Interview de M. Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics, à "Europe 1" le 22 septembre 2015, sur la crise de la bourse chinoise, sur le scandale Volkswagen, et sur la politique budgétaire du gouvernement.

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Média : Europe 1

Texte intégral

JEAN-PIERRE ELKABBACH
D'abord, vous rentrez de Pékin, vous avez rencontré des entrepreneurs chinois et votre homologue qui est, paraît-il, passionné, comme vous, de numismatique. Bienvenue Michel SAPIN, bonjour.
MICHEL SAPIN
Bonjour.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
La Chine connaît une crise qui nous inquiète, les bourses ont chuté, leur croissance va-t-elle reprendre ou plonger ?
MICHEL SAPIN
La bourse a beaucoup baissé cet été, elle avait explosé à la hausse au cours de l'année précédente, ce qui fait que la bourse de Shanghai est toujours une bourse gagnante. C'est le problème de ces bourses qui sont petites, qui sont mal connectées au reste du monde, il peut y avoir de la spéculation, mais enfin qu'il y ait une correction de spéculation, ce n'est pas ça qui va mettre en cause…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Les Chinois que vous avez rencontrés craignent-ils une crise ?
MICHEL SAPIN
Ce n'est pas ça qui va mettre en cause la croissance mondiale. Par contre, beaucoup plus important, c'est la réorientation voulue par les autorités chinoises, de l'économie chinoise. C'était une économie qui était fondée sur vendre des produits à l'étranger, le « Made in China », et maintenant ils veulent construire une économie avec des produits pour les Chinois, c'est le « Made for China », et ça c'est une mutation très profonde.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
C'est-à-dire qu'ils vont moins exporter et que nous ne pourrons plus exporter chez eux.
MICHEL SAPIN
Voilà, c'est-à-dire qu'ils vont moins exporter, en tous les cas moins construire leur croissance uniquement sur l'exportation, et ils vont développer leur marché intérieur, plus de pouvoir d'achat pour les Chinois, et donc plus de capacités pour les Chinois d'acheter nos propres produits. Donc c'est plutôt…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Donc vous dites aux entrepreneurs français : allez-y.
MICHEL SAPIN
Donc c'est plutôt une bonne chose à moyen terme, et les entrepreneurs français, qui sont présents en Chine, disent « c'est le moment d'y aller, on peut à la fois investir, et surtout vendre des produits français, et donc créer de l'emploi en France, pour vendre en Chine. »
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Si, Michel SAPIN, je commence par la Chine, c'est pour savoir s'il peut y avoir une crise mondiale, une crise en Asie, et en tout cas, à terme, quelle conséquence pour la croissance française ?
MICHEL SAPIN
C'est une question parfaitement légitime, normale. Je vous donne mon sentiment profond. Il faut être attentif à ce qui se passe en Chine, c'est la deuxième économie du monde, la deuxième économie du monde, ils produisent de la richesse supplémentaire tous les ans, qui correspond à la richesse totale de la Turquie. En 3 ans leur PIB, qui augmente, correspond à la richesse de la Russie, vous vous rendez compte ! En 3 ans ils font...
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mieux ne vaut pas comparer avec l'Europe, ni avec la France !
MICHEL SAPIN
Si, l'Europe est beaucoup plus importante, évidemment, que la Russie. Donc, c'est une économie absolument considérable pour nous. Elle traverse des turbulences, je pense que ces turbulences seront maîtrisées avec cette reconversion de l'économie chinoise vers leur propre territoire, et donc qu'il n'y a pas de raison de s'inquiéter de ce qui se passe aujourd'hui en Chine.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Michel SAPIN, VOLKSWAGEN pourra-t-elle se remettre du scandale déclenché par ses mensonges et son scandale sur la pollution de ses voitures ? Les Etats-Unis, l'Allemagne, et maintenant la Corée du Sud, ce n'est pas fini, sont en train de protester. Est-ce qu'il ne faut pas lancer une enquête peut-être au niveau français, ou au niveau européen, pour savoir s'il n'y a pas eu tromperie pour VOLKSWAGEN en Europe, et donc en France ?
MICHEL SAPIN
Je pense que ça me paraît nécessaire, il faut le faire au niveau européen. Nous sommes sur un marché européen, avec des règles européennes, c'est celles-ci qui doivent être respectées, c'est celles-ci qui ont été violées aux Etats-Unis.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais est-ce qu'il y a des risques de tricherie chez d'autres constructeurs, par exemple les constructeurs français ?
MICHEL SAPIN
Puisqu'on le fait pour VOLKSWAGEN, je pense que ne serait-ce que pour rassurer les uns et les autres, il me paraît nécessaire de le faire aussi pour les constructeurs français, mais je n'ai pas de raison particulière de penser que les constructeurs français se seraient conduits comme VOLKSWAGEN.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
…Pour qu'il n'y ait pas de doute mieux vaut qu'il y ait de contrôles et de surveillance particulière relancés ?
MICHEL SAPIN
Dans ce domaine, qui est très important, puisque c'est la lutte contre la pollution, on n'est pas là sur des petits sujets, ce n'est pas une histoire de vitesse ou de qualité du cuir, on est vraiment sur que fait-on pour éviter que les gens soient empoisonnés par la pollution, donc c'est des choses sérieuses, eh bien sur ces choses sérieuses, il est légitime de rassurer, de punir s'il le faut, de rassurer, évidemment.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Michel SAPIN, je sais que vous écoutez Europe 1. Selon le site du Figaro, dont parlait tout à l'heure Thomas SOTTO, votre carrière de haut fonctionnaire et d'homme politique aurait coûté 19 millions d'euros, études, Normale Sup, ENA, député, etc. D'abord, est-ce que c'est vrai ?
MICHEL SAPIN
Je n'en sais rien, je ne fais pas des calculs aussi imbéciles que ceux-là. Mais qu'est-ce qu'il y a derrière cela, en dehors du fait que chacun a coûté quelque chose, vous avez coûté quelque chose depuis le début de votre carrière. Qu'est-ce qu'il y a derrière cela…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Il ne me reste plus qu'à me suicider.
MICHEL SAPIN
Il y a l'idée…
THOMAS SOTTO
Enfin il a surtout rapporté, Jean-Pierre.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Merci.
MICHEL SAPIN
Oui, mais peut-être ai-je rapporté quelque chose à l'intérêt général, puisque moi j'étais au service de l'intérêt général. Mais qu'est-ce qu'il y a derrière cela…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Attendez, attendez… mais pourquoi vous Michel SAPIN ?
MICHEL SAPIN
Parce qu'il y en a un qui s'amuse, je pense qu'il va faire maintenant FILLON, il va faire CHIRAC, il va faire SARKOZY, il va en faire comme ça une série d'autres, ça lui évitera d'avoir l'air de cibler…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Il ne fera pas Emmanuel MACRON.
MICHEL SAPIN
Surtout, derrière cela…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Vous avez cité tout le monde sauf lui.
MICHEL SAPIN
Surtout derrière cela, qu'est-ce qu'il y a ? Il y a cette démagogie populiste terrible. Ça voudrait dire quoi ? Qu'il ne faut plus d'élus ? Qu'il ne faut plus de députés ? Qu'il ne faut plus de ministres ? Qu'il ne faut plus de maires ? Qu'il ne faut plus former les fonctionnaires dans les grandes écoles ? Voilà ce qu'il y a derrière ça, le populisme imbécile.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Ce qui est plus intéressant c'est de voir que les inégalités diminuent, d'après l'INSEE.
MICHEL SAPIN
Ça me paraît un sujet plus intéressant effectivement.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Le niveau de vie augmente chez les plus modestes et il diminue chez les plus riches.
MICHEL SAPIN
Non, ce qui est intéressant, on est en 2013, on voit ce qui se passe en 2014 et 2015, ce qui est intéressant c'est qu'au fond en France, et depuis que nous sommes là, bien qu'il y ait une crise, bien qu'il y ait des difficultés très lourdes pour un certain nombre de Français, les inégalités se sont rétrécies, alors que dans la quasi-totalité des autres pays les inégalités se sont élargies avec la crise.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Donc pour une fois vous donnez un satisfécit à la gauche.
MICHEL SAPIN
Oui, la gauche, qui est la gauche qui lutte contre un certain nombre d'inégalités. Elle a réussi, à ce stade-là, pour cette année 2013, et dans le contexte de crise, d'éviter que les inégalités ne grandissent.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
C'est bien de rester humble.
MICHEL SAPIN
Oui, parce qu'il faut regarder 2014, je pense qu'en 2014 il y a un pouvoir d'achat qui sera plus élevé parce que les salaires ont augmenté en 2014, qui est une bonne chose…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Et en 2017 ça sera l'idéal, le paradis.
MICHEL SAPIN
Ecoutez, moi le paradis je n'y crois pas, je le construis, je construis la voie qui nous mène vers un avenir un peu meilleur.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Dans 8 jours, Michel SAPIN, vous présentez le budget 2016, vous en êtes, avec Manuel VALLS, je suppose, aux derniers arbitrages, mais on voit déjà, nous ici, les larmes de quelques collègues ministres. Qui devra faire le plus d'économies ?
MICHEL SAPIN
Tout le monde, sauf les ministères prioritaires. La Défense est prioritaire, il y aura plus de crédits. La sécurité des Français, c'est-à-dire le ministère de l'Intérieur, et en grande partie le ministère de la Justice, c'est une priorité, il y aura plus de crédits. Et l'Education nationale, c'est une priorité, et il y aura plus de crédits, ne serait-ce que pour créer des postes de professeurs.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Est-ce que vous ajoutez, parce qu'il y a de l'imprévisible, les besoins urgents des agriculteurs par exemple ?
MICHEL SAPIN
Oui, bien sûr, on a dégagé des crédits nécessaires pour soutenir les filières agricoles, même si la plupart de ces crédits sont des crédits qui viennent du niveau européen, mais il y a aussi…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Et les réfugiés ?
MICHEL SAPIN
Pour les réfugiés, évidemment.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Combien, quelle somme, vous avez chiffré déjà ?
MICHEL SAPIN
Le chiffre qui a été annoncé par le Premier ministre…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
249 millions.
MICHEL SAPIN
Voilà, c'est 249 millions.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais avec les migrations qui montent, le flux qui continue, ça va être des chiffres élastiques ?
MICHEL SAPIN
Non, 249 millions pour l'année prochaine, vous savez très bien que la France n'est pas le pays qui aujourd'hui est soumis à la plus grosse pression du point de vue des réfugiés, ce sont d'autres pays, mais nous prendrons notre part de l'effort nécessaire.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Tout ça c'est en plus, c'était imprévisible, mais vous les intégrez. Comment vous compensez ?
MICHEL SAPIN
Juste une seconde. Quand on fait une dépense supplémentaire, Monsieur ELKABBACH, ça doit être un peu comme chez vous, on en diminue une autre.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Lesquelles ?
MICHEL SAPIN
Moi je ne vois pas beaucoup d'autres moyens.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Qui va payer ? Qui va trinquer ?
MICHEL SAPIN
Dans le débat parlementaire nous aurons à répartir, sur l'ensemble des ministères, des économies pour faire face à des dépenses nouvelles, indiscutables, indiscutées.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Alors quelles sont les pistes de ce budget 2016 ? On sait que vous allez baisser les impôts, que vous avez en 2012 augmentés.
MICHEL SAPIN
Oui, ce n'est pas une petite chose, 3 milliards de baisse cette année, il y a 8 millions de personnes qui ont une baisse de plus de 100 euros cette année, l'année prochaine 3 millions de plus qui vont voir leurs impôts baisser, c'est quand même quelque chose de très nouveau, et qui me paraît être très visible, et, je pense, très efficace, y compris du point de vue du soutien au pouvoir d'achat.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Et vous allez commencer les prélèvements à la source qui, par étapes, vont démarrer.
MICHEL SAPIN
On va lancer ce processus, parce que c'est un processus très lourd, il doit être bien préparé pour pouvoir rentrer en application au 1er janvier 2018.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Est-ce à dire que vous pensez que c'est irréversible, c'est-à-dire vos successeurs, si vous n'êtes plus là aux affaires, c'est les successeurs qui seront tenus de faire la réforme ?
MICHEL SAPIN
Ils seront tenus, oui, parce que tout sera prêt pour cela, il n'y aura pas besoin de réinventer le fil à couper le beurre, on aura préparé tout cela, et, vous savez, cette réforme elle a été soutenue aussi bien à gauche qu'à droite, c'est une réforme de simplification, d'efficacité.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
La lutte contre la fraude, fiscale et sociale, elle nous rapporte combien ?
MICHEL SAPIN
Ça, ça continue, ça rapporte énormément, ne serait-ce que, par exemple, ceux qui déclarent maintenant, enfin, leurs comptes à l'étranger, 2,6 milliards de rentrée fiscale cette année, et plus de 2 milliards l'année prochaine, ça permet même de payer, si je puis dire, la baisse des impôts pour les plus modestes des Français.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Merci d'être venu.Source : Service d'information du Gouvernement, le 23 septembre 2015