoqués dans cette communication, comme vous l'avez d'ailleurs souligné en préambule.
Il est toutefois un domaine absolument central qui, à ce stade, ne fait l'objet d'aucune orientation ou proposition d'action : celui des plateformes, moteurs de recherche, sites de commerce électronique, boutiques d'applications ou médias sociaux. Or les uns et les autres sont au cœur de nombreuses interrogations fondamentales : d'abord quant à leur rôle de plus en plus structurant sur le marché, que ce soit en termes de concurrence, de répartition de la valeur ou de poids sur les utilisateurs, les fournisseurs et les sous-traitants ; ensuite, bien sûr, en termes de collecte, d'utilisation et de protection des données personnelles ou de lutte contre les contenus illicites.
Au-delà de sa récente communication de griefs à l'encontre de Google, la Commission ne prévoit pour l'instant qu'une analyse détaillée du rôle des plateformes.
Monsieur le secrétaire d'État, pouvez-vous nous dire quelle position le Gouvernement entend défendre sur ces différentes questions et quelle stratégie il compte suivre pour que l'Union européenne se dote rapidement d'une politique globale en la matière ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. Madame Mélot, la régulation des plateformes numériques est, en effet, absolument essentielle. La Commission a annoncé qu'elle procéderait avant la fin de l'année 2015 à une évaluation de leur rôle, y compris dans l'économie du partage, ainsi que des intermédiaires en ligne.
La France demandera que soit précisé le calendrier de cette évaluation et que soit donnée une référence à l'adaptation réglementaire.
Il faut également que cette évaluation prenne en compte les enjeux industriels, notamment en matière de standardisation.
C'est évidemment le sens des demandes et des propositions communes franco-allemandes qui ont été formulées en janvier dernier par Axelle Lemaire et son homologue allemand, Mme Brigitte Zypries, en lien avec les demandes également formulées par Emmanuel Macron et son homologue, M. Sigmar Gabriel.
Nous accordons, comme vous, madame la sénatrice, une grande attention à ce sujet, qui sous-tend plusieurs problèmes essentiels : l'insuffisance des seules règles de concurrence et de transparence, le rôle actif des intermédiaires, la captation d'une part croissante de la valeur par ces plateformes.
Nous attendons avec beaucoup d'intérêt les propositions de la Commission.
M. le président. La parole est à Mme Christine Prunaud.
Mme Christine Prunaud. Monsieur le secrétaire d'État, lors du prochain Conseil européen, la question du marché unique numérique sera donc abordée.
La stratégie de l'Union européenne dans ce domaine repose sur trois piliers : l'amélioration de l'accès aux biens et services numériques ; la création d'un environnement propice et de conditions de concurrence équitables pour le développement des réseaux et des services numériques innovants ; une augmentation du potentiel de croissance de l'économie numérique.
Nous constatons que la répartition de la valeur sur le sol européen est réellement problématique puisqu'elle se fait au bénéfice des grands acteurs privés américains, les GAFA, et au détriment des créateurs, des fournisseurs de contenus, des petites et moyennes entreprises innovantes européennes.
C'est pourquoi nous pensons qu'il est indispensable de réfléchir concrètement à une régulation plus forte de la concurrence et à la mise en place d'outils fiscaux spécifiques au numérique.
Nous ne pouvons continuer à voir des entreprises qui dégagent des bénéfices colossaux ne pas payer d'impôts - ou en payer très peu - au sein de l'Union européenne.
S'agissant du marché unique numérique, il nous paraît également essentiel d'insister sur une protection des droits fondamentaux des Européens dans l'espace numérique ainsi que sur la nécessité absolue de se doter d'une véritable ambition industrielle pour le numérique qui aille au-delà de la seule amélioration du marché unique.
Monsieur le secrétaire d'État, pouvez-vous nous préciser les positions que défendra la France dans ce domaine ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. Madame Prunaud, s'agissant de la fiscalité, pour nous, le principe est clair : les bénéfices doivent être taxés là où ils ont été réalisés.
Vous avez raison de souligner qu'aujourd'hui un certain nombre de multinationales de l'internet, qui ne sont pas européennes, ont établi leurs sièges sociaux dans quelques pays où la taxation des bénéfices est moins élevée et, au moyen de divers mécanismes comptables, rapatrient l'essentiel de leurs profits dans ces pays alors qu'elles réalisent leur chiffre d'affaires dans l'ensemble des États membres de l'Union européenne. La Commission européenne a d'ailleurs engagé des procédures d'infraction à l'encontre de certaines de ces entreprises.
Nous souhaitons que la réglementation du numérique, qui est en cours d'élaboration, permette de clarifier définitivement cette question.
Il y a là, de la part de ces opérateurs, à la fois un détournement sur le plan fiscal et une captation de valeur.
De façon générale, il n'est pas possible de financer nos services publics et nos mécanismes sociaux si les entreprises ne paient pas, de façon équitable, leur impôt là où elles réalisent leurs bénéfices. C'est en outre une distorsion de concurrence vis-à-vis d'entreprises de types différents qui, elles, ne peuvent pas procéder à cette optimisation fiscale.
La lutte contre l'optimisation fiscale, dans le secteur de l'économie numérique comme dans les autres domaines, est une priorité.
Il est tout aussi est essentiel de veiller au respect des règles de la concurrence. Cet enjeu est très important par exemple dans les services de réservation en ligne d'hôtels, certaines entreprises choisissant de référencer certains partenaires plutôt que d'autres.
M. le président. La parole est à M. Simon Sutour.
M. Simon Sutour. Monsieur le président, je souhaite d'abord vous dire toute ma satisfaction de voir ce débat préalable à la réunion du Conseil européen se dérouler à un horaire convenable : le nombre des présents montre d'ailleurs qu'il a été bien choisi. Je me félicite aussi de ce que, pour la première fois depuis longtemps, il soit présidé par le président du Sénat. Je vous en remercie.
Le bureau de la commission des affaires européennes aura très certainement l'occasion de s'entretenir avec vous des conditions de travail de notre commission et nous aurons un certain nombre de propositions à vous soumettre.
Monsieur le secrétaire d'État, je veux avant tout vous dire que je partage les points de vue exprimés notamment par nos collègues Yves Pozzo di Borgo et Jean-Claude Requier sur le dialogue avec la Russie. La situation en Ukraine et le conflit à l'Est ne se régleront que par un dialogue apaisé et confiant avec la Russie et non par l'aggravation des sanctions. Telles sont en tout cas les conclusions auxquelles Yves Pozzo di Borgo et moi-même sommes parvenus dans notre rapport.
Ma question porte sur la politique de voisinage.
À la fin du mois de mai s'est tenu à Riga un sommet consacré au partenariat oriental, sommet qui a eu des résultats mitigés. Il est d'ailleurs toujours un peu surprenant de constater que, chaque fois qu'un pays balte assure la présidence tournante du Conseil de l'Union européenne, systématiquement est organisé un sommet sur le partenariat oriental. Moi, je fais partie de ceux qui trouvent que la politique euro-méditerranéenne est négligée.
Monsieur le secrétaire d'État, je souhaite que la France se batte pour conserver l'actuelle clé de répartition financière, c'est-à-dire un tiers pour le partenariat oriental et deux tiers pour la politique euro-méditerranéenne. À cet égard, il serait important que la France, en tant que pays riverain de la Méditerranée, prenne une initiative forte en faveur de la politique euro-méditerranéenne. Et pourquoi pas en organisant un sommet ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. Monsieur Sutour, le sommet de Riga a été utile. Le partenariat oriental avec six pays a permis malgré tout de contribuer à la stabilisation régionale, de dessiner les contours d'une modernisation et d'un développement du voisinage à l'est de l'Union européenne au bénéfice de tous, en dehors de toute logique conflictuelle.
Ce partenariat est aussi un cadre pour traiter la crise ukrainienne.
Nous avons eu déjà l'occasion d'évoquer ce partenariat à propos des accords d'association signés avec la Moldavie et d'autres pays, selon les modalités qu'ils ont choisies.
Toutefois, vous avez raison de dire que la politique de voisinage de l'Union européenne ne se limite pas au partenariat oriental. Hier et encore ce matin, je me trouvais en Tunisie pour rencontrer plusieurs membres du gouvernement de ce pays et pour participer à un débat sur le soutien à la transition démocratique et économique. Nous avons évoqué la crise migratoire en Méditerranée et la situation en Libye : loin de nous de considérer que ce ne sont pas là des priorités. La Méditerranée ne peut pas être simplement une frontière, une mer synonyme de drames et de morts ; elle est d'abord un espace de civilisation, d'échanges et de coopération entre l'Europe et les pays de la rive sud de la Méditerranée.
Aujourd'hui, l'Europe doit être aux côtés de pays qui sont en train de réussir une extraordinaire transition démocratique. C'est le cas, en particulier, de la Tunisie, qui a adopté une constitution garantissant la liberté de conscience, l'égalité entre les hommes et les femmes et où ont eu lieu trois élections successives après une révolution sans drames, dans la paix civile et dans la concertation entre les différentes forces politiques.
C'est pourquoi vous avez raison de dire que la révision de la politique européenne de voisinage qui est engagée, et sur laquelle la Haute représentante de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité fera des propositions, doit être l'occasion de renforcer ce partenariat euro-méditerranéen.
M. le président. La parole est à M. Mathieu Darnaud.
M. Mathieu Darnaud. Monsieur le secrétaire d'État, le plan d'action pour l'immigration et l'asile proposé par la Commission européenne prévoit de nombreuses mesures, en particulier un système de répartition obligatoire de 40 000 demandeurs d'asile arrivés sur les côtes européennes depuis le 15 avril, mais aussi un second système optionnel qui concerne les 20 000 personnes se trouvant actuellement dans des camps de réfugiés en dehors de l'Europe.
Selon la clé de répartition actuelle, la France pourrait être amenée à traiter jusqu'à 9 000 demandes d'asile supplémentaires en deux ans.
Depuis que ces annonces ont été faites, le Gouvernement a entretenu un certain flou sur sa position. Il semblerait toutefois qu'il s'oriente aujourd'hui vers un soutien à ces mécanismes, sous réserve que la pondération des critères de répartition proposée par la Commission soit révisée.
Monsieur le secrétaire d'État, à partir de quel seuil le Gouvernement considérerait-il ces mécanismes comme acceptables pour la France ? Pouvez-vous nous dire si, oui ou non, vous soutiendrez in fine le projet de la Commission, le cas échéant dans une version remaniée ?
Surtout, si la France devait accepter cette initiative, pouvez-vous nous éclairer sur les solutions qu'elle préconiserait pour répondre aux nombreuses questions posées par la répartition ? Comment empêcher les mouvements migratoires secondaires dans l'espace Schengen, par définition ouvert ? Comment s'assurer que les réseaux criminels de trafiquants ne verront pas dans ce système une incitation à développer leurs activités ? Comment, au-delà de l'assistance des agences européennes, renforcer l'action et la responsabilité des États de première ligne ? Enfin, quels moyens seront effectivement mis en œuvre pour raccompagner les migrants en situation irrégulière, qui ne peuvent prétendre à la protection internationale, alors même que la vaste majorité des déboutés du droit d'asile en France ne font pas l'objet de mesures d'éloignement effectives ?
Sur toutes ces questions, nous avons besoin, monsieur le secrétaire d'État, d'éléments clairs et précis.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. Monsieur Darnaud, je crois l'avoir dit avec la plus grande clarté dans mon propos introductif : nous acceptons le principe de solidarité, mais nous voulons que le principe de responsabilité soit également appliqué.
C'est pourquoi la France souhaite que les dispositifs concernant les futurs centres d'attente qui ont été proposés par la Commission européenne - les hotspots - permettent de garantir le recensement des migrants, de telle sorte que ceux qui ont besoin d'une protection internationale, en particulier parce qu'ils viennent de pays où ils sont menacés, du fait d'une dictature ou d'une guerre civile, comme la Syrie, puissent être distingués des immigrés illégaux, dont le retour doit être organisé, bien sûr après un examen attentif de leurs droits et de leur situation, dans le cadre d'un accord de réadmission avec le pays d'origine.
Je l'ai dit, nous souhaitons également qu'une attention particulière soit portée aux pays de transit, comme le Niger.
Ainsi que je l'ai aussi indiqué et que vous l'avez vous-même rappelé, la France a demandé que soit revue la clé de répartition qu'a proposée la Commission européenne pour ce mécanisme exceptionnel, qui tient compte de la situation d'urgence à laquelle doivent faire face les pays de première arrivée, en particulier l'Italie, puisque les migrants, pour des raisons géographiques, arrivent aujourd'hui sur les côtes italiennes ou y sont amenés après avoir été recueillis par les bateaux de Frontex, alors qu'ils veulent gagner d'autres pays européens.
S'il est normal que nous soyons au côté de l'Italie pour l'aider à faire face à cette situation, les clés de répartition doivent prendre en compte le fait qu'aujourd'hui cinq pays accueillent 75 % des demandeurs et que la solidarité doit être mieux répartie entre les vingt-huit états membres. Certains pays, comme la France, accueillent déjà un grand nombre de réfugiés. Cela doit se traduire davantage dans la pondération des critères !
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen.
Mme Laurence Cohen. Monsieur le secrétaire d'État, en 2008, la Commission européenne avait proposé la révision d'une directive existante afin d'allonger le congé de maternité, pour le porter de quatorze à dix-huit semaines. Le Parlement européen avait alors décidé d'aller plus loin, en proposant un congé de vingt semaines, intégralement payé. Cette proposition est malheureusement bloquée depuis sept ans par le Conseil.
Si les négociations ne sont pas rouvertes très prochainement à ce sujet, il est à craindre que cette proposition ne fasse partie des quatre-vingts directives qui vont être abandonnées.
Comment concevoir que l'Union européenne ne participe pas à l'amélioration des conditions de grossesse des femmes qui choisissent d'avoir un enfant ? Ne pas légiférer au niveau européen sur le congé de maternité pour toutes est vraiment une menace sérieuse, car ce serait contradictoire, notamment, avec l'engagement de l'Union européenne en faveur de l'égalité entre les femmes et les hommes ainsi que de l'équilibre entre la vie professionnelle et la vie privée.
Il est donc particulièrement inadmissible que les gouvernements de l'Union européenne continuent de bloquer - depuis 2008, je le rappelle - les améliorations incontestables au congé de maternité que contient la proposition de directive.
Monsieur le secrétaire d'État, quelles mesures le Gouvernement compte-t-il prendre afin de voir celle-ci avancer concrètement et favorablement ? L'allongement du congé est une mesure juste, qui n'appelle pas une très longue réflexion !
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. Madame Cohen, la France est évidemment favorable à l'adoption de cette proposition de directive sur le congé de maternité.
Aujourd'hui, la Commission européenne constate qu'elle est bloquée au Conseil, en raison de divergences très importantes entre les États membres sur la longueur de ce congé, mais aussi avec le Parlement européen.
Pour ce qui nous concerne, nous appelons à un esprit de compromis, de telle sorte que toutes les femmes, dans l'Union européenne, puissent se voir garantir un congé de maternité aussi juste que possible.
Une telle évolution nécessitera forcément de passer par une étape intermédiaire, compte tenu des écarts très importants et de l'absence d'accord au sein du Conseil. Je crois toutefois que ce serait préférable à un retrait pur et simple de la proposition de directive et à un retour à la case départ.
Nous allons donc continuer à encourager les États membres à avancer vers une position commune.
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Lenoir.
M. Jean-Claude Lenoir. Monsieur le secrétaire d'État, la question de l'accord commercial entre l'Union européenne et les États-Unis a été évoquée tout à l'heure sous l'angle de la transparence.
Dans cette enceinte, nous sommes un certain nombre à travailler sur les projets d'accords avec le Canada et les États-Unis, et je dois dire que nous sommes préoccupés par la question des procédures. En effet, le travail considérable qui est mené dans l'ensemble des pays de l'Union européenne avec nos partenaires canadiens et américains risque d'être entravé, voire annihilé par les hésitations que l'approbation de ces accords ne manquera pas de susciter, comme on l'a déjà vu aux États-Unis et au sein du Parlement européen.
Il faudra bien que l'accord définitif soit entériné à la fois par le Parlement européen et par les parlements nationaux ! Face à ces passages obligés, nous estimons que les gouvernements de l'Union européenne doivent s'engager fortement.
Monsieur le secrétaire d'État, sur cette question de procédure, j'aimerais avoir la confirmation qu'il y aura un vrai engagement du Gouvernement pour que les projets d'accords, auxquels j'adhère complètement, ne restent pas lettre morte.
En ce qui concerne le contenu, à l'instar de mon ami Jean Bizet, je me fais évidemment le relais, en tant que sénateur de Normandie, d'un certain nombre de questions et d'appréhensions formulées aujourd'hui par les éleveurs, lesquels redoutent les conséquences des accords, en particulier de celui avec les États-Unis, sur le commerce de viande.
Monsieur le secrétaire d'État, considérez-vous, pour votre part, cet accord souhaité par certains et bientôt possible comme un cheval de Troie ? Puisque nous sommes aujourd'hui encouragés à utiliser le latin, Mme la ministre de l'éducation nationale ayant levé le tabou à ce sujet, vous inspire-t-il l'appréhension du Troyen qui, voyant arriver dans sa citadelle un merveilleux cheval, aurait déclaré, à en croire Virgile : Timeo Danaos et dona ferentes, autrement dit : Je crains les Grecs, surtout s'ils portent des présents ? Vous apprécierez, au passage, cette petite incursion dans le dossier grec... (Sourires. ... Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. - MM. Alain Bertrand, Jean-Claude Requier et Simon Sutour applaudissent également.)
M. Jeanny Lorgeoux. Cheval de Troie ou non, c'est une bête curieuse !
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. Monsieur Lenoir, aucun accord que l'on noue avec des partenaires ne doit nous inspirer de la crainte !
En l'occurrence, il s'agit moins de chevaux que de bœufs, de services et de marchés publics, de produits industriels, pour lesquels des convergences réglementaires pourraient permettre un commerce plus facile.
Rien ne justifie qu'il faille des normes techniques différentes aux États-Unis et en Europe concernant, par exemple, les ceintures de sécurité, pour l'exportation ou la commercialisation des véhicules.
M. Charles Revet. C'est pourtant le cas actuellement !
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. Incontestablement, sur certains sujets, les économies européenne et française peuvent avoir à gagner à une négociation commerciale transatlantique.
Toutefois, cette négociation doit se mener dans des conditions assurant l'association de l'ensemble des parties prenantes - les parlementaires, les secteurs économiques concernés, les syndicats... -, de telle sorte qu'elle ne soit pas, in fine, bloquée par des peurs ou des réticences.
M. Jean-Claude Lenoir. Très bien !
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. Il s'agit d'éviter ce qui s'est passé aux États-Unis, où le Congrès a refusé d'octroyer au président américain la Trade Promotion Authority, la TPA, cette capacité à négocier en ayant les mains plus libres, ce que l'on appelait auparavant le fast track. Nous le regrettons, car, si cette situation perdurait, nos propres négociateurs seraient soumis, à chaque étape de la négociation, à des accords partiels du Congrès, lesquels remettraient en cause les positions de négociation obtenues de l'administration américaine lors des rounds sur les différents sujets.
Le vote au Parlement européen a été reporté, mais il devrait intervenir dans les prochaines semaines. Il permettra au Parlement européen de clarifier sa position. Quoi qu'il advienne, je ne crois pas qu'il empêchera la Commission de continuer à négocier, sous le contrôle des gouvernements.
Nous jouerons donc notre rôle, en contrôlant cette négociation.
M. le président. La parole est à M. Didier Marie.
M. Didier Marie. Monsieur le secrétaire d'État, permettez-moi de revenir quelques instants sur la question des migrations, qui s'est installée depuis quelques mois au cœur de l'agenda européen et qui fera l'objet de discussions lors du prochain Conseil.
Le 19 avril dernier, 800 migrants ont péri à la suite du naufrage de leur embarcation en Méditerranée. Depuis, l'Europe est sous le choc.
Ce drame n'était malheureusement pas le premier, même s'il a révélé à l'opinion publique européenne l'ampleur des souffrances vécues par ces milliers d'enfants, de femmes et d'hommes qui veulent échapper à la misère, aux persécutions, aux guerres. Nous ne pouvons accepter que près de 20 000 de ces personnes aient disparu et qu'un tel drame puisse se reproduire.
Devant l'insupportable, les chefs d'État et de gouvernement européens se sont réunis en Conseil extraordinaire, le 23 avril dernier, pour élaborer un plan de lutte contre les naufrages.
Des mesures immédiates ont été prises - vous les avez rappelées, monsieur le secrétaire d'État -, comme le triplement des budgets, les opérations Triton et Poséidon, ainsi que des mesures de moyen terme pour aider l'Italie, la Grèce et Malte à enregistrer les arrivants. Le 13 mai, la Commission a fait connaître son agenda sur la migration et l'Union européenne a lancé, les jours suivants, l'opération militaire navale EUNAVFOR Med.
Cependant, l'afflux de migrants se poursuit et le défi qui nous est posé aujourd'hui est celui du contrôle de nos frontières extérieures.
Avant-hier, le Premier ministre italien, Matteo Renzi, a manifesté fortement son mécontentement à l'égard de l'Union européenne, considérant que les réponses de celles-ci « n'ont pas jusqu'à maintenant été pas suffisamment bonnes », et l'a menacée d'un plan B, non explicité mais qui, selon ses mots, « ferait mal à l'Europe ». Le Premier ministre italien fait état de l'arrivée de 57 000 migrants sur le sol de son pays et de plus de 100 000 sur l'ensemble des côtes européennes depuis le début de l'année. L'Italie ne fait plus face, comme l'attestent les tensions de ces dernières heures.
Dans ce contexte, monsieur le secrétaire d'État, je souhaite vous poser deux questions.
À court terme, quels risques ce fameux plan B italien comporte-t-il et, surtout, quelles réponses peut-on apporter pour apaiser les tensions existant en Italie ?
À moyen terme, compte tenu des réticences du secrétaire général de l'ONU et du refus de la Libye d'autoriser l'Union européenne à neutraliser les bateaux des passeurs, que va devenir l'opération EUNAVFOR Med ? Quels moyens la France compte-t-elle employer pour obtenir une résolution de l'ONU lui permettant d'engager cette opération indispensable ? Et que se passera-t-il en cas de refus ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. Monsieur le sénateur, lors du Conseil européen extraordinaire du 23 avril dernier, il a été demandé à la Haute représentante de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité de préparer une éventuelle opération de l'Union européenne au titre de la politique de sécurité et de défense commune, la PSDC. La décision relative au lancement de cette opération a été soumise aux ministres des affaires étrangères, qui l'ont adoptée le 18 mai, approuvant le concept de « gestion de crise ».
L'opération navale EUNAVFOR Med comporte trois phases : une première phase de collecte du renseignement sur les bateaux qui participent au trafic illégal de migrants, les informations ainsi recueillies étant partagées entre les participants ; une deuxième phase d'arraisonnement, de fouille, de saisie, de déroutement en haute mer de ces navires et embarcations, en sauvant évidemment les migrants qui peuvent se trouver à bord ; une troisième phase consistant à prendre toutes les mesures nécessaires à la mise hors d'usage de ces bateaux.
Les deuxième et troisième phases nécessitent un cadre juridique international. C'est pourquoi il a été demandé à la fois à la Haute représentante, qui s'est rendue à New York, au Conseil de sécurité des Nations unies, mais aussi aux pays de l'Union européenne qui sont membres de celui-ci, qu'il s'agisse des membres permanents, la France et la Grande-Bretagne, ou des autres pays qui y siègent actuellement, de négocier une résolution du Conseil de sécurité.
Nous sommes précisément en train de discuter avec les membres, permanents ou non, du Conseil de sécurité - l'un des orateurs a évoqué, tout à l'heure, les questions posées par la Russie - pour obtenir cet aval international, ce soutien à lutte contre des trafiquants qui mènent des personnes à la mort.
Il s'agit donc d'un élément non seulement de la protection de nos frontières et de la lutte générale contre ces migrations illégales, mais aussi du dispositif de protection de la vie de citoyens provenant, pour beaucoup d'entre eux, de pays d'Afrique ou du Moyen-Orient et qui tentent de rallier l'Europe.
Voilà pourquoi nous allons continuer de demander ce soutien international, qui ne constitue qu'une partie de l'ensemble de la politique de migration que j'ai rappelée voilà quelques instants, laquelle consiste aussi, je l'ai dit, à protéger les réfugiés et les personnes en besoin d'asile international.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Bosino.
M. Jean-Pierre Bosino. Depuis avril 2014 et le début du conflit armé en Ukraine, plus de 6 000 personnes sont mortes, 15 000 ont été blessées et 1,8 million ont dû être déplacées.
L'Union européenne a prolongé à plusieurs reprises les sanctions qu'elle a prises à l'encontre de la Russie : le Conseil a ainsi prolongé les sanctions individuelles de six mois, soit jusqu'au 15 septembre 2015, et les sanctions économiques jusqu'à la fin de l'année 2015.
Pour autant, il est légitime de considérer que la logique des sanctions arrive à son terme. En matière de sanctions, la difficulté tient beaucoup moins à les établir qu'à les lever. Pour être efficaces, elles doivent être adossées à un processus de négociation politique.
La semaine dernière, une délégation de la commission des affaires économiques s'est rendue à Saint-Nazaire. Ce fut l'occasion de nous interroger sur l'avenir des deux navires qui ont été construits et qui restent à quai.
De ce point de vue, le Conseil européen des 19 et 20 mars 2015 a procédé à un utile rééquilibrage politique. Il est parvenu à un accord de principe pour lier le sort des sanctions à la mise en œuvre des accords de Minsk II jusqu'à la fin de l'année. Ces sanctions doivent faire l'objet d'une évaluation en juin 2015.
Toutefois, il semble que les États-Unis soient prêts à entreposer de l'artillerie lourde en Europe de l'est et dans les Balkans. D'après ces révélations - qui demandent à être confirmées -, les matériels en question pourraient servir à armer 5 000 soldats aux portes de la Russie.
Dans ces conditions, comment l'Europe pourrait-elle asseoir des relations solides et sereines avec la Russie ? Monsieur le secrétaire d'État, pouvez-vous nous préciser quelle est la position de la France par rapport à cette problématique ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. Monsieur Bosino, je l'ai dit, les sanctions sont un levier pour la négociation, elles ne sont pas une fin en soi. L'objectif est de faire en sorte que les négociations menées à Minsk, lesquelles ont tracé une feuille de route pour une solution de paix négociée, puissent être totalement respectées.
Nous souhaitons un retour à des relations normalisées sur les plans politique, sécuritaire et économique entre la Russie et l'Ukraine, ainsi que la levée des sanctions. Tel doit être l'objectif de l'Ukraine - qui doit respecter totalement les engagements qu'elle a pris à Minsk -, de la Russie - qui doit également respecter ses engagements et ne pas soutenir les séparatistes qui mèneraient des agissements contraires à la feuille de route de Minsk - et de l'Union européenne - qui devra aussi mener une politique de relations nouvelles à l'égard de la Russie. Encore faut-il que cette dernière respecte le droit international, à commencer par l'intégrité et la souveraineté de son voisin ukrainien, ce à quoi elle s'est engagée dans le cadre des accords de Minsk.
M. le président. La parole est à M. Daniel Raoul.
M. Daniel Raoul. Je suis persuadé qu'en marge de l'ordre du jour officiel du prochain Conseil européen seront évoquées les négociations concernant le traité transatlantique.
Au regard des votes intervenus la semaine dernière au Congrès américain, c'est-à-dire le refus du TPA, je me demande à quel horizon on pourra véritablement aboutir.
Par ailleurs, j'entends encore des gens soulever le problème du poulet au chlore ou celui des organismes génétiquement modifiés - j'en passe et des meilleures -, essentiellement dans l'intention de faire peur.
Or ce traité s'inscrit dans une logique gagnant-gagnant pour l'Europe comme pour les États-Unis. Il s'agit d'un problème non de barrières tarifaires - qui sont d'ailleurs relativement faibles - mais de normes entre les États-Unis et la France.
La semaine dernière, j'ai proposé à Mme Axelle Lemaire, qui remplaçait le secrétaire d'État Matthias Fekl dans cet hémicycle, la création d'une cour européenne pour lever le blocage du Parlement européen. Si le vote sur le traité n'a pu avoir lieu et a été retiré de l'ordre du jour de la séance plénière, c'est bien en raison de cet ISDS - Investor-State Dispute Settlement.
La procédure de ratification de l'accord de libre-échange entre l'Union européenne et le Canada est une procédure mixte, ce qui signifie que cet accord devra être ratifié au niveau européen comme au niveau national. Or je ne vois pas comment le Parlement européen et les parlements nationaux pourraient accepter de ratifier cette négociation ayant prétendument abouti avec nos cousins canadiens, alors qu'elle instaure explicitement un mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États analogue à l'ISDS
Hors la création d'une cour européenne laissant aux tribunaux nationaux, dans nos pays démocratiques, le soin de régler les différends, je ne vois pas où nous pourrions aller !
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Très bien !
M. Yves Pozzo di Borgo. Bravo !
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. Monsieur Raoul, concernant le règlement des différends, cela a déjà été dit par Laurent Fabius et Mathias Fekl, la France n'acceptera pas que des juridictions privées, saisies par des entreprises multinationales, puissent remettre en cause les choix démocratiques des peuples qui s'expriment au travers de leurs législations votées par les parlements.
M. Daniel Raoul. Très bien !
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. Ce principe nous guide dans l'examen d'une nouvelle proposition visant à remplacer le mécanisme de l'ISDS tel qu'il avait été envisagé par les rédacteurs initiaux du mandat de négociation.
L'idée d'une cour, ou d'un organisme public, nous semble plus adaptée.
Par ailleurs, s'agissant d'un accord de commerce incluant un volet sur les investissements entre les États-Unis et les vingt-huit États membres de l'Union européenne, on peut considérer que les systèmes judiciaires existant d'un côté et de l'autre de l'Atlantique offrent déjà de très importantes garanties en cas de recours des entreprises.
Concernant le suivi de la négociation, je l'ai dit, le TPA fait l'objet d'un blocage au Congrès. Nous espérons qu'il sera levé.
Pour ce qui est du Parlement européen, il est clair que la difficulté se situe autour de cet ISDS. C'est un point qui appelle une clarification.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires européennes.
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je voudrais revenir sur deux des points soulevés au cours de ce débat.
Notre collègue Richard Yung a posé la seule question concernant la place de la Grande-Bretagne dans l'Union européenne.
Je dirai que cette place est - singulière - je recours ici à l'humour britannique, afin de ne pas trop me défausser ! (Sourires.)
Je crois que nous aurions raison d'entrer dans le jeu du dialogue et de la prospective auquel nous invite M. Cameron. En tout cas, c'est ce que je veux lire dans les propos qu'il tient sur le sujet. À nous de ne pas nous écarter des valeurs et des idées des pères fondateurs de l'Union européenne.
Depuis quelque temps déjà, David Cameron a engagé des pourparlers avec un certain nombre de pays de l'Europe du nord, ainsi qu'avec l'Allemagne, mais pas encore véritablement avec la France. S'il ne le faisait pas, cela risquerait de nous entraîner vers un certain immobilisme, alors que chacun d'entre nous a envie d'une Europe un peu nouvelle, d'un cercle concentrique plus réactif, d'une Europe de l'essentiel, comme le dit Jean-Claude Juncker.
Le Sénat, sous votre autorité, monsieur le président, a commencé de discuter avec la Chambre des Lords. Notre commission des affaires européennes a eu l'occasion d'échanger avec celle de la Chambre des Lords, et notamment avec son président, lord Boswell.
Il serait pertinent que nous puissions être associés à un certain nombre de mesures en faveur d'une Europe beaucoup plus réactive, celle à laquelle nos concitoyens aspirent.
Par ailleurs, beaucoup de questions ont été posées sur le traité transatlantique. Je tiens à saluer la position très offensive que vous avez adoptée à cet égard, monsieur le secrétaire d'État. C'est une position courageuse.
Courageuse, l'intervention de Daniel Raoul l'était tout autant. La mondialisation fait partie de notre quotidien. Il est beaucoup plus confortable de se rabattre sur ce qu'on avait appelé, à l'époque du traité de Rome - cela remonte déjà à 1957 ! -, la « préférence communautaire ». Or cette préférence n'existe quasiment plus et n'est inscrite qu'en pointillé dans les derniers traités.
Nous disposons aujourd'hui d'un certain nombre d'atouts qu'il faut faire valoir dans ce type de négociations. Si nous n'entrons pas dans ce débat de façon offensive, avec les spécificités, les qualités qui sont les nôtres, ce sont d'autres continents qui écriront à notre place des normes qui s'imposeront sans débat aucun et qui proviendront, pour l'essentiel, de la Chine, de l'Inde ou du Brésil.
C'est la raison pour laquelle je tiens à saluer la position de Mathias Fekl sur le sujet. Il faut défendre les préférences collectives qui font partie de nos singularités à nous, Européens. C'est également ce qui fait l'attrait de l'Union européenne en général et de la France en particulier : si beaucoup d'Américains viennent passer des vacances dans notre pays et en Europe, c'est précisément à cause de nos préférences collectives.
N'adoptons pas une attitude frileuse ou populiste en la matière. Regardons la réalité en face : je l'ai dit, la mondialisation fait partie de notre quotidien. Nous avons plus que notre place à y prendre. En tout cas, je souhaite que nous puissions continuer à débattre de ce sujet.
À mon tour, je remercie le président Larcher d'avoir présidé cette séance. Le nombre de nos collègues aujourd'hui présents témoigne de l'intérêt que nous portons à l'Europe.
Il est vrai qu'un certain nombre de sujets et de préoccupations s'amoncellent sous le ciel non seulement européen, mais aussi mondial. Chaque fois que nous nous détournerons de l'Europe, nous nous éloignerons des solutions. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, de l'UDI-UC, du RDSE, du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste.)
Mme Sylvie Goy-Chavent et M. Jean-Claude Lenoir. Très bien !
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires européennes, je veux vous remercier d'avoir organisé ce débat, dans ces conditions et à cette heure, ce qui a permis une large participation des membres de la Haute Assemblée.
Comme l'ont souligné plusieurs orateurs, nous sommes dans un moment où l'Europe est mise à l'épreuve, où se pose pour elle la question de savoir quelle va être sa place dans l'Histoire future. Son avenir se joue à travers les réponses qu'elle apportera aux crises qui se déroulent à ses frontières, aux enjeux de la croissance, qui doit revenir, ainsi qu'à travers la cohésion dont elle fera preuve face à des situations comme celles de la Grèce ou de la Grande-Bretagne pour sauvegarder un modèle démocratique et social spécifique dans la mondialisation.
Il s'agissait d'un débat important, à la veille d'un Conseil européen dont l'ordre du jour sera, lui aussi, particulièrement important. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, de l'UDI-UC, du RDSE, du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste.)
M. le président. Croyez bien, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, que je ne manquerai pas de tirer les conséquences, avec la conférence des présidents, de ce qui a été dit concernant l'horaire auquel il est opportun que se tiennent ces débats préalables aux Conseils européens.
Nous en avons terminé avec le débat préalable au Conseil européen des 25 et 26 juin 2015.
source http://www.senat.fr, le 19 juin 2015